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Full text of "Revue britannique : revue internationale reproduisant les articles de meilleurs écrits periodiques de l'étranger, compl`etés par des articles originaux, 1825"

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REVUE 

BRITANNIQUE. 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.arcliive.org/details/1825revuebritann02saul 


REVUE 


CHOIX  D'ARTICLES 

TRADUITS  DES  MEILLEURS  ÉCRITS  PÉRIODIQUES 

DE  LA  GRANDE-BRETAGNE, 

SUR  L.\  LITTÉRATURE,  LES  BEAUX-ARTS,  LES  ARTS  INDUSTRIELS, 
l'agriculture,  la  GÉOGRAPHIE ,  LE  COMMERCE,  l'ÉCONOMIE 
POLITIQUE,    LES    FINANCES,    LA     LÉGISLATION,    ETC.,    ETC.; 

Par  MM.  Chaules  Coqueeel;  Dondey-Doppé  Fils,  de  la  Société  Asiatique; 
Ed.  Lafon  de  Lapebat  ,  ancien  Chef  de  Division  au  Ministère  de  l'Intérieur  ; 
Saulnier  fils ,  ancien  préfet ,  de  la  Société  Royale  Académique  des  Sciences 
et  de  la  Société  Asiatique;  Sédillot;  West  ,  Docteur  eu  Médecine  (^pour  /es 
articles  relatifs  aux  sciences  médicales  ) ,  etc.,  etc. 

^roiôihne  €ïiition. 


\Doiii&   (becoiu). 


|3am, 


Au  BUREAU  DU  JOURNAL,  Rue  de  Grenelle-Sl-Honoré,  N»  29  ; 
Chez.  DONDEY-DUPRÉ  PÈRE  ET  FILS,  Imp.-Lib.  , 

Une  Saint-Loiii»  ,  No  tfi  ,  au  Marais  ,  et  lue  Kirljelicu  ,  No  67. 

1825 


IMPRIMSUIE  DE  DONDFY-DCPRK 


SEPTEMBRE  iSaS. 
REVUE 

INDUSTRIE. 

EXPLOITATION    DES    MINES   DU   NOUVEAU-MONDE. 


LJ  NE  brochure  qui  coulient  beaucoup  de  documens  pré- 
cieux sur  rexploitation  des  ruines  du  Nouveau -Monde , 
vient  de  paraître  à  Londres ,  sous  le  titre  de  Recherches 
sur  les  plans,  les  progrès  et  l'importance  politique  des  Com- 
pagnies des  mines  d'Amérique  (i). 

Cet  écrit ,  dont  nous  croyons  utile  de  faire  connaître  les 
passages  les  plus  remarquables  ,  a  pour  objet  ;  i°  de  déter- 
miner quel  était ,  année  commune  ,  le  produit  net  des  mines 
du  Nouveau  -  Monde ,  sous  l'administration  espagnole ,  et 
quels  étaient  les  moyens  généralement  employés  pour  l'ob- 
tenir 5  2°  d'examiner  la  situation  des  diverses  entreprises 
formées  ,  pendant  le  cours  de  ces  dernières  années,  pour 
l'exploitation  de  ces  mines  et  l'état  progressif  de  leurs 
travaux  ;  3°  de  rechercher  quelle  sera  leur  influence  sur  la 
richesse  publique. 

I.  En  comparant,  dit  l'auteur,  les  données  fournies  par 
M.  de  Humboldl,  avec  celles  qui  l'ont  été  par  Adam  Smilh 
et  par  l'abbé  Rayual,  nous  pouvons  fixer  à  8,5oo,oooliv.st. 

(i)  Aiiiiiffuiry  into  the plans,  prof(ress,  and policy  of  the  American 
ininin^  Companies ,  3<1  cd. ,  John  Murrai  Albermarle-streel ,  iSaS. 


2  Exploitation  des  mines 

(2i2,5oo,ooo  fr.  ),  le  produit  net ,  année  commune,  des 
mines  du  Nouveau-Monde,  sous  la  gestion  des  Espagnols 
et  au  commencement  de  ce  siècle. 

L'examen  des  modes  d'exploitation,  adopte's  par  les 
Espagnols ,  a  prouvé  :  i°  que  les  frais  énormes  qu'ils 
faisaient,  provenaient  surtout  de  l'imperfection  de  leurs 
machines ,  et  du  défaut  d'ordre  et  de  suite  dans  les  travaux  j 
2°  que  les  bénéfices  étaient  diminués  de  moitié,  par  la  raison 
que  le  soin  d'extraire  le  minerai  et  celui  de  le  réduire  n'ap- 
partenaient pas  à  la  même  entreprise 3  3°  que  les  profits 
qu'une  mine  peut  offrir  dépendent  essentiellement  du  prix 
du  mercure  nécessaire  à  la  réduction  du  minerai. 

II.  D'après  ces  données,  l'on  a  pensé,  avec  raison,  qu'à 
l'aide  de  capitaux  suffisans  ,  de  procédés  meilleurs  et  d'une 
gestion  plus  éclairée ,  on  pourrait  exploiter  les  mines  du 
Nouveau-  Monde ,  en  profitant  des  événemens  qui  ont 
amené  son  indépendance.  Plusieurs  compagnies  se  sont 
formées  dans  ce  but ,  pour  les  mines  situées  dans  le  Mexi- 
que ,  dans  la  Colombie ,  dans  le  Pérou ,  le  Chili ,  Buenos  - 
Ayres  et  le  Brésil. 

Des  mines  du  Mexique.  —  Le  Mexique  contient  environ 
trois  mille  mines.  Des  huit  millions  et  demi  sterling, 
extraits  annuellement  de  l'Amérique,  il  en  fournissait  à 
lui  seul  plus  de  moitié ,  et  cette  portion  était  le  produit 
d'un  petit  nombre  de  mines ,  situées  dans  un  territoire  très- 
circonscrit.  Les  mines  du  Mexique  forment  huit  groupes 
rangés  à  l'ouest ,  sur  les  versans  des  Cordillères  d'Anahuac, 
et  occupent  une  surface  de  douze  mille  lieues  carrées  (un 
dixième  du  territoire  mexicain).  Ce  sont,  en  général,  des 
mines  d'argent  :  l'or  s'y  rencontre  à  peu  près  dans  les 
mêmes  proportions  qu'en  Hongrie  Ce  n'est  pas  la  richesse 
intrinsèque  du  minerai  qui  les  distingue  de  celles  d'Europe, 
mais  bien  son  abondance  et  la  facilité  avec  laquelle  on  le 
réduit. 


du  Noui>eau-Monde .  3 

La  première  Compagnie  formée  pour  exploiter  les 
mines  du  Mexique,  est  généralement  connue  aujourd'hui 
sous  le  nom  de  Compagnie  anglo-mexicaine.  Son  capital  est 
d'un  million  sterling ,  divisé  en  dix  mille  actions  de  cent 
livres  sterling  chacune. 

Cette  compagnie  s'est  formée  au  mois  de  juillet  1824. 
Le  26 février  1825,  ses  membres  se  sont  réunis  en  assemblée 
générale,  pour  entendre  un  rapport  sur  les  progrès  de  l'en- 
treprise. Il  résulte  de  ce  rapport  que  les  commissaires  de 
la  compagnie  étalent  arrivés  au  Mexique  vers  le  milieu  du 
mois  d'août  1824.  Le  i5  novembre,  ils  écrivaient  aux 
directeurs  de  la  compagnie  ,  en  Europe ,  que  rexploitatlon 
qu'ils  étalent  chargés  de  surveiller  avait  déjà  reçu  un  com- 
mencement d'exécution.  Ils  désignaient  quatre  mines  dans 
le  district  de  Guanaxuato  ;  savoir  :  Valenciana ,  Serena  , 
Santa-Rosa  et  Guadalupe ,  et  deux  mines  dans  le  district 
de  Catorcej  savoir  :  la  Conception  et  Guadalupe.  Les  plus 
fécondes  de  ces  mines  sont  la  Valenciana  et  la  Conception. 
La  première  passe  pour  la  plus  riche  de  tout  le  Mexique  ; 
il  n'y  a  pas  soixante  ans  qu'elle  est  ouverte.  De  1792 
à  1802  ,  elle  a  donné,  année  commune,  un  produit  net  de 
i5o,ooo  llv.  st.  (  5,750,000  fr.  ).  Elle  était  grevée  alors 
d'un  impôt  de  29  ^  pr.  °/^,  réduit  aujourd'hui  à  6pr.  "/q. 

Le  rapport  annonçait  que  la  Valenciana  produisait  par 
semaine  deux  mille  charges  de  minerai ,  du  poids  de  trois 
quintaux  chacune;  qu'en  fouillant  la  mine  de  la  Conception 
on  avait  découvert  une  veine  qui,  dans  les  premiers  huit 
jours,  avait  donné  5oo  dollars  ;  la  semaine  d'après  ,  5,700, 
et  7,000  dans  la  suivante;  enfin  ,  que  les  premiers  frais  d'ex- 
ploitation paraissaient  devoir  être  promptemeut  rembour- 
sés. Le  rapport  ajoutait  que  dans  la  même  mine  ou  avait 
trouvé  du  mercure,  du  fer  et  quelques  indices  de  houille, 
découverte  très-précieuse  pour  l'exploitation. 

La  compagnie  a  expédié  pour  le  Mexique,   à  diverses 


4  Exploitation  des  niinbs 

époques,  cinq  bâtitnens  charges  de  machines  et  de  mineui's. 

Une  seconde  compagnie  ,  pour  l'exploitation  de  diverses 
mines ,  s'est  formée  sous  le  nom  de  Compagnie  mexicaine 
des  mines  de  Guanaxuato  et  de  Catorce. 

Cette  compagnie  a  pour  président  Dom  Lucas  Alaman, 
ancien  député  de  Guanaxuato  aux  cortez  d'Espagne ,  et 
aujourd'hui  l'un  des  membres  les  plus  distingués  du  gou- 
vernement mexicain.  Elle  avait  d^abord  un  capital  de 
24O7O02  'iv.  st.  ,  divisé  en  six  mille  actions  de  4©  liv.  st. 
chacune.  Le  1*='  mars  1825,  ce  capital  a  été  augmenté  de 
dix-huit  mille  actions,  également  de  4o  liv.  st. 

Une  troisième  compagnie  s'est  chargée  d'exploiter  les 
mines  de  Real  del  Monte.  Son  capital  est  de  200,000  liv.  st., 
divisé  en  cinq  cents  actions  de  4^0  liv.  chacune.  Elle  a 
expédié  au  Mexique  trois  bâtimens  chargés  de  machines , 
d'outils  et  de  munitions  de  tout  genre,  ayant  à  bord  cent 
quarante  mineurs  ou  ingénieurs.  Les  mines  de  Real  del 
Monte  ,  qui  appartiennent ,  pour  la  plupart ,  au  comte  de 
Régla,  sont  citées  pour  leur  grande  fécondité. 

Enfin ,  une  quatrième  compagnie ,  organisée  au  mois  de 
novembre  1824,  doit  exploiter  les  mines  de  Tlapuxahua  et 
quelques  autres  situées  sur  le  territoire  de  Coronas ,  pro- 
vince de  Vaîladolid.  Elle  a  un  capital  de  4-00,ooo  liv.  st. , 
divisé  en  mille  actions  de  4oo  liv.  chacune  ;  et  elle  a  ré- 
cemment envoyé  au  Mexique  un  grand  nombre  de  mineurs. 

Colombie.  —  Le  produit  net  de  ses  mines  a  été  évalué  à 
620,000  liv.  st.  ,  année  commune.  Les  mines  d'or  sont  les 
seules  qui  forment  les  élémens  de  celte  estimation  ;  car  ,  au 
moment  où  elle  a  été  faite,  celles  d'argent  n'étaient  pas 
exploitées. 

La  Compagnie  des  mines  de  Colombie  s'est  formée  en 
décembre  1824. 

Le  prospectus  de  l'association  nous  annonce  :  que  la  por- 
tion de  la  république  de  Colombie  ,  précédemment  désignée 


du  Nouçeaii-Mondea  5 

sons  le  nom  de  i>ice-î'oyauté  de  la  Nouvelle-Grenade .  con- 
tient les  principales  minières,  el  ([ue  l'on  prcsnme  ({n'on 
n'a  découvert ,  jusqu'ici ,  qu'une  portion  peu  considérable 
des  trésors  qu'elles  recèlent  ;  que  l'association  a  pris  à 
ferme  du  gouvernement  colombien,  qui  en  a  la  propriété , 
les  mines  d'argent  de  Ly^^to-^w/za  ,  laManta,  San-Juan 
et  el  Christo  de  Lagas ,  situées  à  Mariquita  ;  et  que  tout  fait 
espérer  qu'à  l'expiration  du  traité,  les  bénéfices  seront 
proportionnés  au  capital  engagé  dans   l'entreprise. 

On  lit  aussi  dans  les  prospectus  «  que  les  machines  et  ins- 
trumens  d'exploitation  peuvent  être  transportes  sur  le  fleuve 
de  la  Madeleine  à  Honda  ,  ville  qui  n'est  éloignée  de  Mari- 
quita que  de  six  lieues.  On  y  volt  encore  qu'à  Mariquita 
le  climat  est  sain  elle  combustible  très-abondant  j  mais  que 
ies  ouvriers  y  sont  rares  et  très-chers.  » 

Enfin ,  le  prospectus  porte  que  la  compagnie  traite  en 
ce  moment  de  l'exploitation  d'autres  mines  d'or ,  d'argent 
et  de  cuivre ,  et  que ,  quant  aux  mines  d'or ,  le  procédé 
d'affinage  adopté  pour  le  métal,  après  son  extraction , 
paraît  susceptible  de  grandes  améliorations. 

Le  président  de  l'association  est  M.  Hurtado ,  chargé 
d'aft'aires  de  Colombie  auprès  du  cabinet  de  Saint-James , 
son  capital  est  d'un  million  st.  divise  en  10,000  actions  de 
100  livres  chacune. 

Brésil.  —  D'après  l'ouvrage  récent  de  M.  Caldeleugh, 
sur  l'Amérique  du  sud  (i  ),  les  mines  d'or  du  Brésil  donuenl, 
année  commune,  un  produit  net  de  900,000  liv.  st.  «  On 
«  n'y  a  point  encore  .découvert  des  mines  d'argent,  ajoule 
«  l'auteur  ;  mais  je  n'oserais  affirmer  qu'on  n'en  découvrira 
<f   pas  ,  attendu  qu'on  y  trouve  du  plomb.  » 

L'empereur  du  Brésil ,  malgré  la  rigueur  des  lois  restric- 

j^i)  Voyez  l'analyse  de  cet  ouvrage,  lom.  I*-'',  a"-'  livraison,  pag.  ?>oty 


6  Exploitation  des  mines 

llves  portées  contre  les  étrangers ,  a  concédé  à  M.  Edouartl 
Oxenford  le  privilège  de  former  une  société  pour  exploiter, 
sous  sa  protection  spéciale ,  les  mines  d'or  et  d'argent  de 
la  province  Minas  Geraes. 

Ces  montagnes  abondent  en  pierres  précieuses  et  en 
métaux,  qu'on  peut  par  une  application  directe  des  ma- 
chines, extraire  avec  plus  de  célérité  et  à  beaucoup  meil- 
leur marché  qu'on  ne  Ta  fait  jusqu'ici j  et,  ce  qui  justifie 
cette  opinion ,  c'est  qu'on  trouve  vers  leur  sommet  des 
masses  d'or  pur. 

Le  capital  de  la  compagnie  impériale  des  mines  du 
Brésil,  estd'un  million  st.  divisé  en  10,000  actions  de  100  llv. 
chacune, 

Buenos- Ayres.  —  Le  prospectus  de  l'entreprise  des  mines 
des  provinces  de  la  Plata ,  annonce  que  les  mines  qui  ren- 
ferment de  l'or ,  de  l'argent  et  d'autres  minéraux  précieux, 
sont  presque  toutes  vierges,  faute  des  capitaux  et  des  con- 
naissances nécessaires  à  leur  exploitation.  Cependant,  ces 
contrées  possèdent  de  vastes  forêts ,  ressource  précieuse 
pour  le  combustible  et  le  bols  de  construction  ;  elles  sont 
couvertes  de  pâturages,  sillonnées  de  courans  d'eau ,  et 
il  ne  serait  pas  très  -  difficile  d'établir  une  communica- 
tion entr' elles  et  Buenos-Ayres ,  au  moyen  d'une  grande 
route. 

Ces  mines  sont,  pour  la  plupart,  sans  propriétaire  5  ainsi 
la  compagnie  n'aura  point  à  partager  avec  des  tiers  les  bé- 
néfices de  l'exploitation  •  ou  bien,  s'il  se  présente  quel- 
que prétendant  à  la  propriété,  on  croit  qu'il  se  contentera 
de  recevoir  une  modique  rente. 

Il  n'y  a  peut-être  pas  de  pays  sur  la  surface  du  globe, 
dont  les  ressources  aient  été  plus  négligées,  faute  de  po- 
pulation et  de  capitaux ,  que  celles  des  provinces  de  la 
Plaïa.  Ses  trésors  minéraux  ,  à  l'exception  de  ceux^du 
Potose,  n'ont  clé  l'objet  d'aucun  système  régulier  d'ex- 


du  Noui>eau-Monde.  7 

ploitalion.  Ses  minières  les  plus  importantes  sont  celles  de 
Famatina  ,  'JJpsalata  et  Rosario. 

On  va  de  Buenos -Ayres  à  Famatina  par  Cordoue.  Le 
service  des  transports  de  Buenos  -  Ayres  à  Cordoue  se  fait 
par  des  chariots  du  port  de  deux  tonneaux ,  avec  toutes 
les  facilités  désirables  et  à  un  prix  modéré.  Les  mines  de 
Famatina  surpassent ,  peut-être ,  en  richesse,  les  plus  riches 
qu'il  y  ait  au  monde  5  mais  nous  n'avons  pas  de  données 
sur  leur  produit  annuel  j  nous  ne  savons  même  pas  si 
l'exploitation  en  a  été  suivie  pendant  une  année  entière. 

Celles  d'Upsalata  sont  situées  sur  la  route  qui ,  de  Men- 
doza ,  conduit  au  Chili  par  les  Cordillères.  Elles  font  partie 
des  versans  de  ces  montagnes  du  côté  de  l'est  ;  mais  leur 
position  n'est  pas  très-élevée.  Le  sol  fournit  cVexcellens 
pâturages,  un  combustible  très-abondant,  et  l'on  peut,  h 
un  prix  raisonnable,  tirer  des  plaines  entre  Mendoza  et 
San-Luis,  des  bois  de  construction  de  la  première  qualité. 

Les  mines  d'Upsalata  ,  découvertes  en  i683 ,  et  négli- 
gées jusqu'en  176J,  appartenaient  au  Chili  avant  la  créa- 
tion de  la  vice-royauté  de  Buenos-Ayres.  On  assure  qu'elles 
sont  une  ramification  du  Potose.  La  veine  principale  a 
neuf  pieds  de  largeur 5  elle  se  divise  en  deux  branches, 
et  celles-  ci  en  plusieurs  filons  qui  s'étendent  sous  les  mon- 
tagnes voisines,  à  une  distance  de  trente  milles. 

Les  mines  de  Rosario  sont  situées  près  de  Salta,  et  pro- 
duisent en  ce  moment  beaucoup  d'or. 

La  compagnie  des  mines  de  Buenos-Ayres  ne  bornera 
pas  ses  exploitations  à  un  seul  district.  Propriétaire  à  per- 
pétuité de  toutes  les  mines  qui  existent  au  sud  de  la  Plata  , 
elle  y  appliquera  successivement  sou  industrie. 

Cette  compagnie,  formée  en  1822,  doit  payer  au  gou- 
vernement de  Buenos-Ayres  un  droit  d'un  pr.  ^o  sur  l'or  et 
l'argent  quelle  extraira.  Son  capital  est  d'un  million  st. 
divisé  en  10,000  actions  de  100  liv.  chacune. 


,  8  Exploitation  des  mines 

Pérou.  —  Le  produit  annuel  des  mines  du  Pérou  est ,  d'a- 
près Testimation  de  M.  de  Humboldt,  d'environ  1,200,000 
liv.  st.  par  an  ;  celles  de  Pasco  ,  de  Gualgayoe  et  de  Huan- 
tajaya  ,  sont  à  peu  près  les  seu'es  qu'on  ait  exploitées  dans 
ce  pays. 

Les  mines  du  Pérou  sont ,  pour  la  plupart ,  situées  à 
treize  mille  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  et  for- 
ment, par  leur  élévation  et  leur  température,  un  affreux 
contraste  avec  les  plateaux  délicieux  du  Mexique.  Pour 
donner  une  idée  de  leur  richesse ,  il  suffit  d'observer  que  les 
mines  de  Pasco,  quoique  très-mal  exploitées,  ont  fourni , 
année  commune ,  pour  5ooo,oo  liv.  st.  de  lingots. 

Le  Pérou  possède  aussi  des  mines  de  mercure  ;  celle  de 
Santa-Barbara  en  a  produit  de  4  à  6,000,  et  même  jusqu'à 
lOjOoo  quintaux  par  an;  mais  un  intendant  des  travaux 
ayant  imprudemment  enlevé,  pour  se  les  approprier,  les 
étais  précieux  qui  soutenaient  le  toit  de  la  mine,  ce  toit 
s'est  écroulé ,  et ,  depuis  lors ,  l'exploitation  est  devenue 
impossible. 

La  compagnie  du  Pérou  ne  s'est  formée  que  depuis  peu. 
Elle  a  obtenu  une  concession  à  longues  années,  des  mines 
les  plus  importantes  de  Pasco;  son  capital  est  d'un  mil- 
lion st.,  divisé  en  10,000  actions. 

Chili.  —  Les  mines  du  Chili  ont  moins  souffert  de  la  ré- 
volution que  celles  du  Mexique  et  du  Pérou.  Même  en  1 82 1 , 
elles  ont  donné  un  million  et  demi  de  dollars.  C'est  le 
quart  de  leur  produit  net ,  année  commune. 

Le  Chili  a  des  avantages  qui  lui  sont  propres;  tels  que 
l'immense  étendue  de  ses  côtes ,  la  bonté  de  ses  ports,  et 
la  facilité  d^y  transporter  les  produits  des  mines  des  Aiulcs, 
et  des  montagnes  intermédiaires. 

La  compagnie  du  Chili  vient  de  s'organiser  sous  ia  pré- 
sidence de  don  Mariano  de  Egana ,  ministre  plénipoten- 
tiaire de  la  républicpie  du  Chili  auprès  de  S.  M.  Brilauni- 


du  Nouçeau-Monde .  g 

que.  Le  prospectus  nous  apprend  que  ce  pays  contient  des 
mines  d'or,  d'argent,  de  cuivre,  de  plomb,  d'ëtain  et 
de  fer;  elles  sont  situées  snr  la  ligne  des  Cordillères  qui  se 
rapproche  le  plus  de  la  mer.  Le  climat  y  est  bon ,  les  bras 
n'y  sont  pas  rares,  les  bois  et  Teau  y  abondent j  et  ce  qui 
est  très  -  important ,  on  a  découvert  des  houillères  non 
loin  de  la  Conception. 

Le  capital  de  la  compagnie  est  d'un  million  st.  divisé 
eu  10,000  actions.  Elle  a  expédié  pour  le  Chili  un  bâti- 
ment chargé  de  machines,  et  ayant  abord  un  grand  nombre 
de  mineurs. 

Une  autre  compagnie  s'est  organisée  à  Londres  dans  le 
même  but ,  sous  la  protection  du  ministre  plénipotentiaire 
du  Chili,  et  sous  le  nom  de  compagnie  anglo-chilienne; 
son  capital  est  de  i,5oo,ooo  liv.  st.  divisé  en  i5,ooo  ac- 
tions. 

Une  troisième  compagnie  a  été  créée  au  mois  de 
mars  1825,  à  l'effet  d'exploiter  les  mines  de  tout  genre 
qui  existent  tant  au  Chili  qu'au  Pérou  ,  et  spécialement  les 
mines  de  cuivre  du  Chili;  le  travail  de  ces  dernières,  à 
l'aide  de  la  houille  ,  qui ,  dans  ce  pays ,  est  très-abondante 
et  d'un  transport  peu  coûteux  ,  doit  produire  les  plus  heu- 
reux résultats.  Son  capital  est  d'un  million  st.  divisé  en 
10,000  actions. 

Enfin  la  compagnie  générale  des  mines  de  l'Amérique 
du  sud ,  vient  de  s'organiser  avec  un  capital  de  deux  mil- 
lions st. ,  divisé  en  20,000  actions  de  100  liv.  chacune. 
Elle  se  propose  d'obtenir  à  titre  de  cession  ou  de  bail, 
quelques-unes  des  mines  de  l'Amérique  du  sud ,  comme 
aussi  d'acheter,  afin  de  le  réduire ,  le  niiuerai  provenant 
des  autres  exploitations. 

Ainsi  le  total  des  capitaux  des  compagnies  anglo-amé- 
ricaines ,  qui  se  sont  récemment  organisées  pour  l'exploi- 
tation des  mines  du  Nouveau-Monde,  s'élève  à  la  somme 


I  o  Exploitation  des  mines 

énorme  de  i2,o(5o,ooo  llv.  st.  (  5oi,5oo,ooo  );  le  total 
des  actions  s'élève  à  i45,coo. 

III.  Tel  est  le  tableau  des  diverses  associations  relatives 
aux.  mines  du  Nouveau-Monde.  Il  est  à  remarquer  que 
plusieurs  qui  cependant  n'ont  encore  qu'un  an  d'exis- 
tence ,  ont  déjà  publié  sur  leurs  travaux  des  rapports  dé- 
taillés et  satifaisans.  On  ne  peut  donc  les  confondre  avec 
quelques  autres  dont  les  actions  n'offrent  que  des  valeurs 
fictives  et  illusoires. 

Si ,  comme  tout  l'annonce ,  ces  compagnies  sont  de 
bonne  foi ,  et  si  le  succès  qu'on  attend  de  leurs  travaux  se 
réalise  ,  quelle  en  sera  l'influence  sur  la  prospérité  des  na- 
tions qui  y  sont  le  plus  directement  intéressées  ,  et  sur  les 
valeurs  en  général?  Cette  grave  question  a  été  diversement 
résolue  par  ceux  qui  s'en  sont  occupés. 

Il  est  évident  que  le  succès  des  entreprises  des  mines 
exercera  une  influence  particulière  sur  l'Angleterre,  en  lui 
procurant  des  bénéfices  considérables  ,  et  sur  les  états  nou- 
vellement émancipés ,  en  leur  assurant  tous  les  avantages 
qui  résultent  de  la  circulation  d'une  grande  masse  de 
capitaux. 

Les  contrées  où  les  mines  sont  situées,  ont  été  de  tout 
tems  les  plus  florissantes  du  nouveau  continent.  C'étaient 
les  seules  dont  les  ressources  parussent  suffire  à  la  subsistance 
des  babltans  ;  c'étaient  du  moins  celles  qui  supportaient  le 
plus  facilement  l'empire  exerce  par  la  métropole.  Outre 
la  partie  de  la  population  directement  employée  à  l'exploi- 
tation des  mines ,  il  y  en  avait  une  autre  constamment  oc- 
cupée dans  une  multitude  d'établissemens,  pour  l'achat  et 
la  réduction  du  minerai.  liCs  maisons  de  commerce  se 
fixaient  pour  !a  plupart  sur  le  territoire  des  mines,  et  les 
grands  propriétaires  du  Mexique  ,  résidant  près  des  sources 
de  leur  fortune ,  contribuaient  par  leur  luxe  à  mettre 
d'immenses  capitaux  en  mouvement.  Quand  on  considère 


du  Noui'e  an -Monde .  1 1 

le  nombre  infini  cVintércts  créés  par  Texploitalion  de  ces 
mines,  Timmense  population  qu'elle  occupait,  le  commerce 
auquel  elle  servait  d'aliment,  et  la  division  du  travail  qu'elle 
favorisait ,  on  ne  peut  comparer  l'importance  de  ces  en- 
treprises qu'à  celle  de  nos  manufactures  eu  Angleterre. 

La  révolution  a  eu  sur  ces  contrées  florissantes  des  effets 
aussi  prompts  que  funestes.  Ijes  machines  employés  à  l'ex- 
ploitation des  mines  furent  partout  détruites  ,  par  suite 
de  la  guerre  ou  par  l'incurie  des  propriétaires  ;  car  malheu- 
reusement il  est  bien  peu  de  révolutions  qui  n'entraînent 
des  désordres  à  leur  suite.  La  ville  de  Guanaxuato  fut 
pillée  par  les  soldats  de  Mina.  Des  70,000  âmes  qui 
l'habitaient  au  commencement  de  ce  siècle  ,  à  peine  en 
reste-t-il  un  tiers  en  ce  moment ,  et ,  d'après  les  rapports 
récens  d'un  voyageur,  la  ville  de  Vaîenciana ,  autrefois  une 
des  plus  opulentes  du  Nouveau-Monde,  n'offre  plus  qu'un 
monceau  de  ruines. 

Les  compagnies  créées ,  eu  Angleterre  ,  pour  l'ex- 
ploitation des  mines,  rendront,  on  n'en  peut  douter,  la 
vie  aux  contrées  qui  les  possèdent.  Déjà  ces  compagnies 
ont  produit  un  très-grand  bien.  Les  Mexicains  regardent  les 
travaux  commencés  aux  mines  de  Yalcnciana  ,  qu'ils  ap- 
pellent les  mines  du  peuple ,  comme  le  signal  du  retour  de 
leur  ancienne  prospérité. 

La  situation  de  l'Amérique  est  maintenant  bien  différente 
de  ce  qu'elle  était ,  lorsqu'elle  ne  connaissait  d'Européens 
que  ses  tyrans  et  les  boucaniers.  Colonie  de  l'Espagne,  et 
victime  de  son  aveugle  politique  ,  l'Amérique  ,  dans  les 
tems  antérieurs ,  n'a  jamais  puisé  ses  ressources  en  elle- 
même  j  elle  a  toujours  été  livrée ,  pour  sa  subsistance 
et  sa  défense  ,  à  la  merci  d'un  autre  hémisphère  ;  mais  ac- 
tuellement elle  commence  à  ne  plus  compter  que  sur  sa 
propre  énergie.  Elle  a  donné  des  preuves  incontestables 
de   celte  énergie,   en  secouant  le   joug   sous   lequel   elle 


I  a  Exploitation  des  mines 

était  courbée  ;  et  son  territoire ,  définitivement  affranchi , 
possède  tous  les  avantages  qui  peuvent  contribuer  à  sa  pros- 
et  à  sa  puissance. 

En  ce  moment,  où  Taugmentalion  de  son  commerce  et 
de  son  revenu  est  si  nécessaire  à  son  existence  ,  la  circula- 
tion des  capitaux,  occasionée  par  les  travaux  des  mines  , 
lui  procurera  surtout  les  plus  grands  avantages  ;  mais  ses 
habltans,  enrichis  par  les  valeurs  qu'ils  en  extrairont, 
reconnaîtront  bientôt  qu'ils  ont  encore  des  sources  de  fortune 
plus  productives  que  les  veines  de  la  Guanaxuata.  Ainsi  se 
formeront ,  pour  la  Grande-Bretagne,  des  peuples  de  con- 
sommateurs qui  lui  seront  acquis  ,  non  par  un  aveugle  sys- 
tème colonial ,  non  par  la  prohibition  du  commerce  avec  les 
autres  nations,  ni  par  des  mesures  tendantes  à  détruire  toute 
énergie  dans  la  colonie,  pour  enrichir  la  métropole  j  mais 
par  les  besoins  naturels  à  de  grandes  et  florissantes  popu- 
lations. Ainsi  seront  cimentées ,  entre  notre  patrie  et  les 
anciennes  colonies  de  TEspagne  et  du  Portugal,  des  rela- 
tions que  quelques  négocians  anglais  ont  établies  à  l'épo- 
que où  elles  étaient  dans  l'adversité ,  et  que  notre  sage 
gouvernement  vient  de  consacrer  comme  une  des  sources 
de  notre  prospérité  actuelle ,  et  un  des  soutiens  de  noire 
grandeur  future. 

On  objecte ,  il  est  vrai  ,  que  le  succès  des  entreprises  des 
mines  doit  compromettre  un  Intérêt  bien  autrement  impor- 
tant que  ne  l'est  celui  de  la  prospérité  commerciale  de  la 
Grande-Bretagne  et  du  Nouveau-Monde  :  l'intérêt  général 
de  la  propriété  qui  éprouverait  une  perturbation  universelle, 
par  suite  de  l'accroissement  subit  et  prodigieux  du  capital 
circulant. 

Ces  craintes  ont  été  ,  dans  ces  derniers  tems  ,  si  fréquem- 
ment manifestées  ,  et  elles  ])araissent  même  avoir  été  parta- 
gées par  de  si  bons  esprits,  qu'elles  ne  sont  pas  indignes 
d'arrêter  un  instant  notre  attention. 


du  Noiweau-Mwidc.  i3 

Les  personnes  plus  particulièrement  intéressées  à  ce  que 
les  métaux  iirécleux  conservent  leur  valeur  actuelle,  sont 
nTabord  les  capitalistes,  et  en  second  lieu  les  propriétaires  de 
mines.  Quand  même  ces  derniers  retireraient,  dans  le  prin- 
cipe de  grands  bénéfices  de  leurs  produits  ,  ils  seraient  con- 
damnésàvoir  le  marché  se  fermer  à  mesure  que  la  surabon- 
dance de  ces  mêmes  produits  tendrait  à  en  diminuer  le  prix. 

La  crainte  d'une  grande  dépréciation  dans  la  valeur  de 
l'or  et  de  l'argent  ,  par  suite  d'un  accroissement  énorme 
dans  le  capital  circulant,  résulte  de  ce  qui  s'est  passé  eu 
Europe,  après  la  découverte  des  deux  Indes. 

Cet  événement  a  conduit  l'illusîre  Montesquieu  à  exa- 
miner !e  vice  inhérent  à  cette  nature  de  richesses ,  qui  les 
rend  inutiles  à  raison  même  de  leur  abondance.  Dans  le 
cliapitre  de  V Esprit  des  lois,  intitulé:  Des  Richesses  que 
l'Espagne  tira  de  l'Amérique ,  il  a  calculé  que ,  dans  deux 
siècles  (  vers  l'année  igôo  ) ,  les  produits  des  mines  d'Amé- 
rique ne  couvriraient  plus  les  dépenses  de  leur  exploitation. 

«  Les  Espagnols,  dit  Montesquieu,  fouillèrent  ks  mines, 
creusèrent  les  montagnes ,  inventèrent  des  machines  pour 
tirer  les  eaux  ,  briser  le  minerai  et  le  séparer  ;  et  comme 
ils  se  jouaient  de  la  vie  des  Indiens,  ils  les  faisaient  travailler 
sans  ménagement.  L'argent  doubla  bientôt  en  Europe,  et 
le  profit  diminua  toujours  de  moitié  pour  l'Espagne,  qui 
n'avait  chaque  année  que  la  même  quantité  d'uu  métal 
qui  était  devenu  la  moitié  moins  précieux. 

»  Dans  le  double  du  tems ,  l'argent  doujjla  encore  et  le 
profit  diminua  encore  de  la  moitié. 

»  Il  diminua  même  de  plus  de  la  moitié  j  voici  com- 
ment : 

»  Pour  tirer  l'or  des  mines  ,  pour  lui  donner  les  prépa- 
rations requises  et  le  transporter  en  Europe;  il  falloit  une 
dépense  quelconque j  je  suppose  qu'elle  fut  comme   i  est 
à  64.  Quand  l'argent  fut  doublé  une  fois,  et  par  conse- 
il. 2 


i4  ll.rploituLion  des  mines 

queiit  la  moitié  moins  pi'écicux ,  la  dépense  fut  comme 
2  est  à  04.  Ainsi  les  flottes  qui  portèrent  en  Espagne  la 
même  quantité  d'or ,  portèrent  une  chose  qui ,  réellement, 
valait  la  moitié  moins  et  coulait  la  moitié  plus. 

»  Si  l'on  suit  la  chose  de  doublement  en  doublement, 
on  trouvera  la  progression  de  la  cause  de  l'impuissance  des 
richesses  de  l'Espagne. 

j)  Il  y  a  environ  deux,  cents  ans  que  l'on  travaille  les 
mines  des  Indes.  Je  suppose  que  la  quantité  d'argent  qui 
est  à  présent  dans  le  monde  qui  commerce  ,  soit  à  celle  qui 
était  avant  la  découverte,  comme  Sa  est  à  1  ,  c'est-à-dire 
qu'elle  ait  doublé  cinq  fois.  l>aus  deux  cents  ans  encore  ,  la 
même  quantité  sera  à  celle  qui  était  avant  la  découverte , 
comme  64  est  à  i ,  c'est-à-dii-e  qu'elle  doublera  encore.  Or, 
à  présent,  cinquante  quintaux  de  minerai  pour  l'or,  don- 
nent quatre ,  cinq  et  six  onces  d'or,  et  quand  11  n'y  en  a 
que  deux ,  le  mineur  ne  retire  que  ses  frais.  Dans  deux 
cents  ans  ,  lorsqu'il  n'y  en  aura  que  quatre,  le  mineur  ne 
tirera  aussi  que  ses  frais.  Il  y  aura  donc  peu  de  profit  à 
faire  sur  l'or.  IMême  raisonnement  sur  l'argent,  excepté 
que  le  travail  des  mines  d'argent  est  un  peu  plus  avantageux 
que  celui  des  mines  d'or. 

»  Que  si  Ton  découvre  des  mines  si  abondantes  qu'elles 
donnent  plus  de  profit ,  plus  elles  seront  abondantes,  plus 
tôt  le  profit  finira.  » 

Mais  une  révolution  universelle  s'est  opérée  depuis  l'é- 
poque où  ce  grand  publiciste  publia  son  chef-d'œuvre  j  les 
signes  représentatifs  de  la  richesse  ont  prodigieusement 
augmenté  ,  et  la  nature  même  de  ces  signes  a  subi  d'impor- 
tantes modifications. 

La  dépréciation  qu'éprouvent  tous  les  objets  est  toujours 
proportionnée  à  leur  multiplicité.  Le  montant  actuel  des  ca- 
pitaux ,  de  tous  genres,  répandus  sur  la  surface  du  globe, 
est  incalculable.  L'^s  mines  d'Amérique  fournissent  annuel- 


du  Nouçcaii-Monde.  i5 

lemenl  une  somme  de  produits  à  peu  près  égale  ;  mais 
comme  elle  n''offre  aucun  rapport  appréciable  ,  avec  celle 
des  capitaux  existans ,  elle  u\i  sur  la  dépréciation  de  ces 
capitaux  aucun  effet  sensible.  Si  l'exploitation  de  ces  mines 
rendait  aujourd'hui  le  double  qu^autrefois,  quelle  influence 
ce  résultat  pourrait-il  exercer  sur  un  état  de  choses  ,  dans 
lequel  la  dette  d'une  seule  nation  surpasse  le  montant  de 
tout  ce  que  les  mines  ont  produit  depuis  l'époque  où  Vasco 
de  Gama  doubla ,  pour  la  première  fois ,  le  cap  des  Tem- 
pêtes? 

Bientôt  après  la  découverte  du  Nouveau-Monde,  une 
immense  quanlité  d'or  et  d'argent  se  répandit  en  Europe. 
Ces  métaux  étaient  alors  ,  en  général,  les  seuls  signes  re- 
présentatifs des  valeurs ,  et  cette  fonction  les  rendait 
trop  précieux  pour  qu'on  pût  les  consacrer  à  d  autres 
usages.  Quant  aux  trésors  de  IMontezuma  et  d'Athualpa , 
une  portion  en  fut  absorbée  par  la  magnificence  des 
cours  ;  une  autre  fut  employée  à  augmenter  l'opulence 
et  la  splendeur  de  l'église ,  une  troisième  a  fait  naître , 
en  Italie ,  les  merveilles  des  arts.  A  ces  trois  exceptions 
près ,  les  trésors  du  Mexique  et  du  Pérou  contribuèrent 
seulement  à  accroître  la  masse  du  numéraire  en  circula- 
tion. Mais  s'il  dut  en  résulter  une  grande  dépréciation  dans 
la  valeur  de  l'or  et  de  l'argent,  cette  dépréciation  ne  provint 
pas  uniquement  de  leur  surabondance.  Avant  qu'elle  se 
fil  sentir,  un  goût  marqué  pour  les  entreprises  hasardeuses 
s'était  manifesté  eu  Europe.  Les  limites  du  monde  connu 
avaient  été  reculées  avant  que  Cortez  et  Pizarre  eussent 
envahi  l'empire  des  lucas  et  des  rois  Aztèques,  et  pillé  leurs 
palais  et  leurs  trésors.  Les  nations  qui  avaient  colonisé  les 
contrées  précédemment  découvertes  avaient  déjà,  par  ce 
moyen  ,  étendu  leur  commerce.  Aucune  de  ces  colonies  ne 
renfermait  cependant  de  mines  d'or,  ni  d'argent.  Ces  mé- 
taux ,  qui  étaient  les  seuls  signes  représentatifs  des  valeurs 


i6  Exploitation  des  mines 

augmentaient  donc  journellement  Je  prix  ,  à  mesure  que 
les  progrès  du  commerce  les  rendaient  plus  ne'cessaires. 
C'est  au  milieu  de  ces  circonstances  que  rAmcrique  versa 
sur  l'Europe  les  trésors  de  ses  mines.  L'accroissement  subit 
du  numéraire  se  fit  donc  sentir  à  une  époque  où  les  métaux 
existans ,  partout  recherchés,  avaient  un  prix  extraordi- 
naire et  inoui.  La  réaction  fut  proportionnée  à  un  tel  état 
de  choses ,  et  l'or  et  l'argent  perdirent  aussitôt  la  moitié 
de  leur  valeur. 

Mais  les  progrès  de  l'industrie,  à  cette  époque,  n'é- 
taient point  en  rapport  avec  la  multiplication  subite  des 
métaux.  Toutes  les  denrées  coulèrent  plus  cher,  et  l'Es- 
pagne qui  avait  pris  les  signes  représenlatifs  de  la  richesse 
pour  la  richesse  elle-même,  et  qui ,  dans  son  aveuglement, 
avait  abandonné  le  commerce  et  l'agriculture  ,  ne  possé- 
dait plus ,  au  moment  où  elle  croyait  toucher  à  la  monar- 
chie universelle ,  que  des  coffres  épuises  et  des  troupes 
sans  solde  et  sans  discipline. 

En  créant ,  par  le  travail ,  de  nouveaux  produits ,  loin 
de  priver  l'or  et  l'argent  de  leur  utilité ,  nous  en  avons 
étendu  et  multiplié  l'usage.  Ces  métaux  ne  sont  plus  ex- 
clusivement consacrés  à  représenter  les  autres  valeurs  , 
fonction  qui  les  rendait  trop  précieux  pour  qu'on  pût  s'en 
servir  différemment  j  ils  ne  sont  aujourd'hui  que  la  monnaie 
courante  des  capitaux  actuels ,  dont  ils  ne  représentent 
qu'une  portion  très-faible  et  inappréciable. 

Aussi  une  quantité  limitée  d'or  et  d'argent  circule-t-elle 
maintenant  comme  instrument  d'échange.  Le  reste  est  em- 
ployé et  le  sera  désormais  dans  de  plus  fortes  proportions  , 
à  des  usages  interdits  autrefois  par  la  rareté  de  ces  métaux 
et  par  la  nécessité  de  les  transformer  en  numéraire  ;  ils 
deviendront,  en  quelque  sorte,  1  objet  d'une  consommation 
domestique. 

Mais  quand  bien  même  la  niasse  des  métaux  précieux 


du  Noiwcau-Moiidc .  i-j 

s'accroîtrait  au  point  de  surpasser  rallentc  dos  Iionunes  les 
plus  confians  dans  le  succès  des  nouvelles  compagnies 
de  mines,  nous  ne  croyons  pas  que  le  capital  circulant  fut 
pour  cela  déprécié.  Supposons  ,  par  exemple ,  qu'on  versât 
tout-à-coup,  en  Europe,  5o, 000,000  st.  (  750,000,000  fr.  ) 
d'or  et  d'argent.  L'effet  qu'ils  produiraient  sur  la  masse 
actuelle  des  capitaux  ne  pourrait  qu'être  proportionné  au 
rapport  existant  entre  3o,ooo,ooo  st. ,  et  le  montant  de  ces 
capitaux  j  suivant  nous,  ces  5o, 000, 000  st.  n'auraient  d'au- 
tre résultat  sensible  que  de  faire  disparaître  peu  à  peu  de  la 
circulation  une  somme  correspondante  de  billets  de  ban- 
que ou  de  papier-monnaie. 

Au  surplus,  pour  prévenir  les  fâcheux  résultais  d'une 
surabondance  de  métaux  précieux  ,  il  ne  nous  sera  pas  né- 
cessaire d'encombrer  nos  buffets  de  vaisselle  plate  et  de 
boire  dans  des  coupes  d'or.  Les  moyens  nous  manquent-ils 
de  consacrer  à  une  plus  noble  destination  tous  les  trésors 
que  peuvent  receler  encore  les  mines  du  Nouveau-Monde  ? 

Un  grand  empire,  objet  fréquent  des  méditations  de  nos 
politiques  modernes,  gémit  sous  les  ineonvéniens  d'un  pa- 
pier-monnaie déprécié  ;  et  d'après  la  nature  de  son  gouver- 
nement ,  le  mal  ne  peut  que  s'accroître  de  jour  en  jour.  Cet 
empire  ne  pourrait-il  pas  en  trouver  le  remède  dans  les 
mines  du  Nouveau-Monde  ? 

Toutefois,  ce  n'est  pas  dans  ce  vaste  empire  (l'Autriche  ), 
ce  n'est  pas  non  plus,  ni  à  Moscou,  ni  à  Astracan,  que  nous 
devons  chercher  un  débouché  pour  la  surabondance  du 
numéraire. 

De  nombreux  et  puissans  états  dont  le  commerce  et  la 
population  ne  tarderont  pas  à  recevoir  d'immenses  accrois- 
semens,  et  qui  déjà  sont  animes  de  cet  esprit  d'entreprise 
qu'enfantela  liberté,  auront  eux-mêmes  besoin  de  muUip'ier 
leurs  moyens  d'échange.  On  ne  battra  donc  plus  monnaie 
à  Mexico,  à  Lima  et  à  Popayau ,  pour  renip  ir  les  coffres 


i8  Exploitation  des  mines  du  Nouveau-Monde. 

d'un  vice-roi,  ou  ponr  fournir  au  luxe  d'une  cour  d'Eu- 
rope ,  mais  pour  favoriser  le  développement  de  l'industrie 
et  de  la  puissance  américaines. 

En  eft'et ,  pour  ne  parler  que  du  Mexique,  si  nous  exa- 
minons la  richesse  de  son  territoire,  la  variété  de  ses  pro- 
ductions ,  sa  topographie  si  favorable  aux  transports  des 
denrées  et  à  la  construction  des  canaux  ;  si  nous  fixons 
nos  regards  sur  son  admirable  position,  qui,  pour  em- 
prunter les  termes  magnifiques  de  M.  de  Humboldt,  eût 
permis  au  monarque  espagnol  qui  s'y  serait  établi  ,  de 
transmettre  ses  ordres  dans  six  semaines  à  la  Péninsule, 
en  Europe,  et  dans  quarante  jours  aux  îles  Philippines, 
en  Asiej  si  nous  considérons  ses  ports  dans  la  mer  Paci- 
fique et  leur  proximité  du  Canada  et  de  l'Australie  ;  si 
nous  songeons  surtout  à  la  possibilité  de  confondre  les  flots 
des  deux  Océans  qui  baignent  ses  côtes  dans  un  canal  , 
qui  deviendrait  une  des  grandes  routes  du  commerce  du 
inonde  (i);  nous  nous  convaincrons  que  cette  nouvelle 
république  réclamera  bientôt  pour  elle-même  tous  les  tré- 
sors de  ses  mines,  et  qu'elle  cessera  de  les  exporter  sur 
les  galions  de  la  Vera-Crux  et  d'Acapulco. 

(i)  Voyez  l'examen  de  re  projet,  page  3fi4  de  la  seconde  livraison 
du  ler  volume. 


AGRICULTURE.-INDUSTRIE.-COMMERCE. 


DES    PROGRÈS    DE    LA    RICHESSE    NATIONALE     EN     ANGLE- 
TERRE. 


Il  est  utile  pour  les  nations,  comme  pour  les  parti- 
culiers, de  considérer,  de  tems  en  lems ,  la  situation  de 
leurs  affaires,  et  d'examiner,  avec  une  attention  scrupu- 
leuse et  patiente,  si  leurs  intérêts  généraux  prospèrent  ou 
sont  en  souffrance.  Le  moment  paraît  être  arrivé  ,  pour  la 
Grande-Bretagne,  de  faire  cet  examen.  Au-dehors ,  nous 
sommes  en  paix  avec  nos  voisins ,  et  nous  Jouissons , 
dans  l'intérieur ,  d'un  degré  de  tranquillité  plus  qu'or- 
dinaire. Il  n'y  a  peut-être  jamais  eu  d'époque  où  toutes 
les  branches  de  notre  industrie  se  soient  trouvées  dans 
une  situation  aussi  prospère,  et  où  les  diverses  classes 
d'individus  qu'elles  occupent  aient  été  plus  employées. 
Presque  toujours ,  dans  les  tems  antérieurs ,  des  plaintes , 
plus  ou  moins  fondées  et  plus  ou  moins  vives,  ont  été  pro- 
férées,  soit  par  les  cultivateurs,  soit  par  les  négocians  , 
les  armateurs  ou  les  chefs  de  nos  fabriques.  Aujourd'hui,  si 
aucune  classe  n'entretient  l'espoir  de  gains  extravagans, 
aucune,  non  plus,  n'a  à  souffrir  de  privations  douloureuses. 
Nous  paraissons  jouir  de  ce  vent  modéré,  mais  constant  , 
qui  fait  entrer  le  navire  dans  le  port,  d'une  manière  bien 
plus  certaine  que  s'il  était  poussé  par  un  vent  plus  impé- 
tueux quoique  favorable. 

M.  liowe  a  publié,  il  y  a  .jnelque  tems,  un  ouvrage  qui 
a  le  mérite  incouleslable  d'être  un  extrait  très-clair  et  fort 
bien  fait  de  docujucMis  authentiques  mis  sous   les  yeux  du 


20  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

Parlement,  et  relatifs  à  la  situation  acluelle  du  royaume  (i). 
Lorsque  cet  ouA^rage  parut,  les  produits  agricoles  avaient 
éprouvé  une  ïjaisse  temporaire  que  Tauteur  a  prise  pour 
une  baisse  permanente.  Il  en  résulte  que  quelquefois  il 
n'estime  pas  assez  haut  la  valeur  des  produits  annuels  de 
l'Angleterre.  Mais  si ,  à  cet  égaïxl,  nous  n'adoptons  pas  tou- 
jours ses  conclusions,  nous  n'en  considérons  pas  moins 
son  livre  comme  fort  utile  j  car,  sous  une  forme  agréable  et 
commode  ^  il  contient  beaucoup  de  renseiguemens  précieux 
que  Ton  n'aurait  pu  se  procurer  que  par^^des  recherches 
pénibles  dans  une  masse  de  papiers  parlementaires  très- 
volumineuse,  et  qui,  d'ailleurs,  n'est  accessible  qu'à  un 
petit  nombre  de  personnes.  Cependant ,  le  tableau  qu'il  a 
présenté  de  l'état  actuel  de  nos  affaires,  aurait  été  plus 
complet  et  plus  satisfaisant,  si,  en  établissant  quelques 
comparaisons  avec  la  situation  du  royaume ,  à  des  époques 
antérieures,  il  nous  eût  mis  à  même  d'apprécier  l'étendue 
et  la  rapidité  de  nos  progrès.  Nous  allons  tâdier  de  sup- 
pléer k  ce  qui  manque ,  sous  ce  rapport ,  à  l'ouvrage  de 
M.  Lowe;  et  comme  nous  serons  forcés  d'entrer  dans  des 
développemens  assez  étendus  j  afin  de  ne  pas  abuser  de 
la  patience  du  lecteur,  nous  nous  interdirons  toute  espèce 
de  discussion  théorique,  et  nous  nous  contenterons  de 
rapporter  des  faits.  IMaintenant,  sans  un  plus  long  préam- 
bule, nous  entrons  en  matière. 

La  plus  importante  de  toutes  les  branches  de  l'industrie 
nationale  est  incontestablement  l'agriculture.  Aucune  autre 
n'occupe  un  aussi  grand  nombre  de  personnes  ,  et  elle 
nous  fournit  à  tous  la  plus  grande  partie  des  denrées  ali- 
mentaires que  nous  consommons.  Mais,  par  sa  nature 
n)êmc ,  elle  n'est  pas  susceptible  de  faire  des  progrès  ra- 

(i)  The  présent  state  of  England ,  in  regard  tu  a^ricullurc,  trade 
and  finance ,  with  a  comparison  of  thc  prospects  of  ^n^land  and 
France.  \\y  Joseph  Lowc  ,  Esq.  i8ai. 


en  Angleterre.  21 

pldes.  Dès  !es  tems  les  plus  reculés  ,  elle  a  arrêté  l'altenlion 
de  tous  les  hommes  réunis  en  société,  et  cependant,  en- 
core aujourd'hui ,  la  science  de  Tagrieultiire  ne  se  compose 
que  d'une  série  de  faits.  La  théorie  en  est  à  peine  ébauchée , 
et  les  cultivateurs  sont  obligés,  dans  la  pratique,  de  suppléer 
à  l'insuffisailce  de  ses  préceptes. 

Le  principe  le  plus  actif  des  progrès  de  la  richesse  et  du 
bien-être  des  sociétés  a  été  la  division  du  travail.  Mais 
comme  les  travaux  de  l'agriculture  ne  sont  pas  simultanés, 
ce  principe  est  peu  susceptible  de  lui  être  a:>pHqué.  Nous 
distinguons,  il  est  vrai,  le  nourrisseur  de  bestiaux,,  de  la 
laitière,  et  l'un  et  l'autre,  du  cultivateur  qui  sème  les  grains , 
mais  on  a  rarement  tenté  d'introduire,  avec  quelque  étendue, 
la  division  du  travail  dans  l'exercice  des  occupations  ma- 
nuelles de  la  ferme.  La  même  main  qui,  dans  une  saison, 
emploie  la  serpe  ou  la  faux ,  dans  d'autres ,  doit  se  servir 
du  fléau  ou  de  la  bêche  :  aussi  aucun  de  ceux  qui  sont 
occupés  de  la  culture  des  champs,  n'acquiert-il  ce  degré 
supérieur  d'habileté  qui  peut  seulement  être  le  résultat  de 
l'usage  continuellement  répété  du  même  genre  de  travaux. 

L'emploi  des  différentes  machines  pour  abréger  le  tra- 
vail ,  surtout  depuis  que  l'importance  de  sa  division  a  été 
généralement  sentie,  a  eu  des  résultats  immenses  dans 
toutes  les  branches  de  notre  industrie  manufacturière  j  mais 
ces  améliorations  mécaniques  ont  été  peu  appliquées  et 
paraissent  peu  susceptibles  de  l'être  à  l'industrie  agricole. 
Les  moulins  pour  battre  le  blé,  ne  compensent  que  très- 
difficilement  les  frais  de  leur  construction,  quand  ce  n'est 
point  un  cours  d'eau  qui  les  fait  mouvoir.  Jusqu'à  présent , 
on  a  fait  peu  d'usage  des  machines  à  ensemencer  et  des 
nouvelles  charrues ,  nommées  dri'll-ploughs  ;  il  y  a  même 
des  cantons  oxi  elles  sont  absolument  inconnues.  La  ma- 
chine à  vanner  fait,  il  est  vrai,  une  exception  à  cette  règle 
générale  :  comme  il  est  possible  de  l'employer  dans  tous 


22  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

les  tems,  quel  que  soit  l'état  de  ralmosphère ,  elle  a  été 
presqu'universellement  adoptée  j  mais  elle  sert  plu'.ôt  à 
parer  à  quelques-uns  des  inconvéniens  de  notre  climat , 
qu'à  abréger  le  travail  ou  à  en  augmenter  le  produit. 

Comme  les  cultivateurs  sont  en  général  très-sédentaires, 
ils  sont  moins  susceptibles  de  perfectionnement  que  les 
autres  classes  de  la  société.  Les  innovations  leur  sont 
odieuses,  et  c'est  toujours  avec  crainte  ou  mépris  qu  ils 
accueillent  les  changemens  qu'on  leur  propose.  Cette  dis- 
position se  manifesta  fortement,  lorsqu'il  y  a  cinquante  ou 
soixante  ans  ,  on  introduisit  le  navet  en  Angleterre,  et  plus 
récemment  lorsqu'on  commença  à  y  cultiver  le  ruta-haga 
ou  navet  de  Suède.  IjC  même  esprit  anime  les  ouvriers 
que  les  cultivateurs  emploient ,  et  rien  n'est  plus  difficile 
que  de  les  déterminer  à  cbanger  le  mode  de  leurs  travaux 
ou  la  forme  de  leurs  outils.  Nous  pouvons  en  citer  une 
preuve  récente  :  la  faux  écourtée  du  Hainault  donne  la  fa- 
cilité de  recueillir  trois  fois  plus  de  blé  dans  un  jour, 
qu'on  ne  peut  le  faire  avec  la  faux  anglaise j  et  sir  George 
Rose  avait  fait  venir  à  ses  frais  des  moissonneurs  flamands 
pour  apprendre  aux  nôtres  à  s'en  servir.  Mais  ses  bonnes 
intentions  n'ont  eu  aucun  résultat,  et  nous  croyons  que 
l'usage  de  cette  faux  ,  loin  de  s'étendre  ,  a  été  abandonné , 
même  dans  les  cantons  où  on  avait  d'abord  tenté  de  l'in- 
troduire. 

Cependant,  en  comparant  les  progrès  de  l'agriculture 
anglaise  avec  ceux  de  l'agriculture  des  autres  pays,  nous 
nous  convaincrons  que  relativement  ils  ont  été  très-rapides. 
Nous  n'avons  pas  besoin  de  remonter  jusqu'au  quatorzième 
siècle  pour  nous  assurer  de  ces  progrès;  mais  peut-être 
n'est-il  pas  inutile  d'observer  que  l'auteur  de  Fleta,  qui 
écrivait  sous  le  règne  d'Edouard  P*",  dit  que  si  la  terre  ren- 
dait trois  pour  un  ,  le  fermier  perdrait,  à  moins  que  le  graiu 
ne  se  vendît  cber.   Il  paraît,  d'après  le  même  ouvrage. 


en  Angleterre.  a 5 

qu'ordinairement  on  seniaît  deux,  boisseaux  de  grains  par 
acre.  Sir  John  Cullom  nous  donne  le  compte  d'une  ferme 
du  Norfolk,  en  i/)qo,  d'où  il  résulte  que  le  produit  par 
acre  avait  été  en  froment,  de  six  boisseaux;  en  orge, 
de  douze;  et  en  avoine,  de  cinqj  mais  cette  année  avait  dû 
être  mauvaise ,  car  le  même  écrivain  estime  à  douze  bois- 
seaux de  grains,  le  produit  ordinaire  de  l'acre.  Cependant 
c'est  beaucoup  moins  par  nos  récolles  en  céréales  que  par  la 
cu'ture  des  légumes,  que  nous  pouvons  apprécier  les  pro- 
grès que  nous  avons  faits  depuis  ces  tems  reculés.  On  com- 
mença à  établir  des  jardins  dans  la  première  partie  du 
quinzième  siècle;  mais  ils  furent  presque  tous  détruits 
pendant  le  cours  des  guerres  civiles  d'York  et  de  Lan- 
castre.  Il  paraît  que,  dans  le  principe,  ce  fut  sur  les  côtes 
de  l'est  que  se  trouvaient  la  plupart  de  ces  jardins,  à  cause 
du  voisinage  de  la  Flandre;  et  qu'ils  ne  suffisaient  pas 
même  à  la  consommation  de  quelques  riches  propriétaires 
qui  les  faisaient  cultiver.  Selon  Evelyn,  le  chou  ordinaire, 
que  l'on  avait  tiré  des  Pays-Bas  ,  fut  introduit  pour  la  pre- 
mière fois  en  Angleterre,  en  i55g;  mais  celte  culture 
n'avait  pas  encore  fait  beaucoup  de  progrès  en  i56si,  puis- 
qn'à  cette  époque,  Bu'.lein  écrivait  dans  son  livre  des  Sim- 
ples :  «  Le  chou  est  excellent  pour  faire  des  potages ,  et 
c'est  un  légume  d'un  grand  profit  que  les  Flamands  nous 
vendent  cher,  quoiqu'il  vienne  dans  nos  jardins  où  nous 
le  négligeons  \  car  il  y  en  a  en  abondance  entre  Aldborough 
et  Herlford  ,  dans  le  Suffolk,  sur  le  bord  de  la  mer.  » 

Hartlib ,  l'ami  de  Millon,  auquel  Cromwell  avait  ac- 
cordé une  pension,  à  cause  de  ses  écrits  sur  l'agriculture, 
dit  que  de  son  tems  les  vieillards  se  rappelaient  les  premiers 
jardiniers  qui  étaient  venus  dans  le  Surrey ,  et  qui  avaient 
vendu  des  carottes ,  des  panais ,  des  pois  et  des  raves  :  cej 
légumes  étaient  alors  considérés  comme  très-rares ,  attendu 
qu'on  les  faisait  venirde  Li  Hollande.  «  Ce  fut,  dit-il ,  sous  U> 


34  D^S  progiTS  de  Ici  richesse  niiliurttilc 

règne  d'Henri  VIII  que  le  houblon  et  le  cerisier  lurent 
plantés  pour  la  première  fois,  et  les  artichauts  et  les  gro- 
seilles ne  commencèrent  à  être  cultivés  que  du  tems  d'E- 
lisabeth. Mais,  à  cette  époque  ,  on  tirait  encore  des  cerises 
de  la  Flandre,  des  oignons,  du  safran  et  du  réglisse  d'Es- 
pagne, et  du  houb'on  des  Pays-Bas.  Quant  aux  pommes 
de  terre,  on  ne  commença  à  les  connaître  qu'en  i586, 
et ,  pendant  près  d'un  siècle,  on  les  cultiva  dans  les  jardins, 
comme  une  plante  exotique  très-précieuse,  destinée  seule- 
ment à  la  table  des  grands  et  des  riches.  Il  résulte  d'un 
manuscrit  qui  contient  le  compte  des  dépenses  de  la  maison 
de  la  reine  Anne,  femme  de  Jacques  1'='^ ,  qu'alors  elles  se 
rendaient  un  shilling  la  livre. 

Lorsqu'on  lit  l'histoire  de  l'agriculture,  il  est  curieux 
de  voir  combien  ses  progrès  ont  été  accélérés  par  ceux  du 
commerce  et  des  manufactures.  C'est  en  Flandre  que  le 
commerce  et  l'agriculture  avaient  pris,  pendant  le  moyen 
âge ,  les  accroissemens  les  plus  rapides.  Le  commerce,  en 
augmentant  le  nombre  des  consommateurs,  en  même  tems 
qu'il  en  augmentait  !a  richesse,  leur  avait  perniis  des  jouis- 
sances inconnues  à  leurs  ancêtres,  et  il  était  devenu,  de 
cette  manière,  un  stimulant  très-actif  de  l'industrie  agri- 
cole. La  même  chose  est  arrivée  en  Angleterre,  qui  a  reçu 
de  la  Flandre  les  premiers  élémens  de  l'industrie  et  du 
commerce,  et  avec  eux  une  impulsion  qui  a  déterminé  les 
cultivateurs  à  adopter  de  nouvelles  méthodes  et  à  tenter 
de  nouvelles  cultures. 

Cette  impulsion  s'est  prolongée  jusqu'à  nos  jours,  avec 
une  force  toujours  croissante.  Dans  les  tems  les  plus  reculés 
dont  nous  venons  d'entretenir  le  lecteur  ,  il  existait  à  peine, 
dans  la  société,  une  classe  intermédiaire,  lie  pays  était 
divisé  en  un  certain  nombre  de  grands  propriétaires  qui  le 
faisaient  cultiver  à  leur  profit,  par  des  hommes  qui  étaient 
tous  dans  leur  dépendance.  Comme  les  habitans  des  villes 


en  Angleterre.  a5 

étaient  peu  nombreux ,    les    produits    agricoles  n'avaient 
guère  d'acheteurs  ;  et  le  surplus   des  années  abondantes 
était   cousonimc    clans    des    prodiga'ités    féodales,   tandis 
qu'au  contraire,  dans  les  mauvaises  années  que  l'imperfec- 
tion  de  l'agriculture  rendait  fort  communes ,  la  disette  et 
quelquefois  mentie  une  famine  absolue  faisaient  rapidement 
décroître  la  population.  Les  villes  qui  existaient  alors  dé- 
pendaient, pour  la  plupart,  de  quelque  baron  voisin,  qui 
accordait  aux  bourgeois  l'usage  du  terrain  sur  lequel  elles 
étaient  construites,  et  celui  du  terrain  environnant,  sous 
la  condition    qu'ils    lui    fourniraient    des   vêtemens ,    à£s 
armes  et  quelques  petits    articles   de   luxe.  Ce  ne  fut  que 
graduellement  que  se  forma  la  classe  des  fermiers;  d'abord, 
au  moyen  d'engagemens  pris  avec  le  propriétaire,  de  lui 
remettre  une  certaine  portion  de  fruits;   ensuite  par  une 
espèce  de  participation  entre  le  propriétaire  et  le  cultiva- 
teur; et  enfin  lorsque  le  commerce,  en  s'étendant ,  donna 
aux  consommateurs  les  moyens   de    payer  en  argent  ios 
fruits  de  la  terre ,    les  fermiers  purent  aussi  payer  en  ar- 
gent le  prix  de  leurs  baux,  et,  en  retour,  ils  acquirent  des 
droits  certains  et  déterminés  sur  le  sol. 

Il  paraît,  d'après  ce  que  dit  Harisson,  dans  sa  des- 
cription de  la  Bretagne,  qu'entre  le  règne  d'Edouard  I" 
et  celui  d'Elisabeth,  la  culture  et  par  conséquent  le  pro- 
duit de  la  terre  s'étalent  fort  améliorés.  De  son  tems,  dans 
les  années  médiocres,  un  acre  convenablement  cultivé  pro- 
duisait communément  de  seize  à  vingt  boisseaux  de  sei"le  ou 
de  froment ,  trente-six  boisseaux  d'orge  et  quatre  ou  cinq 
quarters  d'avoine. 

A  cette  époque  l'acre  ordinaire  avait  près  d'un  quart  de 
plus  que  notre  acre  d'aujourd'hui;  mais,  d'un  autre  côté,  le 
boisseau  contenait  au  moins  neuf  gallons  au  lieu  d'en  con- 
tenir huit,  comme  maintenant.  A  mesure  que  l'agriculture 
se  perfectionnait ,   la   terre  devenait  plus  productive     et 


0.Q  Des  progrès  de  la  ricli&sse  nationale 

partant  il  fallait  moins  de  bras  pour  la  cultiver.  Comme 
les  progrès  de  la  richesse  générale  permettaient  à  uu  plus 
grand  nombre  de  consommateurs  d'acheter  de  la  viande  , 
on  avait  mis  en  pâturages  une  portion  plus  considérable 
du  territoire.  Ce  changement  est  indiqué  par  plusieurs  lois 
du  livre  des  statuts ,  qui  furent  rendues  pour  empêcher  la 
trop  grande  extension  des  pâturages ,  afin  que  les  pro- 
létaires des  campagnes  qui  ,  à  cette  époque ,  n'avaient 
guère  d'autres  moyens  de  s'occuper  que  les  travaux  des 
champs,  ne  restassent  pas  sans  ouvrage. 

Mais ,  sans  nous  astreindre  à  suivre  pas  à  pas  la  marche 
de  notre  agriculture  ,  ce  que  d'ailleurs  Tinsuffisauce  des 
documeus  authentiques  ne  nous  permettrait  pas  de  faire, 
il  nous  sera  facile  de  constater  retendue  de  ses  progrès  , 
par  les  produits  qu'elle  fournit  aujourd'hui.  Pendant  le 
cours  des  cinq  années  précédentes,  nous  n'avons  consommé 
que  des  grains  venus  dans  notre  propre  sol;  et,  pendant 
les  soixante-dix  dernières  années ,  quoique  nous  ayons  eu 
plusieurs  récoltes  très-mauvaises,  la  quantité  de  grains 
tirés  de  l'étranger  a  été  insignifiante.  Depuis  l'année  1754 
jusqu'à  la  fin  de  1824,  l'importation  du  froment  étranger, 
déduction  faite  de  ce  qui  a  été  exporté,  ne  se  monte  qu'à 
15,195,004  quarters,  ou  217,071  quarters  et  une  fraction 
par  année.  Comme  ,  pendant  le  même  espace  de  tems  ,  la 
population  moyenne  a  été  de  plus  de  io,coo,ooo  d'ames, 
puisqu'elle  s'est  graduellement  élevée  de  huit  à  quinze 
millions,  en  admettant  que  chaque  individu,  l'un  portant 
l'autre,  consomme  un  quarter  par  année,  la  quantité  de 
blés  tirés  du  dehors  n'a  pu  servir  qu'à  la  consommation 
de  treize  jours.  Mais  ,  si  nous  mettons  de  côté  les  importa- 
tions faites  en  1800,  1801,  1810,  1817  et  1818,  qui  ont 
suivi  des. années  excessivement  mauvaises,  il  en  résultera 
que  les  blés  étrangers  n'ont  pas  fourni  à  une  consommation 
de  plus  de  huit  à  neuf  jours.  Ainsi,  il  est  évident  que  tandis 


eit  Angletert^e.  a  7 

que  les  consommateurs  se  sont  é'evf's  de  huit  à  quinze 
millions ,  le  produit  de  notre  sol  s'est  accru  de  la  même 
manière,  et  même,  pendant  les  cinq  dernières  années  qui, 
à  la  vérité,  ont  été  d  uî.e  fécondité  plus  qu'ordinaire,  ce 
produit  s' est  augmenté  dans  une  proportion  plus  forte  que 
la  population. 

Il  j  a  un  assez  grand  nombre  de  personnes  qui  pensent 
avec  regret  aux  dix  années  qui  se  sont  terminées  en  1764, 
qu'elles  supposent  avoir  été  extrêmement  favorables  aux 
cultivateurs.  A  cause  que  pendant  ces  dix  années,  la  quan- 
tité du  grain  exporté  a  été  plus  considérable  que  celle  du 
grain  importé,  ils  croient  que  les  fermiers  de  cette  époque 
se  trouvaient  dans  une  situation  ])eaucoup  plus  heureuse 
que  ceux  des  tems  postérieurs,  lorsque  l'importation  a  été 
plus  forte  que  l'exportation.  Mais,  en  y  réfléchissant  un  peu, 
ces  personnes  se  convaincront  facilement  que  l'importation 
où  Texporlation  d'une  quantité  de  grains  qui  équivaut  h 
peine  au  45""^  de  la  consommation  du  pays,  ne  peut  exercer 
aucune  influence  sur  le  sort  des  producteurs.  L'excédant 
de  l'exportation  sur  l'importation  n'a  été,  année  commune, 
pendant  le  tems  qui  s'est  écou'é  de  1754  à  17G4,  que  de 
'^53,578  quarters  de  froment,  et  de  -^50^07 5  quarters 
d'orgej  mais  quoiqu'une  exportation  aussi  peu  considé- 
rable n'ait  pu  exercer  aucune  influence  sur  la  condition 
des  cultivateurs,  elle  sert  cependant  à  constater  la  dépré- 
ciation des  produits  agricoles,  car  il  est  évident  qu'elle 
n'aurait  pas  eu  lieu,  si  les  prix  des  marchés  de  la  Grande- 
Bretagne  n'eussent  pas  été  inférieurs  à  ceux  des  marchés 
du  dehors.  Les  consommateurs  de  l'intérieur  sont,  sans 
contredit,  ceux  qui  procurent  le  plus  d'avantages  aux  pro- 
priétaires fonciers,  et  tout  ce  qui  tend  à  augmenter  le 
nombre  des  habitans  ,  et  à  leur  fournir  des  moyens  de 
consommer  davantage,  doit  eu  même  tems  augmenter,  dans 
une  proportion  correspondante,  le  bien-être  de  ces  proprié- 


•iS  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

taircs.  A  mesure  que  le  commerce  et  rintlustrie  manufActu- 
rière  augmenteront  la  richesse  du  pays ,  il  y  aura  aussi  plus 
de  demandes  pour  les  produits  agricoles  d'une  qualité  su- 
périeure. Ceux  qui  vivaient  avec  de  Forge  consommeront 
du  fromenlj  ceux  dont  le  pain  était  la  principale  nourriture, 
mangeront  aussi  du  bœuf  et  du  mouton  j  et  les  consomma- 
teurs de  bœuf  et  de  mouton  pourront  acbeter  des  alimens 
plus  cbers  et  plus  délicats.  Les  diffcrens  progrès  que  fait  la 
société  doivent  tous  concourir  à  accroître  la  valeur  de 
la  terre  et  celle  de  ses  fruits ,  tandis  que  les  propriétaires  , 
devenus  plus  ricbes  et  pouvant  se  permettre  un  plus  grand 
nombre  de  jouissances  de  luxe ,  contribuent  à  leur  tour  à  la 
prospérité  du  commerce  et  de  l'industrie  par  la  consomma- 
lion  qu'ils  font  de  leurs  produits.  Telle  est,  en  effet,  la 
marche  graduelle  et  progressive  qu'a  suivie  parmi  nous  la 
richesse  publique. 

Une  autre  branche  de  l'industrie  nalionale  qui,  à  cause 
de  son  étendue  et  de  son  utilité,  mérite  une  attention  par- 
ticulière, ce  sont  les  constructions,  soit  qu'elles  doivent 
servir  d'habitations  ou  d'ateliers  pour  confectionner  les 
marchandises ,  ou  bien  de  magasins  pour  recevoir  ces 
mêmes  marchandises  en  dépôt  lorsqu'elles  sont  confec- 
tionnées. Nous  n'avons  aucune  donnée  qui  nous  permette 
de  calculer  avec  exactitude  les  accroissemens  récens  de  ces 
deux  dernières  classes  de  constructions.  Les  états  que  l'on 
a  dressés  de  la  population  en  1801 ,  181 1  et  1821 ,  n'indi- 
quent que  le  nombre  des  maisons  qui  existaient  dans  ces  trois 
années ,  et  les  différences  d'une  époque  à  l'autre  constatent 
seulement  les  augmentations  que  ce  nombre  a  reçues  5  mais 
ils  n'indiquent  pas  combien  de  maisons  neuves  en  ont 
remplacé  de  vieilles}  combien  de  grands  et  dispendieux 
édifices  ont  (Ué  substitués  à  des  bàlimens  d'un  ordre  Infé- 
rieur^  ni  combien  d'habitations  commodes,  quoique  de 
petite  proportion ,  ont  été  construites  pour  loger  des  caté- 


en  A/igleterrc.  sq 

g-ories  nombreuses  d'individus  qui  auparavant  vivaient  dans 
des  chaumières,  dans  des  caves  ou  dans  des  greniers.  Il 
résulte  des  états  de  1801  que  le  nombre  des  maisons  habi- 
tées ,  était  alors ,  eu  Angleterre  et  dans  le  pays  de  Galles, 
de  1,580.925^  en  1821,  il  était  de  2,088, i56;  ainsi  il  y 
avait  eu  un  accroissement  de  50^,255,  ou  de  près  d'un  tiers, 
dans  le  court  espace  de  vingt  .ans. 

Comme  les  nouvelles  constructions  nous  paraissent  être 
une  preuve  incontestable  de  Taugmenlation  de  la  richesse 
nationale,  en  même  tems  qu'elles-mêmes  concourent  puis- 
samment à  cette  augmentation,  ainsi  qu  il  nous  sera  facile 
de  le  démontrer,  nous  espérons  que  le  lectenr  excusera  les 
développemens  dans  lesquels  nous  croyons  devoir  entrer  à 
cet  égard. 

Toute  construction  nouvelle  suppose  rexisteuce  anté- 
rieure d'un  capital.  Il  est  rare  qu'on  fasse  bâtir  luie  maison, 
sans  avoir  les  fonds  nécessaires  pour  en  payer  !es  frais  ;  et 
lorsqu'on  ne  les  a  pas ,  il  faut  ou  les  emprunter,  ou  se  servir 
d'ouvriers  qui  aient  par  devers  eux  assez  d'argent  pour 
travailler  à  crédit.  Il  est  aussi  impossible  d'élever  une 
maison  sans  capital  que  de  l'élever  sans  bras,  et  il  importe 
peu  à  notre  proposition  dans  quelles  mains  ce  capital  se 
trouve. 

Quelques  entrepreneurs  de  bàlimens  pourront  sans  doule 
donner  à  leurs  opérations  ime  extension  exagérée ,  oui 
leur  fera  perdre  une  partie  ou  même  la  totalité  des  capitaux 
qu'ils  y  engageront,-  mais  il  en  est  de  même  dans  toutes  les 
autres  branches  d'industrie  ;  et  la  diminution  du  profit  em- 
pêchera que  ces  opérations  se  prolongent  assez  long-tems , 
pour  qvie  la  richesse  publique  en  soit  affectée.  Si  la  popu- 
lation surabonde  ,  le  prix  des  loyers  s'élèvera,  et  les  cons- 
tructeurs gagneront  daviinlage.  Si  au  contraire  il  v  a  p'us 
de  logemens  qu'il  n'eu  faut,  îes  lovers  buisseront,  et  les 
entrepreneurs  de  bàlimcns  devrcu'.  se  contenter  d'un  !)é- 

n.  :> 


5o  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

néfice  plus  mocléré.  Dans  l'un  et  Vaulre  cas,  la  conslruc- 
tion  d'une  nouvelle  maison  suppose  nccessairemenl  la  for- 
malion  antérieure  d'un  capital  ;  et  il  importe  peu  au  public 
en  général ,  à  qui  cette  maison  profite  le  plus,  de  celui  qui 
Ta  fait  bâtir ,  de  celui  qui  l'a  achetée  ou  de  celui  qui  la 
loue. 

Mais  la  construction  d'un  bâtiment  n'est  pas  seulement 
une  preuve  de  l'accumulation  d'un  capital  :  c'est  aussi  un 
moyen  très-réel  d'augmenter  la  richesse  de  la  nation.  Le 
terrain  sur  lequel  il  est  élevé  devient  ordinairement  plus 
précieux ,  par  le  choi^  qu'on  en  a  fait.  Les  matériaux  qui 
constituent  les  différentes  parties  d'une  maisoii  sont ,  en  gé- 
néral, de  peu  de  valeur,  avant  que  le  travail  humain  les 
réunisse.  La  pierre  qui  u'avall  aucun  prix ,  quand  elle  était 
dans  le  sein  de  la  terre ,  en  acquiert ,  lorsqu'elle  est  trans- 
portée à  sa  surface.  Les  ouvriers  employés  dans  l'opération 
profitent  de  l'excédant  de  leui's  gages  sur  leur  dépense;  et 
les  marchands  qui  les  nourrissent  ou  qui  les  habillent  font  à 
leur  tour  un  nouveau  bénéfice.  Le  profit  du  maître  de  la 
carrière  résulte  de  la  différence  qui  existe  entre  les  gages 
qu'il  a  payés  et  le  prix  de  la  pierre.  Lorsqu'elle  a  été  extraite 
du  sol,  il  faut  la  conduire  au  lieu  où  elle  doit  être  em. 
p'oyée.  SI  c'est  par  eau  que  ce  transport  s'effectue,  le 
maître  du  ])ateau  sur  lequel  la  pierre  sera  chargée,  fera 
un  bénéfice  dont  le  montant  sera  plus  ou  moins  élevé ,  selon 
le  prix  que  lui  aura  coûté  ce  bateau,  les  salaires  qu'il 
donnera  aux  hommes  de  l'équipage,  et  la  dépense  qu'occa- 
sioneront  les  chevaux  de  halage.  Un  premier  bénéfice  aura 
été  recueilli  antérieurement  par  le  marchand  de  bols , 
les  scieurs,  les  cordlers  et  tous  ceux  qui  auront  con- 
couru d'une  manière  quelconque  à  la  construction  ou  à  l'é- 
quipement du  bateau.  Enfin  les  actionnaires  des  canaux 
gagneront  également,  au  moyen  des  droits  de  péage  qu'ils 
prélèveront, 


en  Ang'flene.  5i 

Avant  qu'on  puisse  faire  usage  de  la  matière  brute  ,  il 
faut  en  préparer  une  autre  par  des  procédés  plus  longs  ,  afin 
d'en  cimenter  les  diverses  parties  et  d'en  composer  un  tout 
solide.  En  conséquence,  la  pierre  à  chaux  sera  conduite 
avec  des  profits  de  la  même  nature  ,  tous  petits,  mais  sin- 
gulièrement nombreux,  et  diversifiés,  du  lieu  où  on  la 
trouve,  jusqu'au  four,  où  une  autre  substance,  ie  charbon  de 
terre ,  qui  n'avait  pas  plus  de  valeur  lorsqu'il  était  dans  la 
mine,  sera  transporté  avec  des  profits  semblables.  Quant 
aux  ouvriers  employés  à  la  construction  des  murs ,  ils 
auront  pour  bénéfice  la  différence  qu'il  y  aura  entre  le 
montant  de  ieur  salaire  et  les  dépenses  qu'ils  sei  o;it  obligés 
de  faire  pour  leur  entretien  persoimel  et  pour  racquisllion 
de  leurs  outils.  La  première  de  ces  dépenses  procurera  un 
l)énéfice  à  plusieurs  espèces  de  marchands ,  et  la  seconde, 
au  mineur  ,  au  forgeron  ,  en  un  mot  ,  à  une  série  très, 
variée  de  professions  diverses  qui  concourent  toutes  à  l'exé- 
cution de  ces  outils.  Il  faut  aussi  ajouter  à  ces  profits,  ceux 
que  fera  le  maître  maçon  sur  l'ensemble  des  travaux  des 
ouvriers  qu'il  emploiera ,  et  sur  le  coût  des  matériaux  qu'ils 
mettront  en  œuvre. 

Nous  n'avons  encore  parlé  que  du  commencement  de  la 
construction  de  la  maison.  Il  est  évident  qu'à  mesure  qu'elle 
s'avancera  ,  les  matériaux  employés  proviendront  de 
sources  plus  nombreuses  et  toujours  plus  variées ,  et  que 
les  profits  se  diviseront  et  se  subdiviseront ,  pour  ainsi  dire  > 
à  l'infini.  Il  y  aura  ceux  du  charpentier,  du  menuisier, 
du  plombier,  du  ferblantier,  du  peintre  ,  du  marchand  de 
glaces ,  du  marchand  de  papier  et  bien  d'autres  encore 
qui  deviendront  les  centres  d'autant  de  cercles  particuliers, 
dans  lesquels  les  bénéfices  iront  se  repartir  de  la  manière 
que  nous  avons  déjà  indiquée.  Nous  ne  pousserons  pas  cette 
analyse  plus  loin  :  il  nous  suffit  d'avoir  montré  clairement, 
qu'une  portion  considérabl/* ,  et  pcul-ètre  même  la  plus 


52  Des  progrès  de  la  richesse  fiai îo mile 

considérable  des  fonds  employés  à  hàlir,  contribue  puis- 
samment à  augmenter  le  bien-être ,  non  pas  d'une  classe 
particulière  ,  mais  de  la  société  eu  général. 

Si  le  nombre  des  maisons  s'augmentait  plus  rapidement 
nue  la  population ,  quoique  ce  fût  une  indication  certaine 
de  l'accumulation  antérieure  des  fonds  nécessairres  pour  les 
bâtir,  ce  serait  cependant  une  preuve  moins  positive  de 
Tétât  florissant  de  la  nation  ,  que  celle  qui  résulte  de  la 
proportion  actuellement  existante  entre  l'accroissement  des 
maisons  et  raugmenlalion  des  babitans.  En  comparant  les 
états  de  recensement  de  1801  et  1821  ,  on  voit  que  dans 
l'espace  de  vingt  ans,  le  nombre  des  babitans  s'est  accru 
de  trente-un  pour  cent,  et  que  celui  des  maisons  ne  s'est 
accru  que  de  trente.  Londres  avait,  en  1801,  1 2 i,29.g  mai- 
sons, et  804,845  babitans  j  et,  en  1821  ,  il  avait  164,681 
maisons  ,  et  1,225,694  babitans;  de  manière  qu'il  faudrait 
douze  mille  maisons  de  plus  pour  que  ,  dans  le  cours  de  ces 
vingt  années ,  le  nondjre  des  maisons  et  des  babitans  se 
fut  augmenté  dans  la  même  proportion. 

C'est  dans  quelques  villes  manufacturières  où  le  nombre 
des  babitans  et  des  maisons  s'est  augmenté  le  plus  rapide- 
ment, que  la  supériorité  de  l'accroissement  des  personnes 
sur  celui  des  babitations  est  le  plus  sensible.  Ainsi ,  par 
exemple,  à  Mancbester,  les  babitans  se  sont  augmentés 
de  68  p.  °/q  ,  et  les  maisons  seulement  de  56;  k  Birmiugbara, 
les  babitans  se  sont  augmentés  de  49  p-  "/o?  et  les  maisons 
de  45  ;  à  Nottingbam ,  les  babit;ins  se  sont  augmentés 
de  48  p.  °lo  ,  et  les  maisons  de  4o-  I-ies  maisons  et  la  popula- 
tion de  Leeds ,  de  Derby  et  de  Carlisle  se  trouvaient  à  peu 
près  dans  la  même  proportion,  aux  deux,  époques.  A  Bris- 
tol, à  Worwicb  et  à  Exeter,  les  babitans  se  sont  augmentés 
plus  rapidement  que  les  maisons  ,  et  presque  dans  la  même 
proportion  qu  à  Londres. 

Txous  avons  d("jà  dit  que  nous  n'avions  pas  de   données 


€71  Angleterre.  53 

suflfisanles  pour  délerminer  la  proportion  qui  existe  entre 
le  noinljre  des  magasins  et  des  ateliers  et  celui  des  habi- 
tations. Nous  nous  contenterons  de  donner  ime  idée  de 
l'augmentation  de  ces  divers  genres  de  constructions ,  en 
faisant  connaître  la  quantité  de  briques  qui  a  acquitté  le 
droit  à  plusieurs  époques.  Le  droit  sur  les  briques  fut, 
comme  on  sait,  imposé  en  1784.-  Voici  dans  quelle  progres- 
sion sVst  accrue  la  consommation  de  cet  article  : 

Briques. 

Quantité  moyfinnc  imposée  dans  le  cours  des  an- 
nées 1785,  1786  el  1787 463,405,628 

Quantité  moyenne  Imposée  dans  le  cours  des  an- 
nées   1801 ,  1802  et  i8o3 728,447)055 

Quantité  moyenne  imposée  dans  le  cours  de?  an- 
nées 1811 ,  1812  et  i8i3 g34,o65,83y 

Quantité  moyenne  imposée  dans  le  cours  des  an- 
nées 1821,  1822  et  1823 1,020, 28g, i83 

Nous  allons  nous  occuper  maintenant  d'un  autre  emploi 
que  l'on  a  fait  du  capital  national  ,  et  qui  n'est  pas  d'une 
moins  liante  importance.  Nous  A'oulons  parler  des  canaux. 
navigabUfs  qu'on  connaissait  à  peine  en  Angleterre ,  il  y  a 
soixante  ans.  L'on  a  souvent  comparé  ce  genre  d'opération 
à  une  loterie ,  dans  laquelle  il  y  a  un  petit  nombre  de  lots 
et  une  multitude  de  billets  blancs,  et  l'on  a  même  pré- 
tendu que  le  produit  des  canaux  du  royaume  représentait 
tout  au  plus  l'intérêt  légal  des  sommes  employées  h  les 
construire.  Nous  avons  fait  des  efforts  pour  connaître  exacte- 
ment le  produit  de  ces  entreprises  ,  non  parce  qu'elles  nous 
auraient  paru  moins  avantageuses  au  public,  si  ces  asser- 
tions eussent  été  fondées;  mais  parce  que,  sur  un  sujet  si 
important,  nous  avons  pensé  qu'il  convenait  d'avoir  des 
rcnseignemcns  exacts  et  positifs. 

Voici  le  résultat  de  nos  recliercbes ,  sur  la  situation  de 
quatre-vingts  compagnies  de  caïuuiv:  viiigl-troisontdépc  nsi" 


54  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

5,754:910  liv.  st. ,  et  n'ont  pas  encore  donné  de  dIvideuJe 
à  leurs  souscripteurs;  quatorze  ont  dépensé   4^075, G'jS, 
et  paient  maintenant  un  dividende  de  92,281  liv.  st.  ;  vingt- 
deux  qui  ont  dépensé  2,196,000  liv.  st. .  paient  un  dividende 
de  162,400  liv.  st.  5  onze  qui  ont  dépensé  2,0'-5,3ooliv.  st., 
paient  216.024  liv.  Les  autres  dix  compagnies  ont  fait  une 
dépense  de  1,127,230  liv.  st.,  et  elles  paient  à  leurs  ac- 
tionnaires 5 11,554  liv.   La  somme  totale  dépensée  a  été 
de  i5,2o5,ii7  liv.  st.  (  550,127,925  fr.  );  et  les  dividendes 
annuels  s'élèvent  à  782,25-  liv.  st.  (  19,556,425  fr.  )  ;  ce 
qui  fait  environ  5  3/1  p.  °/o  du  capital.  Mais  c'est  Lien  moins 
à  cause  des  bénéfices  de  leurs  actionnaires  ,  que  les  canaux, 
sont  utiles ,  qu'à  cause  de  la  valeur  qu'ils  donnent  à  plu- 
sieurs produits  des  districts  qu'ils  traversent.  Le  fer  des 
mines ,   la  pierre   des   carrières ,   et  même  la  craie  ,   les 
cailloux  qui,  auparavant,  étaient  de  peu  ou  de  nulle  va- 
leur, en  acquièrent,  et  deviennent  des  articles  de  commerce 
que  Ton  peut  facilement  échanger  avec  d'autres. 

J^îous  devons  aussi  dire  quelque  chose  de  cette  admirable 
invention  moderne,  au  moyen  de  laquelle  la  force  de  la 
vapeur  a  été  si  heureusement  substituée  à  celle  des  hommes 
et  des  animaux.  Il  y  a  maintenant  cinquante  ans  que  la 
première  machine  à  vapeur ,  exécutée  d'après  les  plans  de 
M.  Watt,  a  été  mise  en  mouvement.  Les  avantages  en 
furent  si  évidens,  qu'on  ne  tarda  pas  à  en  multiplier  les 
applications,  et  que  le  nomlire  s'en  accrut  avec  une  rapi- 
dité extraordinaire.  M.  Partlngton,  dans  son  histoire  de 
la  machine  à  vapeur ,  estime  le  nombre  de  celles  qui 
étaient  en  activité,  il  y  a  trois  ans,  à  dix  mille  qui  faisaient 
l'ouvrage  de  deux  cent  mille  chevaux.  Quoique  l'acquisi- 
tion de  ces  machines  ait  du  couler  quatre  fois  plus  que 
n'auraient  coulé  les  animaux  qu'elles  remplacent,  cepen- 
dant comme  il  faut  les  renouveler  moins  souvent,  et  que, 
d'ailleurs,   le  combustible  qui  les  alimente  coûte  un  quart 


en  Angleterre.  55 

de  moins  que  le  fourrage,  les  avantages  de  l'adopllon  de 
ces  puissans  moteurs  sont  incontestables. 

Cette  branche  d'industrie  qui ,  avec  ses  divisions  et  ses 
nombreuses  subdivisions  ,  est  designée  sous  le  titre  de 
fabrique  de  coton,  est  mie  de  celles  qui  font  le  mieux,  voir 
toutes  les  ressources  de  l'esprit  humain  ,  et  qui  ont  le  plus 
activement  contribué  à  faire  jouir  les  individus  des  classes 
inférieures  d'un  degré  d'aisance  auquel  leurs  pères  étalent 
entièrement  étrangers.  Il  paraît  que  ce  fut  en  i6oo  que 
celte  fabrication  fut  introduite  en  Angleterre.  Quoique , 
selon  les  idées  du  tems ,  elle  eût  acquis ,  dans  le  voisi- 
nage de  Manchester,  un  très-grand  développement  en  i64i, 
ce  ne  fut  qu'eu  l'jGo  qu'on  parvint ,  pour  la  première  fois, 
à  faire  un  tissu  uniquement  composé  de  coton.  Au- 
paravant ,  l'art  de  donner  assez  de  force  au  colon  pour 
pouvoir  en  former  la  chaîne  du  tissu  ,  était  inconnu  ;  on 
ne  s'en  servait  que  pour  ia  trame,  et  la  chaîne  était 
faite  avec  du  fil  de  lin.  L'Introduction  de  la  machine  à 
carder  fut  bientôt  suivie  de  diverses  tentatives  pour  filer  à 
la  mécanique;  mais  ces  tentatives  furent  infructueuses  jus- 
qu'en l'y  Gg ,  où  le  célèbre  Arkwright  obtint  une  patente 
pour  sa  machine  à  filer.  Nous  n'insisterons  pas  sur  le 
mérite  de  cette  machine  ,  ni  sur  celui  des  différentes  amé- 
liorations qu'elle  a  reçues  depuis.  Nous  voulons  seulement 
déterminer  d'une  manière  précise  l'époque  à  laquelle  a  eu 
lieu  cette  belle  invention  dont  les  résultais  ojit  été  aussi 
pronqits  qu'étendus. 

Quoique  lemplol  des  machines  ait  élé  poussé  plus  loin 
dans  cette  fabrication  f[ue  dans  toute  autre  ,  le  bon  marché 
de  ses  produits  les  met  à  lu  ])ortée  de  tant  d'individus  ,  qu'il 
n'y  en  a  aucune,  à  l'exception  de  l'industrie  agricole  ,  qui 
donne  de  l'occupation  et  des  moyens  de  subsistance  à  un 
aussi  grand  nombre  d  ouvriers.  On  peut  alllrmer  sanscrainte 
quG  quoique  la  quanllté  de    colon   brut   façonné  dans  les 


56  Des  pi'Ogrès  de  la  richesse  nationale 

fabriques  ait  plus  que  centuplé  ,  depuis  soixante-dix  ans  , 
le  nombre  de  personnes  que  ces  fabriques  emploient  à 
augraente'  dans  une  proportion  encore  plus  forte ,  malgré 
les  métliodes  abrégées  de  travail  qui  ont  été  découvertes.  Il 
résulte  des  comptes  de  la  douane  que  la  quantité  du  coton 
brut,  importé  à  trois  époques  différentes,  a  été  comme 
il  suit  : 

Livres. 
Quantité  moyenne  du    colon  importé  annuellement, 

dans  le  cours  de  1765  ,  1766  et  1767 ^,1/^l,ZÇ)f^ 

Quantité  moyenne  du   coton  importé  annuellement , 

dans  le  cours  de  iSo^,   i8o5  et  1806 5q, 008,67 3 

Quantité   moyenne  du  coton  importé  annuellement, 

dans  le  cours  de  1822  ,  1820  et  1824 ^  •  i53, 799,803 

Mais  l'augmentation  de  la  quantité  de  coton  brut  façonné, 
dans  nos  manufactures,  ne  peut  donner  qu'une  idée  très- 
imparfaite  de  l'importance  qu'a  acquise  cette  fabrication. 
Dans  le  principe ,  on  ne  faisait  guère  avec  le  coton  que 
des  étoffes  grossières ,  telles  que  celles  qu'on  emploie  pour 
faire  des  poclies,  des  vestes  de  palefreniers,  etc.  Plus  tard, 
on  commença  à  fabriquer  des  bouracans  et  autres  tissus  de 
la  même  nature.  On  fit  ensuite  des  velours  de  coton  et 
différentes  étoffes  de  fantaisie.  I^a  valeur  du  coton  brut 
qui  entrait  dans  ces  tissus  faisait  une  portion  très-con- 
sidérablc  de  leur  valeur  totale.  Mais  lorsque  les  métiers  à 
filer  se  perfectionnèrent ,  on  fabriqua  des  mousselines  dont 
la  fiuesse  s'accrut  progressivement ,  jusqu'à  ce  qu'enfin 
avec  une  livre  de  coton  ,  tout  an  plus ,  du  prix  de  trois 
shillings,  on  fit  une  pièce  qui  représentait  une  valeur  de 
plus  de  six  liv.  st.  Les  progrès  que  nous  avons  faits  dans  la 
l'abricalion  de  ce  dernier  article  ,  ont  même  été  si  rapides 
que  taudis  qu'il  y  a  quarante  ans,  toutes  les  mousselines 
dont  on  faisait  usage  en  Europe  et  en  Amérique  ,  venaient 
des   Indes   orientales,  nous  en  envoyons  aujourd'hui  des 


'en  Angleterre.  07 

qiiaiUllés  trcs-considéra])les  cians  ces  mêmes  conlrécs,  In- 
dcpendammeut  de  celles  que  nous  expédions  pour  les  au- 
tres marchés  du  dehors  et  de  celles  qui  se  consomment 
dans  rinlérieur  (1). 

(i)  KOTE  DU  Traducteur.  Aucun  fait  n'est  assurément  plus  re- 
manjuable  dans  l'histoire  du  commerce  ,  que  cette  re'volutlon  qui  s'est 
opére'c  dans  les  relations  mercantiles  de  l'Inde  et  de  l'Angleterre;"  et 
rien  n'est  plus  propre  à  faire  sentir  les  prodigieux  avantages  de  l'emploi 
des  machines.  En  Angleterre,  le  prix  moyen  de  la  main  d'œuvre  est 
de  2  sh.  5  d.  (  environ  58  sols  )  ;   dans  l'Inde,  il  est  seulement   de  2 
pences  (  4  sols  ).  Les  fabricans  anglais  tirent  du  Bengal   une  grande 
partie  du  coton  qu'ils  emploient  :  de  manière  que  ,  pour  y  faire  vendre 
leurs  tissus,  il  faut  qu'ils  supportent  la  de'pense  d'un  double  transport, 
chacun  de  4  à  5  mois.   Il   faut  en  outre   qu'ils  paient  :  1°  une  prime 
d'assurance  d'au  moins  6  p.  "/o   de  la  valeur    des  cotons  bruts  qu'ils 
font  venir  des  possessions  de  la  Compagnie  ;  2°  une  autre  prime,  e'ga- 
lement  de  G  p.  "/o  de  la  valeur  de  ces   mêmes   cotons    qn'ils   y  ren- 
voient façonnes.  A  ces  frais,  nous  devons  ajouter  encore  l'inte'rèt  de 
leur  argent ,   pendant  tout  le  tems  qui  s'e'coulc,  depuis  le  moment  où 
ils  en  cxpe'dient  pour  solder  leurs  achats,  jusqu'au  moment  où  le  retour 
des  fonds ,   rëaiise's  par  la  vente  de  leurs  produits  ,  les  fait  rentrer  dans 
leurs   avances.  Cependant  tous   ces  désavantages  "n'ont  pas    empêché 
l'industrie,  comparativement  si  récente,  de  la  Grande-Eretagne  ,  d'é- 
craser dans  l'Inde,  au  moyen  des  puissantes  machines  dont  elle  dispose 
une  industrie  antique  qui  remonte  à  des  tems  immémoriaux.  C'était 
du   Bengal  que  les  Anglais  tiraient  la  plus  grande  partie  des  étoffes 
de  coton  qu'ils  portaient   dans  le   siècle  dernier  ;    et  maintenant  ils 
en  envoient  chaque  année  pour  plus  de  trente  millions  de  fr.  dans  les 
différentes  présidences  de  la  Compagnie.  Peut-être  aussi  verrons-nous 
un  jour  les  Européens   vendre  des  schalls  jusque   dans  les  vallées  du 
Cachemir.  La  révolution  commerciale  sur  laquelle  nous   venons   de 
donner  quelques  détails  a  fait  ressortir  tout  le  vice  de  l'institution  des 
castes.  Les  Hindous  n'ont  pas  ,  comme  nous  ,  la  possibilité  de  se  retirer 
d'une  industrie  improductive  pour  se  livrer  à  des  travaux  plus  avan- 
tageux. Attachés   éternellement,  par   d'absurdes  croyances,  à  la.  pro- 
fession  de  leurs  pères,  dès  qu'elle    cesse   de   pouvoir    fouinir  à  leur 
subsistance,  il  faut  qu'ils  vivent   des  secours  nécessairement  |ir<'caires 
et  insiiflisans  de  la  charité  publique  ,  (jiiand  ce  sont  des  classes  nom- 


38  Des  -progrès  de  la  richesse  nationale 

Voici ,  tVaprès  les  CA'aluations  officielles  de  la  douane , 
quelle  a  été  ,  aux  époques  indiquées  ci-dessus,  la  valeur  de 
tous  IcS  cotons  exportés. 

Lis'res  sterlings.     Francs. 
Valeur  moyenne  des  exportations  de  tissus 

de  coton  faites  annuellement  ,  en  ijGS, 

lyGGctijGy 223,154     (5,577,858) 

Valeur  moyenne  des  ixportations  de  tissus 

de  coton  faites  annuellement,  en  i8o4, 

i8o5eti8o6 8,734,917  (218,372,925) 

Valeur  moyenne  des  exportations  de  tissus 

de  coton  faites  annuellement,  en  1822, 

1823  et  1824 26,128,221  (653,205,525) 

Pendant  les  deux  derniers  siècles,  les  manufactures  de 
laine  du  pays  se  sont  successivement  étendues  et  amélio- 
rées 5  mais  les  progrès  qu  elles  avaient  faits  antérieurement, 
à  raA'énement  de  Georges  IIÎ  ,  ne  peuvent  point  supporter 
le  parallèle  avec  ceux  qu'elles  ont  faits  depuis.  Il  y  a  qua- 
rante ou  cinquante  ans  que  lorsque  la  laine  était  tondue  et 
livée,  on  la  peignait  ou  on  la  cardait  à  la  main.  On  la  dis- 
tribuait e^isuite  à  différentes  personnes  qui  la  filaient  dans 
des  endroits  séparés  et  éloignés  les  uns  des  autres.  La  plu- 
part des  fabricans  avaient  des  magasins  pour  recevoir ,  à 
époques  fixes,  la  laine  que  leur  reportaient  les  fileurs. 
Cette  manière  de  procéder  faisait  perdre  beaucoup  de  tems, 
et,  d'ailleurs,  elle  donnait  Heu  à  des  discussions  continuelles 
outre  les  parties  intéressées,  sur  le  poids  de  la  marchan- 
dise,  et  sur  le  nombre  et  la  longueur  des  fils  des  éche- 

Lrcuses  qu'elle  doit  alimenter.  Depuis  que  les  fabricans  anglais  ont 
pu  vendre  des  cotonnades  sur  les  marchés  de  l'Indostan  ,  à  des  prix 
inférieurs  à  ceux  des  fal)rl»-ans  du  pays,  une  partie  des  individus  qui 
s'y  occupaient  du  tlssaga  de  ces  e'toHes,  est  livrée  ,  dit-on,  à  toutes 
les  angoisses  d'une  affreuse  dc'lrcsse  ,  que  les  pcrfeclionnemens  conti- 
nuels des  manufactures  de  la  Grande-Bretagne,  doivent  encore  aug- 
menter à  l'avenir.  S.  F. 


en  Angleterre.  09 

\caiix.  Souvent  aussi  les  fiicurs  se  trouvaient  dans  des  com- 
tes éloignés,  et  il  fallait  tlépcnser  beaucoup  d'argent  pour  la 
transmission  de  la  matière  première.  C'est  à  la  main  que 
Ion  faisait  la  chaîne,  et  c'est  de  la  même  manière  et  tout 
aussi  lentement  que  la  trame  était  disposée  sur  la  navette. 
C'était  également  par  des  opérations  manuelles  que  se 
faisait  tout  le  travail  qui  suit  celui  du  tisserand.  Des  ma- 
chines ont  été  successivement  inventées,  pour  exécuter  la 
totalité  de  ces  diverses  opérations  ;  et  quoique  le  travail 
humain  ait  été  fort  abrégé  ,  cette  fabrication  emploie  main- 
tenant beaucoup  plus  de  bras  qu'elle  n'en  employait  aux 
époques  antérieures.  Au  moyen  delà  machine  à  filer,  une 
plus  grande  égalité  est  donnée  aux  fi!s.  On  est  parvenu  aussi, 
par  d'autres  machines ,  à  tondre  et  à  apprêter  les  draps 
avec  moins  de  dommage  que  précédemment;  et  il  résulte 
de  l'ensemble  de  ces  divers  procédés,  qu'avec  la  même 
solidité  ,  ils  offrent  beaucoup  plus  d'apparence.  Tous  les 
travaux  s'exécutent  actuellement  sous  la  survei  lance  du 
maître  :  il  peut  en  combiner  les  diverses  parties  i  ilsaità  jour 
fixe  quand  les  marchandises  pourront  être  mises  en  ventej 
et  les  capitaux  employés  dans  ces  opérations  circulent  avec 
une  célérité  qu'on  n'aurait  jamais  cru  possible. 

Nous  avons  eu,  il  y  a  quelques  années,  une  singulière 
preuve  de  la  manière  rapide  avec  laquelle  on  travaille 
mainSenant  ces  tissus  ,  lorsque  Sir  John  Throgmorton  se 
mit  à  table  avec  un  ha])il  dont  la  laine  avait  été  coupée 
le  matin  sur  le  dos  des  moutons.  Cette  laine  avait  ensuite 
été  lavée,  cardée,  filée  et  tissée  ;  le  drap  avait  été  tondu  , 
apprêté  et  teint;  un  tailleur  en  avait  fait  un  habit;  et  tout 
cela,  dans  le  tems  qui  s'était  écoulé  depuis  le  lev.cr  du  jour 
jusqu'à  sept  heures  du  soir. 

Quoique  les  machines  appliquées  pour  la  première  fois 
eu  Angleterre  à  cette  fabrication,  aient  été  depuis  imitées 
dans"  le  reste  de  l'Europe,   et  n-*uralisées  aux  Etats-Unis 


4o  Des  progrès  de  lu  richesse  iiailorrolc 

(VAmérique,  cependant  nos  exportations  de  draps  ont  tou- 
jours  été  en  augmentant.  Non-seulement  nous  avons  mis 
en  œuvre  toute  la  laine  de  nos  troupeaux,  quoiqu'ils  aient 
pris  une  grande  extension  ,  mais  celle  de  l'Espagne  a  aussi 
été  insuffisante,  et  nous  en  avons  tiré  des  quantités  prodi- 
gieuses de  la  Saxe  ,  de  la  Prusse  et  de  plusieurs  parties  du 
continent  européen  qui ,  auparavant ,  ne  nous  en  avaient 
jamais  fourni.  Aucune  autre  importation  de  matière,  pre- 
mière ,  à  Vexception  de  celle  du  coton ,  ne  s'est  accrue  dans 
luie  proportion  aussi  forte,  comme  on  pourra  s'en  con- 
vaincre par  le  compte  suivant. 

Livres. 
Quantité    moyenne    de    laine    importe'e    annuellement 

en  1765  ,  1766  et  1767 4)24'»^64 

Id.  en  1788  ,  17SQ  et  1790 2,911,499 

Id.  en  1802,  i8o3et  i8o4 18,884,876 

La  consommation  de  nos  tissus  de  laine,  dans  le  même 
espace  de  tems  ,  par  les  nations  étrangères,  s'est  augmentée 
dans  la  proportion  suivante  : 

Liv.  st.  Francs. 

Valeur  des  tissus  de  laine  exportés,  anne'c 

moyenne,  en  17G5,  1766  et  17G7 4j'^3o,384  (115,759,600) 

Jd.  en  i8o4,  i8o5  et  1806 .,   5, 667,551    (141,688,775) 

Id.cn  1822,    1823  et  1824 6^200,548  (i55, 013,700) 

lia  fabrication  des  soieries  était  un  de  ces  fruits  exotiques 
dont  rinlroductiou  exige  beaucoup  de  peines  et  de  patience; 
elle  est  aujourd'liui  tout-à-fait  acclimatée  parmi  nous,  et 
l'on  a  été  aljondamment  indemnisé  des  soins  qu'il  a  fallu 
lui  donner  dans  l'origine.  On  avait  imposé  un  droit  considé- 
rable sur  la  matière  première  5  mais  comme  les  mareban- 
dises  fabriquées,  dans  les  manufactures  anglaises  ,  avaient 
la  possession  à  peu  près  exclusive  du  marcbé  intérieur, 
la  prospérité  toujours  croissante  du  pays  communiqua  une 
impulsion  active  el  constante  à  cette  industrie,  qui,  d'abord 


en  Angleterre.  4  i 

•extrciïienicnt  borncc,  a  fini  par  dcnaer  des  moTCus  d'exis- 
tence à  plusieurs  centaines  de  milliers  d'Individus.  La  taxe 
imposée  sur  la  matière  première  n'avait  pas  été  le  seul 
obstacle  aux  progrès  de  ces  manufactures.  Ijc  salaire  des 
ouvriers  qu'elles  employaient  avait  été  réglé  par  une  loi, 
ce  qui  avait  donné  lieu  à  des  coalitions  et  à  des  désordres 
^nullipliés.  Ces  désordres  avaient  eu  nicuie  un  caractère, si 
alarmant,  pendant  la  fermentation  excitée  par  Wilkes, 
-que  plusieurs  fahricans  avaient  pris  le  parti  de  s'éloiener 
des  grandes  villes  populeuses  ,  et  de  transférer  leurs  étaWis- 
•sémens  dans  tles  lieux  plus  Iranquiiles.  Ce  fut  Paisley  qu'ils 
choisirent.  Les  fabriques  de  gaze  qu'on  y  établit,  y  donnè- 
rent ensuite  naissance  à  celles  de  mousseline  ,  et  c'est  ainsi 
qu'un  obscur  village  est  devenu  une  cité  florissante.  Des 
considérations  seniblables  ont  fait  transférer  à  Leek  ,  à 
Macclesfield ,  etc.,  d'autres  brandies  importantes  de  la  fa- 
brication des  soieries.  Cependant,  quoiqu'une  portion  consi- 
dérable des  manufactures  de  ce  genre  soit  maintenant  éta- 
blie dans  la  campagne ,  elles  ont  pris  une  si  grande  exten- 
sion, que  le  nombre  des  ouvriers  qu'elles  occupent  dans  la 
capitale  et  dans  son  voisinage ,  est  plus  considérable  que 
jamais. 

Autrefois  la  matière  première  nous  était  à  peu  près  ex- 
clusivement fournie  par  les  contrées  méridionales  de  l'Eu- 
rope, ce  qui  avait  un  grave  inconvénient;  car  nos  relations 
avec  ces  divers  pays  étaient  fréquemment  interrompues 
-  ]iar  des  événemens  politiques.  Mais  un  grand  changement 
s'est  opéré  à  cet  égard,  dans  les  cours  de  ces  dernières  an- 
nées. La  culture  de  la  soie  a  reçu  une  extension  considéra- 
ble dans  nos  établlssemeus  des  Indes  orientales,  et  on  en 
a  beaucoup  amélioré  la  qualité;  de  manière  que  celle  du 
Bengal  peut  maintenant  remplacer  la  soie  d'Lalie,  pour 
la  trame  de  la  plu;  art  des  tissus,  et  surtout  pour  les  fran- 
ges,' les  garnitures  et  autres  articles  inrérlciu's.   La  soie  de 


42  Des  progrès  de  la  richesse  natioiui^e 

la  Cliine  est  très- propre,  à  cause  de  sa  couleur  et  de  sa 
lluesse,  à  faii'e  des  bas;  et  aujourdMiuî  les  fabricans  du 
continent  sont  exactement  informes  des  ventes  de  la  Com- 
pagnie ,  et  ils  acbètent  à  ses  agens  une  partie  des  soies  bru- 
tes qu'ils  emploient.  L'état  suivant  Indique  l'accroissement 
régulier  qu'a  reçu  la  consommalion  de  la  soie.  Le  lecteur 
verra  sans  doute  avec  plaisir  comme  la  proportion  de  l'im- 
portation de  la  soie  brute,  à  l'importation  de  la  soie  or- 
gansinée  ,  s'est  modifiée  à  mesure  que  cette  brandie  d'in- 
dustrie se  perfectionnait. 

Soie  brute.       Soie  organsinée. 
*  Livres.  Livres. 

Quantité  moyenne  de  soie  importée  annuel- 
lement, en  1765,  1766  et  17G7,  déduction 

faite  des  quantités  exportées 352,  i3o  3G3,4')8 

/J.  en  17.S5,  1-86  et  1787 547)(io5  307, 8G0 

Id.  en  1802  ,  i8o3  et  iSo4 967.805  384,5oti 

/^.  en  1022  ,  iSii  et  i8.i4 2,172,401  336, 6gi 

Les  limites  dans  lesquelles  nous  sommes  obligés  de  nous 
renfermer  ne  nous  permettent  pas  de  faire  l'histoire  de  la 
fabrication  du  fer,  depuis  ses  commencemens  jusqu'à  nos 
jours;  nous  serions,  d'ailleurs,   dans  la  nécessité  de  nous 
servir  de  termes  tecbniques  inconnus    à  la  généralité   de 
nos  lecteurs.  Les  grandes  améliorations  de  cette  brandie 
si  importante  de  notre  industrie  datent  surtout  du  moment 
où  l'on  substitua  le  cocke  du  charbon  de  terre  an  charbon  de 
bois,  11  y  a  environ  soixante-dix  ans.  Voici  quelle  a  été ,  à 
différentes   époques ,   la  quantité  de  fer  fondu   en  Angle- 
terre et  dans  la  principauté  de  Galles.   En  1750,  22,000 
tonneaux;  en  178S,  68,5oo  ton.  ;  en  1796,  124,879  ton.; 
en  1806,  252,000  ton.;  en  i8xG,  58o,ooo  ton.;  et  en  1824, 
600,000  t.  Nous  n'avons  pas  de  données  positives  sur  le  fer 
fondu  en  Ecosse  aux  mêmes  époques;  mais  nous  avons  lieu 
de  croire  que  l'augmentation  a  été,  proportionnellement, 
aussi  considérable. 


en  Angleterre .  4^ 

Au  moyen  tics  progrès  que  nous  avons  faits  dans  la  fabri- 
calion  de  cet  article ,  nous  avons  pu  nous  passer  des  fers 
étrangers ,  quoique  dans  certains  cas  nous  nous  servions 
encore  de  celui  de  Suède,  et  nos  exportations  n'ont  pas 
cessé  de  s'accroître. 

Ton. 
Quantité  moyenne  de  fer  exporte   annuellement,  en  1760, 

1766  et  1767 1 1,373 

Id.  en  i8o4 ,  i8o5  et  180G • 28, 009 

Id.  en  1822  ,  et  1823  et  1824- y4)Ooo 

L'exploitation  des  mines  de  cuivre  a  reçu  aussi  de  grands 
accroissemens,  et  il  paraît  constant  qu'elle  a  doublé  dans 
ces  vingt-cinq  dernières  années.  Cependant  nous  sommes 
encore  bien  loin  de  pouvoir  suffire  à  notre  propre  consom- 
mation, et  nous  importons  des  quantités  considérables  de 
cuivre  étranger,  pour  alimenter  nos  diverses  manufactures. 
Une  des  meilleures  preuves  des  étonuans  progrès  de  notre 
commerce  de  quincaillerie,  c'est  l'augmentation  de  la  po- 
pulation dans  les  districts  où  on  s'en  occupe.  Il  n'y  a  peut- 
être  pas  de  brandie  d'industrie  où  des  opérations  aussi 
minutieuses  et  en  aussi  grand  nombre,  soient  exécutées  par 
des  maclunesj  mais,  malgré  tous  les  moyens  employés 
pour  abréger  ou  pour  remplacer  le  travail  humain,  nulle 
part  ce  travail  n'a  été  plus  recherché  et  mieux  rétribué  que 
dans  quelques  villes  qui  s'occupent  spécialement  de  cette 
fabrication.  Voici  dans  quelle  proportion  le  nombre  de 
leurs  habitans  s'est  accru  pendant  les  vingt  dernières  an- 
nées : 

1801.  1802. 

Birmingham 72,670  106,722 

Sheffield 45,755  65,275 

W'olverhampfon 12,565  i8,,'î8o 

La  population  des  paroisses  situées  dans  le  voisinage  de 
CCS  villes  ,  s'est  augmentée  dans  une  proportion  corres- 
pondance. 


44  Des  progrès  de  la  richesse  nalionale 

IjPS  manufactures  de  toiles  n'ont  guèrcs  jusqu'il  pré- 
sent clé  établies  que  dans  les  districls  dont  le  sol  était  le 
plus  convenable  pour  la  culture  du  lin.  Ou  pouvait  croire 
que  la  faveur  dont  jouissent  actuellement  les  étoffes  de 
colon  ferait  nécessairement  diminuer  la  consommation  des 
toiles;  mais  le  contraire  est  arrivé,  et  jamais  on  n'en  a 
fait  un  aussi  grand  usage  que  dans  ces  dernières  années , 
surtout  depuis  que  le  principe  des  Rlule-Jennies  a  été 
appliqué  à  !a  fabrication  de  ces  tissus.  Nous  pouvons 
donner  une  preuve  incontestable  de  ce  que  nous  avançons, 
en  faisant  connaître  la  quantité  de  lin  venu  du  dehors ,  à 
trois  époques  différentes. 

Quintaux, 
Quantité  moyenne  de  lin  importé  annuellement,  en  1788, 

178<:)  et  I  jgo 219, Gio 

Id.  en  i8o4  ,  i8o5  et  1806 [^\'^^-il^^ 

Id.  en  1821  ,  1822  et  1820 601,887 

Cette  progression  est  d'autant  plus  remarquable  que,  dans 
le  même  tems,  la  culture  du  lin,  au  lieu  de  diminuer  en 
Angleterre  ,  y  avait  pris  une  nouvellf  extension. 

Voici  quelle  a  été  ia  quantité  des  toiles  que  nos  fabricans 

ont  exportées  aux  mêmes  époques ,  après  avoir  satisfait 

aux  besoins  d'une  population  toujours  croissante. 

Yards. 
Quantité  moynnne    des   toiles  exportées  annuellement 

en  1765  ,  1766  et  17G7 4>68i,8of> 

Jd.  en  1804,  i8o5  et  1806 10,387,543 

Id.  en  1822  ,  1823  et  1824 02,287,543 

Cet  accroissement  du  commerce  des  toiles  de  la  Grande- 
Bretagne,,  n'a  porté  aucun  préjudice  aux  toiles  d'Irlande, 

comme  le  prouve  le  compte  suivant: 

Yards. 
Oiinn'iilé   moyenne   des   toiles  d'Irlande    exportées   an- 
nuellement en  1765  ,  1766  et  1767 2,2iq,4c)G 

Id.  en  i8o4 ,  i8o5  et  180G 4)^9')94'' 

/./.  en   1822  ,  1823  et   \'r>\\ 12,701,  ii(i 


en  Angleterre.  4^ 

Il  est  bien  peu  de  fabrications  qui  offrent  autant  d'intérêt 
qne  les  manufactures  de  poterie,  dont  l'art  et  la  science 
ont  également  concouru  à  améliorer  les  produits.  C'est  la 
chimie  qui  a  distingué  les  différentes  espèces  de  terre  et 
déterminé  quels  étaient  les  mélanges  que  Ton  pouvait  en 
faire  ,  ainsi  que  le  degré  de  cuisson  que  ces  combinaisons 
variées  devaient  respectivement  subir.  L'art  a  étudié  les 
dessins  fournis  par  l'antiquité  ;  et  en  imitant  les  formes  des 
vases  étrusques,  il  en  a  encore  surpassé  l'élégance.  On  a 
fait  de  la  vaisselle  de  toutes  les  qualités  ,  de  manière  à  ce 
qu'il  y  en  eût  pour  les  différentes  classes  de  la  société,  depuis 
les  plus  pauvres  jusqu'aux  plus  opulentes.  On  trouve  de  la 
poterie  anglaise  dans  chacun  des  pays  et  presque  dans 
toutes  les  maisons  du  Nouveau-Monde  ,  dans  plusieurs  par- 
ties de  l'Asie  ,  et  dans  la  phipnrt  des  contrées  de  l'Europe. 
Dans  l'intérieur,  elle  a  fait  abandonner  l'usage  de  la  vais- 
selle de  bois  et  d'étain  qui  a  lieaucoup  moins  de  propreté. 
Comme  la  matière  première  n'a  aucun  pi'ix  ,  c'est  l'indus- 
trie qui  a  entièrement  créé  la  valeur  de  cette  fabrication  , 
qui  a  puissamment  contribué  à  l'accroissement  de  la  richesse 
nationale.  La  grande  quantité  de  vaisselle  que  l'on  trouve 
dans  toutes  les  habitations  ,  ainsi  que  l'augmentation  de  la 
population  dans  les  districts  où  ces  fabriques  sont  établies, 
prouvent,  d'une  manière  incontestable,  l'extension  qu'elles 
ont  prise  et  les  progrès  qu'elles  ont  faits. 

Notre  commerce  de  verrerie  a  dû  nécessairement  s'aug- 
menter en  même  tems  que  les  constructions  et  le  nombre 
des  habitans;  mais  nos  verres  n'ont  pas  eu  au  dehors  tout 
le  débit  que  leur  aurait  procuré  leur  qualité  supérieure  , 
s'ils  n'eussent  pas  été  soumis  à  une  taxe  considérable.  En 
effet,  quoique  cette  taxe  soit  restituée,  au  moment  de  l'ex- 
portation, le  consommateur  étranger  n'en  est  pas  moins 
obligé  d'en  supporter  l'intérêt  ,  à  partir  de  l'instant  où 
elle  a  été  acquittée  ,  jusqu'à  celui  où  elle  est  remise  par  les 

II.  4 


^6  Des  progrès  de  la  ricliesse  nationale 

agens  du  Trésor  :  Il  faut  en  outre  supporter  la  totalité'  du 
droit  pour  les  verres  qui  se  cassent  dans  le  transport,  de- 
puis la  sortie  de  la  fabrique  jusqu'au  point  d'embarquement. 

Si  la  politique  avisée  qui  a  fait  révoquer  l'impôt  sur  la 
soie  ,  fait  également  révoquer  celui  qui  pèse  sur  cet  article,  - 
nos  manufactures  de  verre  obtiendront  nécessairement  un 
grand  débit  dans  les  différens  marchés  du  monde.  La 
même  observation  est  applicable  à  nos  cuirs  et  aux  pro- 
duits de  nos  poteries,  dont  la  consommation  ne  s'est  pas 
moins  augmentée  dans  l'intérieur  que  celle  des  autres 
marchandises  ;  mais  qui ,  à  cause  des  droits  qu'ils  suppor- 
tent, ne  circulent  au  dehors  que  très-difficilement,  malgré 
leur  excellente  qualité. 

Nous  venons  d'esquisser  rapidement  la  situation  des 
branches  principales  de  notre  industrie;  nous  avons  vu 
qu'elle  n'avait  pas  cessé  de  s'améliorer  depuis  l'avéneraent 
du  feu  roi,  ou  du  moins  depuis  la  paix,  de  1760  ,  et  que  ce 
mouvement  progressif  avait  continué ,  avec  une  rapidité 
toujours  croissante  ,  sous  le  gouvernement  du  roi  régnant. 
Le  montant  total  de  l'exportation,  tant  en  produits  de  la 
Grande-Bretagne  qu'en  marchandises  étrangères ,  a  été  , 
année  moyenne,  pendant  les  trois  années  qui  ont  suivi  la 
paix,  de  1765,  de  i4, 92.5,950  (375,148,750  fr.  ),  ce  qui 
ne  fait  pas  le  tiers  de  l'exportation  actuelle  des  seuls  pro- 
duits de  la  Grande-Bretagne.  Voici ,  depuis  cette  époque  , 
comment  cette  progression  s'est  opérée  : 

Liv.  st.  Francs. 

Montant  total  de  l'exportation  des  pro- 
duits de  la  Grande-Bretagne  ,  année 
moyenne,   en  1783,  1784611785...    11,090,718     (^77, 267,950) 

Montant  total  de  l'exportation  des  pro- 
duits de  la  Grande-Bretagne  ,  anne'e 
moyenne  ,  en  i8o3,  1804  et  i8o5...   27,726,983     (693,174,575) 

Montant  total  de  l'exportation  des  pro- 
duits de  la  Grande-Bretagne  ,  année 
moyenne,  en  1S21  ,  1822  eî  iSaS. . .    4-^>283,359  (1,1 33, 083,975) 


en  Angleterre .  4" 

Jja  revue  que  nous  faisons  des  sources  principales  de  la 
grandeur  et  de  la  prospérité  de  la  nation  ,  serait  assuré- 
ment fort  incomplète  ,  si  nous  ne  disions  rien  de  notre  ma- 
rine marchande.  C'est  à  elle  que  nous  sommes  redevables, 
en  grande  partie,  de  notre  puissance  :  car  eile  a  été  Tune 
des  causes  les  plus  actives  des  succès  de  notre  marine  mili- 
taire. Les  progrès  de  la  marine  marchande  ont  été  si  .ré- 
guliers, en  Angleterre,  que  la  guerre  elle-même,  au  lieu 
d'y  mettre  obstacle,  semble  au  contraire  les  avoir  favorisés. 
Semblable  au  chêne  dont  ses  navires  sont  construits  , 

«  Per  damna,  per  caedes,  ab  ipso 
Ducit  opes  animumque  terre.  >• 

M.  Chalmers  a  fait  des  recherches  sur  le  tonnage  des 
bâtimens  nationaux  et  étrangers  ,  sortis  de  la  Grande-Bre- 
tagne, depuis  la  restauration  de  Charles  II  jusqu'en  1802, 
Il  en  résulte  que  le  port  de  nos  navires  s'est  élevé,  pendant 
cet  espace  de  tems,  de  93,266  tonneaux,  à  1,459,689. 
Au  commencement  de  cette  période ,  la  proportion  des  na- 
vires étrangers,  sortis  de  nos  ports,  avec  les  navires  an- 
glais ,  était  comme  un  est  à  deux  ;  et ,  à  la  fin ,  elle  n'é- 
tait plus  que  comme  deux  est  à  sept.  Cette  proportion  a 
dû  nécessairement  varier  nu  peu,  en  tems  de  guerre,  en 
faveur  des  bâtimens  étrangers;  et,  en  tems  de  paix  ,  eu 
faveur  des  nôtres.  Ce  mouvement  progressif  a  continué , 
puisque  le  tonnage  des  bâtimens  marchands  qui,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  était,  en  1802  ,  de  1,459,689  ton,  , 
se  trouvait,  en  1823,  de  2,5i9,o44-  Le  nombre  des  hom- 
mes d'équipage  s'était  élevé  à  i66,555.  Ce  relevé  ne  com- 
prend que  les  bâtimens  enregistrés;  car  nous  n'avons  au- 
cun moyen  de  connaître  !e  tonnage  des  nombreux  bâtimens 
employés  sur  les  canaux  et  sur  les  rivières  navigables  ,  non 
plus  que  la  quantité  de  bras  occupés  à  les  conduire.  Ils  for- 
mait' cependant   une  portion  considérable  de  la  richesse 


^8  Des  progrès  de  la  iHcliesse  nationale 

nationale ,  et  le  nombre  a  dû  nécessairement  s'en  augmen- 
ter en  même  tems  que  celui  des  canaux  et  que  la  quantité 
des  marchandises  transportées  au  moyen  de  la  navigation 
intérieure  d'un  point  du  royaume  à  l'antre. 

Si  le  nombre  des  bâtimens  marchands  ne  s'est  pas  ac- 
cru,  pendant  ces  dix  dernières  années,  dans  une  pro- 
portion aussi  forte  que  pendant  les  trente  qui  ont  précédé , 
il  est  facile  d'en  donner  une  raison  satisfaisante.  Ceux  de 
ces  navires  que  le  gouvernement  employait  comme  trans- 
ports ,  ou  à  d'autres  usages ,  dans  les  dernières  années  de 
la  guerre  ,  et  dont  le  port  variait  de  200,000  à  5oo,ooo 
tonneaux,  ont  été  ,  depuis  la  paix ,  remis  à  la  disposition 
du  commerce. 

La  valeur  du  numéraire  est  tellement  mobile  ,  que  le 
meilleur  moyen  de  s'assurer  d'une  manière  positive  des 
progrès  de  la  richesse  d'une  nation  ,  pendant  une  période 
d'une  aussi  longue  durée  que  celle  de  soixante  ans  ,  c'est 
de  constater  raccroissement  de  ses  produits  ,  sans  essayer 
d'en  faire  l'estimation,  et  telle  est  la  marche  que  nous  avons 
suivie  dans  ces  recherches.  Cependant  pour  un  tems  plus 
court,  le  montant  des  recettes  que  le  Trésor  se  procure  par 
les  taxes ,  peut  être  aussi  un  moyen  convenable  de  recon- 
naître les  pas  en  avant  ou  les  pas  rétrogrades  qu'a  faits  un 
peuple.  L'emploi  de  ce  moyen  nous  conduirait  à  des  résul- 
tats dont  nous  aurions  lieu  également  de  nous  féliciter. 
Voyons,  par  exemple ,  quel  a  été  le  produit  de  la  taxe  sur 
les  legs  et  sur  l'enregistrement  des  testameus  en  1810» 
i8i5,  1819  et  1825  : 

Produit  Je  la  taxe  Produit  de  la  taxe  sur 

sur  les  legs.  l'enregislrement  des  testamens. 

1810 530,983  liv.  st l^1!^■,o■i.Ç,  liv.  st. 

i8i5 655,807 5o6,854 

1819 855,633 68a,a2i 

1833 990,787 7o6,8o5 


en  Angleterre.  49 

Dans  Texamen  que  nous  venons  de  faire  de  la  situation 
du  pays,  nous  avons  tâché  d'éviter  tous  les  points  suscep- 
tibles de  controverse.  Nous  désirions  prouver  pricipale- 
ment  que  la  masse  des  produits  s'était  beaucoup  accrue  ; 
qu'une  portion  de  ces  produits ,  au  lieu  d'être  consommée 
immédiatement,  avait  été  ajoutée  aux  accumulations  pré- 
cédentes \  et  qu'il  en  résultait  que  la  nation  était ,  à  tous 
égards ,  beaucoup  plus  riche  qu'aux  époques  antérieures. 
Nous  n'avons  pas  voulu  essayer  de  déterminer  le  montant 
total  du  capital  et  du  revenu  des  habitans  de  la  Grande- 
Bretagne  ,  à  la  fin  de  la  guerre  de  Sept-Ans  ,  après  celle  de 
l'indépendance  des  Etats-Unis  ,  à  la  paix  d'Amiens,  et,  en- 
fin, à  l'époque  actuelle,  dans  la  crainte  d'être  taxés  de  cré- 
dulité ou  d'exagération.  Que  l'ensemble  de  nos  ressources 
ait  triplé,  quadruplé  ou  quintuplé,  depuis  la  paix  de  1762, 
c'est  un  point  sur  lequel  on  peut  avoir  des  opinions  diffé- 
rentes 5  mais,  ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  qu'elles  se 
sont  beaucoup  accrues ,  et  qu'aujourd'hui  nous  sommes 
incontestablement  le  peuple  le  plus  riche  de  l'univers. 
(1)  Nous  aurions  pu  éviter  de  parler  de  la  dette  pubii- 

(1)  Note  du  Tr.  En  lisant  ce  qui  va  suivre  ,  le  lecteur  ne  doit  pas 
perdre  de  vue  que  le  Quarterly  Review  est  un  des  apologistes  en  titre 
des  ministres  de  la  Grande-Bretagne,  et  que,  pour  remplir  son  man- 
dat, il  est  obligé  de  défendre  les  emprunts  qui  ont  e'té  coniracte's  par 
des  administrations  dont  la  plupart  des  membres  du  ministère  actuel 
faisaient  partie.  Si  les  publlclstes  cite's  ci-après  ont  exage'ré  les  consé- 
quences funestes  que  la  dette  nationale  de  l'Angleterre  devait  avoir, 
c'est  qu'ils  n'avaient  pas  prévu  les  prodiges  qui  résulteraient  des  diffé- 
rentes applications  des  sciences  aux  arts  industriels.  Sans  ces  prodiges 
il  est  \raisemblable  que  leurs  propkéties  se  seraient  vérifiées  à  la  lettre. 
Il  est  évident  que  l'auteur  de  cet  article ,  d'ailleurs  si  remarquable  , 
cherche  à  affaiblir  l'impression  qu'avait  produite,  en  Angleterre  ,  un 
autre  article  publié  dans  la  Revue  d'Edinbonrf^  ^  contre  le  système 
des  dettes  fondées  ,  et  dont  nous  avons  donné  la  traduction  dans  la 
deuxième  livraison  du   i^r  volume.  S.  F. 


5o  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

que.  sujet  continuel  de  plaintes  et  d'alarmes  :  ou  du  moios 
nous  contenter  d'exposer  qu'à  l'exception  de  600,000  liv. 
sterl.  (  1 5,000,000  fr.  )  qui  sont  l'intérêt  d'une  somme  de 
16,000,000  sterl.  (  4-00,<joo,ooo  fr.  )  dus  aux  étrangers,  la 
totalité  des  dividendes  est  payée  par  une  portion  de  la 
nation  à  une  autre  portion.  Si,  d'un  côté,  un  certain  nom- 
bre d'individus  se  trouve  plus  pauvre ,  à  cause  de  ces  paie- 
mens,  de  l'autre,  un  nombre  égal  se  trouve  plus  riche. 

Le  seul  motif  que  nous  ayons  de  ne  pas  traiter  à  fond  cet 
important  sujet ,  ce  sont  les  limites  dans  lesquelles  nous 
sommes  obligés  de  nous  renfermer.  Peut-être  un  jour  nous 
examinerons  ,  d'une  manière  plus  spéciale  que  nous  ne  l'a- 
vons encore  fait ,  le  svstème  des  dettes  fo/idées  :  nous  appré- 
cierons les  maux  qui  résultent  des  prodigalités  qu'il  encou- 
rage et  des  taxes  exagérées  qui  les  suivent;  et  nous  compare- 
rons ces  inconvéulens  avec  les  bienfaits  qui  découlent  de  la 
manière  dont  il  stimide  plusieurs  branches  d'industrie;  des 
encoui'ageme::s  qu'il  donne  à  l'économie,  en  lui  permettant 
de  retirer  nne  rente  des  plus  petites  sommes  ;  du  grand 
nombre  d'individus  qu'il  intéresse  au  maintien  de  la  tran- 
quillité publique  ;  de  sa  tendance  à  créer  une  classe  inter- 
médiaire dans  la  sociétJ  ;  et,  enfin,  de  l'obligation  qu'il 
impose  aux  go uvernemens  de  remplir,  avec  une  fidélité 
scrupuleuse  ,  tous  leurs  eugagemens  pécuniaires. 

II  est  évident,  d'après  l'exposé  que  nous  avons  fait ,  que 
l'augmentation  de  la  dette  nationale  n'a  aucune  tendance  à 
diminuer  la  production;  car,  nous  avons  vu  que  nos  pro- 
duits n'avaient  pas  cessé  de  s'accroître,  dans  le  moment 
même  où  la  dette  nationale  prenait  le  plus  d'extension. 

Mais  ,  si  nous  ne  reconnaissons  pas  que  la  detle  nationale 
soit  un  mal  sans  mélange,  nous  conviendrons  cependant 
que  la  grande  extension  qu'elle  a  prise,  la  rend  aujourd'hui 
plus  nuisible  qu'utile.  Aussi  avons-nous  applaudi  aux  sages 


en  Angleterre.  5i 

mesures  provoquées  par  le  chancelier  de  FEchiquier,  et 
nous  nous  félicitons  de  ce  que  raugmentation  de  la  popu- 
lation et  de  la  richesse  publique  tend,  tous  les  jours,  à  eu 
alléger  le  poids. 

Il  existe-  une  certaine  classe  d'écrivains  politiques  qui 
met  sa  satisfaction  à  effrayer  le  public,  en  l'entretenant 
perpétuellement  des  conséquences  funestes  que  doivent 
avoir  notre  dette  et  les  taxes  dont  elle  a  rendu  l'imposition 
nécessaire.  Non-seulement  pendant  la  durée  d'une  longue 
guerre,  mais  même  depuis  la  conclusion  de  la  paix,  ils 
n'ont  pas  cessé  de  gémir  sur  la  triste  situation  du  pays  et 
d'affirmer  que  sa  guérison  serait  impossible  ,  si  on  ne  con- 
sentait pas  à  faire  usage  de  leurs  remèdes.  Malheureusement 
ces  remèdes  inspiraient  une  si  forte  répugnance  qu'il  n'y 
avait  pas  moyen  de  les  adminislrer.  Mais  en  dépit  de  ces 
habiles  docteurs  et  de  l'obstination  du  malade,  il  a  survécu, 
et  il  se  trouve  même  dans  un  état  de  convalescence  qui 
est,  à  tout  prendre  ,  assez  satisfaisant.  Au  surplus  ,  cette 
lugubre  race  de  prophètes  n'est  pas  nouvelle  ;  elle  existait 
déjà  à  l'époque  de  la  révolution  de  1688,  et  elle  témoignait 
dès-lors  le  même  empressement  à  administrer  ses  remèdes, 
qu'on  refusait  avec  non  moins  d'entêtement. 

En  1699,  Davenant  prédisait  que  «  notre  or  et  notre 
argent  disparaîtraient  par  degrés  5  que  les  rentes  baisse- 
raient ;  que  le  prix  de  la  terre  et  celui  de  la  laine  diminue- 
raient i  que  les  maisons  de  ferme  et  les  fabriques  tombe- 
raient en  ruines,  et  qu'en  un  mot,  avant  qu'il  fût  peu, 
nous  aurions  tous  les  signes  d'une  nation  en  décadence.  » 

Un  recueil  périodique,  le  Crciftsman^  disait,  eu  1706  : 
..«  La  dette  énorme  (  notez  qu'elle  n'était  pas  alors  de  cin- 
quante millions  et  que  les  5  p.  "/^  étaient  à  io5  )  qui  pèse 
sur  la  nation  doit  être  considérée  comme  l'origine  de  tous 
nos  maux  actuels  et  des  dangers  qui  nous  menacent  dans 


5  a  Des  progrès  de  la  richeise  nationale 

Tavenir.  C'est  à  cause  de  cette  dette  que  Ton  a  imposé  ces 
tax.es  oppressives  qui,  dans  l'espace  d'un  petit  nombre  d'an- 
nées, ont  doublé  le  prix,  de  toutes  les  choses  nécessaires  à 
la  vie,  réduit  au  désespoir  l'artisan  et  le  pauvre  laboureur, 
"mis  le  fermier  dans  l'impuissance  d'acquitter  le  prix  de  son 
bail ,  et  qui  s'opposent  à  ce  que  le  riche  propriétaire  lui- 
même  pourvoie  convenablement  au  sort  de  sa  famille.  >» 

Bolingbroke  déclara,  en  17497  que  le  produit  des  aides, 
qui  avait  été  de  cinquante- cinq  millions  pendant  les  neuf 
années  précédentes,  paraîtrait  incroyable  aux  générations 
futures,  et  Dodington  renonça  à  un  emploi  lucratif,  à  ce 
qu'il  assure ,  par  pur  désintéressement,  «  à  cause  de  la  triste 
situation  oii  se  trouvait  le  pays,  situation  pour  laquelle 
il  ne  connaissait  aucun  i-eniède.  »  Hanvay  prétendait,  en 
1756,  qu'il  était  généralement  reçu  parmi  les  arithméticiens 
politiques ,  que  «  nous  pouvions  porter  notre  dette  jusqu'à 
cent  millions  j  mais  que  si  on  la  portait  plus  haut ,  nous 
ferions  nécessairement  banqueroute.  »  Hume,  Blackstone 
et  lord  Raimes,  ont  tenu  à  peu  près  le  même  langage. 
Adam  Smith  lui-même  engageait  le  public  à  ne  pas  croire 
trop  légèrement  que  nous  pourrions  supporter,  sans  les 
plus  grands  inconvéniens,  un  fardeau  plus  considérable  que 
celui  de  la  dette  qui  existait  en  1777  :  elle  était  alors  d'en- 
viron cent  cinquante  millions. 

Maintenant  nous  savons,  par  expérience,  le  peu  de  fon- 
dement de  ces  prédictions ,  et  cette  expérience  doit  nous 
rassurer  sur  nos  destinées  futures. 

Nous  croyons  avoir  présenté  à  nos  lecteurs  un  tableau 
fidèle  des  accroissemens  de  la  richesse  publique  dans  ses 
diverses  branches  ;  il  nous  reste  actuellement  à  faire  con- 
naître la  manière  dont  les  énormes  capitaux  accumulés  se 
sont  distribués  dans  les  différentes  classes  de  la  société,  et 
cette  lâche  est  encore  plus  difficile  et  plus  délicate  que  la 


en  Angleterre.  55 

première.  Le  meilleur  moyen  de  nous  guider  dans  cette 
recherche  ,  c'est  de  nous  rappeler  ,  autant  que  possible,  la 
proportion  dans  laquelle  les  consommations  de  toutes  les 
classes  de  la  société  ,  depuis  les  plus  hautes  jusqu'aux,  plus 
élevées,  se  sont  successivement  accrues.  Nous  pouvons 
aussi  tirer  parti  d'un  état  mis  sous  les  yeux,  du  Parlement, 
dans  lequel  les  rentiers  sont  classés  suivant  le  montant  des 
dividendes  auxquels  ils  ont  droit.  C'est  dans  les  fonds 
publics  que  l'on  place,  en  général,  les  épargnes  que  l'on 
fait  sur  ses  dépenses  courantes.  Nous  disons  sur  les  dépen- 
ses courantes,  car  il  est  tvident  que  si  la  totalité  des  éco- 
nomies faites  par  la  nation  eût  été  absorbée  par  la  dette , 
nous  n'aurions  pas  autant  augmenté  le  nombre  de  nos  mai- 
sons ,  de  nos  fabriques ,  de  nos  magasins ,  de  nos  fermes , 
de  nos  bestiaux ,  etc.  ;  et  l'on  n'aurait  pas  pu  entreprendre 
ces  grandes  routes ,  ces  ponts ,  ces  canaux,  et  tous  ces  ou- 
vrages admirables ,  dont  l'exécution  a  exigé  de  si  grands 
capitaux.  Voici  la  copie  de  l'état  communiqué  au  Parle- 
ment : 


54 


Des  progrès  de  Ui  richesse  nation  de 


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en  Angleterre .  55 

IJ  résulte  d'un  autre  état,  également  communiqué  au  Par- 
lement, que  des  huit  cents  millions  sterlings  (vingt  milliards 
de  francs)  ,  qui  composent  le  capital  actuel  de  la  dette, 
1-5  raillions  seulement  peuvent  être  considérés  comme 
flottans  :  le  reste  est  en  tutelle  à  la  chancellerie  et  à  rÉchi- 
quier ,  ou  appartient  à  des  institutions  de  charité  ,  des  cor- 
porations et  à  des  particuliers  qui  se  contentent  de  toucher 
Tintérét  de  leur  rente,  sans  jamais  spéculer  sur  le  capital. 
Dans  quel  tems  cette  somme  énorme  a-t-elle  été  épargnée, 
dans  quelle  proportion  se  trouve-î-elle  avec  la  masse  totale 
des  économies  ,  et  quel  est  le  montant  des  nouvelles  épar- 
gnes qui  se  font  annuellement  sur  ses  intérêts  ,  pour  être 
ajoutées  au  capital  de  la  nation?  C'est  ce  qu'il  serait  difficde 
de  déterminer  d'une  manière  précise.  Au  reste,  il  importe 
beaucoup  moins  d'être  fixé  à  cet  égard  ,  que  de  connaître 
la  manière  dont  la  propriété  des  fonds  puhlics  se  trouve 
répartie.  Cette  répartition  a  eu  pour  résultat  d'enrichir  la 
classe  intermédiaire  ,  l'un  des  plus  beaux  ornemens  de  la 
nation,  et  sa  meilleure  garantie  contre  les  usurpations  du 
pouvoir  ar])itraire  d'une  part ,  et  de  l'autre,  contre  la  ty- 
rannie ,  plus  dangereuse  encore  et  plus  ignoble,  d'une  popu- 
lace ignorante. 

L'état  ci-dessus  fait  voir  que  le  nombre  des  rentiers  est 
de  288,475,  dont  277,594  reçoivent  une  rente  annuelle  au- 
dessous  de  4oo  liv.  st.  ,  et  qu'il  n'y  en  a  que  10.879  qui 
touchent  une  somme  supérieure.  140.000  ont  une  rente 
au-dessous  de  20  liv. ,  et  près  de  i5o,ooo  en  ont  une  de  20 
à  200  liv.  La  classe  qui  reçoit  de  200  à  600  liv. ,  quoique 
beaucoup  moins  nombreuse  ,  comme  on  devait  s'y  attendre, 
est  encore  de  plus  de  20,000  personnes. 

Nous  n'avons  pas  de  motifs  pour  supposer  que  les  autres 
portions  du  capital  accumulé  soient  distribuées  d'une  ma- 
nière trcs-diûérenle ,  et  les  tajces  réparties  (  asscssed  taxcs% 
nous  fournissent  une  nouvelle  preuve  que  non-seulement 


55  Des  progrès  de  lu  richesse  nationale 

la  classe  intermédiaire  s'est  beaucoup  augmentée  ,  mais 
qu'elle  s'est  augmentée  dans  une  proportion  bien  plus  forte 
que  la  baute  et  la  basse  classe.  Le  nombre  des  personnes 
qui  entretiennent  un  cheval  de  luxe  ,  est  de  148,786;  il  y 
en  a  9.3,493  qui  en  ont  deux  ;  15,704  qui  en  ont  de  trois  à 
huit,  et  1,168  qui  en  ont  au-delà  de  huit.  La  même  pro- 
portion peut  être  observée  dans  la  manière  dont  les  domes- 
tiques maies  se  trouvent  répartis;  il  y  a  4o,2i8  personnes 
qui  en  ont  un  ;  6,761  qui  en  ont  deux  ;  45^52  qui  en  ont  de 
trois  à  cinq  ;  1,596  qui  en  ont  de  cinq  à  huit,  et  seulement 
618  qui  en  ont  un  plus  grand  nombre.  La  taxe  sur  les  fenê- 
tres fournit  encore  une  autre  preuve  de  ce  que  nous  avons 
avancé;  il  y  a  755, 1 10  maisons  qui  ont  moins  de  dix  fenê- 
tres )  178,354  qui  en  ont  de  dix  à  vingt  ;  56,485  qui  en  ont 
de  vingt  à  trente;  10,673  qui  en  ont  de  trente  à  quarante; 
6,326  qui  en  ont  de  quarante  à  soixante  ;  2,649  *ï^^  '^^  *'"'• 
de  soixante  à  cent,  et  940  qui  eu  ont  au-delà  de  cent.  Le 
nombre  des  voitures  à  deux  roues  s'est  élevé ,  pendant  le 
tems  qui  s'est  écoulé  entre  i8o4  ^t  iSaS,  de  i3,23o  à 
a6,799,  ou  de  cent  pour  cent,  et  celui  des  voitures  à 
quatre  roues  de  20,157  ^  4^?656  j  01*  ^^  cent  viugt-cinq 
pour  cent.  Ainsi  la  dépense  comme  le  revenu  de  la  nation 
prouvent  également  que  la  porLion  la  plus  considérable  de 
la  richesse  accumulée  a  été  acquise  par  la  classe  moyenne, 
qu'elle  tend  sans  cesse  à  augmenter ,  en  faisant  sortir  des 
rangs  inférieurs  un  grand  nombre  d'individus ,  dont  plu- 
sieurs s'élèvent  ensuite  graduellement  jusqu'aux  rangs  les 
plus  élevés. 

Aucun  lecteur  de  bonne  foi  ne  supposera,  sans  doute,  que 
notre  intention  soit  de  faire  valoir  la  classe  intermédiaire 
aux  dépens  des  deux  autres.  Toutes  sont  utiles  et  même 
indispensables  dans  leurs  situations  respectives.  Mais  nous 
ne  pouvons  pas  nous  empêcher  de  sentir  quelque  prédilec- 
tion pour  celle  qui,  s'élevant  régulièrement  de  rang  en  rang, 


en  Angleterre.  57 

comble  le  grand  intervalle  qui  sépare  les  deux  extrêmes. 
C'est  celte  classe  qui  est  principalement  en  possession  de 
ces  vertus  morales  et  religieuses ,  àe  ces  connaissances 
utiles ,  de  ce  caractère  indépendant ,  de  ce  patriotisme , 
qui,  avec  la  .protection  du  ciel,  ont  fait  jouir  la  Grande- 
Bretagne  d'un  degré  de  prospérité  inconnu  au  reste  du 
monde. 

Les  classes  supérieures  sont  surtout  destinées  à  stimuler 
la  production  et  par  conséquent  le  développement  de  la 
richesse  générale.  Nous  entendons  souvent  parler  de  prix 
énormes  payés  pour  des  fruits  précoces  que  l'on  sert  tians 
de  brillantes  réunions.  On  taxe  ces  dépenses  de  profusions  , 
et  l'on  regrette  que  cet  argent  n'ait  pas  été  employé  au 
soulagement  de  quelque  famille  nécessiteuse.  C  est  bien 
moins  la  sensualité  que  la  vanité  qui  fait  faire  ces  dépenses; 
mais  quelque  folles  qu'elles  paraissent ,  on  peut  mettre 
en  doute  si  elles  ne  contribuent  pas  plus  efficacement  au 
bien-être  ,  même  des  dernières  classes ,  que  des  aumônes 
distribuées  aux  indigens.  Au  fond,  il  est  assez  rare  que 
l'on  paie  des  prix  aussi  élevés ,  et  pour  dix  jardiniers  qui 
parviennent  à  les  obtenir  ,  il  y  en  a  cent  et  peut-être  mille 
qui  n'y  réussissent  pas.  Le  premier  en  date  gagne  le  plus 
haut  prix  ;  celui  qui  vient  après  vend  à  un  prix  inférieur  j 
les  suivans  vendent  plus  bas  encore,  jusqu'à  ce  qu'enfin  au 
bout  de  quelques  jours  ,  ou  du  moins  de  quelques  semaines, 
les  productions  que  l'espérance  d'une  rémunération  si  consi- 
dérable avait  attirées  sur  le  marché  ,  deviennent  tellement 
abondantes  qu'elles  sont  à  portée  de  milliers  d'individus 
qui  n'auraient  jamais  pu  en  consommer ,  si  auparavant 
elles  ne  se  fussent  pas  vendues  beaucoup  plus  cher. 

Occupons  nous  maintenant  d'une  autredépense  de  luxe.  Il 
paraît  qu'en  1 765,  il  y  avait  1 2,904  voitures  à  quatre  roues  5 
il  y  en  a  maintenant  26,799  ,  indépendamment  de  45,856 
voitures  à  deux  roues ,  dont  le  nombre  était  si  peu  consi- 


58  Des  progrès  de  lu  richesse  nationale 

dérable  ,  à  la  première  de  ces  époques ,  qu'il  ne  vaut  pas  la 
peine  d'être  indiqué.  A  la  même  époque,  il  y  avait  à  Londres 
56  carrossiers  qui  employaient  environ  4>ooo  ouvriers  j  il 
y  en  a  aujourd'hui  i55  qui  occupent  1 4,000  individus. 
Mais  comme  les  ouvriers  carrossiers  ne  se  multiplient  pas 
plus  vite  que  le  reste  de  la  société ,  cette  augmentation 
dans  leur  nombre  a  dti  être  tirée  ,  eu  partie  ,  des  autres 
classes.  Ce  ne  sont  point  les  rangs  supérieurs  qui  les  ont 
fournis,  mais  les  rangs  inférieurs;  l'on  sourira  peut-être 
de  l'emploi  que  nous  faisons  ici  des  mots  inférieur  et  supé- 
rieur ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  existe  des  degrés 
dans  toutes  les  classes.  La  même  chose  pourrait  être  ob- 
servée dans  les  autres  branches  d'industrie,  dont  les  pro- 
duits sont  destinés  aux  jouissances  des  riches. 

Si  jamais  on  mettait  à  exécution  le  projet  insensé  de  ré- 
partir la  fortune  des  riches  entre  les  autres  membres  de  la 
société  ,  l'avoir  de  ceux-ci  n'éprouverait ,  par  cette  spolia- 
tion, qu'un  accroissement  bien  peu  considérable  ,  et  tout-à- 
fait  insuffisant  pour  compenser  l'absence  du  stimulant  que 
le  luxe  des  hautes  classes  donne  à  leur  industrie. 

Les  moyens  physiques  de  jouissance  ne  sont  pas  plus 
développés  chez  les  riches  que  chez  les  autres;  il  ne  sont 
pas  à  l'abri  du  chagrin ,  et  ils  sont  même  plus  exposés  à 
cet  accablement  mental  qui  résulte  de  la  satiété  et  d'une 
existence  oisive.  Dans  l'administration  de  leur  fortune,  ils 
ne  sont,  bon  gi'é  ma!  gré  ,  que  les  trésoriers  du  public.  SI 
leurs  capitaux  sont  placés  en  terres  ,  comme  ils  ne  peuvent 
en  occuper  personnel'ement  qu'une  petite  partie,  il  faut 
qullslouent  le  reste  à  d'autres  qui  ies  cultivent  pour  leur  pro- 
pre compte.  Si  au  contraire  ces  capitaux  sont  en  argent , 
ce  sont  des  banquiers,  des  négocians ,  des  fabricans .  etc., 
qui  les  font  travailler  ,  et  le  profit  qu'ils  en  retirent  est  au 
moins  égal  à  l'intérêt  qu'ils  paient  aux  prêteurs.  D'un  au- 
tre côté ,    les  avantages    moraux   qui  résultent   pour  les 


en  Angleterre .  5^ 

classes  supérieures  de  ravancement  progressif  de  la  classe 
moyeuue,  sont  une  compensation  suffisante  des  services 
qu'ils  lui  rendent,  en  lui  confiant  l'administration  de  leur 
fortune.  liCs  anciens  barons  vivant  dans  leurs  châteaux, 
au  centre  de  leurs  domaines ,  entourés  de  leurs  tenanciers 
ou  plutôt  de  leurs  esclaves ,  n'étaient  soumis  à  d'autre  in- 
fluence qu'à  celle  de  la  force.  lis  ne  tenaient  aucun  compte 
de  l'opinion  que  Ton  entretenait  de  leur  caractère;  ils  bra- 
vaient les  menaces  de  leurs  voisins  et  comprimaient  les 
murmures  de  leurs  vassaux.  Le  frein  salutaire  de  ro[.inion 
publique  n'existait  pas  alors.  Cette  puissance  nouvelle  ne 
date  que  de  l'époque  où  une  classe  intermédiaire  s'est  formée, 
et  l'influence  qu'elle  exerce  s'augmente  à  mesure  que  cette 
classe  acquiert  plus  d'importance.  Personne  n'est  aujour- 
d'hui tellement  élevé  au-dessus  des  autres,  qu'il  ne  se  trouve 
souvent  en  collision  avec  ses  égaux.  Les  gradations  pres- 
qu'imierceptlbles  qui  réunissent  les  différentes  classes  de 
la  société,  la  diffusion  générale  des  lumières,  les  contacts 
multipliés,  le  désir  d'acquérir  de  l'influence  politique,  tout 
contribue  à  ce  que  les  supérieurs  recherclient  et  se  ména- 
gent la  bonne  opinion  de  leurs  inférieurs. 

L'amélioration  du  sort  des  classes  moyennes  est  évidente, 
et  il  est  impossible  d'aller  dans  les  campagnes,  d'entrer  dans 
les  boutiques,  de  visiter  les  ateliers  et  les  magasins,  sans 
être  frappé  des  étonnans  changemens  qu'un  petit  nombre 
d'années  aproduits.  Nous  voyons  les  champs  mieux  cultivés; 
les  granges  plus  remplies  ;  les  chevaux  et  le  bétail  en  meil- 
leur état  et  en  plus  grand  nombre;  et  tous  les  instrumens 
d'agriculture  améliorés.  Dans  les  villages  ,  dans  les  bourgs 
et  dans  les  villes  ,  les  boutiques  sont  plus  nombreuses  et 
ont  plus  d'apparence;  les  difféi'entes  marchandises  sont 
plus  séparées  les  unes  des  autres  j  ce  qui  est  une  preuve 
incontestable  de  l'augmentation  des  ventes.  Ces  marchan- 
dises ,  dont  la  quantité  est  innombrable ,  sont  diversifiées 


6o  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

(le  manière  à  pouvoir  satisfaire  tous  les  besoins,  tous  les 
goiits,  et  méine  tous  les  caprices,  et  à  se  trouver  propor- 
tionnées aux  moyens  pécuniaires  de  toutes  les  classes  d'a- 
cheteurs. Il  est  facile  également  de  se  convaincre  de  la 
prospérité  générale  et  de  reconnaître  les  moyens  par  les- 
quels elle  a  été  obtenue,  lorsque  Ton  visite  les  manufactures 
et  qu'on  y  suit  les  nombreuses  séries  de  préparations  que 
l'on  fait  successivement  subir  à  tous  les  produits  qui  y 
sont  entasses.  Si  nous  portons  nos  regards  un  peu  plus 
haut,  et  que  nous  examinions  les  comptes  des  banquiers 
de  la  capitale  et  des  provinces ,  nous  nous  convaincrons 
aussi  qu'il  y  a  un  accroissement  prodigieux  dans  le  mon- 
tant des  fonds  déposés  dans  leurs  caisses,  et  avec  lesquels 
on  peut  opérer  sur  les  différentes  espèces  de  marchandises , 
en  profitant  des  occasions  favorables  ,  ou  qui  attendent  de 
bonnes  garanties  pour  être  placés  à  intérêt.  L'abondance 
des  capitaux  n'est  pas  moins  démontrée  par  le  haut  prix 
des  fonds  publics ,  l'avidité  avec  laquelle  on  accueille  les 
nouveaux  projets,  et  cette  plainte  générale,  qui  est  pres- 
que la  seule  que  l'on  fasse  aujourd'hui ,  qu'il  est  impossible 
de  tirer  parti  de  son  argent.  La  conséquence  naturelle  de 
l'accroissement  de  la  richesse  publique  a  été  la  diffusion 
d'une  multitude  de  jouissances ,  que  l'on  considérait  jadis 
comme  des  jouissances  de  luxe,  et  qui  sont  devenues  si 
communes  que  nous  ne  les  caractérisons  plus,  aujourd'hui, 
que  par  l'épithète  adoucie  et  exclusivement  anglaise  de 
confortable.  C'est  ce  dont  on  peut  se  convaincre  facilement 
en  voyant  l'élégance  des  décors  intérieurs  de  nos  maisons 
et  toutes  les  aisances  qui  y  sont  réunies. 

Les  négocians  de  Londres  vivaient,  il  y  a  quarante  ou 
cinquante  ans  ,  dans  d'obscures  allées  ,  où  leurs  comptoirs 
sont  encore  maintenant.  A.  deux  heures  ils  dînaient  à  la 
hâte  avec  leurs  commis,  et  ils  allaient  ensuite  se  remettre  à 
leur  pupitre,  pour  faire  leur  correspondance,  qui  lesoccu- 


en  Angleterre.  6l 

pait  souvent  jusqu'à  minuit.  Les  détaillans  coucliaient  der- 
rière leurs  boutiques  ;  leur  meilleure  chambre  était  louée 
à  des  logeurs  '•,  il  n'y  avait  guère  que  quelques-uns  des 
plus  riches  d'entre  eux  qui  fussent  chercher  une  retraite 
contre  le  tumulte  et  les  soucis  de  la  cité ,  dans  les  villages 
voisins  d'Isliugton ,  d'Hackney  et  de  Camberwell.  Mais  ce 
qui  est  bien  remarquable,  c'est  qu'aujourd'hui  que  le  luxe 
de  toutes  les  classes  de  marchands  a  tant  augmenté  à  Lon- 
dres, que  leur  nombre  est  triplé,  et  qu'ils  font  dix  fois  plus 
d'affaires  qu'ils  n'en  faisaient  auparavant ,  les  banqueroutes 
ont  éprouvé  proportionnellement  une  diminution  considé- 
rable. Voici  quelle  en  a  été  la  quantité  moyenne,  à  quatre 
époques  différentes. 

Quantité  moyenne  en  1791,  1792,  1793 816 

/i^.  en  i8oi  ,   i8o2,  i8o3 ,,..    1,168 

Id.  en   181 1,  1812,  i8i3 2,228 

Id.  en   1821  ,  1822  ,  1823 i)i34 

En  même  tems  que  la  richesse  de  la  population  des  villes 
s'augmentait,  une  amélioration  très-sensible  se  faisait  re- 
marquer, à  plusieurs  égards,  dans  ses  mœurs  et  dans  ses 
habitudes.  On  s'enivre  beaucoup  plus  rarement  le  matin, 
et  les  tavernes  ont  diminué  plus  rapidement  encore  que  le 
nombre  des  habitans  ne  s'est  accru.  Les  plaisirs  des  Anglais 
sont  maintenant  plus  raisonnables  et  plus  sains  que  ceux  que 
leurs  prédécesseurs  de  la  génération  dernière  allaient  cher- 
cher dans  les  clubs,  dans  les  estaminets,  et  auxquels  ils 
consacraient  une  si  grande  partie  de  leur  tems  et  de  leurs 
économies. 

Les  campagnes  ne  présentent  pas  un  aspect  moins  satis- 
faisant. Tandis  que  les  fermiers  substituaient  le  travail  de  la 
tête  à  celui  des  mains,  ils  changeaient  aussi  la  veste  ronde 
du  laboureur  contre  des  vêtemens  plus  appropriés  à  leur 
nouvelle  situation.  Les  femmes,  qui  contribuent  si  puis- 
samment à  lamélioration  des  habitudes  sociales ,  sont  au- 
II.  5 


6a  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

jourd'liui,  dans  celte  classe,  beaucoup  mieux  élevées,  et 
elles  ont  assez  d'agrémeus  pour  déterminer  leurs  maris  et 
leurs  frères  à  revenir  plus  sobres  et  plus  promplement  des 
foires  et  des  marchés.  L'auberge  du  village  a  cessé  d'être 
plus  propre  et  plus  commode  que  l'habitation  du  fermier. 
Il  n'en  était  pas  de  même  jadis  •.  nous  nous  rappelons  qu'il 
n'y  a  pas  encore  quarante-cinq  ans  qu'on  vit,  pour  la  pi-e- 
mièro  fois  ,  un  tapis  de  pied  et  un  parapluie  ,  dans  une  petite 
ville  située,  tout  au  plus,  à  cent  milles  de  Londres.  Eu  allant 
visiter  cette  même  ville,  l'été  précédent ,  nous  pûmes  nous 
convaincre  que  la  plupart  des  maisons ,  même  celles  des 
petits  marchands ,  étaient  pourvues  maintenant  du  premier 
de  ces  meubles,  et  que  presque  tous  les  habitans  possédaient 
le  second.  Le  sol  des  meilleures  maisons  de  la  campagne 
était  alors  pavé  avec  de  la  pierre  ou  avec  de  la  brique ,  et  le 
meuble  le  plus  uécessai're  était  un  grand  banc  avec  un  dos 
élevé  ,  pour  protéger  la  famille  contre  le  vent  qui  pénétrait 
de  toutes  parts  à  travers  les  trous  et  les  crevasses  des  murs. 
Les  maîtres  buvaient  dans  des  gobelets  de  corne  et  man- 
geaient dans  des  assiettes  d'étain ,  et  les  serviteurs  dans  des 
assiettes   de  bois.    Vous   trouverez  aujourd'hui ,   dans  les 
mêmes  maisons,  des  tapis,  de  la  porcelaine  et  des  glaces. 
Cette  classe  respectable  de  la  société ,  qui  afferme  une 
partie  de  ses  terres,  et  qui  cultive  l'autre  ,  celle  des  gen- 
tilshommes de  campagnes,  n'a  pas  moins  amélioré  son  genre 
de  vie.  Les  effets  des  progrès  du  commerce  et  des  fabri- 
ques ,  sur  la  propriété  foncière ,  ont  plus  que  doub'é  leur 
revenu  dans  les  quarante  dernières  années.  Le  champ  plus 
étendu  que  présentent  aujourd'hui  les  professions  libérales , 
les  mettent  à  même  de  placer  plus  aisément  leurs  fils,  aux- 
quels ils  font  donner  une  bonne  éducation ,  et  les  condi- 
tions favorables  auxquelles  ils  se  procurent  de  l'argent ,  en 
hypothéquant  leurs  terres  ,  leur  permettent  d'établir  plus 
convenablement  leurs  filles. 


en  Angleterre.  63 

Parmi  les  fabricans ,  il  y  en  a  plusieurs  qui  possèdent 
des  fortunes  de  prince,  honorablement  acquises.  D'autres, 
en  plus  grand  nombre,  quoique  dans  une  situation  infé- 
rieure, augmentent  incessamment  leurs  capitaux,  et  pro- 
curent du  .travail  et  des  moyens  d'existence  à  des  milliers 
d'individus.  Nous  avons  fait  connaître  plus  haut  les  pro- 
grès de  la  civilisation  de  Birmingham,  de  Manchester,  de 
Leeds  et  de  quelques  autres  villes  où  sont  établies  les  plus 
importantes  de  nos  manufactures.  Il  v  a  quarante  ans  oue 
nous  étions  parfaitement  informés  des  fortunes  qui  s'y 
trouvaient  et  du  genre  de  vie  de  leurs  diverses  classes  d  ha- 
bitans.  Il  nous  serait  impossible  de  peindre  la  surprise  que 
nous  avons  éprouvée ,  pendant  le  cours  d'un  voyage  tout 
récent  que  nous  y  avons  fait ,  après  une  longue  absence,  en 
voyant  les  ctonnans  changemens  qui  s'y  sont  opérés.  Nous 
ne  parlons  pas  des  nombreux  individus  dont  les  pères  et 
les  gi'and-pères  étaient  à  peine  sortis  ,  à  notre  connaissance 
personnelle,  de  la  classe  des  prolétaires,  et  qui  possèdent 
actuellement  des  établissemens  magnifiques  ,  car  les  exem- 
ples particuliers  ne  prouvent  rien  ;  mais  il  serait  difficile 
de  ne  pas  être  frappé  de  l'énorme  accroissement  àes  bâ- 
timens ,  de  l'amélioration  générale  de  leur  construction  , 
et  de  la  somme  d'aisances  dont  jouissent  ceux  qui  y  logent. 
Le  travail  doit  précéder  la  jouissance ,  et,  avant  que  les 
fruits  de  la  terre  soient  cueillis ,  ils  faut  qu'ils  soient  trem- 
pés de  la  sueur  de  ceux  qu'ils  sont  destinés  à  faire  vivre. 
Dans  les  sociétés  les  plus  policées ,  comme  dans  celles  qui 
ont  fait  le  moins  de  progrès,  il  doit  nécessairement  y  avoir 
des  individus  occupés  à  porter  l'eau ,  à  fendre  le  bois  ,  en 
un  mot  à  toutes  ces  professions  qui  exigent  plus  de  vigueur 
que  de  talent  et  d'habileté.  Cependant ,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  le  taicnl  et  Thabi'eté  tendent  constamment  à  faire 
sortir  des  dernières  classes  un  certain  nombre  d'individus, 
pourles  mettre  dans  une  situation  supérieure  à  celle  de  leurs 


64  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

pareils.  A  mesure  que  ces  individus  s'avancent ,  d'autres^ 
qui  étaient  au-dessous  d'eux ,  viennent  prendre  les  places 
qu'ils  laissent  vides  ,  et  ce  mouvement  graduel  se  prolonge, 
chaque  rang  s'avançant  toujours  davantage  ,  et  se  recrutant 
dans  les  rangs  immédiatement  inférieurs. 

Il  suffit  d'invoquer  ses  propres  souvenirs  pour  se  con- 
vaincre des  heureux  changemens  qui  se  sont  opérés  dans  le 
sort  des  dernières  classes  du  peuple  ,  et  de  l'étendue  de  la 
part  qu'elles  ont  prise  aux  avantages  qui  sont  résultés  pour 
la  nation,  des  progrès  des  différentes  branches  de  notre  in- 
dustrie. L'un  des  premiers  de  ces  avantages  est,  sans  con- 
tredit ,  la  propreté  ,  qui  a  eu  une  si  grande  influence  sur  la 
santé ,  et  par  conséquent  sur  la  longévité  des  habitans  de 
la  Grande-Bretagne.  La  nature  et  la  qualité  des  alimens 
que  ces  classes  consomment,  ont  été  également  fort  amé- 
liorées. 

Au  commencement  du  règne  du  feu  roi ,  le  pain  d'orsfe , 
d'avoine  et  de  seigle ,  était  la  nourriture  universelle  du 
peuple.  En  1764  ,  la  quantité  d'orge  que  produisait  l'Angle- 
terre, était  égale  à  celle  du  froment  :  elle  n'en  fait  pas 
le  tiers  aujourdhui  ,  quoique  la  proportion,  convertie  eu 
drèche,  se  soit  beaucoup  augmentée.  Sir  Frederick.  Morton 
Eden  dit  qu'il  y  a  cinquante  ans ,  on  mangeait  si  peu  de 
froment ,  dans  le  comté  de  Cumberland,  qu'il  n'y  avait  que 
les  familles  riches  qui  en  consommassent  un  quart  de  bois- 
seau. Il  en  était  de  même  ,  à  cette  époque,  dans  les  comtes 
de  l'ouest.  L'usage  du  froment  est  plus  ancien  dans  ceux 
qui  sont  voisins  de  la  capitale,  et  il  s'est  répandu  graduelle- 
ment, à  niesure  que  la  richesse  a  circulé  du  centre  aux  ex- 
trémités. 

L'augmentation  de  la  consommation  de  la  viande  de 
boucherie ,  dans  une  proportion  plus  forte  que  l'accroisse- 
ment de  la  population,  est  une  preuve  certaine  que  les 
classes  inférieures  en  consomment  plus  qu'autrefois.  Voici 


en  Angleterre .  65 

quel  a  été  le  poids  moyen  des  bestiaux  vendus  à  Londres 
eu  1702  et  17^4  '- 

Livres.  Livres. 

En  1733.. .  veaux  et  bœufs,  870  moutons,  28 

1794 Id. ,  462  Id. ,  35 

Il  paraît  constant  qu'aujourd'hui,  le  poids  moyeu  du  veau 
etdubœufestde  800  livres,  et  celui  des  moutons  de  80. -Mais 
l'augmentation,  dans  la  quantité  des  bestiaux  tués  chaque 
année,  a  été  encore  bien  plus  considérable  que  celle  de 
leurs  poids,  car,  tandis  que  la  population  a  augmenté  de 
78  p.  "/o  ,  depuis  1764  jusqu'en  1824  >  ^^  consommation  de 
la  viande  de  boucherie  s'est  accrue  de  ii5  p.  °l^.  Il  y  a 
eu,  en  outre,  un  accroissement  correspondant  dans  la  con- 
sommation du  porc  frais  et  du  porc  salé ,  du  fromage  et 
du  beurre. 

L'usage  du  thé  et  du  sucre,  si  heureusement  substitué 
à  celui  des  liqueurs  fermentées ,  a  aussi  concouru  à  amé- 
liorer la  condition  du  pauvre  ,  eu  rendant  moins  commune 
l'ivresse,  autrefois  l'une  des  causes  principales  des  habi- 
tudes prodigues ,  indolentes  et  grossières ,  qui  existaient 
dans  les  dernières  classes  de  la  nation.  La  consommation 
de  ces  deux  articles  s'est  accrue,  en  même  tems,  que  la  po- 
pulation ,  mais  dans  une  proportion  beaucoup  plus  forte  ; 
car,  tandis  qu'elle  a  doublé  ,  le  nombre  des  consommateurs 
ne  s'est  augmenté  que  de  moitié. 

Les  habitations  du  pauvre  ne  se  sont  pas  moins  amélio- 
rées que  ses  alimens.  Pour  s'assurer  de  ce  progrès  ,  il  n'est 
pas  nécessaire  de  remonter  aux  anciennes  époques  de  notre 
histoire  ,  lorsque  la  grande  masse  du  peuple  vivait  dans  des 
baraques  de  bois ,  sans  vitres  et  sans  cheminées.  Nous 
voulons  parler  d'un  tems  dont  plusieurs  d'entre  nous  peu- 
vent se  souvenir.  Il  n'y  a  pas  encore  beaucoup  d'années  que 
les  habitations  des  campagnes  n'avaient  d'autre  sol  que  ce- 
lui que  la  nature  avait  formé  j  et  qu'un  mélange  de  chaux 


66  Des  progrès  de  la  richesse  nationale 

et  de  sable  était  considéré  comme  un  grand  luxe,  par  les  voi- 
sins de  ceux  qui  en  jouissaient.  Les  murs  en  torchis  étaient 
rarement  revêtus  de  plâtre  j  et,  lorsque  ces  maisons  avaient 
un  étage ,  ou  n'y  montait  que  par  une  cclielle.  Les  portes 
et  les  fenêtres  ne  fermaient  pas  assez  hermétiquement  pour 
empêcher  la  neige  et  la  pluie  de  pénétrer;  aussi,  dans  les 
tems  humides,  les  inégalités  du  sol  se  remplissaient  de 
boue.  Actuellement  il  est  rare  de  trouver,  dans  la  cam- 
pagne, une  maison  dont  les  murs  ne  soient  pas  revêtus  de 
plaire,  et  le  sol  recouvert  de  pierres,  de  briques  ou  de 
planches;  qui  n'ait  pas  des  portes  ou  des  croisées  bien  closes, 
et  uu  escalier  pour  conduire  aux  chambres  supérieures. 
Les  meubles  et  les  ustensiles  domestiques  sont  en  plus 
grand  nombre  et  de  meilleure  qualité.  Au  lieu  de  coucher 
sur  une  paillasse,  les  paysans  reposent  maintenant  sur  des 
matelas  ou  (\es  lils  de  plume,  enveloppés  dans  des  draps 
et  dans  plusieurs  couvertures  quelquefois  en  piqué  de  coton. 
Des  chaises  de  paille  ont  été  substituées  aux  tabourets  et 
aux  bancs  de  bois ,  et  la  marmite  est  maintenant  accom- 
pagnée d'un  gril,  d'une  poèle  à  frire  et  de  plusieurs  cas- 
seroles. Plus  d  un  lecteur  trouvera  sans  doute  ces  humbles 
détails  bien  ridicules  ;  mais  que  ceux  qui  lisent  avec  dédain 
Tenumération  de  tous  ces  petits  meubles,  voyagent  dans 
les  pays  qui  en  sont  dépourvus ,  et  ils  ne  tarderont  pas  à 
s'apercevoir  de  toute  leur  importance. 

Un  changement  non  moins  satisfaisant  s'est  opéré  dans 
les  vetemens  des  classes  inférieures.  Ces  habits  de  droguet, 
ordinairement  si  malpropres,  que  portaient  autrefois  les 
hommes  et  les  femmes,  ont  été  remplacés  par  d'autres 
plus  fuis  et  plus  fréquemment  renouvelés.  C'est  probable- 
ment une  des  causes  de  l'immense  accroissement  de  la  con- 
sommation de  savon,  qui,  dans  le  cours  de  quarante  ans, 
s'est  élevé  graduellement  de  trente-cinq  à  qualre-vingt- 
quiuze  milliei's  de  livres  pesant. 


en  Angleterre.  67 

Il  résulte  de  calcnls  sur  l'exactitude  desquels  nous 
croyons  pouvoir  compter,  que,  dans  la  Grande-Bretagne, 
le  nombre  des  individus  possédant  un  revenu  quelconque, 
est  au  nombre  de  ceux  qui  n'ont  aucun  moyen  d'existence 
que  leurs  bras  ou  la  charité  publique ,  comme  deux  est  à 
un  .  proportion  qui  auparavant  n'a  jamais  existé  dans  ce 
pays ,  et  qui ,  aujourd'hui  même,  n'existe  dans  nulle  autre 
contrée  de  l'Europe. 

Dans  les  tems  antérieurs  ,  l'attention  des  savans  était  ab- 
sorbée par  des  recherches  purement  spéctilatives  ;  mai.s 
actuellement,  beaucoup  d'entr'eux  occupent  la  sagacité  de 
leur  esprit  à  découvrir  de  nouveaux  agens  ou  à  perfec- 
tionner ceux  précédemment  découverts ,  pour  ménager 
l'emploi  des  hommes  et  des  animaux  dans  les  travaux  mé- 
caniques. Plusieurs  de  ces  tentatives  échoueront  sans  doute,- 
mais  cependant  le  résultat  définitif  et  infaillible  de  ces  ef- 
forts, doit  ctre  d'affranchir  de  plus  en  plus  l'espèce  hu- 
maine de  l'obligation  de  se  livrer  à  des  travaux  dégoûtans 
ou  pénibles 5  et,  de  cette  manière,  d'élever  graduellement 
les  différentes  classes  de  la  société.  Par  des  considérations 
analogues ,  nous  ne  saurions  donner  trop  d'éloges  au  désir 
que  l'on  témoigne  d'améliorer  l'éducation  du  peuple.  Le 
plan  de  l'institution  nationale  est  certainement  un  des 
plus  vastes  et  des  mieux  combinés  qu'on  ait  encore  con- 
çus ,  pour  atteindre  ce  but ,  et  nous  ne  doutons  pas  que 
cette  société  ne  rende  d'éminens  services  au  pays ,  eu 
inculquant  aux  individus  des  classes  inférieures ,  dès  leur 
premier  âge,  l'esprit  d'ordre  et  d'économie;  en  leur- don- 
nant le  goût  de  la  lecture ,  en  même  tems  qu'elle  leur 
procurera  les  moyens  de  le  satisfaire  ;  et  en  leur  faisant 
sentir  tout  le  prix  de  nos  institutions  civiles  et  religieuses. 

Toutes  les  prospérités  dont  nous  venons  de  dérouler  le 
magnifique  tableau  ,  ont  été  obtenues  sans  le  secours  de  nos 
théoriciens  poUtiqucs  et  de  aos  réformateurs,  et  en  dépit 


68  De  la  liberté  du  commerce. 

de  leurs  sinistres  proplicties.  Notre  monarque  est  tonjonrs 
investi  de  sa  haute  dignité  et  du  pouvoir  nécessaire  pour 
faire  exécuter  les  lois.  La  pairie  est  encore  en  possession 
de  ses  prérogatives  hérédiitaires  ,  et  l'on  n'a  pas  réorganisé 
la  chambre  des  communes.  Les  électeurs  conservent  leurs 
anciennes  franchises.  Les  terres  des  grands  propriétaires 
n'ont  pas  été  partagées.  Ce  sont  des  hommes  bien  nés  et 
bien  élevés  qui  continuent  d'occuper  les  chaires  de  nos 
églises.  Aucune  portion  de  la  dette  publique  n'a  été  con- 
fisquée,  et  nous  n'avons  pas  renoncé,  comme  on  nous  le 
conseillait,  à  nos  possessions  lointaines.  D'après  cela,  nous 
croyons  que  nous  ferons  bien  de  nous  en  tenir  ,  jusqu'à 
nouvel  ordre,  à  nos  vieilles  institutions,  et  d'ajourner  encore 
les  expériences  que  ces  messieurs  voudraient  faire  subir  au 
corps  politique.  (  Quarterly  Ref^iew.  ) 


ECONOMIE  POLITIQUE. 


DE    LA    LIBERTE    DU   COMMERCE ,     ET    DE   L  EXPORTATION 
DES   MACHINES. 


Nos  lecteurs  n'ont  pas  oublié ,  sans  doute ,  qu'au  com- 
mencement de  la  session  dernière,  un  comité  de  la  cham- 
bre des  communes  fut  désigné  pour  faire  des  recherches 
sur  les  lois  relatives  aux  coalitions  d'ouvriers ,  à  leur 
émigration  et  à  l'exportation  des  machines.  Après  avoir 
consulté  une  foule  de  témoins ,  dont  les  dépositions  rem- 
plissent plus  de  600  pages  in-folios ,  le  comité  adopta  cer- 
taines résolutions  qui  furent  soumises  au  jugement  de  la 


De  la  liberté  du  commerce.  6g 

chambre.  La  teneur  de  ces  résolutions  ,  en  ce  qui  regarde 
les  coalitions  et  les  émigrations  d'ouvriers,  avait  pour  but 
la  révocation  des  lois  existantes  ,  comme  tout-à-fait  préju- 
diciables. En  conséquence  ,  ]M.  Hume  proposa  des  bills  de 
révocation  ,  qui  furent  unanimement  adoptés.  Le  comité 
ne  proposa  rien  de  positif,  relativement  à  l'exportation 
des  machines.  Voici  quelle  fut  sa  conclusion: 

«  Votre  comité  a  examiné  la  question  relative  à  l'expor- 
»  tation  des  machines,  avec  le  plus  grand  soin  5  mais  il 
»  pense  qu'une  nouvelle  enquête  et  des  recherches  plus 
-"  approfondies  sont  nécessaires,  avant  de  prendre  une  réso- 
y>  lution  définitive  sur  cet  objet  important.  Il  est  d'avis 
»  de  renvoyer  l'examen  d'une  question  aussi  grave  à  la 
»  prochaine  session  du  parlement.  » 

Le  bien  que  nous  avons  vu  faire  à  l'administration  ac- 
tuelle ,  et  ce  que  nous  connaissons  déjà  du  talent  et  de  la 
persévérance  de  M.  Hume,  auquel  le  public  a  de  si  grandes 
obligations ,  nous  font  présumer  que  celte  importante  ques- 
tion ne  sera  pas  perdue  de  vue.  Nous  différons,  cependant, 
en  un  point,  du  sentiment  du  comité.  Il  nous  a  semble, 
après  avoir  lu  attentivement  les  différens  rapports  ,  que 
l'examen  de  nouveaux  témoins  n'aboutira  qu'à  faire  perdre 
du  tems.  On  a  recueilli  un  grand  nombre  de  témoignages  j 
il  ne  reste  plus  maintenant  qu'à  les  peser  et  à  prendre  une 
décision. 

D'après  la  législation  qui  est  actuellement  en  vigueur , 
l'exportation  de  certaines  machines  est  défendue,  et  celle  de 
plusieurs  autres  est  permise.  Le  témoignage  de  M.  Place,  et 
d'un  grand  nombre  d'hommes  éclairés  ,  établit,  d'une  ma- 
nière incontestable,  qu'il  est  impossible  de  définir  les  arti- 
cles prohibés  ou  non  prohibés  avec  assez  d'exactitude,  pour 
qu'un  officier  de  la  douane  en  puisse  reconnaître  la  diffé- 
rence. M.  Place  a  fait  voir  comment  la  loi  était  continuel- 
lement éludée  j  et  MM.  Boy d,  Wilmot,  Hume  et  Saint- 


70  De  la  liberté  du  commerce. 

John,  très- versés  dans  les  matières  de  douanes,  ont  déclaré 
que  son  action  était  presque  toujours  impuissante.  Mais  l.i 
nature  de  la  loi ,  et  ses  motifs  d'abrogation,  sont  de  peu 
d'importance.  Notre  objet  est  d'examiner  si  le  principe  en 
est  admissible ,  c'est-à-dire  ,  s'il  convient  réellement  de 
s'opposer  à  l'exportation  des  machines. 

Les  partisans  de  la  loi  actuelle,  et  de  la  nécessité  de  la 
rendre  plus  sévère  encore  ,  se  fondaient  principalement 
sur  ce  qu'il  y  aurait  du  désavantage  pour  nos  manufactures 
à  fournir  aux  étrangers  des  machines  qui  les  mettraient  en 
position  de  vendre  leurs  produits  à  ineilleur  marché  que 
l'Angleterre.  Cet  argument  a  été  répété  par  MM.  Harri- 
son,  Yates,  Hawey  ,  Osier,  Brunton  et  plusieurs  autres; 
ils  ne  le  faisaient  pas  valoir  en  faveur  d'une  seule  espèce  de 
manufactures  ,  mais  dans  l'intérêt  de  toutes.  Ces  écrivains 
paraissent  avoir  adopté  pour  principe ,  que  nous  devons 
être  la  seule  nation  manufacturière  du  globe,  et  que  nos 
importations  ne  doivent  consister  qu'en  matières  pre- 
mières. D'un  autre  côté,  le  but  des  gentilshommes  de  cam- 
pagne est  de  faire  de  nous  une  nation  agricole ,  et  de  s'op- 
poser avec  énergie  à  l'importation  de  ces  mêmes  matières; 
de  sorte  qu'entre  ces  deux  extrêmes ,  notre  commerce  exté- 
rieur se  bornerait  à  l'importation  des  produits  étrangers  au 
sol  anglais ,  et  à  l'exportation  des  produits  de  nos  manu- 
factures ,  suffisaus  pour  payer  les  matières  importée^  Cha- 
que classe  s'attache  exclusivement  aux  moyens  d'augmenter 
sa  prospérité  particulière,  sans  réfléchir  que  le  véritable 
moyen  d'arriver  à  un  résultat  utile,  est  de  savoir  comment 
on  pourra  faciliter  au  public  la  plus  grande  consommation 
de  produits  manufacturés  et  agricoles. 

La  doctrine  de  la  liberté  du  commerce  devient  si  popu- 
laire, et  ses  principes  sont  si  universellement  reconnus  par 
ceux  qui  n'ont  pas  d'intérêts  privés  à  leur  opposer,  que  la 
plupart  des  lecteurs  seront  tentés  de  les   admettre  sans 


De  la  liberté  du  commerce .  71 

autre  examen.  Mais  nons  ne  nous  regarderions  pas  comme 
de  vrais  amis  de  celle  liberté ,  si  nous  refusions  d'écouter 
toutes  les  objections  individuelles  ,  et  d'examiner  tous  les 
cas  en  faveur  desquels  la  suspension  ùe  la  règle  générale 
est  demandéel  L'exportation  des  machines  est  un  de  ces 
cas.  La  question  à  résoudre  est  donc  de  savoir  s'il  peut 
exister,  pour  défendre  aux  étrangers  d'acheter  nos  ma- 
chines ,  d'autres  raisons  que  celles  qui  nous  ont  déterminés 
à  leur  permettre  d'acheter  nos  produits  ordinaires. 

L'avantage  qui  résulte  du  commerce  extérieur  est  tout 
entier  dans  le  nombre  et  la  variété  des  importations.  Cette 
vérité  n'a  pas  besoin  d'être  démontrée.  I..es  exportations 
qui  ne  sont  pas  suivies  de  retours ,  sont  évidemment  des 
perles.  Si  nous  pouvions  obtenir  pour  rien  les  marchandises 
étrangères,  nous  pourrions  a'ors  consommer,  non-seule- 
ment ces  marchandises ,  mais  encore  toutes  celles,  que  nous 
aurions  produites  ,  dans  l'intérieur,  pour  en  payer  l'impor- 
tation. Aussi,  pour  justifier  la  défense  de  l'importation  des 
machines,  faudrait-il  prouver  que  nos  autres  exportations 
et  surtout  nos  importations  seraient  augmentées  par  cette 
mesure  prohibitive?  Une  diminution  d'exportation,  l'im- 
portation restant  la  même,  serait  un  bien  au  lieu  d'un  mal. 
Nous  devons  rechercher,  en  conséquence,  si  la  tendance 
des  machines  à  s'établir  au  dehors  ,  serait  une  cause  ca- 
pable de  diminuer  la  masse  de  nos  importations. 

Cela  posé,  et  le  but  du  commerce  extérieur  étant  de 
favoriser  l'importation,  il  suit  que  la  seule  raison  pour  la- 
quelle une  nation  exporte  ,  c'est  qu'en  agissant  ainsi ,  elle 
se  procure  plus  facilement  que  par  aucun  autre  moyen  un 
plus  grand  nombre  d'objets  de  consommation.  Si  cent  jours 
de  travail,  en  Angleterre,  produisent  1,000  aunes  de  sole 
et  2,000  aunes  de  coton,  tandis  qu'en  France  la  même 
quantité  de  travail  donne  2,000  aunes  de  soie  et  seulement 


7  a  De  la  liberté  du  commerce . 

i,0oo  aunes  de  coton,  il  est  de  Tintérêt  des  deux  nations 
que  le  coton  d'Angleterre  soit  échangé  contre  la  soie  de 
France.  Si,  dans  une  circonstance  donnée ,  et  au  moyen  de 
quelqu'invention  utile,  telle  qu'une  machine  à  vapeur,  cent 
jours  de  travail  produisent,  en  Angleterre ,  2,000  aunes  de 
soie  et  4,000  de  coton,  et  en  France  seulement  2,000  aunes 
de  soie  et  1,000  aunes  de  coton,  comme  dans  Thypothèse 
précédente,  il  sera  encore  dans  l'intérêt  des  deux  pays  que 
les  cotonnades  anglaises  soient  échangées  contre  des  soieries 
françaises.  Les  fabricans  de  l'une  et  de  l'autre  nation,  en 
se  bornant  au  genre  de  production  dans  lequel  ils  excel- 
lent, peuvent  produire  4,000  aunes  de  soie  et  8,000  aunes 
de  coton  ;  mais  si ,  dans  un  accès  de  jalousie ,  ils  se  refu- 
sent mutuellement  les  avantages  d'un  échange  commercial , 
le  produit  total  des  deux  contrées  sera  seulement  de  4»ooo 
aunes  de  soie  et  5,ooo  de  coton;  la  perte  commune,  à 
partager ,  étant  de  5, 000  aunes  de  coton ,  chaque  nation 
en  aura  perdu  i,5oo.  L'invention  des  machines  à  vapeur, 
par  les  Anglais,  ne  saurait  être  un  motif  raisonnable  pour 
les  Français  d'interrompre  avec  eux  leurs  relations  mer- 
canli'es:  loin  de  s'en  plaindre,  ils  devraient  au  contraire  s'en 
féliciter.  Depuis  cette  invention,  ils  se  procurent,  en  échange 
de  leurs  soies,  une  plus  grande  quantité  de  tissus  de  coton 
que  par  le  passé.  Mais,  supposons  que  les  Français  profitent 
à  leur  tour  de  ce  puissant  moteur,  dont  l'utilité  nous  semble 
égale  dans  la  fabrication  des  soieries  et  des  cotons  ;  faut-il 
on  conclure  que  les  Anglais  seront  ruinés  ?  —  Précisément 
le  contraire  ;  les  Français ,  avec  le  secours  de  la  machine , 
peuvent  produire  45OOO  aunes  de  soie  et  2,000  aunes  de 
coton  •■,  les  Anglais  4, 000  aunes  de  coton  et  2,000  aunes 
de  soie  ;  ou  bien ,  si  chaque  nation  se  renferme  dans  le 
genre  de  fabrication  qui  lui  est  pi'opre  ,  leurs  travaux  réu- 
nis donneront  8,000  aunes  de  coton  et  8,000  aunes  de  soie. 


De  la  liberté  du  commerce.  7 3 

Les  Anglais  auront  ainsi,  pour  leur  consommation  ,  4,000 
aunes  de  colon  et  2,000  aunes  de  soie  (i).  Avant  que  la 
machine  à  vapeur  fut  introduite  en  France ,  ou  n'y  produi- 
sait que  2,000  aunes  de  soie  ;  maintenant  on  en  produit 
4,000.  Il  est  donc  évident  que  la  fortune  publique  s'aug- 
mentera dans  la  Grande-Bretagne,  par  l'accroissement  des 
moyens  de  production  qu'elle  pourra  introduire  chez  les 
nations  voisines. 

Ce  qui  a  surtout  contribue  à  faire  maintenir  les  lois 
prohibitives  de  l'exportation  des  machines ,  c'est  qu'on  se 
représente  les  deux  pays,  non  point  comme  deux  so-' 
ciélés  qui  se  rendent  mutuellement  service,  mais  comme 
deux  rivaux  dangereux  l'un  à  l'autre.  Pour  donner  quel- 
qu'apparence  de  réalité  à  cette  hypothèse ,  on  introduit 
une  troisième  nation  qui  est  suppposée  le  théâtre  de  la  riva- 
lité des  deux  autres.  Par  exemple,  si  la  France  et  l'Angle- 
terre, au  lieu  de  commercer  exclusivement  ensemble,  trai- 
tent isolément  l'une  et  l'autre  avec  l'Amérique  du  Sud  ,  on 
prétend  qu'il  s'opère  un  changement  dans  leurs  relations 
mutuelles.  Ou  suppose  qu'il  n'est  plus  de  leur  intérêt  com- 
mun d'augmenter  leur  puissance  respective  de  production, 
mais  qu'il  leur  importe  au  contraire  ,  individuellement,  de 
se  nuire  dans  la  carrière  des  améliorations.  La  valeur  de 
cette  proposition  mérite  d'être  examinée  séparément. 

Supposons,  comme  ci-dessus,  que  cent  jours  de  travail 
produisent,  en  Angletere ,  2,000  aunes  de  coton  et  1,000 
aunes  de  soie  ;  et ,  en  France ,  2,000  aunes  de  soie  et  i  ,000 
aunes  de  coton.  Admettons  que  ces  deux  pays  commercent 
avec  le  Brésil ,  où  l'on  peut  changer  contre  un  quintal  de 
sucre  une  aune  de  coton  ou  de  soie.  Il  est  évidemment  de 

(i)  La  déduction  nécessaire  des  frais  de  transport  d'un  pays  à  l'au- 
tre, a, été  volontairement  omise,  pour  ne  point  gêner  le  développe- 
ment de  la  proposition.  Le  lecteur  peut  aisément  y  supple'er. 


y  4  D^  ^  liberté  du  aommerce. 

l'intérêt  de  la  France  et  de  l'Angleterre  que  la  France  pro- 
duise de  la  soie  ,  et  l'Angleterre  du  coton  ,  comme  moyens 
d'obtenir  du  sucre.  Si ,  à  l'aide  des  machines  à  vapeur , 
cent  jours  de  travail ,  en  Angleterre,  peuvent  donner  4,ooo 
aunes  de  coton  et  2,000  aunes  de  soie ,  tandis  que  cent  jours 
de  travail ,  en  France,  ne  produisent  que  2,000  aunes  de 
soie  ,  et  i  ,000  aunes  de  coton ,  il  est  encore  avantageux  pour 
l'Angleterre  d'acheler  des  soies  françaises  pour  les  exporter 
au  Brésil ,  et  de  l'intérêt  de  la  France  d'acheter  du  coton 
en  Angleterre,  pour  la  même  destination.  Assurément,  il 
est,  dans  cette  hvpothèse,  très-désirable  pour  les  Anglais  que 
les  Français  puissent ,  au  moyen  de  la  machine  à  vapeur, 
leur  fournir  une  plus  grande  quantité  de  soie  en  échange 
de  leurs  cotons.  Si  les  demandes  du  Brésil  consistent  en  soie- 
ries ,  les  Anglais  n'auront-ils  pas  les  moyens  de  s'en  pro- 
curer deux  ou  trois  fois  davantage,  pour  acheter  du  sucre, 
lorsque  la  machine  à  vapeur  aura  mis  les  Français  en  état 
d'en  augmenter  la  production  ?  et  si  le  Brésil  demande  du 
coton ,  les  Français  ne  donneront-ils  pas  une  quantité 
double  de  soierie  en  échange  du  coton,  qui  leur  manque, 
pour  acheter  aussi  du  sucre?  L'Angleterre  a  besoin  de 
sucre  (i)  j  la  France  en  a  également  besoin,  et,  à  moins 
de  croire  que  l'une  de  ces  nations  puisse  fermer  à  l'autre 
toute  communication  avec  le  pays  qui  produit  cette  denrée, 
il  est  absurde  de  supposer  que  le  sucre  ne  sera  pas  acheté 
avec  quelque  chose.  Tant  que  les  Français  importeront  du 
sucre  ,   ils  seront  obligés  d'exporter ,  pour  le  payer,  des 

(i)  Il  est  digne  de  remarque,  que  lorsque  nous  cherchions  à  oh— 
tenir  dans  l'Ame'rique  du  sud  le  monopole  des  marchandises  manu— 
faclurées ,  l'importation  des  deux  principales  denrées  de  ce  pays ,  le 
sucre  et  le  café  ,  soient  expressément  défendus  en  Angleterre.  Nous  ne 
voulons  pas  acheter  aux  Brésiliens  deux  de  leurs  produits  exportables, 
et  quand  ils  en  disposent  en  faveur  d'autres  étrangers,  nous  trouvons 
sTiauvais  que  ces  étrangers  nous  supplantent. 


De  la  liberté  du  commerce .  n5 

produits  de  leurs  manufactures,  ou  des  manufactures  étran- 
gères ,  achetés  avec  ceux  de  leur  propre  industrie.  La 
défense  de  l'exportation  des  machines  n'empêchera  pas  les 
Français  d'être  nos  coucurrens  avec  succès .  en  vendant  à 
meilleur  marché  que  nous  plusieurs  de  leurs  denrées. 

Une  différence  dans  la  facilité  relative  de  la  production 
est  essentielle  pour  les  échanges.    Le  fermier  du  comté 
d'Essex  et  le  fabricant  du  comté  d'York  commercent  en- 
semble, parce  que  l'un  et  l'autre  produisent  le  grain  et 
le  drap   avec   des    avantages  réciproques.   L'Européen  et 
l'Américain  sont  dirigés  par  les  mêmes  motifs  dans  leurs 
relations  commerciales  ,  et  si  le  préjugé  se  dissipait ,  si  la 
prohibition  était  abolie,  le  même  intérêt  rapprocherait  les 
Français  et  les  Anglais.  Non  seulement  tout  le  monde  com- 
merçant voudrait  profiter  de  l'accroissement  des  moyens 
de  production ,  mais  !es  avantages  résultant  de  l'accrois- 
sement de  ces  moyens ,  dans  un  seul  pays  ,  seraient  sentis 
dans  les  autres.  Chaque  pays  a  intérêt  à  la  prospérité  gé- 
nérale ,  qu'il  ne  saurait  manquer  de  partager.  Si  les  argu- 
mens   en   faveur   des   réglemeus    prohibitifs    étaient  pré- 
sentés par  une  classe  de  manufacturiers,  ou  par  chaque 
classe,   en   faveur  d'elle-même,    elle   aurait   cherché   au 
moins   à  se  procurer   un   bénéfice   qui  eût   quelqu'appa- 
rence  de  réalité  ;  elle  aurait  voulu  sacrifier  l'intérêt  public 
à  son  propre  intérêt.   Si  un  marchand ,  ou   un  corps  de 
marchands ,    s'efforçaient   d'obtenir  quelques  dispositions 
restrictives,    quelque  privilège   exclusif,   nous   compren- 
drions fort  bien  leur  butj  mais  ils  ne  retireraient  aucun 
avantage  d'une  application  générale  des  lois  prohibitives. 
Leurs  bénéfices  personnels ,   eu  qualité  de  monopoleurs  , 
seraient  plus   que  compensés  par  leur  participation  aux 
pertes  publiques.  Au  reste ,   il  n'est  pas  surprenant  qu'une 
société   de  négocians ,  qu'une  corporation  ait  de  la  ten- 
dance à  sacrifier  l'intérêt  général  à  son  avantage  jiarticu- 


76  De  la  liberté  du  commerce. 

lier.  Mais  que  penserons-nous  d'une  prétention  qui  ne  tend 
à  rien  moins  qu'à  sacrifier,  à  de  petits  calculs  personnels, 
le  sort  des  différentes  branches  dont  se  compose  le  com- 
merce de  la  nation  tout  entière?  Des  raisonneurs  de  ce 
genre  ne  méritent  que  les  Petites-Maisons.  Nous  compre- 
nons aussi  comment  chaque  classe  de  fabricans  de  coton, 
de  soie,  de  laine  ,  de  toile  ,  ou  de  quincaillerie  ,  peut  cher- 
cher à  tromper  la  législature  ,  et  à  lui  faire  croire  que  ce 
qui  est  utile  à  sa  prospérité  individuelle ,  doit  être  néces- 
sairement trcs-avantageus.  au  public.  Nous  concevons  sans 
peine  qu'un  fabricant  de  coton  puisse  espérer,  mal  à  pro- 
pos sans  doute  ,  de  se  procurer  une  plus  grande  quantité 
de  soie ,  de  toile  et  de  quincaillerie  pour  son  coton ,  en 
détruisant  à  l'étranger  une  manufacture  rivale,  et  que  les 
fabricans  de  soie  et  de  laine  aient  de  pareilles  espérances  ; 
mais  11  est  trop  déraisonnable  qu'ils  cherchent  à  se  priver 
collectivement  des  avantages  du  commerce  extérieur. 

Parmi  les  personnes  consultées  par  le  comité ,  il  en  est 
qui  n'ont  rien  épargné  pour  lui  persuader  de  conserver 
leurs  lois  favorites.  Les  salaires  des  ouvriers,  disait-on, 
sont  beaucoup  moins  élevés  sur  le  continent ,  et  surtout 
en  France;  donc  nos  manufactures  ont  besoin  de  protec- 
tion. D'accord  avec  ces  personnes  sur  le  but ,  nous  diffé- 
rons entièrement  sur  le  choix  des  moyens  ;  nous  croyons 
que  le  meilleur  qu'on  puisse  employer  pour  favoriser  les 
développemens  de  l'industrie  nationale,  c'est  de  faire  en 
sorte  que  les  individus  puissent  rendre  leur  travail  aussi 
avantageux  que  possible.  Si  l'Angleterre  exporte  en  France 
dix  espèces  de  denrées  en  retour  desquelles  la  France  lui 
en  envole  dix  autres ,  il  importe  peu  à  l'Angleterre  que 
les  salaires,  en  France ,  soient  médiocres  ou  élevés,  que  ses 
ouvriers  habitent  des  palais  ou  des  chaumières.  Quel  que 
soit  le  taux  des  salaires ,  les  motifs-  d'échange  restent  les 
mêmes.  Dix  pièces  de  produits  sortent  de  France  et  d'An- 


De  hi  Jiherti'- du  cnmmercf.  "j-j 

r,îel(M-:'e  v>.\qc  tîcs  avantages  récipi-oques  ;  il  est  piu-  coii- 
séqiu^nt  de  rintcrcS;  véritable  des  deux  nations  de  Ses 
échangf-r. 

Ea  admettant  que  le  prix  du  travail  soit  plus  cher  en 
Angleterre  qu'en  France,  cette  considération  ne  saurait 
être  un  argument  contre  la  iiherlé  du  commerce.  IKest 
bien  connu  que  les  gages  des  ouvriers  sont  moins  élevés 
en  Irlande  qu'en   Angleterre.   Les  relations  commerciales 
en  sont-elles  pour  cela  moins  utiles  aux  deux  royaumes  ? 
Les  Irlandais  importent  nos  laines,  et  le  fait  peut  paraître 
étonnant,  quoique  leurs  ouviiers  soient  moitié  moins  payés 
que  les  nôtres.   lie  bas  prix  des  sa'aires  ne  doit  pas  être 
exc'usivement  rapporté  aune  seule  branche  de  produc- 
tion ,   mais    à  toutes.   Ce   serait   un    état  de    choses    fort 
curieux,  en  vérité  ,  qu'un  pays  où  les  salaires  sont  modi- 
ques ,  imaginât  de  fournir  gratis  ,  à  ses  voisins ,  les  pro- 
ductions qui  leur  manquent.  Jusqu'à  ce  que  cela  soit  ainsi, 
cependant,  il  y  aura  un  commerce  extérieur,  indépendant 
du  taux  des  gages,  à  moius  que  tout  rapport  commercial 
soit  interdit. 

Un  observatevir  profond  du  cœur  humain  a  remarqué  que 
lorsque  les  hommes  étaient  sous  l'influence  J'une  crainte, 
ils  se  précipitaient  d'autant  plus  dans  'e  danger,  qu'ils  en 
étaient  plus  eftrayés.  Ijes  Anglais  redoutent  que  les  étran- 
gers ne  nuisent  à  leur  commerce.  Le  moindre  bruit  les 
épouvante.  S'ils  voient  un  étranger  A'endre  à  meilleur 
compte  qu'eux-mêmes  ,  ils  se  croient  près  de'  leur  ruine  ;  la 
seule  idée  d'uae  concurrence  étrangère  leur  paraît  le  plus 
grand  des  malheurs.  Un  maçon  pourrait  tout  aussi  bien 
s'alarmer  de  ce  que  son  boulanger  aurait  traité  avec  le 
boucher  à  des  condiliouà  plus  favorables  que  lui  ,  et  faire 
cuire  son  pain  ,  en  laissant  au  boulanger  le  soin  de  bâtir 
son  {owv.  Pour  couronner  l'œuvre,  il  ne  manquei'ait  plus 
.TU  boucher  que  de  leur  fermer  sa  porte  et  de  savourer, 
II.  6 


•y  8  De  la  liberté  du  commerce. 

en  vrai  monopoleur ,  la  tlouble  jouissance  tle  réparer  sa 
maison  et  de  faire  pétrir  son  pain.  Il  est  assez  extravagant 
de  vouloir  profiter  des  bénéfices  du  commerce  extérieur  , 
et  d'être  jaloux  de  l'industrie  étrangère  au  point  de  cher- 
cher à  la  paralyser.  Une  nation  qui  veut  faire  d'immenses 
importations ,  et  qui  dérobe  avec  soin  aux  autres  les  pro- 
cédés les  plus  simples  et  les  plus  capables  de  leur  procurer  les 
produits  susceptiJdes  d'être  exportés  ,  peut  être  comparée 
au  propriétaire  d'une  mine  ,  qui ,  sachant  et  le  gisement  et 
la  direction  des  plus  riches  filons  ,  en  cacherait  la  connais- 
sance à  ses  ouvriers  ,  et  les  laisserait  en  proie  à  des  diffi- 
cultés de  son  invention,  ou  à  un  homme  affamé  qui  va  au 
marché  et  qui  dispute  avec  le  détaillant ,  tout  prcL  à  lui 
servir  de  bons  et  uliles  alimens  (i). 

Nous  en  avons  dit  assez  pour  satisfaire  ceux  même  qui 
sont  peu  habitués  aux  raisonnemens  sur  lesquels  est  fondée 
la  doctrine  de  la  liberté  du  commerce  ,  et  pour  leur  prou- 
ver que  l'exportation  des  machines  ne  doit  pas  être  pro- 
hibée. Nous  sommes  persuadés  que  leur  usage  plus  rép;indu 
à  l'extérieur  doit  plutôt  contribuer  à  augmenter  qu'à  dimi- 
nuer la  richesse  natiouale.  Il  faut  espérer  qu'on  n'aura  plus 
rien  à  dire  pour  achever  de  convaincre  la  majorité  des  fa- 
brlcans.  Il  y  en  a  cependant  quelques-uns  parmi  eux,  et 
ce  sont  ceux  qui  ont  été  consultés  par  le  comité  ,  dont  on 
u'ose  espérer  la  conviction.  Nous  leur  adresserons  une 
dernière  observation. 

On  a  déjà  reconnu  que  toute  tentative  de  défendi'e  l'ex- 
portation de  certaines  machines ,  taudis  qu'on  tolère  celle 

(i)  Note  du  Tr.  Le  paragraphe  contient ,  sous  une  l'orme  ironi- 
que, les  ve'rite's  les  plus  intéressantes  île  léconomie  politique.  Le 
lecteur  ne  saurait  les  me'diler  avec  trop  de  soin  ;  tout  notre  avenir  com- 
mercial en  dc'pend.  Voilà  la  vraie  philosophie  du  commerce;  philoso- 
phie pratique  ,  destinée  à  changer  la  face  du  globe  ,  et  à  faire  de  tous 
SCS  habit;)ns  une  immense  famille-  Ad.  13. 


De  la  liberté  du  cnntmerce .  79 

(le  beaucoup  d'autres  ,  doit  être  infructueuse  et  ne  saurait 
aboutir  qu'à  encourager  la  fraude  et  les  fausses  déclarations. 
Maintenant,  n'est-il  pas  possible  qu'un  cbargcment  de  ina- 
cbines,  dont  la  direction  serait  indiquée  pour  une  partie  du 
monde ,  soit  envoyé  dans  une  autre?  Nous  avons  appris  der- 
nièrement, qu'un  négociant  voulant  importer  de  la  gom,me, 
du  Hâvre-de-Grâce ,   fut  obligé ,    d'après   notre   étrange 
législation  ,  de  l'envoyer  d'abord  à  New-York,  d'où  la  réex- 
portation est  permise  en  Angleterre.  Si  une  niaclilne  est 
déclarée  en  expédition  pour  l'Amérique  du  sud  ,  un  mar- 
chand habile  à  saisir  les  occasions  favorables,  nepourrait-il 
pas  l'exporter   eu  France ,    par  la    vole  du  Pérou  ou  du 
Chili  ?  Ou  trouve  du  fer  de  Suède  et  de  Russie  dans  toutes 
les  parties  du  continent ,  tandis  qu'en  Angleterre  il  vient 
d'être  défendu  par  une  loi  Insensée.  Le  fer  est  le  principal 
élément  de  la  fabrication  des  machines  ;   nos  ouvriers  ont 
aujourd'hui  la  liberté  d'émigrer  par  détacbemens  :  par  con- 
séquent les  étrangers  peuvent  fabriquer  eux-mêmes  leurs 
machines  sans  beaucoup  de  difficultés.  Si  donc  l'usage  ne 
peut  manquer  de  s'en  répandre,  le  meilleur  parti  que  puisse 
prendre  l'état  dans  cette  circonstance,  n'est  certainement 
pas  d'empêcher  nos  capilallsles  d'en  faire  fabriquer  j  et  si 
l'emploi  des  machines,  chez  l'étranger ,  doit  porter  préju- 
dice à  quelques-unes  de  nos  manufactures ,  pour  compenser 
cette  perte,  faisons-nous  fabricans  de  macliines. 

(  Westminster  B.ei>iew,  ) 


LITTÉRATURE. 


OEUVRES    DE    FREDERIC    SCHLEGEL. 
Dix  volumes.   Vienne,  i823-i8a4,  fom. —  i  et  -j. 


Frédéric  Schlegel  est  le  frère  de  Gnillaume-Augusle 
Schlegel ,  très-connu  en  Angleterre  comme  traducteur  de 
Sbakspeare  j  comme  ami  de  M^^  de  Staël,  et  comme  un  des 
philologues  les  plus  distingues  de  noire  époque,  Frédéric 
naquit  à  Hanovre,  en  1772,  et,  quoique  destiné  au  com- 
merce, il  reçut  une  excellente  éducation.  Placé,  à  l'âge  de 
seize  ans,  dans  une  maison  de  banque,  à  Ijcipsick,  le  contraste 
enîre  ses  premières  éludes  et  la  monotonie  de  sa  nouvelle 
existence,  lai  rendit  l'instruction  plus  chère,  et  augmenta 
singulièrement  en  lui  cette  aversion  pour  le  commerce , 
déjà  tant  de  fois  éprouvée  par  plus  d'un  jeune  homme 
avide  de  gloire.  Bientôt  il  se  dégoûta  complètement  do  ses 
occupations  habituelles,  et  il  s'adonna  tout  entier  à  l'étude. 
C'était  précisément  à  l'époque  où  la  littérature  et  les 
sciences  étaient  cultivées  avec  la  plus  grande  ardeur  en 
Allemagne.  Wieland  et  Herder  n'étaient  pas  au  déclin  de 
leur  gloire  ;  Goethe  et  Schiller  en  recherchaient  les  palmes, 
plutôt  en  frères  qu'en  rivaux.  Wolf  avait  fait  de  la  philo- 
logie une  science;  Schelling  et  Fichte,  élèves  de  Rant, 
marchaient  les  égaux  de  leur  maître.  Tous  ces  grands 
hommes  avaient  une  iulluence  marquée  sur  la  jeunesse 
contemporaine  ,  et,  parmi  elle  ,  on  remarquait  particuliè- 
rement Novalis  Tieck  et  Schlegel.  Frédéric  Schlegel  s'a- 
donna d'abord  exclusivement  à  toutes  les  études  qui  avaient 
rapport  à  l'ancienne  Grèce;  et,  l)ientc)t  après,  il  étudia 
niofonclémenl   le5   écrits  de  Goethe    et    de    Fichte.  Dans 


Œiwrei  de  Frédéric  Sch/cgeJ.  8  r 

quelques-uues  des  opinions  qu'il  manifesta  vers  cette  épo- 
que ,  ou  trouve  plus  d'enthousiasme  que  de  jugement. 

Peu  de  tems  auparavant,  il  avait  essayé  ses  forces  comme 
auteur.  Il  publia,  en  1797  >  la  première  partie  d'un  ou- 
vrage très- remarquable ,  quoiqu'il  n'ait  jamais  été  fini , 
intitulé  les  Grecs  et  les  Romains  ;  et ,  en  1 798 ,  il  fit  paraître 
les  poésies  des  Grecs  et  des  Romains.  En  1797  j  son  frère 
Guillaume-Auguste,  Tleck  et  lui ,  fondèrent  un  écrit  pé- 
riodique sous  le  titre  ^Athénée  ;  les  articles  en  étaient  cités 
pour  la  hardiesse  et  Toriginalilé  de  leurs  paradoxes.  Il  fut 
alors  évident  quil  aimait  mieux  l'éclat  que  la  vérité  ,  et 
qu'il  s'occupait  fort  peu  que  sa  pensée  fût  juste,  pourvu 
qu'elle  fut  singulière  et  saillante.  Vers  le  même  tems  ,  il 
écrivit  le  roman  de  Lucinde  ,  qui  était ,  pour  l'esprit  et 
la  forme,  une  copie  de  la  Fiunirnetta  de  Boccace.  L'au- 
teur paraît  avoir  pensé  que  l'on  s'amuserait  beaucoup  de 
l'histoire  de  ses  amours  ,  et  de  la  peinture  exagérée  de 
quelques  jouissances  physiques  finissant  par  la  folie.  Il  se 
trompait  complètement  en  cela;  son  livre  fut  plus  décrié 
qu'il  ne  fut  lu,  et  la  seconde  partie  n'a  jamais  vu  le  jour. 

Schlegel ,  comme  plusieurs  autres  de  ses  contemporains, 
préparait  la  voie  à  l'exaltation  religieuse  par  l'éplcuréisme. 
Une  imagination  déréglée,  un  désir  ardent  de  briller ,  un 
enthousiasme  sauvage  pour  l'âge  delà  chevalerie,  avaient 
détourné,  à  l'époque  où  il  écrivait,  une  foule  d'hommes 
très-distingués  de  la  roule  du  vrai  et  du  beau.  Winkelman 
abandonna  le  protestantisme  dans  des  vues  purement  mon- 
daines; mais  plus  tard,  des  poêles,  des  auteurs,  des  ar- 
tistes, se  firent  catholiques  parce  que  les  cérémonies  du 
culte  protestant  étaient  trop  simples ,  trop  peu  favorables 
■aux  beaux-arls  et  à  la  poésie.  Frédéric  Schlegel  fiit  de  ce 
nombre.  En  1802  ,  sa  femme  et  lui  renoncèrent  à  la  com 
niunion  prolcstanle;  ils  cherchèrent  des  consolalions  dans 
le  sein  de  IVglisc  catholique. 


82  Œuvres 

Depuis  sa*conversion  ,  tous  ses  écrits  ont  reposé  sur  une 
base  étroite  et  fragile.  Oa  ne  saurait  !ui  refuser  une  grande 
supériorité  de  stjle  ;   et  sa  traduction  des  poésies  latines 
du  moyen  âge  ,  son  Lothaire ,  son  Maller  ,  possèdent  ce 
mérite   au  plus  haut   degré,    quoiqu'ils  soient   dépourvus 
d'Idées  et  d'invention.   En  1808,   lorsqu'il  vint  à  Vienne , 
il  parut  avoir  adopté  les  rcssentimens  de  toute  T Allemagne 
contre  le  despotisme  de  Napoléon.  En  180g,  il  accompa- 
gna le  comte  de  Stadlon  en  Bavière  ,  et  il  affecta  un  libéra- 
lisme pronoucéj  mais  ce  n'était  point  son  allure  naturelle, 
et  son  véritable  but  était  d'obtenir  de  la  considération  et  des 
privilèges,   en  défendant  les  opinions  de  roligarcliie  autri- 
chienne.  Lorsque  la  campagne  fut  décidée  en  faveur  de 
Napoléon,  il  retourna  à  Vienne,  s'unit  plus  intimement  que 
jamais  avec  M.  de  Gentz ,  et  fut  très-protégé  par  M.  de 
Metternich.  Là  ,  n'étant  plus  invité  à  ranimer  le  flambeau 
mourant   du  patriotisme  allemand ,  il  reprit  ses  anciens 
travaux,  il  écrivit  ses  leçons  d'histoire  moderne  et  celles 
de  littérature,  qui  seront  plus  spécialement  l'objet  de  nos 
observations.  Ses  doctrines  et  ses  opinions  plurent  telle- 
ment au  prince  de  Metternich  qui!  l'envoya  à  Francfort , 
en  qualité  de  conseiller  de  légatioii.    Rappelé    depuis  à 
Vienne ,   il  y  a  constamment  travaillé  à  étouffer  le  peu  de 
disposition  des  Autrichiens  à  l'Indépendance,  au  grand  re- 
gret de  ceux  qui  s'intéressent  k  l'amélioration  de  l'espèce 
humaine. 

Nous  avons  cru  devoir  offrir  à  nos  lecteurs  celte  courte 
notice  sur  la  vie  deSchlegel,  afm  de  les  mettre  en  état  de 
mieux,  apprécier  quelques-uns  de  ses  écrits.  Son  ouvrage 
sur  la  littérature  ancienne  et  moderne  a  été  traduit  en  an- 
glais, et  doit  avoir  quelqu'influence  dans  la  Grande-Bre- 
tagne. M.  Schlegel  s'y  montre,  sans  contredit,  fort  élo- 
quent ,  et  si  sa  critique  manque  quelquefois  de  profondeur  , 
elle  est    toujours  ingénieuse  j   il   connaît  parfaitement  les 


(le  Frédéric  ScUlegel.  8  > 

langues  ,  !a  poésie  et  la  philosophie  des  ancieus  et  des  mo- 
dernes. Mais  le  désir  de  justifier  son  apostasie  et  ses  opi- 
nions politiques  du  moment,  ont  donné  à  ses  écrits  une 
tendance  contre  laquelle  il  est  important  de  prémunir  le 
lecteur.  A  force  d'esprit  et  d'éloquence  ,  il  cherche  à  prou- 
ver ,  par  une  foule  de  circonstances  tirées  de  Thistoire  ci- 
vile et  littéraire,  que  leiirincipe  de  la  monarchie  absolue, 
soutenue  par  une  hiérarchie  sacerdotale ,  est  d'origine 
divine. 

C'est  ce  système  que  nous  avons  l'intention  d'examiner 
avec  soin.  On  peut  le  regarder  comme  un  échantillon  des 
moyens  employée,  sous  la  direction  de  quelques-uns  des 
gouvernemeus  di'  l'Allemagne,  pour  retenir  les  hommes 
dans  l'ignorance  et  dans  l'erreur,  en  amusant  leur  imagi- 
nation d'objets  frivoles  ou  d'un  intérêt  secondaire  ,  sous 
prétexte  de  leur  enseigner  la  vérité.  Schlegel  a  l'art  de 
paraître  désintéressé,  et  il  écrit  sans  passion  ,  quoiqu'il  ne 
perde  jamais  de  vue  le  but  de  ses  travaux.  Il  prétend  domi- 
ner tout  sou  sujet  avec  le  plus  grand  calme  ;  son  impar- 
tialité apparente  s'empare  de  la  confiance  du  lecteur,  dont 
il  abuse  pourtant  ,  en  oubliant  de  citer  les  auteurs  qui 
pourraient  déposer  contre  ses  théories.  D'une  autre  part, 
les  écrivains  dont  les  principes  paraissent  favorables  à  ses 
vues  ,  sont  exaltés  outre  mesure  j  leurs  erreurs  sont  justi- 
fiées ou  défendues.  Toutes  ses  considérations  ,  quelque  gé- 
nérales qu'elles  puissent  paraître,  sont  toujours  dictées  par 
les  circonstances  et  toujours  dans  le  but  d'imposer  à  se6 
lecteurs  les  opinions  que  le  gouvernement  autrichien  a  in- 
Icrct  de  leur  faire  adopter. 

IMous  admettons  avec  lui ,  par  exemple  ,  que  la  phi;oso- 
phie  doit  cire  un  des  sujets  traités  dans  une  histoire  litté- 
raire ,  et  que  ce  qui  regarde  l'entendement  humain,  y  doit 
occuper  la  place  la  plus  importante.  Nous  admettons  éga- 
lement que  là  littérature  perdrait  beaucoup,  si  les  hommeâ 


8',  G-jnrf^s 

que  leur  itais^auce  (  t  leur  Cortuiie  appeîieut  aux  plus  hautes 
fonctions  du  gouvernenienl ,  négligeaient  de  perfectionner 
leur  esprit  et  s'occupaient  exclusivement  de  leurs  devoirs 
publics,  laissant  la  culture  des  sciences  et  des  arts  à  ceux 
que  le  sort  éloigne  des  grands  enip;ois  et  de  l'administration 
de  rétat.  Mais  nous  ne  pouvons  pas  reconnaître  la  consé- 
quence qu'il  en  tire  j  savoir  :  que  les  nobles  sont  les  pré- 
cepteurs naturels  du  genre  humain,  et  que  les  autres 
hommes  sont  nés  pour  en  recevoir  Tempreiale  de  leur 
caractère  et  ia  forme  de  leur  civilisation.  Nous  trouvons 
naturel  qu'où  enseigne  une  pareille  doctrine  dans  les  pajs 
où  la  noblesse  est  en  possession  exclusive  du  gouvernement 
et  des  fonctions  les  p' us  éievéesj  mais  les  lumières  et  la  civi- 
lisation feront  bientôt  justice  de  ces  existences  privilégiées. 
Ceux  qui  veulent  obtenir  eu  garder  le  pouvoir  doivent 
posséder  des  connaissances  supérieures  ,  et  auciine  classe 
d  hommes  ne  peut  les  acquérir  en  empêchant  les  autres 
d'y  atteindre. 

Après  avoir  ainsi  indiqué  les  principes  généraux  qui  ont 
guidé  la  plume  de  l'auteur,  nous  exposerons  avec  briè^'eté 
le  précis  de  quelques-unes  de  ses  leçons.  Dans  la  première, 
il  examine  la  poésie  des  Grecs  ,  avant  l'époque  de  Socrate  ; 
et  dans  la  seconde,  leur  littérature  et  leur  philosophie, 
pendant  les  tems  postérieurs.  Il  remarque  très- Justement 
«  que  nos  idées  actuelles  et  nos  connaissances  sont  tellement 
«  dérivées  de  celles  des  anciens  ,  qu  il  est  difficile  déparier 
n  de  littérature  sans  commencer  par  eux.  »  Homère,  selon 
lui ,  avait  un  pressentiment  de  la  révélation ,  tandis  que 
Hésiode  lui  jsaraît  disposé  au  matérialisme. 

Pindare  ,  accusé  par  les  anciens  d'avoir  montré  trop  d  at- 
tachement pour  les  Perses,  est  déiéndu  par  M.  Schlegel, 
de  manière  à  pi'ouver  que  ce  critique  regarde  comme  ime 
vertu  le  défaut  de  pati'i<;lisme,  s'il  est  remplacé  par  l'ad- 
niiralio)!  portée  à  un  souver.iin   riratiger.    «   Le  rei)rocht' 


lit:  Frédcn'c  Schlegel.  85 

j)  fait  à  Plndare  ,  dit-il ,  peut  cire  facilement  expliqué.  Il  est 
»  évident,  par  ses  poésies ,  qu'il  n'aimait  pas  la  domination 
»  populaire  qui  avait  occasioné  des  troubles  fréquens  dans 
»  la  Grèce.  Parmi  les  tribus  doriques  ,  le  pouvoir  des 
»  nobles  était  très-grand  ,  et  il  régnait  beaucoup  d'atta- 
«  chenienl  pour  les  formes  mouarcliiques.  Dans  l'apli- 
»  quité  ,  la  domination  de  l'aristocraUe  ne  se  montra  Jamais 
»  sous  un  point  de  vue  si  brillant  que  chez  les  Perses  ;  et, 
a  quoique  plusieurs  souverains  aient  individuellement 
»  abusé  de  leur  autorité  ,  ils  se  faisaient  généralement 
»  estimer  par  la  douceur  et  !a  noblesse  de  leurs  manières.  » 
Pindarea,  comme  on  voit,  un  grand  mérite  aux  yeux  de 
M.  Scblegel ,  celui  de  haïr  la  démocratie  et  d'aimer  le 
pouvoir  monarchique. 

Nous  passons  sous  silence  plusieurs  remarques  du  même 
genre  sur  les  autres  poètes ,  historiens  et  philosophes  grecs, 
toutes  remarquables  p.  r  l'élégance  de  l'expression,  en  re~ 
greltant  qu'un  homme  du  talent  de  M.  Schlegel  ait  pu  s'im- 
poser une  tâche  aussi  déplorable.  Il  ne  dit  pas  un  mot  de 
Démoslliène  :  et  pourquoi  ?  parce  que  son  éloquence  éner- 
gique fut  dirigée  contre  un  monarque.  Si  cet  esprit  de  lâ- 
cheté se   maintient  encore  pendant    quelques   années  en 
.\ulriche,  l'histoire  de  l'Allemagne  sera  bientôt  à  refaire,  et 
les  rejetons  barbares  de  la  maison  de  Hapsbourg  seront  tous 
transformés  en  Bajardou  en  Grandisson.  M.  Schlegel,  trai- 
tant toujours  ,  avec  le  même  esprit  de  système,  de  la  litté- 
rature romaine,  oublie  de  citer  Catulle  ,  soupçonné  d'avoir 
manque  de  respect  h  l'empereur  ;  et  11  s'est  efforcé  de  faire 
de  Virgile  \m  poète  national,  parce  qu'il  traita  son  souverain 
comme  un  Dieu  :  erit  illc  inihi  seniper  Deus.  IXous  avons  été 
surpris  que  l'auteur  ait  rendu  justice  à  Tacite.  Voici  ses 
propres  termes  :  «  De  tous  les  auteurs  latins,   Tacite  est 
))  celui  dont  il  est  le  plus  utile  de  parler.  Le  sens  profond 
j)   de  cet  écrivain  ,  la  vigueur  de  sa  pensée,  Tonergie  tt  la 


P.G  Œuvres 

»  concision  de  son  style,  admirablement  adapté  au  sujet, 
»  paraissent  d'autant  plus  inimitables  que  plusieurs  auteurs 
»  ont  essayé  en  vain  de  fimiter.  » 

Nous  dirons  peu  de  mots  des  septième  et  huitième  le- 
çons, dans  lesquelles  M.  Schlegel  a  traité  de  la  littérature 
du  moyen  âge  ,  principalement  en  Allemagne.  Il  cite  Tbéo- 
dorlc ,  Cliarlemagne  et  notre  Alfred  comme  fondateurs 
de  la  littérature  de  leur  nation  respective  ;  maïs  ,  avant 
eux. ,  Ulphilas  avait  traduit  la  Bible,  du  grec  en  gothique. 
Les  langues  et  les  littératures  du  Nord  ont  été  cultivées 
plutôt  que  l'auteur  ne  le  suppose  ;  et  Beolbuf,  poème  du 
troisième  et  du  quatrième  siècles  ,  écrit  dans  une  langue 
du  Nord,  est  une  preuve  décisive  de  l'antiquité  de  la  litté- 
rature germanique.  Y\.  Schlegel  présume  que  les  Germains 
des  bords  de  la  Baltique ,  ont  reçu  leurs  caractères  ru.ni- 
ques  des  Phéniciens  qui  vinrent  commercer  avec  eux.  Mais 
la  tradition  ne  paraît  pas  d'accord  avec  cette  opinion. 
Runa  est  pris  quelquefois  dans  un  sens  poétique;  et  quel- 
quefois employé  pour  exprimer  qIcs  caractères  alphabéti- 
ques ou  magiques.  Or,  la  religion  ,  la  poésie  et  la  magie, 
avant  eu  ,  parmi  ces  peuples,  une  même  origine,  les  carac- 
lèi-es  runiques  doivent  avoir  été  les  premiers  employés  dans 
la  langue  religieuse  des  Germains  ,  et  très- probablement 
dans  la  langue  parlée. 

Dans  ses  leçons  sur  la  littérature  italienne  ,  M.  Schlegel 
préfère  le  Tasse  au  Dante;  mais  M.  Schlegel  est ,  par  de- 
voir, admirateur  du  pouvoir  papal ,  et  l'on  sait  que  le  Dante 
a  fait  tout  ce  qui  dépendait  de  lui  pour  l'affiiiblir.  C'est 
ainsi  qu'il  censure  Machiavel,  tout  en  reconnaissant  sa  su- 
périorité comme  historien.  Les  travaux  de  ce  vigoureux 
écrivain  sur  Tlte-Llve  ,  et  sa  mort  hors  du  sein  de  l'Eglise 
catholique,  expliquent  sufllsamment cette  opinion. 

\a  manière  dont  M.  Schlegel  parle  de  Luther,  son  il- 
lustre compatriote  ,  donnera  une  idée  de  l'esprit  qui  règne 


de  Frédéric  Schlegel.  87 

dans  tout  son  ouvrage  :  w  II  y  avait ,  pour  ainsi  tlire,  dans 
»  le  génie  puissant  de  cet  homme  privilégié,  deux  prin- 
»  cipes  opposés  qui  tendaiens  sans  cesse  à  le  dominer.  On 
»  remarque,  dans  ses  écrits  un  combat  perpétuel  entre  la 
«  lumière  et  les  ténèbres  ,  entre  une  foi  solide  et  des  pas- 
»  sions  indomptées  ,  entre  Dieu  et  l'homme.  Aussi  les  ju- 
»   gemens  de  ses  contemporains  et  de  la  postérité  ont  tou- 
»  jours  été  divers,  quelquefois  même  opposés  ,   toutes  ieS 
»   fois  C[\i\\  s'est  agi  de  lui.  Je  dois  déclarer,  pour  ce  qui 
»  me  touche,  que  l'étude  de  ses  écrils  et  de  sa  vie,  ne  m'a 
n  inspiré  d'autre   sentiment  que   celui   de   la  pitié  qu'on 
»  éprouve  en  voyant  un  génie  aussi  élevé  se  contredire  et 
»  se  perdre  lui-méine.  »  Nous  ne  sommes  point  surpris  que 
M.  Schlegel ,  fortement  attaché  aux  maximes  de  la  papauté, 
ait  de  la  peine  à  faire  grâce  à  ceux  qui  les  ont  combattues. 
Mais  ,   son  opinion  ne  saurait  compromettre  en  rien   la 
gloire  de  Luther.  Jamais  aucun  homme  n'a  travaillé  avec 
plus  d'énergie  à  la  recherche  de  !a  vérité  ,  et  peut-ètra  il 
l'aurait  découverte,  s'il  avait  vécu   dans  un  autre  siècle. 
Comme  écrivain  ,  ce  grand  réformateur  a  obtenu  les  suf- 
frages de  tous  ses  concitoyens.  On  admire  ,  dans  sa  tratkic- 
lion  de  la  Bible  ,  la  force  ,  la  dignité,  Ja  grâce  du  style  ,  et 
cette  heureuse  flexiijilité  de  talent  qui  reproduit  sans  effort 
la  physionom'e  de  l'original ,  depuis  le  récit  le  p:us  simple 
jusqu'au  sublime  enthousiasme  des  prophètes.   Notre  but 
principal  élant  de  signaler  le  système  politique  qui  domine 
dans  Y  Histoire  liltéraire  de  M.  Schlegel ,  nous  ne  le  sui- 
Trons  j)as  dans  ses  remarques  sur  les  littératures  des  autres 
parties  du  monde.  Eu  parlant  è.Q&  auteurs  anglais  ,  français 
et  espagno's ,  ses  préjugés  n'ont  pas  eu  une  occasion  aussi 
favorable  de  se  développer.  Toutefois  ,   on  trouve  encore 
dans  ses  exagérations  sur  le  mérite  ^ç^s  littératures  espa- 
gnole et  portugaise  ,   une  preuve  de  sa  prédilection  pour 
l'Eglise  romaine. 


88  Histoire  d;S  vins 

Nous  lermioeroûs  nos  observations  sur  cel  auteur  si  dis- 
tingué ,  sous  le  point  de  vue  littrraire,  par  l'originalité  et 
la  finesse  de  ses  critiques,  en  avertissant  le  lecteur  de  se  dé- 
fier de  ses  principes  qui  tendent  à  rendre  la  servitude  aima- 
ble et  le  despotisme  perpétuel ,  s'il  pouvait  1  être.  On  fera 
bien  de  le  lire  et  de  Técouter  ,  parce  que  son  style  a  du 
nombre,  du  mouvement  et  de  la  grâce j  mais  ce  charme  est 
trompeur  ;  pour  y  échapper ,  il  fout  être  sur  de  soi-même  , 
et  ne  pas  perdre  de  vue  les  réllexions  que  nous  venons  de 
soumettre  au  iecleur.  (  fyestniinster  Retnew.  ) 


HISTOIRE  DES  VINS  ANCIENS  ET  ^JODERNES. 

Par  le  docteur  Alexandre  Henderson,  ua  vol.  ia-4°,  i8a5  (i). 


Le  docteur  Henderson  a  tenu  plus  encore  que  le  titre 
de  son  livre  ne  semblait  promettre,  quoiqu'il  promît  beau- 
coup. Une  histoire  des  vins  des  anciens  eût  été  incom- 
plète, si  l'auteur  n'y  avait  pas  joiilt  tous  les  détails  relatifs  à 
la  culture  de  leurs  vignobles  ,  à  leur  manière  de  recueillir  , 
de  préparer  et  de  conserver  leurs  vins  ;  et  si ,  en  même 
tenis  ,  il  n'avait  pas  tâché  d'apprécier  les  traits  de  ressem- 
blance ou  d'analogie  de  ces  vins  avec  ceux  des  modernes. 
Il  fallait  introduire^  en  quelque  sorte,  le  lecteur  au  milieu 
de  leurs  festins ,  dont  ies  vins  composaient  la  partie  essen- 
tielle. Le  docteur  Henderson  n'a  rien  épargné  pour  rendre 
ses  recherches  à  la  fois  instructives  et  agréables.  A  force 
de  connaissances,  de  jugement  et  de  goût,  il  est  paivenu 

(il  The  history  nf  niitlent  nnd  modem  i\<ines  ,  l>y  A.  Hcndcrion  , 
M.  D.  4"   i8a,'j. 


anc7e7is  et  modernes.  8q 

à  donner  beaucoup  crintérèt  à  toiiles  les  aLufions  au  vin,  qui 
se  rencontrent  si  fréquemment  dans  les  ouvrages  histori- 
ques, didactiques  et  lyriques  des  écrivains  de  la  Grèce  et 
de  Rome  ,  et  surtout  dans  Horace. 

Son  ouvrage  est  géuéraiement  cpnsacré  à  l'histoire  du 
vin,  comme  le  titre  l'annonce  j  cependant  on  y  rencontre 
plusieurs  chapitres  sur  la  fermentation,  sur  les  principes 
conslituans  des  vins  ,  sur  leur  classification  ,  leur  conser- 
vation ,  leur  maturité,  leur  sophistication,  et  leurs  pro- 
priétés nutritives  et  médicales  ,  qui  sont  dignes  d'un  pro- 
fond examen.  On  trouve  aussi,  dans  lesnotPs,  un  tableau 
de  leurs  forces  relatives,  de  la  quantité  d'alcohol  qui  se  dé- 
gage pendant  la  fermentation  ,  et  une  évaluation  des  diffé- 
rentes espèces  de  vins  français.  Nous  allons  donner  une 
analyse  rapide  de  ce  travail  remarquab'e,  en  ajoutant 
les  observations  que  nous  croyons  nécessaires  pour  relever 
quelques  erreurs,  ou  réparer  quelques  omissions.  Nous  au- 
rions désiré  ,  par  exemple  ,  que  l'auteur  eût  établi  d'une 
manière  positive  quede  était ,  du  côté  de  l'Orient,  la  limite 
où  s'est  arrêtée ,  dans  tous  les  tems ,  la  culture  de  la  vigne, 
et  la  fabrication  du  vin. 

Il  commence  son  ouvrage  par  un  chapitre  sur  les  vi- 
gnobles des  anciens,  sur  la  nature  du  terrain  et  de  l'ex- 
position qu'ils  choisissaient,  et  sur  leur  manière  de  planter 
et  de  tailler  la  vigne.  Il  paraît  y  avoir  eu  des  différences 
d'opinion  sur  la  hauteur  qu'on  devait  lui  laisser  prendre  : 
Cal  on  ,  Pline  et  Columelle  recommandent  qu'on  tienne  la 
vigne  basse;  les  deux. agronomes  célèbres,  Saserna  père  et 
fils,  conseillent  au  contraire  de  la  laisser  pousser  indéfini- 
ment. Les  différentes  espèces  de  vins  ,  connus  chez  les 
anciens,  étaient  très-nombreuseg  ;  mais  il  est  impossible  de 
les  désigner  sous  des  dénominations  modernes.  La  côte 
d'Aminée  passait  pour  produire  uu  vin  remarquable,  sur- 
tout par    ia  délicatesse  exquise  de    sou  bouquet  ,  et  l'on 


90  Histoire  des  lins 

trouve,  dans  la  vie  de  rempereiir  Florien  ,  par  Vopiscus  , 
un  passage  curieux  où  le  changement  de  couleur  du  raisin 
de  celte  côte  ,  est  donne  comme  un  présage.  Le  vin  de  No- 
meuUnu  ,  coutenant  plus  de  substance  muci'agineuse  que  le 
premier  ,  était  également  très-recherché.  I^a  l'igiie  Apiana, 
le  muscat  moderne  ,  qui  a  reçu  son  nom  actuel ,  comme  son 
nom  ancien,  de  sa  disposition  à  attirer  iesaheii'.es  ou  les  mou- 
ches ,  n'avait  pas  moins  de  célébrité.  Les  anciens  mettaient 
beaucoup  de  soins  et  de  sagacité  dans  le  choix,  du  terrain 
pour  les  différentes  espèces  de  vignes,  et  plusieurs  coteaux 
ne  produisaient  souvent  qu'une  seu'e  qualité  de  raisin.  La 
portion  la  p'us  intéressante  de  ce  chapitre  est  consacrée  au 
tableau  comparatif  de  la  dépense  et  du  revenu  des  anciens 
et  des  modernes  dans  l'exploitation  des  vignobles.  Le  doc- 
leur  Henderson  entre ,  à  ce  sujet ,  dans  une  foule  de  re- 
cherches extrêmement  précieuses ,  dont  !e  résultat  est  k  que 
»  "V  arron  n'a  point  exagéré  en  assurant  que  le  produit  d'une 
»  portion  de  terre  ,  équivalant  à  un  acre  anglais,  pouvait 
»  s'élever  à  cinquante-quatre  muids  de  vin^  récolte  infini- 
»  ment  supérieure  à  celles  de  nos  meilleurs  vignobles.  »  Il 
faut  remarquer ,  cependant ,  que  les  anciens  visaient  trop 
souvent  à  'a  quantité  aux  dépens  de  la  qualité,  et  supposer 
au  moins  une  erreur  dans  Varron^  depuis  qu'on  s'est  assuré 
que  les  vignobles  de  Grenade ,  les  p'us  fertiles  Au.  monde  et 
les  mieux  situés  ,  ne  donnaient  guère  que  le  tiers  du  pro- 
duit indiqué  par  cet  auteur.  Les  profits  ,  évalués  d'après 
les  bases  les  plus  raisonnables  ,  ne  s'élevaient  pas ,  chez 
les  anciens ,  au-delà  de  six  pour  cent  des  capitaux  consa- 
crés à  !a  culture  des  vignes ,  comme ,  en  Bourgogne ,  ils 
ne  produisent  que  le  sept ,  et  en  Champagne  seulement  le 
trois  pour  cent. 

Dans  ce  chapitre  ,  et  dans  plusieurs  autres  parties  de  sou 
ouvrage ,  relatives  aux  vins  des  anciens ,  le  docteur  Hen- 
derson a  négligé  trop  légèrement  un  grand  nondire  d'au- 


anciens  et  modernes.  9 1 

leurs,  qui  lui  auraien!  fourni  des  renseignemens  précieux 
sur  les  vignoljles  et  les  vendanges  des  Grecs  ,  et  principa- 
lement sur  les  différences  qui  existaient  entre  leurs  procédés 
et  ceux  des  Romains.  Il  ne  parle  pas  non  plus  des  maladies 
auxquelles  les  vins  sont  exposés ,  ni  des  insectes  et  des  ani- 
maux qui  peuvent  les  attaquer  ,  et  des  moyens  que  les 
anciens  employaient  pour  les  en  préserver  ;  il  est  vrai  que 
ces  détails  ne  sont  pas  précisément  Fobjet  essentiel  de  son 
ouvrage  ;  mais  tant  d'écrivains  de  Tantiquité  ont  rapporté  , 
à  cet  égard,  des  particulai'ités  curieuses  ,  qu'il  aurait  pu 
citer  quelques-unes  des  plus  importantes.  On  aurait  appris 
volontiers  ,  par  exemple  ,  comment  les  anciens  défendaient 
leurs  vignes  des  attaques  des  chèvres  et  des  renards.  Hasse!- 
quist  nous  assure  que,  dansTOrieut,  les  cliakals  délruient 
quelquefois  des  vignobles  entiers.  Le  goût  des  renards  pour 
le  raisin  est  passé  en  proverbe  ,  et  la  fête  célébrée  par  les 
cultivateurs  d'Albènes,  en  Tlionneur  de  Bacciius ,  fête  dans 
laquelle  ils  lui  sacrifiaient  un  bouc,  doit  certainement  son 
origine  aux  ravages  exercés  par  cet  animal  sur  son  arbris- 
seau favori. 

Le  second  chapitre  est  consacré  aux  détails  de  la  ven- 
dangé et  aux  procédés  employés  par  les  anciens  pour  la 
fabrication  de  leurs  vins.  La  vendange  commençait  géné- 
ralement au  mois  de  septembre,  et  ils  avalent  grand  soin 
de  ne  cueillir  d'abord  que  les  raisins  les  plus  mûrs  du 
coteau  le  mieux  exposé.  Les  premiers  cueillis  contenaient 
selon  eux,  le  plus  de  moût  ;  les  seconds  donnaient  le  meil- 
leur vin  ;  le  troisième  le  vin  le  plus  doux.  La  méthode  de 
tordre  les  queues  ,  d'écarter  les  feuilles  et  de  laisser  les 
raisins  exposés  au  soleil ,  encore  suivie  aujourd'hui  pour 
les  vins  délicats  ,  était  fort  en  usage  chez  les  anciens. 
Théophraste,  dans  son  Traité  des  Plantes,  nons  apprend 
qu'oa  enveloppait  quelquefois  les  grappi?s  d'une  cloclie  , 
pour  les  garantir  de  la  trop  grande  ardeur  du  soleil.  Les 


g 5  JJi.itoi'i'e  de^  Tins 

différentes  uianicrcs  de  préparer  ie  moûc  ,  ses  noms  et  ses 
qualités,  lorsquil  avait  subi  quelques  frausforruatlons  ;  le 
pressoir  ,  le  mélange  de  l'eau  salée  et  plusieurs  autres  in- 
grédiens  érangei^s  à  nos  goûts  ,  tels  que  la  poi\  ,  des  bois 
du  Midi  ,  des  herbes  aromatiques;  sont  traités  dans  l'ou- 
vrage da  docteur  Henderson  d'une  manière  claire  et  com- 
plète. Nous  admettons  avec  lui  que  quelques  -  nues  défi 
substances  qui  devaient  être  ajoutées  au  A'in,  d'après  Colu- 
melle  ,  n'avaient  d'autre  résultat  que  de  !e  clarifier  ou  de 
lui  communiquer  un  parfum  quelconque;  mais  après  tout , 
ce  chapitre  ne  donne  pas  une  haule  idée  du  goût  des  an- 
ciens, ni  de  rexcellence  de  leurs  vins  ,  s'ils  étaient  préparés 
selon  les  prescriptions  de  cet  auteur. 

Dans  le  troisième  chapitre,  on  trouve  la  description  des 
vases  que  les  anciens  employaient  pour  conserver  leurs  vins 
et  des  celliers  où  ils  les  déposaient.  Des  peaux  d'animaux 
rendues  imperméables  par  l'huile  ou  les  gommes  résineuses, 
servaient  à  cet  usage,  de  tems  immémorial  :  on  en  voit  des 
preuves  dans  Homère  et  dans  l'Ecriture.  On  introduisit 
ensuite  des  vases  d'argile  enduits  de  poix  ;  lorsque  le  bois 
abondait,  on  s'en  servait  pour  faire  des  tonneaux. i  mais,  eu 
général,  les  Grecs  et  les  Romains  employaient  la  poterie, 
de  préférence. 

Les  tonneaux  qui  contenaient  les  vins  les  plus  généreux, 
étaient  placés  dans  toute  la  longueur  du  cellier ,  et  enfoncés 
dans  le  sable.  H  est  probable  qu'on  avait  recours  au  siphon 
pour  vider  les  plus  grands  :  on  se  contentait  d'incliner  les 
plus  petits  sur  le  côté  ,  comme  le  voit  dans  plusieu^-s  pas- 
sages des  auteurs. 

Tout  ce  qu'a  dit  le  docteur  Henderson  sur  les  celliers  des 
anciens  ,  est  fort  curieux  ;  mais  nous  aurions  encore  désiré 
qu'à  cet  égard  il  eût  consulté  davantage  les  auteurs  grecs, 
ne  fût-ce  que  pour  comparer  leur  méthode  à  celle  qui  est 
indiquée  par  les  écrivains   romains.  On  sait  ,  par  un  pas- 


ann'f'n.'!  c!  modi'rnr.s.  ry» 

sage  (le  Xôno  bon  ,  que  les  Grecs  conservaient  lerrs  vins 
dans  la  lartle  la  plus  fraîcbe  de  leurs  habitations,  et  il  existe 
un  scoliaste  d'Aristophane,  qui  dit  qu'ils  étaient  dans  Tu- 
sage  de  garder  \p  vin  etlbuiledaus  des  caves  ou  des  citernes. 
Encore  de  nos  jours  ,  les  insulaires  de  Tîle  de  Zante  ne  con- 
servent pas  auirement  leurs  huiles. 

Avant  que  les  amphores  fussent  déposées  dans  le  /'unie/- 
ri'um ,  les  Romains  v  attachaient  une  étiquette  inchquant 
Vannée  de  la  récolte  des  vins  qu'elles  contenaient  et  le  nom 
des  consuls  eu  exercice.  La  manière  d'employer  lefiema- 
riiim  à  Tamélioration  des  vins,  empruntée  des  Asiatiques, 
est  parfaitement  décrite  par  notre  auteur.  Lorsque  les  vins 
étaient  robustes  et  de  nature  à  gagner  à  cette  préparation  , 
l'effet  en  devenait  salutaire  :  on  en  faisait  principalement 
usage  pour  donner  du  corps  à  ceux  d'une  qualité  inférieure. 
Le  docteur  Renderson  paraît  convaincu  que  les  vins  épais 
des  anciens  n  •  devaient  cette  propriété  qu'à  l'emploi  an  fu- 
mariian.  Cependant  nous  sommes  plus  disposés  à  partager 
l'opinion  de  Pav»^-  ,  qui  pense  que  dans  les  premiers  teras 
de  la  fabrication  des  vins  en  Grcce ,  on  leur  donnait  gé- 
néralement une  consislance  artificielle.  Il  prétend  même 
qu'un  seul  petit  canton  de  la  Laconie  produisait  des  vins 
qui  ne  fussent  point  épaissis  par  la  fumée  ou  par  l'ébuUition , 
et  un  texte  d'Aristote  ,  qu'il  cite,  semble  confirmer  celte 
opinion. 

[jC  produit  de  la  dernière  vendange  était  goûté,  pour  \\ 
première  fois,  le  jour  de  la  fête  de  Bacchus,  au  mois  d:? 
mai,  lorsque  les  vents  d'ouest  avaient  cessé.  Jadis  on  célé- 
brait une  fête  analogue,  en  Angleten'e  ,  comme  on  le  fait 
encore  en  Allemagne ,  à  la  Saint-Martin  j  on  ouvrait  les 
barriques  de  bière  ,  au  milieu  des  festins  ,  des  chansons  et 
des  réjouissances  de  toute  espèce. 

Le  docteur  Heuderson  termine  ce  chapitre  par  des  cita- 
tions qui  prouvent  qu'il  \\f  a  rien  d'absolument  nouveau 

II.  n 


g4  Histoire  des  vins 

sous  le  soleil ,  en  bien  ou  en  mal.  «  Pour  attirer  les  ama- 
»  teurs  j  dit-il ,  les  marchands  de  vins ,  chez  les  anciens  , 
»  employaient  toutes  sortes  de  ruses  5  quelques-uns  versaient 
»  du  vin  jeune  et  médiocre  dans  des  tonneaux  qui  en  avalent 
n  contenu  d'excellent  j  d'autres  plaçaient  du  fromage  et 
»  des  noix  dans  leurs  celliers  ,  afin  que  ceux  qui  entraient, 
»  fussent  tentes  d'en  manger ,  et  que  leur  palais  fût  émoussc 
»  avant  de  goûter  an  vin.  » 

Les  variétés  et  les  qualités  générales  des  vins  des  anciens 
sont  exposées  dans  le  chapitre  suivant.  Il  est  évident  qu'à 
moins  de  comparer  leurs  qualités  à  celles  des  vins  modernes, 
il  est  impossible  de  nous  en  donner  une  idée  exacte  ,  et 
quels  que  soient  les  efforts  du  docteur  Henderson  pour  ar- 
river à  ce  but ,  on  s'aperçoit  aisément  des  difficultés  qu'il  a 
dû  rencontrer  dans  cette  partie  de  son  travail.  Il  fait  ob- 
server,  avec  raison,  «  qu'il  n'est  pas  toujours  très -facile 
»  de  déterminer  d'une  manière  précise  ,  les  qualités  dls- 
»  tinctives  des  vins  modernes ,  et  que  cette  tâche  est  néces- 
.)  sairement  plus  difficile  encore  à  remplir ,  pour  les  vins 
»  des  anciens  j  mais  que  les  termes  aux  moyens  desquels 
»  nous  caractérisons  l'odeur  ,  la  saveur  et  les  propriétés 
»  essentielles  des  nôtres  ,  ayant  aussi  été  employés  dans 
M  l'antiquité  ,  on  peut  déterminer  ,  par  analogie  ,  jusqu^à 
»  un  certain  point,  quelques-unes  des  propriétés  des  vins 
»  anciens ,  et  même  établir  auxquels  des  produits  de  nos 
»  coteaux  ces  vins  ressemblent  davantage.  » 

La  douceur  était  une  qualité  jugée  à  peu  près  indispen- 
sable dans  les  vins  des  anciens.  Le  docteur  Henderson  en 
donne  des  preuves  convaincantes ,  et  l'on  trouve  dans  Mar- 
tial un  passage  qui  porte  son  assertion  jusqu'à  l'évidence. 
Cet  auteur  compare  le  nectar  des  dieux  au  vin  de  Falerne, 
mêlé  avec  le  miel  d'Athènes  (  liv.  xiii ,  p.  108.  ).  Les  Ro- 
mains tiraient  ces  vins  doux  de  l'étranger  j  ceux  de  l'Italie 
étaient  généralement  secs  et  durs,  e.  ne  devenaient  pota- 


anciens  et  rrwclfrnes.  g5 

blcs  qu'avec  le  temset  le  séjour  dans  \g  fumariurn .  Il  y  avait 
donc  trois  espèces  de  vins  chez  les  anciens  :  les  vins  (!oux  , 
les  vins  secs  et  les  vins  intermédiaires,  à  la  fois  secs  et  doux, 
ou  doucereux.  Les  vins  grecs  étaient  principalement  sucrés, 
comme  le  vin  de  Chypre  ou  de  Constance;  ceux  de  Co- 
riuthe  et  de  Pramuia  étaient  secs,  et  ne  perdaient  lear 
âpreté  qu'au  bout  d'un  certain  nombre  d'années.  Les  plus 
forts  étaient  hauts  en  couleur  ;  ceux  qui  provenaient  des 
raisins  blancs  gardaient  une  teinte  jaunâti-e  :  aucun  d'eux 
n'était  doux.  On  les  désignait  par  le  nom  de  leurs  crus,  et 
dans  les  cas  de  récolte  extraordinaire,  par  celui  des  consuls 
de  l'année.  Il  fallait  cinq  ans  pour  mûrir  les  plus  géné- 
reux ,  et  quelquefois  davantage.  Souvent  le  viu  ne  s'amé- 
liorait qu'après  vingt  ans  :  passé  ce  teras ,  il  devenait  exquis. 
Cinq  ou  six  ans  suffisaient  aux  vins  étrangers ,  et  lorsqu'ils 
étaient  de  nature  à  supporter  la  mer ,  ils  gagnaient  beau- 
coup à  voyager. 

Les  vins  ordinaires  d'Italie  étaient  à  très -bon  marché  , 
quoiqu'on  ne  puisse  pas  en  déterminer  le  prix  d'une  manière 
exacte  ;  il  paraît  avoir  varié  depuis  deux  sous  jusqu'à  huit 
sous  le  o-a/Zo/z  (  quatre  litres  de  France  ).  Les  vins  inférieurs 
de  la  Grèce  coûtaient  25  ,  5o  et  5o  fr.  le  muid  ;  les  meil- 
leurs s'élevaient  jusqu'à  uoo  fr. ,  et  Pline  parle  d'une  seule 
amphore  de  vin  grec  superfin  ,  qui  fîit  payée  ce  prix  exor- 
bitant. En  472  ,  sous  le  règne  de  Théodoric,  la  vendange 
avait  été  si  abondante  ,  que  le  vin  ordinaire  gc  vendit 
moins  d'un  sou  le  gallon. 

En  parlant  des  principaux  vins  de  la  Grèce  et  de  l'Asie , 
le  docteur  Henderson  les  représente  comme  le  produit  pres- 
que exclusif  des  îles  Ioniennes  et  de  l'Archipel.  Lesbos  , 
Chio  et  Thasos  fournissaient  les  plus  estimés  ;  leur  couleur 
était  d'un  jaune  pâle,  et  leur  bouquet  d'une  odeur  exquise. 
Le  vin.de  Lesbos  avait  moins  de  parfum  ,  mais  plus  de  sa- 
A'cur  ;  celui  de  Thasos,  généreux  ,  doux  ,  vieillissait  lente- 


g6  Histoire  des  vins 

ment  ;  mais  lâge  lui  donnait  une  odeur  agréable  de  pomme. 
Le  docteur  Clarke  assure  que  les  médailles  de  Chio ,  qui  ne 
sont  point  rares  dans  le  Levant ,  ont  toutes  quelques  rap- 
ports au  vin  de  cette  île ,  qui  conserve  encore  son  ancienne 
célébrité  j  elles  représentent  d'un  côté  un  spliynx  couronné 
de  raisins,  et  de  Tautre  une  amphore  avec  quelques  em- 
blèmes de  la  fertilité  de  l'île.  Le  vin  de  Clilo  était  si  estimé , 
si  rare  et  si  cher,  lorsqu'il  fut  introduit  à  Rome  pour  la 
première  fois  ,  que  dans  les  repas  les  plus  somptueux ,  on 
n'en  versait  qu'une  coupe  à  chacun  des  convives. 

Les  Grecs  étaient  familiarisés  avec  les  meilleurs  vins 
de  l'Asie  et  de  l'Afrique.  Parmi  les  derniers  ,  ceux  de 
Tœnia  n'admettaient  aucune  comparaison  ;  et  le  vin  de 
IMéroé  ,  boisson  favorite  de  Gléopâtre  ,  avait  de  l'ana- 
logie avec  celui  de  Falerne.  Le  vin  de  Tœnia  ,  d'une  cou- 
leur grise  ou  verdàtre  ,  un  peu  astringent ,  quoique  doux, 
se  faisait  remarquer  par  son  odeur  aromatique.  On  voit, 
cependant ,  par  une  épigramme  de  Martial ,  déjà  indiquée  , 
que  la  plupart  des  vins  d'Egypte  étaient  d'une  qualité 
fort  inférieure  ,  et  Macrobe  déclare  positivement  qu'ils 
ctaienl  extrêmement  froids  et  mous  ,  malgré  la  chaleur  du 
climat. 

lips  vins  des  Romains  sont  le  sujet  du  sixième  chapitre. 
La  Campanie,  cette  province  célèbre  par  la  douceur  de 
son  climat  et  la  fertilité  de  ses  coteaux  ,  produisait  le  meil- 
leur de  la  presqu'île.  «  Dans  l'antiquité  ,  dit  notre  auteur  , 
»  les  collines  qui  donnent  à  toute  la  contrée  une  physio- 
»  nomle  riante  et  animée  ,  paraissaient  ne  former  qu'un 
»  immense  vigno])le  où  l'on  prenait  soin  d'entretenir  les 
»  espèces  de  raisin  les  plus  parfaites,  j»  Le  vin  de  Falerne 
était  le  produit  le  phis  recherché  de  ce  vignoble;  mais  il 
est  probable  (jue ,  sous  ce  nom  ,  on  préparait  et  on  vendait 
souvent  les  vins  moins  délicats  de  Gaurus  et  de  Marsicus. 
Selon  Pliae  ,  cité  par  HP!idî:rson,  !.;  via  de  Cécul^e  qu'on 


anciens  et  modcnics.  q^ 

rrcnitail  dacs  les  marais  J'Amyclce ,  avait  eu  ,  dans  un 
tems,  beaucoup  de  réputation  5  mais  on  négligea  les  vignes  , 
<'l  la  formation  d'un  canal  contribua  à  les  faire  abandonner. 
Ls  vin  de  Falerne  était  alors  au  second  rang,  et  peut-être 
au  premier  ;  le  vin  d'Albe  ,  au  troisième ,  à  cause  de  sa 
douceur.  Auguste  ,  selon  Pline,  donnait  la  préférence  au  via 
de  Lelos  ,  quoiqu'il  doive  paraître  extraordinaire  ,  comme 
l'observe  le  docteur  Henderson,  qu'Horace  n'en  ait  jamais 
parlé.  Tels  étaient ,  avec  les  vins  de  Sorrente  et  de  Capcue  , 
analogues  à  ceux  de  Xérez  et  de  Madère  ,  les  plus  fameux 
vins  de  la  Campanie  ,  du  tems  des  Romains. 

Nous  ne  suivrons  point  le  docteur  Heuderson  'ans  les  dé- 
tails relatifs  à  l'histoire  des  vins  de  Vérone  ,  de  la  Sabine  , 
de  Spolelle  et  de  la  Sicile. 

Les  Romains  ,  indépendamment  de  ces  vins  .  en  tiraient 
beaucoup  de  leurs  provinces  de  la  Grèce  ,  de  la  Gaule,  de 
l'Espagne  et  de  l'Archipel.  Les  raisins  violets  de  Vienne  et 
le  riche  muscat  du  Languedoc  leur  étaient  parfaitement 
connus,  ainsi  que  les  vins  généreux  de  l'Espagne.  Les  îles 
Baléares  leur  en  fournissaient  également,  et  lis  en  faisaient 
autant  de  cas  que  de  ceux  de  plusieurs  crûs  de  Tf  ialie. 

On  trouve  dans  quelques  passages  des  anciens,  que  la 
populace  de  Rome  avait  fini  par  éprouver  le  besoin  du  vin 
avec  autant  de  vivacité  que  celui  du  blé  ,  à  mesure  ijue  le 
hixe  faisait  des  progrès,  et  que  l'empire  mirchait  vers  sa 
décadence.  Suélone  rapporte  que  le  peuple  se  plaignait 
amèrement,  sous  Auguste,  de  la  rareté  et  de  la  cherté  du 
vin,  et  que  ce  priuce  répondit  que  son  gendre  Agrippa  avait 
pris  des  mesures  pour  l'empêcher  de  mourir  de  soif,  en 
veillant  à  l'entretien  des  fontaines.  Il  faisait  allusion  au 
corps  des  ingénieurs  hvdraulicjues  [cura/ores  aquanmi  )  , 
que  celui-ci  avait  institué  et  préposé  au  soin  et  à  la  couse  r- 
vation  des  aqueducs.  Vopiscus ,  dans  sa  f^ie  d'Aurélien , 
parle  ausi  i\\\  projet  qu'avait  eu  cet  empor»  ur  de  fournir 


f)8  lîiiloitv  drs  vins 

du  vin  à  la  populace ,  comme  on  lui  fournissait  du  pain  , 
de  riiuile  et  de  !a  viande;  mais  on  lui  fit  sagement  observer 
que  s'il  accordait  celte  faveur ,  il  faudrait  accorder  toutes 
celles  que  le  caprice  et  la  «léhauclje  feraient  solliciter  au 
peuple  romain.  Il  se  contenta  de  faire  déposer  du  vin  dans 
le  temple  du  Soleil ,  où  il  était  vendu  à  très-bas  prix.  Les 
tribuns  et  les  autres  ofllcicrs  des  légions  en  recevaient  une 
ration  j  et  l'on  peut  conclure  d'un  édit  de  l'empereur  Niger, 
que  toute  l'armée  romaine  en  buvait  également  pendant  la 
durée  du  service ,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  décidé  que  les  soldats 
se  contenteraient  de  vinaigre  (i). 

Les  moyens  employés  par  les  anciens  pour  tremper  ou 
rafraîchir  le  vin ,  forment  le  sujet  du  septième  chapitre.  Ils 
regardaient  comme  inconvenant  et  grossier  de  le  boire  pur  ; 
mais  tandis  que  les  Grecs  et  les  Romains  y  mêlaient  de  l'eau 
pour  Vaifaiblir ,  les  Asiatiques  y  ajoutaient  des  épiées  pour 
lui  donner  plus  de  force  et  de  saveur. 

Il  était  difficile,  sous  un  climat  tel  que  celui  de  l'Ilalle 
et  de  la  Grèce,  de  se  procurer  de  la  glace  ou  delà  neige 
pour  rafraîchir  les  boissons  ;  et  c'est  cependant  sous  des 
latitudes  aussi  chaudes  qu'il  est  surtout  agréable  de  hoire 
Jrais.  Les  Grecs  avaient  emprunté  cet  usage  aux  Orientaux, 
ainsi  que  la  manière  de  conserver  la  glace  et  la  neige ,  et 
d'abaisser  la  température  de  l'eau  par  l'évaporation  :  ils  la 
transmirent  aux  Romains.  Ce  dernier  procédé  a  été  parti- 
culièrement décrit  par  Athénée  ,  Pline  et  Galien  j  le  doc- 
teur Henderson  ajoute  qu'on  employait  des  eufans  à  entre- 
tenir pendant  toutes  les  nuits  ,  l'humidité  extérieure  des 
barriques.  La  fraîcheur  de  ces  barriques  était  conservée , 
aussi  bien  que  les  pots  de  neige  et  de  glace  qu'elles  ren- 

(i)  KOTE  DU  Tr.  Ce  que  les  Romains  appelaient  acctnm^  le  vi- 
naigre ,  n'e'tait  qu'une  espèce  de  vin  fabriqué  ,  une  sorte  de  piquette 
qu'on  donnait  aux  soldais,  et  que  ceux-ci  mêlaient  avec  de  l'eau  pour 
se  dc'salle'rcr.  On  pourrait  l'appeler  le  vin  de.  munition.  Ad.  lî. 


anciens  et  modernes.  99 

maient ,  aa  moyen  d'une  enyeloppe  de  paille,  de  branches 
de  cl)cna  et  de  toiles  grossières.  Le  docteur  Henderson  paraît 
croire  qu  Alexandre  apprit ,  dans  Tlnde ,  cette  méthode  de 
conserver  la  neige;  mais  elle  était  connue  plus  d'un  demi- 
siècle  avant  sa  naissance. 

Cette  première  partie  de  l'histoire  des  vins  des  anciens, 
est  terminée  par  un  exposé  des  dififérens  emplois  du  vin  dans 
les  festins  des  Grecs  et  des  Romains  ]  leurs  ragoûts ,  leurs 
sauces,  leurs  coupes,  leurs  toasts,  leurs  différentes  espèces 
de  vins  sont  décrites  de  la  manière  la  plus  agréable.  On  y 
remarque  <les  contrastes  singuliers  entre  les  mœurs  des  Grecs 
et  celles  des  Romains  :  ceux-ci  permettaient  à  leurs  femmes 
de  prendre  place  à  leurs  banquets ,  mais  ils  leur  défendaient 
l'usage  du  vin  ,  tandis  que  les  Grecs ,  qui  le  leur  permet- 
taient ,  ne  souffraient  point  qu'elles  parussent  dans  leurs 
festins. 

Le  docteur  Henderson  a  très-bien  fait  ressortir  la  dif- 
férence qui  existait  entre  les  grossières  jouissances  des  hé- 
ros d'Homère ,  et  les  brillantes  réunions  des  Grecs  et  des 
Romains,  dans  des  tems  postérieurs.  «  Arcliestraie  de  Sy- 
»  racuse ,  dit-il,  qui  parcourut  la  terre  et  les  mers  ,  seule- 
»  ment  pour  étudier  l'art  de  bien  vivre  ,  réunit  ses  maté- 
»  riaux ,  et  en  fit  un  poème  sous  le  titre  de  la  Gastronomie  j 
»  dont  plusieurs  fragmens  ont  été  conservés.  TImarchides 
»  de  Rhodes  offrit  à  ses  concitoyens  l'hommage  d'un  traité 
»  en  six  ou  sept  livres ,  sur  le  même  sujet.  Un  ouvrage 
»  complet  sur  l'art  du  cuisinier,  commençant  parles  truffes 
»  et  finissant  par  le  poisson  ,  est  dû  à  Philoxène  de  Cylhère, 
»  le  prototype  des  Epicm'cs  de  noire  tems ,  qui  demandait 
»  aux  dieux  le  cou  cV  une  grue  pour  prolof2ger  ses  Jouissances, 
»  et  qui  se  faisait  toujours  accompagner  d'esclaves  chargés 
I)  d'hqile,  de  vinaigre,  et  d'épices  ,  pour  assaisonner  les 
i>  mets  qu'on  pourrait  iui  offrir,  lorsqu'il  dînait  en  ville. 
n  On  dit  qu'Arlsiolo  lui-même,  s'éiait  occupe  de  rédiger 


loo  Hisloire  dtfs  ri/is 

»  un  code  (le  lois  pour  la  table  ,  et  qu'il  passait ,  parmi  ses 
»  contemporains  j  pour  un  grand  amaîeur  de  poisson.  » 

Nous  dirons  quelques  mots  des  salles  à  manger  de  l'an- 
ti({uité.  Elles  étaient  toujours  placées  dans  la  partie  la  pais 
élevée  de  la  maison,  à  cause  du  plaisir  de  la  vue,  et  leur 
longueur  était  double  de  leur  largeur.  La  décoration  inté- 
rieure ne  répondait  pas  toujours  à  la  magnificence  des  re- 
pas, surtout  s'il  faut  croire  ce  que  dit  Horace,  de  ces 
canapés  suspendus  autour  de  la  table ,  dont  la  chute  enve- 
loppait souvent  les  convives  d'un  nuage  de  poussière  (i). 
Cependant  les  salles  à  manger  de  quelques  eiripereurs, 
notamment  celles  de  Néron  et  d'Héliogabcile,  surpassaient 
en  magnificence  tout  ce  que  nous  pouvons  imaginer  de 
plus  brillant  dans  les  tems  modernes  ;  elles  étaient  revêtues 
de  grandes  lames  d'ivoire,  qui  présentaient  des  tableaux 
différens  en  glissant  sur  des  roulettes  j  on  parfumait  les 
convives  et  on  les  couronnait  de  fleurs.  Le  mouvement  des 
corps  célestes  était  imité  sur  des  plafonds  cintrés,  de  ma- 
nière à  représenter  le  cours  des  saisons.  Nos  lecteurs  pour- 
ront consulter  sur  cette  matière ,  i'ouvrage  à  la  fois  ins- 
tructif et  amusant  de  dAruay ,  ou  /es  Recherches  sur  les 
rnceurs  doniesiùjues  des  Romains. 

Les  Grecs  et  les  Romains  avaient  empruntés  aux  Asia- 
tiques l'usage  de  se  coucher  pour  prendre  leurs  repas. 
Leurs  sièges  étaient  extrêmement  élégans  ;  les  pieds  en 
étaient  d'ivoire  ou  de  bronze  ;  ils  les  couvraient  d'élolTes 
couleur  de  pourpre  et  richement  brodées.  Quelquefois  on 
y  semait  des  roses  :  l'anecdote  du  Sybarite  est  bien  connue. 
Les  tables  ne  le  cédaient  point  aux  sièges  en  richesse  et 
en  magnificence  :  dans  les  premiers  tems  elles  étaient  de 
sapin  ou  d'érablej  plus  tard  les  Romains  y  employèrent  le 
bois  de  citronnier.  Les  pieds  et  Ips  bords  é  aient  garnis 
d'ivoire  ou  d'argent. 

(i)   Horace,  Sal.,i;v.  II,,  8. 


anciens  et  modernes,  ioi 

Mais  ce  lu:s.e  n'était  pas  constamment  accompagaë  du 
goût  et  de  la  propreté  ne'cessaires.  Jusque  sous  le  gouver- 
nement des  empereurs  ,  on  n'avait  pas  connu  le  iiuge  de 
table:  c'est  seulement  à  cette  époque  que  les  Romains 
commencèrent  à  se  servir  de  la  laine  pour  i'aire  des  nappes  i 
ils  employèrent  aussi  delà  toile  et  de  la  soie  brodées  eu  or. 
Ce  fut  long-tems  après  Auguste,  que  clia{jue  Ampbylrion 
imagina  d'ofFrir  des  serviettes  à  ses  convives  :  jusque-là  , 
chacun  apportait  la  sienne  ;  et  l'on  dit  que  cette  coutume 
ne  cessa  ,  que  parce  que  les  esclaves  chargés  de  porter  les 
serviettes ,  s'en  servaient  pour  dérober  toutes  sortes  d'ob- 
jets (i).  On  essuyait  les  tables  avec  une  éponge  après  le 
dîner.  Les  convives  étaient  ordinairement  vêtus  de  blanc. 
Pour  ne  pas  salir  les  lits ,  on  leur  donnait  des  pantoufïles 
ou  bien  ils  étaient  leurs  chaussures.  Chacun  était  servi  par 
son  esclave  ;  ceux-ci  rapprochaient  ou  éloignaient  les  plats , 
nettoyaient  la  table,  servaient  à  boire  et  chassaient  les 
mouches. 

Les  Romains  recevaient  leurs  verres  des  manufactures 
d'Egvpte  :  ils  étaient  aussi  purs  ,  aussi  limpides  que  du  cris- 
tal de  roche  \  on  ne  commença  à  les  connaître  à  Rome  que 
vers  Tan  556  de  sa  fondation. 

Les  usages  et  les  cérémonies  les  plus  importantes  rela- 
tives aux  festins  des  anciens  ;  les  libations  aux  dieux ,  le 
couronnement  des  convives  et  êies  coupes  avec  des  guir- 
landes dont  la  fabrication  était  devenue  une  branche  de 
commerce  fort  importante  ;  la  manière  de  porter  les  san- 
tés,  circonstance  ù  i'occasiou  de  laquelle  il  faihiit  remplir 
sa  coupe  juiqu'aux  bords;  les  devoirs  etraulorilé  du  pré- 
sident du  banquet;  Tljabitude  qu'avait  le  maître  de  la  mai- 
son de  garder  les  meilleurs  morceaux  pour  lui  et  pour  ses 

ï  (i;   Avant  que   l'usage   Jl-s    serviettes    fût    coniiu  ,  les  anciens  es- 

suyaient leurs  doigts  avec  de  la  mie  tie  pain  qu'ils  jetaient  ensuite  aux 
cliiens  qui  se  trouvaient  dai.s  la  salle  à  niangci. 


102  Notice  sur  la  vie 

convÎA'es  les  plus  intimes  on  les  plus  riches ,  tandis  que  les 
autres  étaient  obligés  de  se  contenter  de  leurs  restes  j  toutes 
ces  particularités  et  plusieurs  autres  encore,  également 
fort  curieuses,  sont  présentées  de  la  manière  la  pins  in- 
téressante dans  ce  chapitre.  Dans  un  autre  article  nous 
examinerons  comment  l'auteur  a  traité  le  reste  de  son 
sujet ,  en  faisant  l'histoire  des  A'ins  modernes ,  et  en  en  ap- 
préciant les  diverses  propriétés. 

(  Westminster  Revicw.  ) 


BIOGRAPHIE. 


NOTICE   SUR   LA   VIE   DE  SIR   RICHARD  ARKWRIGHT  (l). 


C'est  le  sort  commun  des  inventeurs  de  ne  pas  être  heu- 
reux. Les  hommes  qui  ont  enrichi  leur  pays  par  des  décou- 

(i)  Note  du  Ta.  La  plupart  des  nations  modernes  ne  se  sont 
guère  occupées  que  de  l'histoire  des  conque'rans  et  des  hommes  pu- 
blics. On  les  a  vues  souvent  se  livrer  à  des  recherches  minutieuses, 
pour  connaître  toutes  les  particularite's  de  la  vie  de  ceux  qui  ne  leur 
avaient  e'tc  signale's  que  par  le  mal  qu'elles  en  avaient  reçu  ;  et  tandis 
qu'elles  enregistraient  avec  soin  les  actes  de  leurs  bourreaux ,  ces  bien- 
faiteurs de  l'humanité ,  qui ,  par  des  proce'de's  admirables  ,  introduits 
dans  les  arts  utiles,  ont  re'paré  le  dommage  causé  par  les  guerres,  les 
administrations  inhabiles  et  les  mauvaises  lois  ,  vivaient  obscurs  et 
mouraient  dans  l'oubli.  L'antiquité  s'était  montrée  plus  reconnais- 
sante et  plus  éclairée;  les  Hindous,  dans  l'élan  de  leur  gratitude , 
avaient  attribué  une  origine  divine  à  Kasyapa,  qui  avait  desséché  les 
plaines  marécageuses  du  Cachemir  ;  et  la  Grèce  avait  dressé  des  au- 
tel* à  Triptolème,  l'invenlcur  de  la  charrue.  L'Angleterre  a  de  bonne 


de  sir  Richard  ^Irkwn'ght.  lo^ 

rertes  utiles ,  ont ,  presque  tous ,  vécu  dans  Tabandon  et  ia 
misère .  il  en  est  bien  peu  qui  aient  recueiîli  personnelle- 
ment le  fruit  de  leurs  travaux.  Ceux-là  iiième  qui  jouissaient 
déjà  d'une  certaine  aisance  ont  éprouvé  de  grandes  difficultés 
h  faire  accueillir  leurs  projets,  et  c'est  ordionirement  aux. 
dépens  de  leur  repos  et  de  leur  fortune  qu'ils  ont  essayé 
de  les  mettre  à  exécution.  Ont-ils  obtenu  parfois  un  succès 
tardif,  l'envie  leur  a  contesté  l'honneur  de  leurs  inventions; 
la  cupidité  a  tenté  de  leur  en  ravir  le  prix;  et  les  ruses  du 
commerce  et  toutes  les  subtilités  de  la  chicane  ont  à  la  fois 
été  dirigées  contre  eux.  Les  inventeurs  sèment ,  mais  il  est 
bien  rare  qu'ils  récoltent.  Cependant,  la  deslinéed'ArkAvright 
offre  une  exception  remarqualjle  à  cette  loi  commune  ;  ce 
n'est  pas  qu'il  n'ait  eu  sa  part  des  disgrâces  presque  tou- 
jours réservées  au  génie  :  sa  condition  fut  loug-tems  obscure; 
ses  talens  s'exercèrent  d'abord  sans  appui ,  et  ses  efforts 
rencontrèrent  des  obstacles  dans  l'ignorance  et  dans  des 
craintes  chimériques.  Alors  qu'il  eut  vaincu  ces  obstacles, 
il  en  vit  naître  d'autres.  Ses  droits  furent  contestés,  ils  furent 
souvent  méconnus  ,  et  jamais  même  ils  n'ont  été  solidement 
établis.  La  calomnie  s'attacha  à  son  nom,  et  Tenvie  le  signala 
comme  usurpateur  des  mventions  d'autruî.  Cependant, 
Arkwright  vit  enfm  se  dissiper  ces  nuages  élevés  par  la 

beure  imîté  cet  exemple  :  ses  rois  ont  souvent  confe'ré  à  des  me'cani— 
ciens ,  les  honneurs  de  la  clievalerle  ;  et  aujourd'hui  ses  premiers  ne'— 
gocians,  les  hommes  les  plus  distingue's  de  sa  puissante  aristocratie, 
des  ministres  ,  et  jusqu'à  des  princes  du  sang  royal ,  se  sont  re'unis  pour 
élever  une  statue  à  Watt ,  l'auteur  des  principaux  perfcctionnemens 
introduits  dans  la  machine  à  vapeur.  En  même  tcms,  plusieurs  recueils 
périodiques  publient  des  notices  biographiques  sur  les  agronomes  et 
les  mécaniciens  qui  ont  rendu  le  plus  de  services  à  la  Grande-Bre- 
tagne. C'est  au  G lascow— Magazine  que  nous  empruntons  la  notice 
que  l'on  va  lire,  sur  sir  Richard  Arkwright,  l'un  de  ces  hommes 
utiles  :  nous  ne  négligerons  pas  l'occasion  de  faire  successivement 
connaître  la  vie  de  quelques  autres,  à  leurs  émules  du  continent. 


io4  Notice  sur  Ui  rie 

malveillance;  il  acquit  une  grande  fortune,  et  avant  de 
terminer  sa  carrière,  il  eut  ia  satisfaction  d'en tentlre  ses 
concitoyens  le  bénir  comme  leur  bienfaiteur. 

Ricliard  Ârk^vright  naquit  de  pauvres  parens  ,  en  i"52  , 
à  Preston  ,  dans  le  comté  de  Lancastre.  Il  était  le  dernier 
de  treize  enfans.  On  lui  fit  prendre  de  bonne  heure  Vétat  de 
barbier,  qu'il  exerça  jusqu'à  l'âge  de  trente  ans.  On   ne 
sait  pas  bien  ce  qui  le  porla  d'abord  à  diriger  son  attention 
vers  la  fabrication  du  coton.  Il  paraît  toutefois  qu'habi- 
tant un  pays  qui  contenait  plusieurs  manufactures  de  ce 
genre,  il  eut  souvent  occasion  d'observer  'es  procédés  <iu'on 
y  employait,  et  qu'il  fut  frappé  des  plaintes  qu'il  entendait 
faire  aui  fabricans  de  manquer  de  colon  fdé.  I^e  comté  cle 
Lancastre  était,  dans  ce  lems-là ,  la  seule  province  d'An- 
gleterre  qui  eut  des  fabriques  d'étoffes  de  coton  ,  et  les 
procédés  dont  on  y  faisait  usage  étaient  encore  très-impar- 
faits.  Jusqu'en   1765,  le  calicot -,   alors   comme   aujour- 
d'hui, la  principale  étoffe  qu'on  y  confecliouudt ,  se  fai- 
sait partie  en  lin,  et  partie  en  coton:  la  trame  était  en 
coton  et  la  chaîne  en  fil  de  lin.  Cependant,  tout  le  monde 
sentait  l'imperfection  de  ces  procédés,  et  la  nécessité  de  les 
améliorer;  chaque  jour  il  se  faisait  quelque  expérience 
dans  ce  but,  et  c'est  de  celte  époque  que  datent  les  im- 
inenses'progrès  que  l'Angleterre  a  faits,  tant  dans  ses  ma- 
nufactures de  coton ,  que  dans  toutes  ses  autres  fabrica- 
tions. 

Un  tisserand  du  comté  de  Lancastre,  nommé  Hargrave, 
inventa  d'abord  un  nouveau  procédé  pour  carder  le  colon, 
et  ensuite  une  machine  pour  \ejiler,  ap^^clée  spin/iing-Jenny: 
c'était  déjà  un  grand  pas  de  fait  dans  la  voie  des  perfec- 
lionnemens.  Mais  les  ouvriers  prirent  feu  ;  ils  craignirent 
d'être  moins  employés  par  suite  de  ces  innovations.  Ib  s'u- 
nirent donc  contre  l'inventeur,  brisèrent  ses  métiers,  et  le 
forcèrent  d'aller  s'établir  ailleurs.  Le  malheureux  Hargrave 


de  sir  Richard  Arkwright .  lo5 

lenla,  en  conséquence,  tle  se  fixer  à  Notlingham ,  mais  dans 
cette  ville ,  méuae  difficulté  :  on  se  coalisa  contre  ses  inven- 
tions; il  ne  put  les  faire  adopter,  et  mourut  peu  après  dans  une 
profonde  misère.  Dans  ce^  entrefaites ,  Arkwright  essayait 
de  perfectionner  le  mode  de  fder,  alors  en  usage  ;  mais 
faute  de  connaissances  en  mécanique ,  11  ne  put  construire 
une  machine  propre  à  remplir  ses  vues  5  il  n'y  parvint 
que  long-tems  après,  et  il  n'obtint  ce  succès  qu'à  l'aide 
d'autrui.  Voici  en  substance  les  reproches  qu'on  lui  a  faits 
à  cet  égard. 

D=!us  Tanaée  1769,  Arkwright  avait  déjà  quitté  le  métier 
de  barbier,  et  il  parcourait  les  campagnes  cherchant  à 
acheter  des  cheveux;  il  vint,  dans  ses  courses,  à  Waring- 
ton,  et  là  i;  se  lia  avec  un  horloger  nommé  Kay.  Il  confia 
à  ce  dernier  quelques  Idées  qui  Toccupaient  sur  la  décou- 
verte du  mouvement  perpétuel.  Kay  tourna  en  ridicule 
ces  idées,  et  lui  fit  observer  que  sou  génie  s'exercerait  plus 
utilement  en  cherchant  à  découvrir  quelque  procédé  pour 
filer  le  coton,  propre  à  remplacer  avec  succès  celui  qui 
était  alors  en  usage.  Ayant  construit  des  machines  pour  un 
fabricant  de  Warrlngton,  cet  horloger  avait  acquis  par  là 
quelques  notions  sur  le  mode  de  filer  le  coton,  et  il  en  fit 
part  à  Arkwright.  Ces  deux  hommes  mirent  leur  génie  en 
commun,  pour  construire  une  nouvelle  machine,  et  le  ré- 
sultat de  leurs  essais  fut  une  mécanique  qui  avait  quelques 
avantages  sur  celles  connues  jusqu'alors.  On  a  dit  que  dans 
ta  cgiifectiou  de  cette  machine,  rinventlon  appartenait  à  Kay, 
ei  les  perfectionneniens  à  Arkwright.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  ré- 
sultat de  leurs  communs  efforts  ne  pouvait  être  considéré  que 
comme  un  premier  pas.  Depuis  cette  époque,  Arkwright 
employa  à  faire  des  expériences  cinq  années  consécutives , 
et  une  somme  de  20,000  liv.  st.  (  5oo,ooo  fr.  ) ,  et  ce  ne  fut 
qu'à  respiration  des  cinq  années  que  ses  machines  furent 
portées  au  polal  de  perfection  où  clk>s  sont  aujourd'hui. 


io6  Notice  sur  la  vie 

lies  Ibntls  avaient  ctc  avancés  par  des  personnes  qui  avaient 

une  égale  confiance  dans  sa  probité  et  clans  ses  talens. 

S'étant  associé  avec  un  capitaliste  de  Pi'eston,  sa  ville 
natale ,  il  établit  des  macliiues  d'après  le  modèle  dont  il 
était  l'inventeur  ;  mais  elles  n'eurent  pas  un  meillear  sort 
que  celles  de  l'infortuné  Hargrave.  Les  ouvriers  se  soule- 
vèrent, les  brisèrent ,  comme  ils  avaient  brisé  celles  d'Har- 
grave ,  et  chassèrent  Arkwright  et  son  associé  de  leur  ville. 
Il  se  retira  alors  dans  celle  de  Nottlugham  j  et  là ,  loin  de 
se  rebuter,  il  s'occupa  de  nouvelles  expériences  pour  amé- 
liorer de  plus  en  plus  ses  procédés.  Il  trouva  une  maison 
de  banque  qui  lui  fit  à  cet  effet  une  avance  considérable  de 
fonds;  mais  les  avances  se  multipliaient,  et  le  succès  des 
expériences  était  incertain.  La  maison  de  banque  chercha 
à  transporter  ses  intérêts  ,  à  cet  égard,  en  d'autres  mains. 
Un  riche  fabricant  de  bas  de  Nottingham  ,  auquel  elle 
s'adressa ,  vit  de  suite  tout  ce  que  promettaient  les  expé- 
riences d'Arkwright.  Il  s'empressa  donc  de  rembourser  à 
cette  maison  les  avances  qu'elle  avait  faites ,  et  de  se  subs- 
tituer à  ses  droits.  En  1769,  ArkAvright  obtint  un  brevet 
pour  un  métier  à  filer,  et  il  établit  à  Nottingham  un  mou- 
lin qui  était  mu  par  des  chevaux.  En  177  i  ,  il  en  établit  un 
autre  qui  devait  se  mouvoir  par  un  cours  d'eau. 

Le  métier  àjîler  a  été,  à  juste  titre,  considéré  comme 
une  invention  admirable.  La  machine  qui  sert  à  dévider  et 
filer  le  coton  est,  sans  contredit,  le  plus  beau  procédé  dé- 
couvert par  Arkwrigh'.  Tous  les  perfectionnemens  qu'il 
fit  depuis ,  bien  que  plus  ou  moins  importans ,  n'exigeaient 
pas  un  esprit  aussi  créateur  ,  puisqu'ils  n'étaient  que  le 
développement  d'un  principe  déjà  connu.  On  dit  que  la 
première  idée  de  cette  machine  lui  fut  inspirée  par  la  vue 
du  moulin  ordinaire  employé  dans  la  fabrication  du  fer, 
et  qu'il  conçut  par  analogie  que  le  même  mécanisme 
pourrait  s'appliquer  à  la  filature  du  coton. 


sur  sir  Richard  Arhwright .  107 

Arkwright  commençait  à  retirer  quelque  fruit  de  ses  in- 
ventions, lorsque  flans  l'année  177 2,  on  prétendit  que  ses 
perfectiohnemens  ne  lui  appartenaient  pas  en  propre  j  et  l'on 
voulut  s'autoriser  de  celte  allégation  pour  lui  contester  son 
brevet.  A  cette  occasion  il  soutint  un  procès  dont  l'issue  fit 
éclater  la  justice  de  ses  droits ,  et  dès-lors  il  ne  fut  plus 
inquiété  à  Tégard  de  ce  premier  brevet.  Ayant  ensuite 
améliore  ses  machines,  il  obtint,  eu  1775,  un  brevet 
pour  ce  nouveau  perfectionnement  5  mais  ce  second  brevet 
devint  un  autre  olîjet  de  contestation ,  et  à  la  suite  d'un 
très-long  procès  qui  ne  se  termina  qu'en  1785,  le  brevet 
fut  déclaré  nul.  On  motiva  ce  jugement  sur  ce  que  le 
principe  mécanique  des  changemens  qu'il  avait  introduits 
dans  ses  machines  était  déjà  connu. 

Heureusement  Arkwright  pouvait  se  consoler  de  cette 
disgrâce  par  le  succès  Immense  qui  couronnait  d'ailleurs 
ses  entreprises.  Il  y  avait  associé  un  capitaliste  écossais, 
et  la  fortune  les  comblait  l'un  et  l'autre  de  ses  plus  riches 
faveurs.  Les  machines  d'Arkwright  se  répandaient  dans 
tout  le  royaume ,  et  il  percevait  sur  chaque  fuseau  qui  y 
entrait ,  un  droit  annuel  qu'on  ne  pouvait  considérer  que 
comme  un  tribut  payé  au  génie.  Cependant  cette  prospérité 
lui  avait  fait  beaucoup  d'ennemis  et  d'envieux,  et  son  ca- 
ractère peu  conciliant  n'était  pas  propre  à  en  diminuer  le 
nombre.  Ses  ennemis  lui  rappelaient  sans  cesse  la  bassesse 
de  son  premier  état ,  et  ils  montraient  assez  par-là  qu'eux- 
mêmes  n'en  seraient  pas  sortis  si  le  sort  les  y  eût  placés. 
Arkwright  disait  à  cette  occasion  et  par  allusion  à  son  as- 
socié ,  qu'il  avait  mis  son  rasoir  entre  les  mains  d'un  Écos- 
sais qui  leur  ferait  la  barbe  à  tous. 

Les  perfectionnemens  faits  à  cette  époque  dans  la  ma- 
chine à  vapeur,  permirent  d'en  faire  Tappllcation  aux 
maphines  pour  filer  le  coton  ,  et  les  inventions  d'Arkwright 
secondées  de  cette  manière  par  celles  de  Watt,  acquirent  une 


r(;8        Notics  sur  ta  vie  de  sir  Richard  Arkyi>rish.t . 

o 

îinporlance  nouvelle.  Les  machines  ilc  Bolton  et  deWnlt  fi;- 
rent  appliquées,  pourla  première  fois,  h  celles d'Aïk^vright, 
dans  l'année  1790.  Elles  furent  placées,  à  celte  époque, 
dans  les  belles  fabriques  que  ce  dernier  avait  établies  à 
(]romford,  village  du  comté  de  Derby,  où  ii  avait  défini- 
tivement fixé  son  séjour 

Il  nous  reste  peu  de  choses  à  dire  sur  les  derniers  évé- 
nemens  de  la  vie  d'Arkwrigbt.  En  1786,  il  présenta  une 
adresse  au  roi,  an  nom  du  sbérift' de  Wicksworth,  et  ij 
recnt  à  cette  occasion  le  titre  de  chevalier.  Il  mourut 
dans  son  domaine  de  Cromford  ,  le  5  août  179^. 

Cet  homme  célèbre  par  ses  inventions  utiles  ,  ne  put 
jamais  se  dépouiller  des  formes  contractées  dans  sa  jeunesse, 
et  en  prendre  d'autres  p'us  analogues  au  rang  auquel  ses 
talens  lavaient  élevé  depuis.  Il  était  incontestablement 
doué  d'un  esprit  supérieur;  mais  à  cet  esprit  était  allié  un 
caractère  bizarre  et  pétulant.  On  se  fera  quelque  idée  des 
avantages  que  l'Angleterre  a  relire  de  ses  découvertes  ,  en 
se  rappelant  l'état  grossier  où  était  la  fabrication  des  tissus 
de  coton  ,  il  y  a  cinquante  ans ,  et  en  considérant  que  cette 
fabrication  est  aujourd'hui  la  plus  importante  qui  occupe 
les  habltans  de  ce  pays.  Les  produits  des  fabriques  de 
colon  dans  la  Grande-Bretagne  sont  estimés  à  la  valeur 
annuelle  de  plus  de  quarante  iiiillions  sterlings  (  un  milliard 
de  francs  )  ,  dont  la  moitié  se  consomme  au-dehors.  Plus 
d'un  huitième  de  ces  produits  sort  des  fabriques  de  Glas- 
gow et  de  celles  de  ses  environs.  Tous  les  pays  de  l'Europe 
ont  employé  avec  profit  le  métier  à  filer.  En  un  mot ,  le 
développement  que  les  fabriques  de  coton  ont  pris  par 
suite  des  perfectionnemens  d'Ark^vright  et  de  ses  succes- 
seurs,  est  une  chose  sans  exemple  dans  l'histoire  du  com- 
merce. (  Glasgow  Magazine  ) 


AGRICULTURE. 


DES   PLANTATIONS, 


Nous  apprenons  avec  plaisir  que  rempressement  du  pu- 
blic à  se  procurer  le  Guide  du  Forestier  Aç.ls\o'^T^A.-VYi ,  en  a 
déjà  rendu  nécessaire  une  seconde  éditiou.  Les  détails  dont 
est  rempli  cet  ouvrage  sont  trop  iniportans  pour  pouvoir 
être  exposés  dans  une  analyse,-  aussi  nous  bornerons-nous  à 
fixer  l'attention  du  lecteur  sur  un^-Tijet  particulier  qui  y  est 
traité  d'une  manière  supérieure. 

Il  s'agit  de  l'avantage  qu'il  y  a  pour  le  propriétaire  et 
pour  le  fermier ,  à  planter  d'arbres  les  parties  de  la  ferme 
qui  ne  peuvent  pas  être  employées  à  d'autres  usages.  Rien 
de  plus  aisé  pour  le  propriétaire  que  d'intéresser  le  fermier 
à  contribuer,  de  celte  manière,  à  la  fertilité  et  à  l'agrément 
du  solj  car,  indépendamment  du  fait  que  nous  allons 
citer  d'après  M.  Monteath  ,  nous  en  connaissons  beaucoup 
d'autres  qui  confirment  sa  tbéorie. 

Si  l'on  exige  d'un  fermier  qu'il  entretienne  les  arbres  du 
propriétaire,  et  qu'il  soit  responsable  de  tous  les  dommages 
que  d'autres  personnes  peuvent  leur  faire  éprouver  ,  sans 
qu'il  y  soit  intéressé,  on  n'atteindra  jamais  le  but  qu'on  se 
propose,  quelque  sévère  que  soit  la  loi,-  mais  on  y  par- 
viendra en  intéressant  le  fermier  à  faire  des  plantations  et 
à  enlr(  tenir  celles  qui  existent  déjà.  En  ti'ès-peu  de  tems 
en  effet ,  les  endroits  les  plus  déserls  et  les  plus  nus  dans 
la  campagne,  deviendront  agréables  à  la  vue,  et  surtout 
d'un  bon  rapport.  On  observera,  dans  le  passage  suivant 
que  M.  Monlenlîi  parle  d'après  sa  propre  expérience. 

«  Puisque  nous  considérons,  dit-il,  les  plantations  d'arbres 
comme  d'une  grande  importance  pour  le  pays  en  général 
II.  8 


1  lo  Des  plantations. 

et  pour  les  propriétaires ,  ne  trouverions-nous  donc  aucun 
moyen  de  les  faire  tourner  également  à  l'avantage  des  fer- 
miers eux-mêmes?  Comme  nous  le  prouverons  dans  la 
suite,  il  n'est  rien  déplus  lucratif  que  de  planter  et  d'élever 
des  ai'bres,  soit  pour  en  faire  des  bois  taillis  ,  soit  pour  les 
«  conserver  en  haute  futaie.  Ne  pourrait-on  pas  insérer  dans 
les  baux  une  clause  qui  obligeât  le  fermier  à  planter,  chaque 
année,  un  certain  nombre  d'arbres,  pendant  toute  la  durée 
du  bail,  et  dans  les  endroits  qui  lui  seraient  indiqués  par 
le  propriétaire,  ou  par  son  intendant,  ayant  soin  d'obliger 
le  preneur  à  les  entretenir  et  à  les  remplacer  s'ils  étaient 
détruits?  Mais  pour  l'encourager  à  augmenter  le  nombre 
des  arbres  de  haute  futaie  et  à  faire  des  plantations,  il  fau- 
drait stipuler  qu'à  l'expiration  du  bail,  les  arbres  seraient 
estimés  par  deux  experts  choisis,  chacun  par  l'une  des  par- 
ties ;  que  le  propriétaire  serait  obligé  de  payer  au  fermier 
la  valeur  de  ceux  qu'il  aurait  plantés  et  élevés  pendant  la 
durée  de  son  bail ,  et  qu'en  cas  de  refus  le  fermier  pourrait 
les  vendre  ou  les  abattre. 

»  En  assurant  ainsi  au  fermier  son  capital  et  les  intérêts, 
on  verra  s'élever  de  grandes  plantations  qui ,  cans  cet  en- 
courageraeut,  n'auraient  jamais  existé.  Outrel'avantageque 
retirera  le  fermier,  de  l'ombrage  si  nécessaire  aux  pacages, 
il  ne  laissera  piis  un  seul  pouce  de  terre  inculte  dans  sa 
ferme,  et  il  plantera,  dans  les  plus  mauvais  terrains,  des 
arbres  dont  il  sera  sûr  de  retirer  un  bénéfice  à  la  fin  du 
bail.  En  même  tems ,  le  propriétaire  aura  l'avantage  de 
posséder  une  provision  précieuse  de  bois  de  construction , 
qu'il  n'aurait  pas  pu  se  procurer  sans  y  intéresser  son  fer- 
mier ,  et  il  aura  toujours  sous  la  main  ceux  dont  on  a  besoin 
dans  l'agriculture.  L'exemple  que  nous  allons  donner, 
peut  être  regardé  comme  une  preuve  des  avantages  qu'il  y 
aurait  pour  les  fermiers ,  à  stipuler  dans  leurs  baux  de  sem- 
blables conditions. 


Des  plantations.  1 1 1 

M  La  terre  de  Cross-Capple,  paroisse  de  Dunblan,  dans  le 
Perthshire,  fiit  afFermée,  en  1777,  pour  trente-huit  ans 
par  J.  Dawson,  moyennant  25  liv.  st.  par  an.  Ou  avait 
stipulé  dans  l'acte  que  le  fermier  ferait  telles  plantations 
qu'il  jugerait  à  propos  dans  les  terres  humides ,  qui  ne 
conviendraient  pas  au  labourage  5  qu'il  pourrait  en  em- 
ployer le  produit,  soit  aux  usages  de  l'agriculture,  soit 
aux  constructions  qu  il  aurait  besoin  de  faire  pendant  la 
durée  du  bail.  A  l'expiration  du  traité,  tout  le  bois  devait 
être  estimé  par  deux  experts  choisis,  l'un  par  le  proprié- 
taire ,  l'autre  par  le  fermier.  Il  était  aussi  expressément 
stipulé  que  si  les  deux  experts  ne  s'accordaient  pas ,  ils 
choisiraient  un  tiers  dont  le  jugement  serait  admis  par  les 
deux  parties.  Enfin,  le  propriétaire  devait  payer  comptant 
au  fermier  la  somme  déterminée  dans  l'expertise.  Le  bail 
étant  expiré,  le  fermier  désigna  son  expert,  et  je  fus  choisi 
par  les  curateurs  pour  le  propriétaire,  alors  mineur.  Le 
résultat  de  notre  travail  ayant  offert  une  différence  de 
25  liv.  st. ,  nous  fîmes  choix,  pour  vider  le  partage,  de 
M.  Ed.  Stirhng,  architecte  à  Dunblan,  et  la  valeur  des 
arbres  fut  arrêtée  à  1,029 1^^-  ^^'  T^*^  ^^^  curateurs  payèrent 
à  l'instant;  le  total  des  fermages  ne  s^étant  élevé  qu'à 988 liv. 
st.,  le  fermier  a  reçu  4 1  liv,  st.  de  plus  qu'il  n'avaltpayé  pen- 
dant toute  la  durée  du  bail.  Il  estbon  d'observer  qu'après  les 
dix  premières  années,  il  avait  assez  de  bestiaux  pour  fournir  à 
tous  les  besoins  des  bâtimcns  et  de  l'agriculturej  il  faut  remar- 
quer aussi  que  dans  notre  procès-verbal,  nous  avons  supposé 
que  le  bois  devait  être  coupé  à  l'instant,  et  transporté  au 
marché;  aussi ,  l'avons-nous  évalue^  à  20  p.  100  au-dessous 
du  prix  auquel  il  se  serait  vendu  quelques  années  plus  tard. 

»  Le  fermier  ayant  été  libre  ,  d'après  le  bail ,  de  planter 
telle  espèce  <l'arbre  qui  lui  plairait,  choisit  à  tort  les  pins 
d  Ecosse  ;  tandis  que ,  s'il  avait  planté  des  chênes  ou  des 
frênes,  qui  auraient  parfaitement  convenu  au  terrain,  il 


1 1  u  Vues  présumées  de  M.  Hush'sson , 

aurait  presque  triplé  ses  produits.  Les  bois  étaient  d'ailleurs 
parfaitement  aménagés,  et  d'un  âge  à  profiter  chaque  an- 
née 1  beaucoup  plus  qu'ils  ne  l'avaient  fait  jusque-là  en 
trois  ans.  Ces  arbres  considérés  sous  le  rapport  de  leur 
croissance  et  de  l'agrément  qu'ils  donnaient  à  la  propriété, 
avaient  augmenté  de  4op-  loo  !a  valeur  du  domaine.  » 

On  voit  par  cet  exemple  comment  l'intérct  du  propriétaire 
s'est  combiné  avec  celui  d u  fermier .    {Far mer' s  Magazine . ) 


COMMERCE. 


VUES    PRESUMEES    DE    M.    HUSKISSON,    PRESIDENT    DU 
BUREAU   DU    COMMERCE. 


Les  débats  qui  ont  suivi  la  motion  de  M.  Whitmore  ont 
du  enfin  ouvrir  les  yeux  des  propriétaires  fonciers  sur  les 
besoins  de  la  nation.  Ils  ne  peuvent  plus  espérer  que  l'on 
sacrifiera  l'utilité  de  tous  à  leurs  avantages  particuliers,  eu 
continuant  à  fermer  le  marché  intérieur  aux  blés  étran- 
gers. Quelque  précieux  que  soient  les  intérêts  de  notre 
agriculture,  il  est  évident  que  ceux  de  nntre  industrie  ma- 
nufacturière le  sont  maintenant  davantage  j  non-seulement 
à  cause  delà  multitude  de  bras  qu'elle  emploie,  mais  aussi 
à  cause  des  capitaux  énormes  engagés  dans  ses  diverses 
branches,  et  du  grand  nombre  d'hommes  habiles  dont  le 
talent  et  les  connaissances  concourent  au  succès  de  ses  tra- 
vaux. 

Le  but  de  M.  Huskisson  paraît  être  de  faire  descendre 
les  denrées  de  première  nécessité,  au  prix  où  elles  sont  dans 
les  autres  pays.    Il  espère  atteindre  ce  but  en  dégageant 


président  du  bureau  du  commerce.  1 1 5 

le  commerce  des  restrictions  et  des  droits  qui  gênent  parmi 
nous  la  liberté  de  ses  mouvemens.  La  baisse  des  denrées 
alimentaires  ferait  diminuer ,  dans  une  proportion  corres- 
pondante /le  prix  de  la  main-d'œuvre  qui  cesserait  d'être 
plus  élevé  en  Angleterre  que  sur  le  continent.  C'est  seule- 
ment lorsque  ce  dessein  sera  accompli,  que  nous  commen- 
cerons à  Jouir  pleinement  de  nos  grands  capitaux ,  de  notre 
immense  ci'édit,  de  la  supériorité  de  nos  machines,  de  Tabon- 
dauce  du  combustible  que  produisent  nos  mines  de  char- 
bon,  en  un  mot,  de  tous  nos  aA'antages  naturels  et  acquis. 
Par  ce  moyen  si  simple  et  cependant  si  habile,  la  Grande- 
Bretagne  deviendra  infailliblement  l'arbitre  des  marchés  da 
monde. 

M.  Huskisson  est  accusé  d'avoir  mis  volontairement  de 
Tobscurité  dans  l'exposé  de  ses  projets.  Déjà  on  lui  avait 
adressé  le  même  reproche,  à  l'occasion  du  rapport  du 
comité  de  1821,  dont  on  lui  attribue  la  rédaction  ;  et ,  dans 
le  fait ,  l'analogie  entre  ce  rapport  et  son  dernier  discours, 
est  si  grande,  que  s'il  avait  lu  le  premier  ,  au  lieu  de  lire  le 
second,  l'eflét  eût  été  le  même.  I/obscurité  calculée  du 
discours  et  du  rapport  doit  être  attribuée  à  une  cause  uni- 
que. En  1821,  M.  Huskisson  ne  voidait  indiquer  que  quel- 
ques-uns des  grands  traits  de  son  plan ,  ajournant  les  dé- 
tails à  l'époque  où  il  proposerait  au  Parlement  des  mesures 
définitives.  Les  ministres  craignaient  d'exciter  les  alarmes 
et  les  ressentimens  des  gentilhommes  de  campagne;  classe 
puissante  qui  a  de  nombreux  représeulans  à  la  cbambre 
des  communes,  et  qui  est  si  intéressée  à  ce  que  les  grains 
étrangers  ne  soient  pas  admis  dans  nos  ports.  Ils  désirent 
également  aujourd'hui  ne  pas  provoquer  prématurément 
l'opposition  de  cette  classe:  d'autan!:  plus  que  l'état  des 
chaiiges  étrangers ,  et  la  tendance  des  matières  d'or  et 
d'argent. à  aller  sur  le  continent ,  les  oblige  de  remettre  à 
un   tcms  indéfini   les   mesures  qui  pourraient  augmenter 


il4  Vues  présumées  de  M.  Husktsson, 

l'exportation  des  métaux  précieux.  Telles  sont  les  causes 
de  la  manière  ambiguë  dont  ils  se  sont  expliqués  sur  leurs 
Tues  ultérieures.  En  attendant  qu'ils  puissent  les  mettre  à 
exécution,  la  libre  admission  du  blé  du  Canada  et  de  celui 
des  entrepôts ,  autorisée  à  la  session  précédente ,  dimi- 
nuera les  besoins  du  marché ,  fera  descendre  les  prix , 
conciliera  au  gouvernement  l'opinion  du  commerce,  et 
préparera  tout  doucement  la  classe  agricole  à  des  mesures 
plus  importantes  et  plus  décisives.  ' 

Les  mesures  que  les  ministres  se  proposent  de  prendre, 
auront  encore  un  autre  effet  :  ce  sera  d'empêcher  les  per- 
pétuelles fluctuations  du  prix  des  grains.  Lorsque  ce  prix 
pourra,  jusqu'à  un  certain  point,  être  maintenu  à  un  taux 
uniforme,  le  cultivateur ,  avant  de  prendre  une  terre  à  bail, 
en  calculera  facilement  les  bénéfices;  l'agriculture  devien- 
dra un  commerce  régulier,  et  elle  ne  sera  plus  ime  spé- 
culation périlleuse,  comme  e!le  l'a  été  pendant  les  neuf 
ou  dix  dernières  années.  Rien  de  plus  vigoureux  que  la 
réponse  de  M.  Huskisson  à  M.  Gooch,  lorsque  celui-ci 
avançait  à  la  chambre  des  communes  ,  que  le  système  ac- 
tuel était  bon ,  et  qu'il  fallait  s'y  tenir. 

K  J'ai  toujours  pensé,  dit  M.  Huskisson,  que  ce  que 
nous  devions  le  plus  désirer,  c'était  de  maintenir  la  per- 
naanence  des  prix,  et  d'empêcher  des  oscillations  convul- 
sives,  qui  mettent  le  désordre  dans  la  fortune  des  cultiva- 
teurs. Or  ,  que  fait  la  législation  actuelle  ?  Elle  limite ,  dans 
les  mauvaises  années  ,  les  marchés  dont  nous  pouvons  tirer  , 
les  grains  qui  nous  sont  nécessaires ,  et  dans  les  bonnes  f 
elle  nous  empêche  de  vendre  nos  produits  surabondans. 
Il  est  impossible  de  ne  pas  être  surpris  qu'il  y  ait  encore 
quelqu'un  qui  puisse  faire  l'éloge  d'un  système  également 
préjudiciable  au  cultivateur ,  à  l'artisan  et  au  fermier  lui- 
même,  surtout  après  le  rapport  de  1821  ,  qui  en  a  si  com- 
plètement démontré  tous  les  vices.    Certes,  ce  n'était  pas 


prenaient  du  bureau  du  commerce.  1 1 5 

eu  iHl'i,  que  Ton  pouvait  se  foliciler  des  effets  produits 
par  ce  système ,  lorsque  les  grains  étaient  tombés  à  58  sh.j 
que  tous  les  soirs  on  entendait  parler,  dans  cette  chambre, 
de  la  banqueroute  nationale  et  proposer  les  expédiens  les 
plus  extraordinaires.  Dans  Tespace  de  deux,  ans,  le  prix  du 
grain  a  varié  de  58  à  1 12  sb.  le  boisseau.  Il  résulte  de  ces 
variations  que  l'industrie  des  fermiers  ne  présente  plus  au- 
cune sûreté  j  que  plusieurs  des  opérations  auxquelles  ils  se 
livrent,  sont  de  purs  jeux,  dont  les  résultats  sont  aussi  in- 
certains que  peut  l'être  l'agiotage  des  actions  des  mines  ; 
et  que  lorsqu'ils  font  un  long  bail,  11  est  Impossible  qu'ils 
calculent  les  conséquences  définitives  qu'il  doit  avoir  sur 
leur  bien-être  et  sur  celui  de  leurs  familles.  » 

Rien  ,  assurément ,  n'est  plus  mauvais  qu'un  pareil  état 
de  choses,  et  il  importe  beaucoup  à  la  prospérité  générale 
du  pays,  que  lorsque  le  fermier  prend  un  engagement,  il 
puisse  en  prévoir  les  résultats.  Sans  doute  les  produits  des 
dîmes  et  de  la  rente  de  la  terre  tomberont ,  par  suite  des 
mesures  des  ministres  ,  et  par  conséquent  ces  mesures  ne 
sauraient  être  agréables  aux  membres  du  clergé  et  aux 
propriétaires  fonciers.  Mais  ce  qu'ils  perdront  d'un  côté, 
sera  compensé  de  l'autre,  au  moins  en  partie,  par  la 
diminution  du  prix  de  toutes  les  marchandises  ;  diminu- 
tion qui  sera,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  la  conséquence 
infaillible  delà  baisse  des  denrées  alimentaires  et  du  prix 
de  la  main-d'œuvre. 

L'introduction  des  grains  du  dehors,  dans  nos  marchés, 
tournera  encore  d'une  autre  manière  à  l'avantage  de  notre 
commerce  et  de  notre  industrie.  En  effet,  il  n'est  pas  dou- 
teux que  l'admission  de  ces  grains  dans  nos  ports,  ou  leur 
exclusion,  n'ait  une  grande  Inlluence  sur  les  cultures  de 
l'étranger;  c'est  un  fait  bien  connu,  que  lorsqu'en  1816, 
l'importation  fut  défendue,  dc;s  portions  très-considérables 
de  terrain  casèrent  d'y  être  cultivées.  Lorsqu'elle  sera  per 


1 16  Population  actuelle 

mise  de  nouveau,  ces  teirrams  seront  remis  en  valeur,  et 
l'augmentation  cVaisance  qui  en  résultera  pour  les  pays  oii 
ils  se  trouvent ,  leur  permettra  d'acheter  un  plus  grand 
nombre  de  nos  produits.  D'ailleurs,  beaucoup  de  négocians 
anglais,  pour  faciliter  l'écoulement  de  leurs  marchandises, 
consentiront  à  les  troquer  contre  des  grains,  quand  bien 
même  ces  grains  devinaient  donner  peu  de  bénéfice j  et,  de 
cette  manière  ,  ils  forceront  la  vente  de  quantités  considé- 
rables d'articles  de  nos  manufactures.  Toutes  ces  transac- 
tions seront  encore  singulièrement  facilitées  par  les  per- 
fectionuemens  continuels  introduits  dans  nos  moyens  de 
li'ansport  qui  deviennent  de  jour  en  jour  plus  sûrs  et  plus 
rapides.  {^London  Magazine.  ) 


STATISTIQUE  (i). 


POPULATION  ACTUELLE  DE  L  IRLANDE,  COMPAREE  A  CELLE 
DE  QUELQUES  AUTRES  PAYS  DE  L'zUROPE. 


Le  recensement  delà  population  d'irlaiide,  fait  en  182 1, 
a  fourni  le  résultat  suivant: 

Individus  du  sexe  masculin, 3,3/^i,^iù 

Individus  du  sexe  fe'niinin 3,459,901 

Total....  6,801,827 
Ce    qui,    en    estimant    la   superficie   du    pays  à  18,700 

(1)  Note  du  Tr.  Jusqu'à  piésent  on  a  conside'ré  raccroissement  de 
la  population  d'un  pays,  comme  une  indication  certaine  de  sa  pros— 
ptrilé.  II  est  remarquable  que,   contrairement  à    cette  supposition. 


de  l'Irlande .  117 

milles  carres  d'Irlande  (i) ,  donne  365  individus  par  mille 
carré.  Celte  population  paraît  bien  remarquable  quand  on 
fait  les  comparaisons  suivantes  : 

En  Irlande 223    \ 

En  Angleterre 207 

En  Ecosse 70 

Dans  le  pays  de  Galles 98     \   Par  mille  carré  anglais. 

En  France i44 

Dans    les    états    de   la   confédération 
Germanique m 

L'Irlande  est  donc  ,  proportionnellement  à  son  étendue, 
trois  fois  plus  peuplée  que  l'Ecosse  ,  luie  fois  et  demi  plus 
peuplée  que  la  France ,  et  deux  fois  plus  peuplée  que  l'Ai-. 
lemagne.  La  population  de  l'Irlande  ne  l'emporte  pas  sur 
celle  de  l'Angleterre  autant  qu'on  l'a  généralement  supposé, 
En  Irlande  elle  est  plus  disséminée  ,  et  en  Angleterre  elle 
est  plus  concentrée  dans  les  grandes  villes.  La  population 
d'Irlande  est  plus  forte  dans  les  comtés  d'Armagli  et  de 
Monaglian  ,  que  dans  les  autres  comtés.  Dans  le  premier, 
elle  est  de  480  individus  par  mille  carré  anglais ,  et  dans 
l'autre,  elle  est  d'un  peu  moins.  Cependant  la  population 
du  comté  d'Armagli  est  surpassée  par  celle  du  comté  de 
Lancastre  en  Angleterre,  laquelle,  en  comprenant  les 
grandes  villes  de  Liverpool  et  de  Manchester ,  est  de  Goo 
individus  par  mille  carré ,  et  non  compris  ces  villes  ,  d'en- 
viron 490  par  niliie  carré. 

L'on  a  avancé  que  l'un  des  meilleurs  moyens  d'apprécier 
la  marche  de  la  population  d'un  pays ,  c'est  de  s'assurer 

l'Irlande  ,  une  des  contrées  les  plus  misérables  de  l'Europe ,  en  soit 
la  plus  peuplée.  Ce  phénomène  statistique  méritait  d'être  relevé.  La 
source  à  laquelle  nous  avons  puisé  ces  renseignemcns,  ne  permet  pas 
d'en  contester  l'exactitude. 

(i)  Le  mille    d'Irlande   é(juivaul  à  une   dcmi-licuc  de  France  ,   à 
vmgl-cinq  lieues  par  degré. 


1 18  Population  actuelle 

du  nombre  (Vliulividus  qu'il  contient  au-dessous  de  i'âgede 
quinze  ans.  Dans  un  pays  où  la  population  est  stationnaire, 
à  peu  près  un  quart  des  individus  est  au-dessous  de  cet 
âge.  Dans  les  Etats-Unis  d'Amérique ,  près  de  la  moitié  est 
au-dessous  de  l'âge  de  quinze  ans  ;  en  Irlande  ,  environ  les 
deux  cinquièmes.  Les  diverses  provinces  d'Irlande  pré- 
sentent, sous  ce  rapport,  des  proportions  différentes. 

Sur  un  million  d'individus,  on  compte   au-dessous   de 
l'âge  de  quinze  ans  : 

Dans  la  province  de  Munster 4^7,925 

Dans  celle  de  Connaught 4^4)^47 

Dans  celle  d'UIster l^o!^,o'ito 

Dans  celle  de  Lelnster , 3y8,953 

Dans  les  Etats-Unis  d'Amérique 4^'^j')o8 

En  Suède ^4^)  '  *^^ 

Dans  quelques  cantons  de  la  Suisse 25o,ooo 

D'où  il  résulte  que  les  provinces  de  Munster  et  de  Con- 
naught ,  sont  celles  où  la  population  augmente  le  plus  ra- 
pidement. Celle  de  Munster  se  rapproche,  à  cet  égard  , 
des  Etats-Unis  d'Amérique. 

Le  rapport  de  nombre  entre  les  deux  sexes  est  ,  en  Ir- 
lande ,  d'environ  io4  individus  du  sexe  féminin,  pour  loo 
du  sexe  masculin  j  en  Angleterre  ,  de  io6  du  sexe  féminin, 
pour  loo  du  sexe  masculin;  tandis  qu'en  Ecosse  on  compte 
environ  ii3  individus  du  sexe  féminin,  pour  loo  du  sexe 
masculin.  Une  différence  si  remarquable  ne  s'explique  pas 
facilement.  A  Londres ,  ainsi  qu'à  Dublin ,  elle  est  plus 
sensible  encore.  Dans  cette  dernière  capitale,  les  individus 
du  sexe  masculin ,  sont  à  ceux  de  l'autre  sexe ,  dans  le 
l'apport  de  loo  à  1 15. 

M.  Weyland ,  dans  son  traité  sur  les  Principes  de  la 
population  et  de  la  production  ,  obsi'rve  que  «  par  suite  de 
la  douceur  du  climat ,  de  la  fertilité  du  sol  et  de  la  facilité 
qu'on  trouve  à  s'y  procurer  une  cabane  en  terre  pour  de- 


de  l'Irlande.  119 

meure ,  et  un  cliamp  de  pommes  de  terre  (  ce  qui  est  un 
effet  de  rinsouciance  et  de  la  bonté  mal-entendue  des  pro- 
pric'taires)  ,  il  s'est  formé  dans  les  parties  les  moins  civi- 
lisées de  l'île  vuie  population  surabondante;  population  qui 
n'est  nuilemcnt  réclamée  parles  besoins  de  l'industrie;  qui 
reste  par  conséquent  oisive ,  et  qui  est  tout-à-fait  négligée 
par  les  classes  supérieures  qui  ne  cherchent  en  aucune  ma- 
nière à  améliorer  ses  mœurs,  ses  habitudes  et  sa  condi- 
tion. » 

(  Dublin  Phi'hsophical  Journal.  ) 


DE  LA  SITUATION  DE  L  ILE-DE-FRANCE  ,  AUJOURD  HUI  ILE 
MAURICE,  DEPUIS  QUE  CETTE  ILE  EST  DEVENUE  UNE 
COLONIE   ANGLAISE. 


Le  gouvernement  Britannique,  par  une  décision  toute 
récente,  conforme  au  système  libéral  qu'il  vient  d'em- 
brasser, a  soumis  les  produits  de  l'Ile-de-France  ,  importés 
en  Angleterre  ,  aux  mêmes  droits  d'entrée  que  ceux  des 
Antilles  anglaises. 

Lorsque  nous  nous  rendîmes  maîtres  de  cette  île,  en 
1810,  son  agriculture  ainsi  que  son  commerce  étaient 
livrés  à  un  abandon  complet.  Cinq  années  plus  tard,  on  ne 
voyait  plus  aucune  trace  des  circonstances  malheureuses 
sous  lesquelles  elle  gémissait  auparavant;  l'agriculture  et 
le  commerce  y  avaient  repris  leur  activité.  Des  maisons  de 
Londres  et  du  Bengal  y  avaient  établi  des  comptoirs,  et 
elles  espéraient  pouvoir  doubler  leurs  capitaux. 

Telle  était  la  position  de  Tîle  quand  nous  l'administrions 
comme  colonie  étrangère  et  captive.  Devenue  depuis  co- 
lonie anglaise,  par  le  U-aité  de  paix  de  i8i4  ,   elle  paraît 


I20  Du  commerce 

avoir  éprouvé,  de  la  part  de  nos  ministres,  moins  de  laveur 
et  de  ménagement.  Ce  fut  pour  elle  une  mesure  bien  funeste 
que  cet  ordre  du  conseil  de  1816,  qui ,  abolissant  ou  mo- 
difiant la  loi  de  l'entrepôt ,  éloigna  de  ses  ports  les  pavil- 
lons étrangers.  Du  jour  où  cet  ordre  fut  promulgué  au  Port- 
Louis,  ses  pi-oduits  perdirent  un  tiers  de  leur  valeur,  et  le 
prix,  de  ceux  qui  y  furent  importés  d'Europe,  s'éleva  dans 
la  même  proportion.  (  Pétition  des  habitans  et  négocians 
de  nie-de-France,  du  2  avril  1816.  ) 

D'autres  effets  de  cette  mesure  ne  tardèrent  pas  à  se 
manifester.  Le  commerce  de  rîium  que  l'île  faisait  avec  le 
nord  de  l'Europe,  et  celui  qu^elle  fiiisait  aussi  avec  l'Amé- 
rique du  sud,  cessèrent  tout-k-coup  ;  tandis  que  l'île 
Bourbon,  qui  était  restée  sous  le  gouvernement  français, 
bériia  du  commerce  de  sa  voisine,  en  continuant  d'ac- 
cueillir tous  ies  pavillons. 

L'épouvantable  ouragan  qui  désola  Flle-de-France  en 
1816,  fixa  l'attention  sur  les  remontrances  qu'elle  ne  cessait 
d'adresser  au  Parlement  contre  cette  fatale  mesure.  Ce  ne 
fut  cependant  qu'en  1820  qu'un  nouvel  ordre  du  conseil 
rouvrit  enfiu  ses  ports  aux.  pavillons  des  autres  nations. 

La  colonie  conservait  un  autre  sujet  de  plainte  ,  non 
moins  grave,  contre  le  gouvernement  Britannique;  il  pro- 
venait des  droits  élevés  d'importation  auxquels  ses  sucres 
étaient  soumis  en  Angleterre,  à  l'instar  de  tous  ceux  qui  ne 
provenaient  pas  de  nos  colonies  aux.  Antilles.  Non-seule- 
ment ces  droits  ont  rendu  presqu'impossible tout  commerce 
entre  l'Ile-de-France  et  la  métropole,  mais,  d'après  le  té- 
moignage même  de  son  gouverneur  ,  sir  Robert  Far- 
qubar ,  ils  ont  cliargé  noli-e  budget  d'unesomme  annuelle  de 
100,000  liv.  st.  ,  pour  frais  de  gouvernement  :  somme  que 
sans  ces  restrictions  I.1  colonie  eût  pu  payer  elle-même. 

Les  entraves  mises  à  l'importation  des  sucres  venant  de 
l'Inde,  sont  motivées  sur  ce  que,  à  leur  défaut ,  nos  mar- 


de  l'Ilt-de-France.  12 1 

chés  seraient  encombrés  de  celte  denrée ,  et  sur  ce  que  la 
culture  du  sucre  par  des  jnains  libres,  telle  qu'elle  se  pra- 
tique dans  l'Tnde,  est  moins  dispendieuse  que  celle  qui  a 
lieu  dans  les  Antilles  par  les  mains  des  esclaves.  Mais  ce 
raisonnement  pèclie  par  sa  base  ,  si  on  l'applique  à  llle-de-  • 
France,  où  le  sucre  est  cultivé  comme  aux  Antilles,  par 
les  infortunes  importés  des  côtes  d'Afrique  (i).  Les  ha- 
bitans  de  celte  île  ont  d'ailleurs  ,  comme  ceux  de  l'Inde, 
le  désavantage  d'un  grand  éloignement  de  la  métropole  , 
ce  qui  augmente  les  frais  de  transport  et  les  primes  d'as- 
surance ;  en  outre ,  ils  ne  peuvent  guère  cultiver  que  la 
canne  à  sucre,  à  cause  des  fréquens  ouragans  qui  désolent 
leur  île ,  et  dont  les  efforts  portent  spécialement  sur  les 
plantations  de  girofle,  de  café  et  de  coton. 

Autre  exemple  des  fâcheux  effets  du  système  restrictif. 
Ija  France  favorise  naturellement  les  sucres  qui  lui  vien- 
nent de  l'île  Bourbon;  aussi,  quoique  d'une  qualité  in- 
férieure à  ceux  de  l'Ile-de-France,  se  vendent-ils  y  dollars 
eu  numéraire  (  58  fr.  5o  c.  )  par  quintal ,  tandis  que  ceux 
de  cette  dernière  colonie  ne  se  vendent ,  par  quintal ,  que 
de  5  à  4  dollars  1/2  (  16  fr.  5o  c.  à  24  fr.  i5  c.  )  en  pa- 
pier-monnaie. 

Ces  considérations,  jointes  à  une  foule  d'autres,  que  les 
colons  et  le  gouverneur  de  l'Ile-de-France  ne  cessent,  de- 
puis pluneurs  années,  de  soumettre  au  ministère,  ont 
enfin  déterminé  les  mesures  que  nous  avons  signalées  au 

(1)  "Note  du  Tr.  D'après  le  recensement  fait  en  1816  ,  l'ile  possc'- 
dait  à  cette  époque  84)000  noirs.  De  ce  nombre ,  55, 000  (  près  des 
deux  tiers  )  étaient  mâles  ;  cette  disproportion  entre  les  sexes  s'explique 
par  les  renforts  de  nègres  niàles  qu'on  importe  sans  cesse  de  la  côte 
d'Afrique.  Ainsi  il  parait  que  la  traite  continue  à  l'îlc-dc-France  , 
malgré  les  réglemens  contraires.  Elle  a  lieu  par  les  îles  Séclicllcs,  et 
l'on  calcule  que,  depuis  i8i6  jusqu'à  la  fin  de  i8a4,  il  est  entré,  par 
cette  voie,  70,000  noirs  dans  la  colonie. 


122  Aperçu  des  ressources 

commeacement  do  C3t  article,  et  font  espérer  ,  pour  cette 
colonie,  un  avenir  plus  heureux.  Néanmoins,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  regretter  que  ses  intérêts  aient  été  sacrifiés 
si  long-tems  à  ceux,  de  nos  colonies  des  Antilles  ;  que  depuis 
près  de  dis.  ans ,  par  Teffet  d'un  acte  dont  ou  ne  peut  s'ex- 
pliquer le  hut  (  Tordre  du  conseil  de  1816  )  ,  le  commerce 
ait  été  obligé  d'abandonner  ses  ports,  et  que  la  métropole 
ait  eu  à  supporter  inutilement  une  charge  annuelle  d'un 
million  sterling  (  25, 000,000  fr.  ) ,  depuis  la  même  époque. 

(  Asïatîc  Journal.  ) 


APERÇU    DES    RESSOURCES    DE    l'eJIPIRE    DES  BIR3IANS   (l). 


TOPOGRAPHIE. 

Le  territoire  des  Birmans  est  coupé ,  par  le  fleuve 
Iraouady,  en  deux  portions  inégales.  A  l'orient  de  ce  fleuve, 
il  se  compose  d'une  région  qui  a  environ  cinquante  lieues 
d'étendue,  et  qui  est  bornée  par  une  rivière  appelée  Saloing- 
Miet,  laquelle,  s'unissant  avec  le  Sitang,  va  se  jeter  dans 
le  golfe  de  Martaban.  A  l'ouest  du  même  fleuve,  il  com- 
prend ini  pays  de  trois  à  dix  lieues  de  largeur,  qui ,  d'une 
part ,  est  borné  par  une  chaîne  de  montagnes  habitée  par 
ime  race  indépendante,  appelée  les  Ralns  ;  et  de  l'autre, 
par  une  contrée  appelée  le  Cossay,  qui  est  plus  accessible 
que  cette  dernière  aux  entreprises  des  Birmans.  La  rivière 
du  Chedouain  sert  proprement  de  limite  entre  cette  contrée 
et  le  territoire  birman.  Au  nord  et  au  nord-est ,  le  pays  des 

(1)  Note  du  Tr.  E'ans  un  moment  où  la  uuissance  anglaise  ren- 
contre dans  l'Inde  un  obstacle  inattendu,  nous  avons  pensé  que  les 
détails  suivans  sur  les  Birmans  qui  le  lui  opposent,  présenteraient  un 
intérêt  particulier.  Ces  détails  sont  empruntés  à  la  Gazette  officielle 
de  Calcutta. 


de  l'empire  des  Birmans.  123 

lîirmans  est  borné  par  des  montagnes  qui  le  séparent  de 
la  province  chinoise  Yii-Nan.  IVantres  montagnes,  qui 
se  lient  avec  celle-ci  ,  et  qui  se  prolongent  jusqu'au  golfe 
de  Siam  ,  forment  une  barrière  entre  ce  pays  et  le  royaume 
de  Siam  ;  ces  dernières  sont  habitées  par  des  hordes  sau- 
vages. Les  Birmans  sont  maîtres  de  la  navigation  de 
riraouady  jusqu'à  la  ville  de  Quantong,  située  sur  la 
frontière  de  l'Yu-Nan.  Les  vallées  que  comprend  cette  por- 
tion de  l'empire  birman  sont  possédées  par  des  chefs 
tributaires  qu'on  nomme  Chobouahs.  La  capitale  de  l'em- 
pire appelée  Ummérapoura,  est  située  dans  cette  même 
portion ,  sur  les  bords  de  Tlraouady  ,  et  à  une  lieue  au 
nord-est  des  ruines  de  l'ancienne  Ava.  Les  plaines  qui  l'en- 
vironnent, et  qui  s'étendent  plus  ou  moins  jusqu'à  la  ville 
de  Prom  ,  sont  d'une  fertilité  extrême. 

Tout  le  pays ,  au  midi  de  cette  dernière  ville ,  formait 
l'ancien  royaume  de  Pégu.  Au  sud-est  de  Prom,  est  l'an- 
cien royaume  de  Tonghuin  ,  pays  fertile  ,  mais  peu  peu- 
plé. Au  midi  et  au  couchant  du  Tonghuin ,  s'étend  jus- 
qu'à la  mer  la  conti'ée  appelée  Henzaouady  5  à  l'orient 
et  au  midi  de  ce  même  royaume ,  est  celui  de  Sitang , 
aujourd'hui  une  dépendance  de  l'Henzaouady  ;  et ,  plus 
à  l'orient,  est  la  région  de  Martaban  ,  située  autour  du 
golfe  de  ce  nom  Le  pays  compris  entre  les  côtes  du  Tanas- 
sérim  ,  forme  un  gouvernement  particulier.  Il  en  est  de 
même  des  ports  de  Tavay  et  de  Merghi. 

CLIMAT  ,    SOL    ET    PRODUCTIONS. 

Le  climat  du  territoire  birman  est  généralement  plus 
tempéré  et  plus  sain  que  celui  d'aucun  autre  pa>s,  sous 
la  même  latitude.  Les  saisons  sont  régulières,  et  les  mala- 
dies pestilentielles  y  sont  inconnues.  Les  tremblemeus  de 
terre  et  les  tempêtes  y  sont  fort  rares. 


124  Aperçu  des  ressources 

Dans  les  provinces  supérieures  ,  !e  sol  est  un  terroir  sec, 
sur  un  roc  ferrugineux.  Dans  les  autres,  11  contient  plus 
d'argile  et  de  matière  végétale. 

Les  productions  sont  aussi  variées  qu'abondantes.  Dans 
les  l'orèts  ,  ou  trouve  la  tecque  et  les  différens  bois  de  cons- 
truction communs  à  riude.  Les  plaines  produisent  toutes 
les  espèces  de  céréales  et  la  plupart  des  plantes  légumi- 
neuses. Sur  le  bord  des  rivières,  et  partout  où  il  y  a  de 
leau ,  on  cultive  le  riz,  l'indigo  et  le  cossoumba ,  plante 
d'où  Ton  tire  une  belle  teinture ,  couleur  ponceau  ,  fort  es- 
timée chez  les  Malais  ,  mais  peu  connue  en  Europe.  Les 
autres  productions  de  ce  pays  ,  sont  le  tabac ,  le  coton  (  qui 
est  de  deux  espèces j  l'un  blanc  ordinaire,  d'un  ton  foncé  , 
que  les  Chinois  Importent  pour  faire  le  nankin);  la  canne 
à  sucre  dont  ils  ne  tirent  pas  de  parti  parce  qu'ils  préfèrent 
la  matière  sucrée  que  leur  fournit  le  palmier  ;  enfin ,  des 
fruits  en  très-granl  nombre,  dont  les  ims  sont  communs 
à  VInde  et  les  autres  particuliers  à  ce  pays.  La  disette  ici 
est  fort  l'are,  et  quand  elle  arrive,  c'est  par  la  faute  des 
hommes ,  plutôt  que  par  celle  du  sol  ou  du  climat. 

COMMERCE    ET    INDUSTRIE. 

Les  productions  qui  s'exportent  annuellement  de  ce  pays 
en  Cbine ,  s'élèvent  à  la  valeur  de  cinq  à  six  lacs  de  roupies 
(de  i,5oo,ooo,à  1,800,000  fr.  )  Elles  consistent  principa- 
lement en  Ivoire,  en  ambre  ,  en  jaspe  et  en  pierres  pré- 
cieuses ,  ainsi  qu'eu  nids  d'oiseaux  qui  viennent  des  porls 
de  Tavay  et  de  Merghi.  Les  Birmans  prennent  en  retour 
de  la  sole,  tant  brute  qu'ouvrée,  des  velours,  du  fil  d'or 
et  d'argent ,  de  l'or  en  lingots ,  et  surlout  de  la  feuille  d'or  , 
dont  Us  font  un  grand  usage.  Le  Eengal  fait  le  commerce 
avec  eux  par  la  voix  d'Arracan ,  et  reçoit  des  valeurs  d'or 
et  d'argent  eu  échange  de  Si's  étoffes  de  soie  et  de  colon. 
Les  Birmans  fondent  les  métaux  ,  construisent  des  navires 


de  l'empire  des  Birmaîis.  isS 

et  des  barques  ,  et  font  (Vexccllens  cordages.  Ils  sont  b©ns 
tourneurs  ,  tant  en  bois  quen  ivoire  j  ils  taillent  et  polissent 
les  pierres  précieuses ,  et  sont  babiles  potiers.  Leurs  prin- 
cipaux artisans  sont  cependant  étrangers  j  ils  sont  peu 
avancés  en  agriculture  ,  quoiqu'ils  cultivent  assez  bien  cer- 
taines plan  les ,  telles  que  le  tabac,  le  cossoumba  et  quel- 
ques autres. 

POPULATION. 

On  estime  la  population  de  Tenipire  birman  à  4,000,000 
d'ames,  estimation  qui  ne  paraît  nullement  exagérée.  On  dit 
même  queTempereur  voulant,  i!  y  a  quelque  tems,  se  faire 
une  idée  de  la  population  de  ses  états,  somma  cbaque  ville  et 
cliaque  village  de  son  empire  de  lui  fournir  un  soldat,  et 
que  tous  ces  soldats  réunis  formèrent  une  armée  de  buit 
mille  hommes.  Si  l'on  suppose  que  ces  huit  mille  villes  ou 
villages  contiennent,  l'un  portant  l'autre,  deux  cents  mai- 
sons ,  on  a  un  total  de  i  ,0oo,ooo  maisons  5  et  si  l'on  suppose 
ensuite  sept  individus  pour  cl)aque  maison,  on  a  une  po- 
pulation entière  de  11,200,000  âmes,  population  qui  est 
encore  bien  faible  pour  l'étendue  de  l'empire  birman. 

On  assure  que  les  femmes  sont  aux  hommes  dans  le 
rapport  de  10  à  0  et  même  de  4  à  i  ,  disproportion  causée, 
dit-on,  par  les  guerres  que  ce  pays  a  eu  constamment  à 
soutenir.  Quoi  qu'il  en  soit,  d'après  les  rcnseignemens  les 
plus  exacts  qu'on  ait  pu  prendre ,  il  ne  paraît  pas  que  les 
naissances  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  soient  ici  dans  des 
proportions  différentes  de  celles  des  autres  pays. 

FORCE    MILITAIRE. 

1/empereur  n  a  pas  d'armée  permanente,  à  moins  qu'on 

n'entçnde  par  ce  nom  un  corps  d'artillerie  sans  discipline, 

composé  de  quelques  chrétiens  indigènes  et  de   (piclques 

rcnc'gnts  de  tous  les  pays  et  de  toutes  les  religions;  un  corps 

II.  n 


I  iG  Aperçu  des  ressources 

de   cavalerie   trenviron    une   centaine    d'hommes  ,  et  un 
autre  d'infanterie,  formé  de  2,000  hommes  presque  nus  et 
mal  arme's.  Quand  il  vent   lever  des  troupes,   il  fliit  un 
appel  à  ses  chobouahs ,    ou   princes  tributaires,  qui  sont 
tenus  de  lui  en  fournir.  îl  en  fait  un  semblable  aux  villes, 
dont  le  contingent  se  règle   sur  le  nombre    des   malsons 
qu'elles  contiennent.  Deux ,   quatre ,  six  maisons  au  plus , 
suivant  les  cas,    achètent  un  homme,  qu'elles  sont  dans 
l'obligation  d'armer,  d'équiper  et  de  solder,  pendant  toute  la 
durée  de  la  guerre.  IjC  soldat  est  armé  d'une  épée,   d'une 
lance  et  d'un  bouclier.  S'il  n'a  point  de  fusil,  le  munltion- 
naire  public  lui  en  délivre   un,    dont   il   doit    compte  à  la 
fin  de  la  guerre.  Les  cartouches  lui  sont  fournies  gratis. 
S'il  déserte,  sa  famille  et  tous  ses  parens  sont  saisis  ,  jetés 
dans  une  hutte  de  chaume  et  brûlés  vifs.  Les  exemples  de 
ce  genre  ne  sont  pas  rares.  On  désigne  aux  recrues  un  lieu 
de  rassemblement,  où  elles  se  rendent  à  leurs  fi'alsj   quel- 
quefois aussi  on  les  réunit  sur  des  barques  mises  en  réqui- 
sition à  cet  eflet.  Le  capitaine  Cos  rapporte,  dans  la  rela- 
tion de  son  voyage,  que,  sur  la  route  d'Arracan  à  Ummé- 
rapoura  ,    il   vit    un    grand    nombre    de    ces   recrues   en 
pelotons  :  c'étaient  des  jeuues  gens  au-dessous  de  vingt  ans, 
ou  des  vieillards  décrépits  ,  qui  se  rendaient  à  cette  dernière 
ville.  L'Arracan  a    été    taxé  à   3, 000   hommes    pour    la 
guerre  actuelle.  On  stationne  les  contingens  de  l'est  sur  la 
frontière  de  l'ouest,  et  vice  versa,  pour  être  plus  certain 
de  leur  fîdélilé. 

En  même  tems  que  l'empei'eur ,  qui  s'était  laissé  per- 
suader que  les  Anglais  voulaient  l'attaquer,  se  disposait 
à  prendre  l'offensive,  il  méditait  une  autre  attaque  contre 
]e  royaume  de  Siam.  Cette  double  lutte  a  exigé  le  dévelop- 
pement de  toutes  ses  ressources. 

Dans  le  premier  but ,  il  a  fait  marcher  10,000  hommes 
vers  Arracan,  et  il  eu  a  rassemblé  un  nombre  égal  sur  la 


de  l'empire  des  Birmans.  1 2- 

frontière  tl'Assam,  quil  supposait  devoir  être  notre  point 
d'attaque.  Tl  s'est  ménagé,  en  même  tems ,  une  armée  de 
réserve  pour  couvrir  le  Pégu  et  Yanghong.  Dans  le  second 
but ,  il  a  dirigé  20,000  hommes  contre  Jamaï. 

Une  force  de  10,000  hommes  sera  le  contingent  des  dif- 
férentes contrées  situées  au  midi  de  Prom  jusqu'à  la  ^ner  : 
savoir  Bassein  ,  les  îles  formées  par  les  bouches  de  Tlraoua- 
dy,  leTonghuin,  THenzaouady,  proprement  dit,  le  Sitan  et  le 
Martaban,  qui  sont  les  plus  belles  provinces  des  Birmans. 
On  ne  croit  pas  toutefois  ,  qu'administré  comme  il  Test, 
l'empire  puisse  mettre  sur  pied  plus  de  60,000  hommes. 

FINANCES. 

Tjes  domaines  du  monarque  aux  pieds  d'or,  diminuent  tous 
les  jours,  mais  ,  en  revanche  ,  son  trésor  grossit  sans  cesse. 
Ce  trésor  est  im'gouffre  qui  engloutit  sans  retour  la  fortune 
de  ses  sujets.  Il  était  déjà  considérable ,  lors  de  la  révolu- 
tion qui  mit  ce  prince  sur  le  trône ,  et  il  s'est  augmenté 
depuis  par  des  confiscations  continuelles.  En  fonds  dispo- 
nibles,  ce  prince  est  sans  doute  l'un  des  plus  riches  souve- 
rains de  l'Inde. 

Il  pourvoit  aux.  dépenses  de  sa  famille,  de  sa  maison  et 
de  ses  ministres  ,  non  par  des  fonds  pris  sur  le  revenu  ,  mais 
par  des  dons  en  terres  ,  ou  des  privilèges  qu'il  accorde,  oa 
par  des  impôts  particuliers  dont  il  autorise  la  perception. 
Par  ses  dons  eu  terres  ,  il  a  déjà  aliéné  une  grande  partie 
de  ses  domaines  tant  patrimoniaux  qu'acquis. 

Sou  revenu  fixe  se  compose,  d'une  part ,  des  tributs  an- 
nuels que  lui  paient  les  chobouahs,  et  de  l'autre,  du  pro- 
duit de  ses  domaines,  de  celui  des  mines  et  des  taxes  ,  tant 
sur  les  objets  importés  qu'exportés. 

Son  revenu  casuel  provient  de  confiscations  ,  d'aubaines, 
d'amendes,  tle  donations,  etc.  Les  impôts  se  paient  com- 
munément en  nature  j  les  productions  sont  emmagasine'es 


l 'iH  Fi)rce  11 nli Luire 

et  converties  ensuite  en  argent,  suivant  les  besoins  du  fisc. 
Les  tributs  des  chobouabsse  paient  toujours  en  numéraire, 
ainsi  que  les  droits  sur  quelques  articles  de  commerce  ,  et 
particulièrement  ceux,  sur  le  coton. 

D'après  des  cilculs  faits  avec  soin  sur  les  finances  de 
l'empire  des  Birmans  ,  on  estime  que  le  revenu  annuel  du 
gouvernement  ne  peut  s'élever  au-dessus  de  i5  lacs  de  rou- 
pies (  environ  4,5oo,ooo  fr.  )        {^Gazette  de  Calcutta.^ 


FORCE  MILITAIRE  DE  LA  CHINE. 


U.v  voyageur  russe,  M .Timkovski  f  i  "),  qui  a  passé  quelque 
temsenCliine,  a  publié,  sur  la  force  militaire  de  cet  empire, 
des  renseignemens  qui  fei*aient  juger  que  sa  puissance  est 
bien  plus  apparente  que  réelle.  Selon  lui ,  les  estimations  qui 
font  monter  l'armée  chinoise  à  un  milliondhommes  d'infan- 
terie et  à  800,000  de  cavalerie  ,  sont  fort  exagérées.  Les 
troupes  r.'glces  sont  divisées  en  quatre  corps  ,  d'après  les 
f[uatre  nations  qui  les  fournissent.   Le  pr.  mîer  corps  ,  fort 
de  67,800  hommes  ,  se  compose  de  Mantchous,  les  conqué- 
rans  et  les  maîtres  actuels  de  l'empire.  C'est  à  cette  nation 
qu'appartient  la  famille  de  l'empereur  régnant.  Ces  troupes 
sont  l'élite  de  son  armée  ,  et  elles  jouissent  de  grands  pri- 
vilèges. L'î  second  corps  ,  qui  est  de  21,000  hommes  ,  est 
formé  de  Mongols  ;  et  le  troisième,  de  27,000,  se  compose 
de  Cliinoiti.  I-e  quatrième,  qui  est  le  plus  nombreux,  et  qu'on 
dit  monter  à  5oo,ooo  hommes,  est  également  composé  de 
Chinois  \  mais  ces  derniers  diffèrent  des  préccdens ,  et  font 
classe,  et ,  en  quelque  sorte,  nation  à  part,  parce  que  leui's 

(i)  La  traduclion  thi  voyage  de  M.  Timkovsky  \a  paraître  incessa  m- 
mcnl  à  la  Librairie  Orientale  de  Dondey-Dupre' ,  rue  Saint-Louis, 
■n"^  4'^  1  i>"  Marais  ,  eV  rue  Richelieu,  no  67. 


de  la  Chine.  \  iç) 

ancclres  comballircnt  conlre  les  Mantchous ,  tandis  que 
ceux  du  troisième  corps  se  joignirent  à  eux  et  les  aidèrent 
à  faire  la  conquête  de  la  Chine.  Ce  quatrième  corps  est  le 
moins  estimé  de  tous.  On  le  dissémine  dans  les  diverses  gar- 
nisons de  lintérieur.  Avec  les  milices  ,  qui  sont  de  i2,5,ooo 
hommes,  1  armée  chinoise  s'élève  à  ^40^000  hommes ,  dont 
175,000  de  cavalerie.  Il  existe  ,  en  outre,  une  cavalerie 
mongole,  qui,  par  son  organisation  et  son  genre  de  service , 
ressemble  aux  troupes  russes  irrégulières  du  Don  et  de 
rUral.  On  n'en  connaît  pas  la  force  d'une  manière  exacte  j 
mais  on  l'estime  communément  à  5oo, 000  hommes. 

Tous  les  soldats  chinois  sont  mariés  ,  et  leurs  enfans  qui 
sont  inscrits  sur  les  l'ôles  en  naissant  ,  recrutent  les  curps 
auxquels  ils  appartiennent.  Outre  ses  armes  ,  un  cheval , 
vme  maison  et  une  certaine  portion  de  riz,  chaque  soldat  du 
premier  ,  du  second  et  du  troisième  corps,  touche  une  solde 
mensuelle  de  5  ou  4  '«"s  (  i!\  ou  02  fr.  )  ;  mais  il  s'habille 
à  ses  frais  et  à  sa  volonté  ,  d'où  résulte  une  variété  très- 
bizarre  dans  les  vctemens  des  troupes.  Les  hommes  du 
quatrième  corps  reçoivent  du  gouvernement  des  portions 
de  terrain  quMls  cultivent  pour  leur  subsistance. 

Aucune  armée  ne  se  recrute  plus  facilement  que  l'armée 
chinoise.  Des  malheureux  viennent  en  foide  se  ranger  sous 
ses  drapeaux,  pour  échapper  au  besoin  et  à  la  misère.  Mal- 
gré les  sommes  énormes  que  coûte  l'entretien  de  cette  armée 
et  qu'on  dit  monter  à  87,400,000  lans  (6g9,5oo.ooo  fr.  )  , 
elle  est  peu  redoutable,  étant  sans  discipline  et  sans  énergie. 
Le  dernier  empereur  Kia-Ring  lui  reprocha  son  avilisse- 
ment en  termes  assez  durs ,  dans  une  proclamation  datée 
de  l'année  1800.  Dans  cette  pièce  ,  après  avoir  rappelé  aux 
Mantchous  les  actions  héroïques  de  leurs  pères,  il  leur  dit 
qu'ilfisont  aujourd'hui  moins  exercés  dans  l'arl  militaire  et 
plus  faibles  que  les  ('liinois  eux-mêmes,  dont  tant  de  milliers 
lurent  vaincus  par  une  poignée  de  leurs  ancélres, 


VOYAGES. 


RELATION'  DUN  VOYAGE  FAIT  DANS  LE  KHORASSAN  , 
DANS  LES  ANNÉES  iSîI  ET  1822  ;  SUIVIE  d'unE  NOTICE 
SUR  QUELQUES  CONTRÉES  SITUÉES  AU  NORD-EST  DE  LA 
PERSE  (1). 

Par  James  Fraser,  i8a5. 


Dans  le  premier  volume  de  cet  ouvrage  ,  l'auteur  nous 
rend  compte  successivement  de  son  voyage  à  Bombai  ,  à 
Mascat,  à  Meched,  à  Aslerabad  ,  à  Téhéran,  par  Chiras 
et  par  Ispahan  5  et  des  observations  qu'il  fit  dans  les  camps 
des  Gourdes. 

Sachant  ainsi  la  route  qu'a  suivie  M.  Fraser  ,  dans  sou 
voyage  au  Khorassan  ,  nous  allons  arriver  de  plein  saut 
dans  la  ville  de  Téhéran.  Nous  y  trouverons  Mirza  Aboul 
Hussein  Khan  ,  ancien  ambassadeur  du  roi  de  Perse  à  la 
cour  de  Londres  (i).  Le  portrait  que  M.  Fraser  fait  de  ce 
personnage,  pourra  amuser  et  surprendre  quelques-uns  de 
nos  lecteurs. 

«  Mirza  Aboul  Hussein  Khan ,  dit-il,  n'a ,  par  les  mœurs 
et  le  caractère,  rien  de  commun  avec  les  hommes  respec- 
tables que  je  viens  de  nommer.   D'une  famille  ancienne , 

(i)  Narrative  of  a  journey  iiito  Khorasan  in  the  yenrs  1821 
and  1822  ,  including  sorne  account  of  the  north-east  of  Persia.  By 
James  Fraser  ,  author  of  a  Tour  in  ihe  Himalaya  moimtalns,  1825. 

(a)  Note  du  Tr.  Ce  même  personnage  a  habite'  quelque  tems 
Paris,  où  il  prenait  la  qualité  (l'ambassadeur  de  la  cour  de  Perse  près 
des  rois  d'Occident.  Il  y  fréquentait  les  spectacles,  les  loges  maçonni- 
ques ,  et ,  en  général ,  tontes  les  réunions  nombreuses.  Le  luxe  de 
sa  toilette ,  sa  barbe  noire  et  bien  soignée  et  toute  inondée  de  parfums, 
lui  donnaient  l'apparence  d'un  petit-maître. 


"Relation  d'ini  voyage  fait  dn-ns  le  Khorassan.        i3i 

mais  déchue  et  fixée  tantôt  à  CIjiras  et  tantôt  à  Ispaliau  , 
il  était  pauvre  daus  ses  premières  années  ;  mais  il  était 
beau  ,  et  les  agrémens  de  sa  personne  joints  à  quelques  ta- 
lens  pour  là  danse  ,  qu'il  exerçait  en  Labit  de  femme  ,  lui 
firent  trouver  des  ressources  près  iS^s  voluptueux  d'Ispahan. 
Se  sentant  de  l'aptitude  pour  le  commerce  ,  il  renonça  à  ces 
misérables  ressources  pour  s'y  livrer,  et  en  persévérant  dans 
cette  carrière  ,  il  acquit  peu  à  peu  une  existence  honorable. 
Parvenu  à  cette  situation,  il  se  fit  assez  remarquer  à  Téhé- 
ran ,  pour  que  le  roi  ,  qui  avait  besoin  d'un  sujet  pour 
l'ambassade  d'Angleterre  ,  jetât  les  yeux  sur  lui  et  lui  con- 
fiât celte  mission.  Mirza  Aboul  Hussein  Rhan  l'accepta, 
et  les  connaissances  qu'elle  le  mit  à  même  d'acquérir  ,  tant 
sur  les  mœurs  que  dans  les  langues  de  l'Europe  ,  jointes  à 
la  répugnance  qu'ont  les  grands  de  la  cour  de  Téhéran  , 
pour  les  missions  dans  cette  partie  du  monde  ,  l'ont  fait 
désigner  pour  remplir  toutes  celles  de  ce  genre  qui  se  sont 
présentées  depuis. 

»  Aucun  personnage  n'est  moins  considéré  à  la  cour  de 
Téhéran,  que  Mirza  Aboul  Hussein  Rhan  ;  il  est  tellement 
décrédilé  ,  sous  les  rapports  de  l'honneur  et  de  la  probité  , 
qu'à  moins  d'y  être  contraint  par  des  circonstances  majeures, 
aucune  personne  honnête  n'a  de  relations  avec  lui.  Dans  un 
âge  déjà  avancé  ,  il  conserve  toutes  les  habitudes  de  sa 
jeunesse  ,  lesquelles  ,  même  dans  un  pays  où  l'on  est  gé- 
péralemeut  facile  pour  les  mœurs  ,  ne  font  qu'inspirer  le 
dégoût  et  le  mépris.  Il  est  vrai  toutefois  que  cet  homme , 
par  la  ilexibdité  et  l'enjouement  de  son  caractère  ,  sait 
souvent  capter  avec  assez  d'adresse  la  faveur  de  ceux  dont 
il  a  besoin.  Cependant  il  est  difficile  de  s'expliquer  com- 
ment ce  personnage  a  eu  tant  de  succès  dans  les  dillerens 
pays  de  l'Europe,  et  surtout  dans  le  nôtre.  Sa  conversa- 
tion est  remplie  de  propos  libres  et  iuiperlineus  j  jamais 
il  ne  parle  de  l'Anglelerre,  qu'il  ne  se  montre  indigne  des 


102  Relation  d'un  voyage 

bontés  et  de  l'hospitalité  qu'il  y  a  reçues.  11  eu  est  revenu 
chargé  de  prcsens  ;  il  a  touché  pendant  long-tems  ,  et  il 
louche  encore ,  à  ce  que  je  crois ,  une  forte  pension  du 
gouvernement  britannique ,  et  cependant  il  se  montre ,  en 
toute  occasion,  contraire  à  ses  intérêts,  et  il  n'en  parle 
qu'avec  mépris.  Ayant  porté,  à  ce  qu'il  paraît,  vm  grand 
nombre  de  schalls  de  sou  pays  ,  en  Angleterre,  il  se  vante 
ici  de  les  avoir  troqués  contre  les  faveurs  de  nos  plus  belles 
femmes.  A  ce  propos  ,  il  cite  par  leurs  noms  toutes  celles 
avec  lesquelles  il  aurait  eu  des  relations  de  galanterie  ,  et , 
de  ce  nombre  ,  se  trouvent  quelques  femmes  du  premier 
rang.  Ce  petit-maître  persan  met  le  comble  à  son  impudence 
en  faisant  passer  de  main  en  main  des  lettres  qu'il  pi'étend 
en  avoir  reçues,  et  il  a  montré  dernièrement  au  roi  le  por- 
trait d'une  femme  célèbre  ,  d'une  femme  non  moins  dis- 
tinguée par  ses  vertus  que  par  son  rang ,  et  qu'il  compte 
avec  les  autres  parmi  les  maîtresses  qu'il  a  eues  à  notre 
cour.  Il  faut  espérer  que  l'ingratitude  de  cet  étranger  ser- 
vira de  leçons  aux  dames  anglaises,  et  qu'avec  cet  exemple 
devant  les  yeux  ,  elles  se  garderont ,  à  l'avenir,  d'accueillir 
avec  une  bienveillance  imprudente ,  des  gens  qu'elles  ne 
connaissent  point. 

»  Mirza  Aboul  Hussein  Khan  revint  chargé ,  non-seule- 
ment de  présens  ,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  mais  aussi  de  mar- 
charchandises  qu'il  avait  rassemblées  de  tous  côtés  ,  et 
que  ,  par  son  privilège  d'ambassadeur  ,  il  put  faire  entrer 
exemptes  de  droits  ;  mais  ,  non  content  d'éviter  pour  elles 
des  Irais  de  douanes  ,  il  voidut  aussi  esquiver  les  frais  de 
transport  d'Astérabad  à  Téhéran  ;  il  mêla  donc  ces  mar- 
chandises avec  certains  présens  dont  ii  était  chargé  pour 
le  roi ,  et ,  par  ce  moyen  ,  il  obtint  des  bétes  de  somme  , 
tant  pour  ses  propres  bagages  que  pour  ceux  de  son  maître. 
Cependant ,  celui-ci ,  informé  de  cette  ruse ,  ou  l'ayant  de- 
vinée peut-être  par   cet  instinct  qui  le  gui  ic  dans  tout  ce 


fait  dans  le,  Khonissan.  i55 

nul  concerne  ses  intérêts  ,  s'occupa  bienlôl  de  la  déjouer. 
Dans  ce  but ,  dès  qu'il  sut  que  son  ambassadeur  approchait 
de  la  capitale  ,  il  s'en  absenta  lui-même,  et,  ayant  ordonné 
ime  partie  de  chasse  ,  il  somma  Mlrza  Aboul  Hussein  Khan 
de  venir  le  rejoindre  sur-le-champ.  Pendant  celte  partie  de 
chasse ,  les  bagages  de  Tambassadeur  cheminaient ,  avec 
ceux,  du  roi ,  vers  la  capitale,  et,  !orsf|u"ils  y  fui'ent  arri- 
vés ,  ils  furent  logés  ,  comme  présens  destinés  au  schah , 
au  garde-meuble  royal.  Mlrza  Aboul  Hussein  Khan  n'osa 
jamais  réclamer  les  siens,  et  sa  ruse  tourna  ainsi  au  profit 
de  celui  qui  devait  en  être  la  dupe. 

»  Le  poste  que  cet  ancien  ambassadeur  occupe  mainte- 
nant à  la  cour  de  Téhéran  ,  est  simplement  cehii  d'intro- 
ducteur des  Européens  qui  se  présentent  à  celte  cour.  Il 
ambitionne  celui  de  ministre  ^  mais  vainement  ;  ses  fonc- 
tions ,  en  ce  qui  concerne  les  affaires  étrangères ,  se  bor- 
nent aux  relations  que  la  Perse  entretient  avec  le  gouver- 
nement britannique ,  et  elles  sont  exercées  sous  la  direction 
du  ministre  Mlrza  Abdoul  Wahab.  » 

Quant  à  la  Perse  en  général ,  M.  Fraser  en  fait  un  ta- 
bleau on  ne  peut  pas  plus  défavorable.  Cet  empire ,  selon 
lui ,  marche  rapidement  à  sa  ruine.  Le  souverain  actuel , 
prince  faible  et  avide  ,  se  montre  ennemi  de  tout  mérite 
dans  ses  propres  sujets  ,  et  jaloux  des  relations  qu'ils  for- 
ment avec  les  étrangers  qui  fréquentent  ses  états.  En  tra- 
çant le  caractère  de  ce  prince,  M.  Fraser  ie  compare  avec 
quelques-uns  de  ses  prédécesseurs  ,  et  entr'autres  avec  le 
fameux  Nadï?-,  dont  il  raconte  l'anecdote  suivante  : 

«  Nadir  Schah,  dit-il,  appréciait  le  courage  et  savait  le 
récompenser.  Un  marchand  lui  avait  apporté  un  jour  quel- 
ques armes  à  examiner.  Ce  prince  les  payait  à  tout  \)r\x , 
([uand  il  en  rencontrait  à  son  gré.  Il  essaya  plusieurs  épées, 
puis  s'arrétanl  enfin  à  une  qui  lui  parut  de  bonne  trempe,  il 
dit  :  Elle  est  bonne,  mais  (roji  courte  (  ek  kudiini  peisch  ). 


i54  Relation  d'un  voyage 

—  Il  \\y  a  qu'à  faire  un  pas  en  avant ,  dit  tout  bas  un  jeune 
liomnie  parmi  les  assistans  ;  voulant  dire  qu'au  nioven  d'un 
pas  de  plus  vers  l'ennemi,  elle  aurait  sa  juste  mesure. 
Nadir  Scliali  baissa  sur  lui  sou  regard  sévère  ,  et  après  un 
moment  de  silence,  il  l'apostropba  ainsi  :  Et  toi ,  voudrais- 
tu  le  faire  ce  pas  ?  —  Volontiers  ,  sire  ,  lui  répondit  le  jeune 
bomme. —  Eli  bien  donc  ne  l'oublie  jamais  ,  reprit  le  roi  ; 
et  en  disant  ainsi ,  il  lui  jeta  l'épée.  En  effet ,  n'oubliant  pas 
ce  mot,  le  jeune  bomme  se  distingua  depuis  par  sa  bra- 
voure et  son  dévouement ,  et  parvint  aux  premiers  grades 
dans  l'armée  de  Nadir. 

»  Mais ,  sous  le  règne  actuel  ,  ajoute  M.  Fraser  ,  Il  n'y  a 
de  récompense  ni  pour  la  bravoure  ,  ni  pour  le  dévoue- 
ment 5  au  contraire,  ces  qualités  n'inspirent  jamais  que  la 
méfiance  et  le  soupçon  ,  et  attirent  sur  celui  qui  les  pos- 
sède, des  persécutions  inévitables  :  témoin  le  sort  de  Futeb 
Allée,  qui  eut  les  yeux  crevés  pour  prix  de  services  impor- 
lans.  De  tels  exemples  paralysent  nécessairement  toute 
espèce  d  énergie.  Un  descbefs,  près  d'Astérabad  ,  parlant 
d'expéditions  qu'il  avait  faites  contre  les  Turkomans ,  et  de 
celles  qu'il  était  question  de  renouveler  contr'eux ,  dit  :  E*- 
pourquoi  les  soumettrai-je  ?  De  quelle  manière  en  serai-je 
payé?  Comme  Futeb  Allée  !  » 

Nous  passerons  maintenant,  avec  M.  Fraser,  dans  le  pays 
du  Kborassan ,  qui  paraît  avoir  été  le  principal  but  du 
voyage  qu^il  a  entrepris.  Ces  conti^ées  sauvages  sont  ha- 
bitées par  diverses  tribus  nomades ,  entre  lesquelles  nous 
distinguerons  celles  des  Turkomans.  Voici  quelques  détails 
sur  les  mœurs  de  cette  tribu  : 

«  Les  femmes  des  Turkomans  ,  dit  l'auteur,  ne  sont  pas 
renfermées,  ni  cacbées  ,  suivant  l'usage  ordinaire  des  peu- 
ples mahométans  :  elles  ne  portent  pas  de  voile  ,  propre- 
ment dit ,  mais  une  sorte  de  rideau  eu  étoffe  de  soie  ou  de 
coton  ,  qui  est  fixé  autour  du  visage  de  manière  à  en  cacher 


Jait  dans  le  Khorassan.  i35 

Je  bas  au-dessous  du  nez,  et  qui  descend  jusqu'au  sein. 
Elles  ne  quittent  pas  la  tente  lorsqu'un  étranger  y  arrive  , 
mais  restent  occupées  à  TouA'rage  qu'elles  ont  devant  elles. 
Assez  familières  avec  les  étrangers ,  elles  passent  même 
pour  les  voir  avec  trop  de  bienveillance. 

»  La  coiffure  de  ces  femmes  est  bizarre  :  elle  consiste  en 
un  bonnet  élevé  à  large  fond  ,  assez  semblable  à  ce  genre 
de  cbapeau  militaire  qu'on  appelle  un  schakos.  Ce  bonnet 
se  porte  sur  le  derrière  de  la  tète  et  se  recouvre  par  un 
mouchoir  de  soie  de  couleur  éclatante ,  dont  les  bouts  tom- 
bant de  chaque  côté  ,  font  l'effet  d'un  voile  jeté  en  arrière. 
De  dessous  ce  bonnet ,  sortent  de  longs  cbeveux  qui  se  par- 
tagent eu  quatre  tresses  :  deux  descendent  de  chaque  côte , 
l'une  devant  l'épaule  et  l'autre  derrière.  Ces  tresses  sont 
chargées  d'ornemens  en  agate,  cornaline  ou  autres  pierres, 
suivant  la  fortune  et  le  rang  de  la  femme. 

»  L'usage  ,  chez  ce  peuple ,  est  que  l'homme  achète  la 
femme  qu'il  épouse  ;  et  un  certain  nombre  de  chameaux , 
de  moutons  ,  ou  d'autre  bétail ,  en  est  communément  le 
prix.  Les  femmes  sont  considérées  ,  en  quelque  sorte  , 
comme  domestiques  ;  mais  outre  les  soins  du  ménage,  elles 
s'occupent  aussi  de  la  confection  des  objets  divers  qui  se 
vendent  au  prof.t  de  la  famille.  Les  hommes  s'occupent  du 
gros  bétail ,  et  d'expéditions  qui  ont  généralement  le  pillage 
pour  but.  Dans  les  marchés  dont  je  viens  de  parler ,  une 
veuve  est  plus  estimée  qu'une  jeune  fdle  ;  l'une  se  paiera  de 
2,000  à  4,000  roupies,  tandis  que  l'autre  ne  vaudra  que 
de  200  à  400  roupies.  Cinq  chameaux  sont  le  prix  ordinaire 
d'une  fdle  ;  mais  cinquante ,  et  même  cent,  seront  le  prix 
d'une  femme  qui  a  déjà  été  mariée  et  qui  est  encore  dans 
la  fleur  de  1  âge.  La  raison  qu'on  donne  de  cette  préférence 
bizarre,  est  qu'une  jeune  filie  est  censée  neuve  ,  eu  ce  qui 
concerne  les  soins  du  ménage  et  les  diverses  occupations 
cjui  sont  dévolues  aux  femmes. 


i5(i       Reldtion  d'ii/i  voyage  fait  dans  [c  Khorassan. 

»  Jja  polygamie  est  moins  commune  ,  dans  ces  contrées  , 
que  dans  les  autres  pays  maliomctans.  Soit  par  celte  raison, 
soit  par  d'autres,  que  je  ne  saurais  dire  ,  les  femmes  des 
Turkomans  sont  beaucoup  plus  fécondes  que  celles  des 
autres  tribus;  elles  le  sont  même,  dit-on,  dans  la  propor- 
tion de  deux  à  un.  De  chaque  camp  près  duquel  je  passais  , 
il  sortait  une  multitude  d'enfans.  Dans  son  étonuemeut  d'en 
voir  un  si  grand  nombre,  uu  de  mes  gens  s'écria  :  «  Mais 
c'est  ici  une  véritable  fourmilière.  »  Ces  enfans  sont  pres- 
que nus;  ils  paraissent  forts,  robustes  et  bien  porlans.  J'ad- 
mirai la  hardiesse  avec  laquelle  plusieurs  qui  étaient  à 
peine  en  âge  de  marcber  ,  plongeaient  et  se  débattaient 
tians  les  eaux  ,  sans  que  leurs  mères  en  parussent  alarmées. 
Tout  atteste  en  eux  la  dure  école  à  laquelle  ils  sont  élevés. 
Mon  hôte,  Khali  Rhan,  avait  dix  enfans  mâles  fort  beaux , 
nés  de  ses  deux  femmes. 

«  Lorsqu'un  Turkoman  meurt,  on  lave  son  corps  à  l'en- 
droit même  où  il  a  expiré  ;  puis  dans  ce  même  lieu,  on  élève 
un  petit  tertre,  en  creusant  une  tranchée  circulaire  de 
deux  à  trois  pieds  de  largeur,  et  en  amassant  la  terre  au 
centre.  Sur  ce  tertre ,  on  plante  un  arbre  ,  où  l'on  fixe  une 
perche  pour  marquer  le  lieu  où  il  est  mort.  Le  corps  est 
porté  plus  loin  dans  la  plaine  pour  être  enseveli.  Ou  voit 
beaucoup  de  plaines  parsemées  de  tertres  de  ce  genre  ,  et 
près  des  lleuves  on  aperçoit  de  nombreux  cimetières,  seuls 
vestiges  d'une  population  et  d'une  ancienne  prospérité  qui 
n'existent  plus.  »  (^Lit.   Gaz.) 


RELATION    D  UN    VOYAOE    A  LA   COCHINCHINE  ,    PUBLIEE    A 
LONDRES,    EN    l8a4. 


M.  WiilTE,  lieutenant  dans  la  marine  des  Etals-Unis 
d'Amérique  ,  et  auteur  du  voyage  dont  nous  allons  rendre 
compte  ,  partit  de  Salem  sur  le  Franklin  ,  en  janvier  iSiç), 
et  atteignit ,  le  7  juin  suivant ,  le  cap  Saint-James  ,  à  Textré- 
mité  méridionale  du  royaume  de  Cociiinchine.  No  trouvant 
sur  la  côte  aucun  interprète,  à  l'aide  duquel  il  put  commu- 
niquer avec  les  autorités  locales ,  il  dut  renoncer  à  s'occuner 
de  l'objet  de  son  voyage,  qui  était  d'élablir  avec  elles  des 
relations  commerciales ,  et  il  quitta  ces  parages  pour  passer 
à  Manille,  dans  l'espérance  d'y  rencontrer  un  truclieraent, 
IaC  Franklin  fut  rejoint  par  le  Marniion  ,  autre  bâtiment 
américain  ,  qui  arrivait  également  des  côtes  de  la  Cocbin- 
cbine ,  où  il  n'avait  pu  faire  d'échanges ,  parce  qu'il  no 
portait  que  des  doublons  ,  et  que  les  Cochincbinois  ne  con- 
naissent d'autres  pièces  étrangères  que  les  [^.iastres. 

Les  deux  bâtimens  américains  s'étant  pourvus  à  Manille, 
l'un  d'un  truchement ,  et  l'autre  d'une  provision  de  piastres, 
prirent  la  résolution  de  retourner  ensemble  aux  côtes  de  la 
Cochinchine  ,  et  ils  mouillèrent  de  nouveau  ,  dans  les  pre- 
miers jours  d'octobre  ,  au  cap  Saint -James  ,  situé  aux 
bouches  du  Donnai.  Autorisés  ,  après  quelques  jours  d'at- 
tente-, à  remonter  le  (leuve  et  à  se  rendre  au  port  de 
Saigon  ,  ils  levèrent  l'ancre  ,  et ,  munis  de  pilotes  ,  ils 
s'acheminèrent  vers  ce  port  .  résidence  ordinaire  d'un 
vice-roi. 

«  Ici  comme  en  Chine,  dit  M.  Whitc  ,  une  grande  partie 
de  kl  population  vit  sur  l'eau  ;  une  famille  entière  occupe 
une  l)arquc,  (|ui  est  sa  seule  deuKnu'c.    l'^llo  sidisistc  jiar  la 


l58  Relation  d'un  i>oyage 

pèche ,  par  le  commerce  des  fruits  ,  par  le  transport  des 
passagers  et  par  les  services  auxquels  l'emploient  les  bâti- 
mens  chinois  et  autres  navires  étrangers  ,  qui  fréquentent 
le  port  de  Saigon.  » 

Eu  remontant  le  fleuve  ,  M.  White  fut  frappe  du  grand 
nombre  de  barques  légères  qui  parcouraient  sa  surface. 
Chacune  de  ces  barques  formées  d'un  simple  tronc  d'arbre, 
était  manœuvrée  par  une  femme,  qui  n'employait  pour  cela 
qu'une  rame  longue  et  élastique,  fixée  à  un  pivot  près  de 
la  poupe.  Plusieurs  de  ces  barques  vinrent  avec  d'autres 
plus  fortes  se  grouper  autour  des  b'.timens  américains  ; 
toutes  étalent  chargées  de  divers  fruits  des  tropiques ,  tels 
que  des  bananes  ,  des  ananas ,  des  oranges  ,  des  citrons  , 
des  mangoustans,  des  cannes  à  sucre  et  des  fruits  confits. 

Arrivés  enfin  au  port  de  Saigon ,  les  commandans  des 
deux  bâtimens  mirent  pied  à  terre  ,  le  8  octobre ,  et ,  pré- 
cédét?  d'interprètes  ,  de  guides  et  de  quelques-uns  de  leurs 
gens  ,  portant  des  présens  destinés  au  gouverneur  (  car  le 
vice-roi  était  alors  absent  ) ,  ils  prirent  le  chemin  du  palais 
de  ce  dernier.  Ces  présens  se  comjiosaient  de  lampes  à 
sphère  ,  de  carafes  en  cristal  taillé  ,  de  pistolets ,  de  par- 
fums ,  de  cordiaux,  et  d'une  boîte  pour  mettre  du  tabac, 
de  l'arek  et  du  chunam. 

ce  Nous  passâmes,  dit  M.  White,  par  des  rues  encombrées 
d'ordures,  et  nous  fûmes  étourdis ,  durant  tout  le  trajet ,  par 
l'aboiement  des  chiens  et  par  les  cris  d'une  multitude  gros- 
sière ,  qui  touchait  nos  vèteraens  ,  nos  mains  ,  nos  visages, 
et  que  nous  ne  tenions  à  distance  qu'à  coups  de  bâton. 
Nous  entrâmes  enfin  par  un  fort  beau  pont  de  pierre ,  jeté 
sur  un  fossé  large  et  profond,  dans  une  citadelle,  ou  plu- 
tôt dans  une  place  forte  ,  dont  l'enceinte  carrée,  fermée 
par  d'épaisses  et  hautes  murailles  ,  peut  avoir  un  quart  de 
lieue  de  dimension.  C'est  là  la  résidence  ordinaire  du  vice- 
roi  et  de  tous  les  officiers  militaires  stationnes  à  Saigon. 


à  la  Cochinchùie.  i5ç) 

Les  casernes  qui  en  dépendent  sont  bien  construites  et 
assez  grandes  peut-être  pour  loger  cinquante  mille  hommes. 
T^e  palais  du  roi  est  situé  sur  une  belle  pelouse  ,  au  centre 
de  la  A'illc ,  et  entouré  de  grands  jardins  clos  par  des  palis- 
sades ;  il  est  bâti  en  briques  et  exhaussé  à  six  pieds  au- 
dessus  du  sol  ;  on  y  entre  par  un  perron  de  bois.  Derrière 
ce  palais .  et  à  quelque  distance ,  est  un  corps  de  bâti- 
ment .  qui  contient  les  appartemens  des  femmes  ;  il  est 
surmonté  de  figures  de  monstres  dans  le  goût  chinois.  En 
passant  devant  ces  bàlLmens,  on  nous  ordonna  de  baisser 
nos  ombrelles  ,  à  l'exemple  des  mandarins  qui  nous  accom- 
pagnaient, pour  saluer  ,  nous  dit-on  ,  la  demeure  du  fils  du 
soleil.  » 

Les  deux  officiers  américains  et  leur  suite  furent  rreus 
par  le  gouverneur ,  dans  sa  propre  maison  ,  corps  de  bâ- 
timent carré  ,  revêtu  de  tuiles  peintes,  et  dont  le  toit ,  on 
saillie,  était  soutenu  par  des  colonnes  de  bois  de  rose  poli. 
I!s  le  trouvèrent  assis,  les  jambes  croisées,  sur  une  haute 
estrade  5  près  de  lui  étaient  des  mandarins  de  divers  or- 
dres ,  et  derrière  eux  étaient  rangés  des  soldats  armés 
d'épées  à  double  tranchant  et  de  boucliers  en  peau  de 
buiTle  ,  ce  qui  présentait  un  coup-d'œil  assez  imposant.  Le 
gouverneur  accueillit  gracieusement  ses  hôtes  ;  mais  l'en- 
trevue se  borna  à  un  pur  cérémonial.  M.  White  fut  conduit 
ensuite  dans  la  citadelle  ;  il  vit  sur  leurs  affûts  beaucoup  de 
canons  de  divers  calibres.  Il  j  remarqua  entr'aulres  quel- 
ques pièces  de  campagne,  qui  étaient  marquées  de  tlcurs- 
de-lis,  et  datées  du  règne  de  Louis  XIV. 

L^arsenal  de  la  marine  est  un  des  objets  qui  ont  le  plus 
fixé  l'attention  de  M.  White,  à  Saigon,  «t  Cet  élablissemeut 
dit-il,  ne  le  cède  guère  à  ceux  de  ce  genre  qui  sont  eu  Europe. 
Il  ne  contient  pas  de  gros  navires ,  mais  un  grand  nombre  de 
galci*es  ,  d'une  construction  excellente.  Elles  peuvent  avoir 
de  quarante  à  cent  pieds  de  longueur  ,  et  elles  portent  les 


i4o  Rf  hit  ion  d'un  voyage 

unes  seize  canons,  les  autres  seulement  de  quatre  à  iix: 
ces  pièces  sont  en  cuivre  et  de  la  plus  belle  fonte.  Les  ma- 
tériaux réunis  dans  les  chantiers  attenant  à  l'arsenal,  suffi- 
raient à  la  construction  de  plusieurs  frégates.  Les  l)ois  de 
construction  surpassent  tout  ce  que  j'ai  vu  de  plus  beau  en 
ce  genre.  Je  mesurai  un  ais  qui  avait  cent  neuf  pieds  rie 
longueur ,  sur  deux  de  largeur  dans  toute  son  étendue  ;  je 
ne  sache  pas  que  dans  aucun  pays  du  monde ,  il  se  trouve 
des  ais  d'une  dimension  aussi  colossale.  J'ai  vu ,  dans  ce 
pays,  un  arbre  qui,  à  lui  seul ,  aurait  pu  servir  de  grand 
mât  à  un  vaisseau  de  haut  Ijord,  et  ce  n'est  pas  ici  ,  m'as- 
sura-t-on  ,  un  exemple  rare.  » 

La  ville  de  Saigon  contient  180,000  habitans,  dont 
io,coo  chrétiens.  Les  maisons  y  sont,  pour  la  plupart  , 
construites  en  bois  et  revêtues  d'un  chaume  de  feuilles  de 
palmiers  et  de  pailles  de  riz  ;  quelques-unes  sont  bâties  en 
briques  et  en  tuiles;  elles  n'ont  qu'un  étage  et  n'ont  pas 
de  croisées  à  vitres  ,  mais  des  volets  qu'il  faut  ouvrir ,  pour 
éclairer  l'appartement.  Les  maisons  de  la  classe  pauvre 
sont  sales  et  misérables  au  dernier  point;  toutes  sont  assez 
tristes.  On  y  remarque  une  église  chrétienne  ,  desservie 
par  deux  missionnaires  italiens  :  ces  derniers  ont  un  grand 
nombre  de  disciples.  Si  l'on  en  croit  les  missionnaires  ,  les 
chrétiens  ,  en  Cochinchine  ,  sont  au  nombre  de  'jo,ooo  , 
dont  16,000  habitent  le  district  de  Donnai. 

Le  port  de  Saigon  est  situé  au  confluent  de  deux  branches 
(hi  Donnai  ,  et  la  ville  de  ce  nom  s'étend  à  environ  deux 
lieues  sur  la  rive  septentrionale  du  (letive.  Au  point  ti'union 
de  CCS  deux  branches  ,  on  a  élabli  un  canal  fie  communica- 
tion avec  le  fleuve  Camboge  ;  ce  canal  qui  a  plus  de  sept 
lieues  d'étendue,  sur  douze  pieds  de  profondeur  et  environ 
quatre-vingts  de  largeur,  a  été  creusé  au  travers  de  forets  et 
de  marais  ;  dans  l'espace  de  six  semaines.  26,000  hommes 
furent  employés  jours  <t  nuits  à  cette  entreprise,  et  7,000 


à  la  Cccliinchiiie.  .  \.\l 

cVenli-'eiix  périrent  de  fatigue  ou  des  maladies  qui  eu  furent 
la  suite. 

Les  bâiiniens  étrangers  sont  soumis   ici   à  un  droit  de 
tonnage  exorbitant.  Le  Franklin^  du  port  de  nbi  tonneaux, 
paya   iGa^   piastres  fortes,  sans  compter  les  présens  qu'il 
fallut  faire  et  les  exactions  de  divers  genres  qu'il  fallut  subir; 
ce  qui  fît   monter  la  taxe  entière  à  2,'^oo  piastres  fortes. 
«  On  ne  saurait  se  faire  une  idée,   dit  M.  White ,    de  la 
mauvaise  foi  et  de  la  rapacité  qui  cajractériseul  les  naturels 
du  pays.  »  Cest  principalement  à  ce  ^défaut  qu'il  faut  attri- 
buer  la   cessation    de    leurs  rapports  commerciaux  avec 
Macao  et  le  Japon  ,  et  l'état  de  langueur  où  se  trouve  leur 
commerce  avec  la  Cliine.  La  Cochincbine  possède  un  climat 
admirable ,  de  bons  ports  et  des  rivières  navigables ,  des 
montagnes  qui  renferment  de  l'or,  de  l'argent,  du  cuivre,  du 
fer  et  d'autres  métaux.  Le  sol  de  ce  pays  est  extrêmement 
favorable  à  la  culture  de  sucre,  du  coton  ,  du  tabac  ,  de  la 
soie  et  des  épices.    Mais,   malgré   toutes  ces    ressources, 
la  Cocbincbine,    par  les   vices  de  son  peuple,   les  fautes 
et  l'avidité  de  son    gouvernement,   voit  maintenant  son 
commerce    réduit   à  rien.    I^e  roi  actuel  est   un  despote 
militaire,    dont   l'ambition    est    sans    bornes j    ses    cour- 
tisans sont  à   leur  tour  des  tyrans  avides,  et  le  peuple  vit 
dans  l'ignorance  et  l'abjection.  Dans  ce  pays,  tout  bomnie 
est  soldat  ;  les  femmes  sont  cbargces  de  tous  les  détails  de 
la  vie  :  elles  font  le  commerce,  elles  exercent  l'industrie  et 
exécutent  les  travaux  agricoles.  Les  personnes  qui  appar- 
tiennent aux  premières  classes  sont  dans  l'babilude,  ici 
comme  en  Cbine,  de  laisser  croître  leurs  ougles  à  un  point 
extrême,   attendu   qne  cette  marque  distinctive  fait  sup- 
poser qu'elles  sont  exemptes,   par  état,   d'aucun    travail 
manuel.   Elles  ne   quittent  jamais  leurs  vêlemrns ,  même 
pour  se  coucher,    jusqu'à  ce  que,    u^és  par   le  t<'U)s  cl  la 
m;:1proprrté,  ils  tonilx'nt  en  lain]>eriu>;. 

II.  lU 


1 4  ">■  Relation  d'un  voyage 

Les  bois  ot  Ifs  montagnes  de  ce  pays  ai)on(lc)U  en  bêtes 
féroces.  On  y  cliassc  iYlépbant,  le  tigre  et  le  rlilnocéros, 
pour  avoir  île  Tivoire ,  des  peaux  et  de  la  corne.  T^e  com- 
merce de  ce  dernier  article,  ainsi  que  celui  de  l'Ivoire  ,  est 
exclusivement  réservé  au  roi. 

Le  souverain  de  la  Cochlnchine  était  alo^ent  de  ses  étals, 
lors  du  séjour  de  M.  White,  Ce  prince  était  occupé  à  éten- 
dre ses  conquêtes  dans  le  royaume  voisin  du  Ton-Kin  ;  il 
fait  sa  résidence  ordinaire  dans  la  ville  de  Hué,  aux  for- 
tifications de  laquelle  il  consacre ,  depuis  vingt  ans  ,  des 
sommes  énormes.  J^es  travaux  qu'il  y  fait,  occupent  cons- 
tamment 100,000  hommes.  Le  fossé  qui  environne  la 
jdace ,  a  trois  lieues  de  circuit  et  cent  pieds  de  largeur. 
Jjes  murs  ont  soixante  pieds  de  haut.  Ces  fortifications 
sont  enfin  presqu'acbevées  5  on  y  enlrellendra  une  garnison 
de  40,000  hommes  ,  et  les  remparts  seront  garnis  de  douze 
cents  pièces  de  canon. 

liQ?,  voitures  à  roue  n'étant  pas  connues  en  Cochln- 
chine, les  voyageurs  riches  se  font  porter  en  hamac.  Le 
hamac,  pourvu  de  matelas  et  d'oreillers,  est  suspendu  à 
iine  perche  et  surmonté  par  un  dais  en  forme  d'écaillé  de 
tortue. 

Les  maisons  sont  construites  avec  des  matériaux  très- 
combustibles  ,  ce  qui  rend  les  incendies  assez  fréquens  : 
fjuaud  ils  arrivent ,  on  ne  s'occupe  pas  de  les  éteindre,  mais 
seulement  d'eu  borner  les  ravages.  On  abat  pour  cela  les 
maisons  attenantes  à  celle  qui  brûle ,  et  c'est  l'éléphant 
qu'on  emploie  pour  opérer  cette  destruction.  On  dirige  l'a- 
nimal contre  la  mulson  qu'il  s'agit  d'abattre,  et  un  choc  de 
sa  tête  suffit  pour  la  mettre  en  ruines. 

Quant  à  la  population  de  la  Cochinchine,  l'auteur  n'a 
pu  se  procurer  des  renseigneraens  positifs.  Tel  njandarln 
l'a  estimée  à  dix  millions  d'ames,  tel  autre  à  quatorze  mil- 
lions. Les  missionnaires  ne  la  portent  qu'à  six  mdlious. 


à  la  Cochinchine .  i45 

M.  AVhlte  séjourna  trois  mois  au  port  île  Saigon,  et  il 
paraît  que  sa  mission  n'eut  aucun  succès  ;  il  lui  fut  même 
difficile,  ainsi  qu'au  commandant  du  Marmion,  de  trouver 
à  charger  son  bâtiment;  car,  à  l'exception  d'une  petite 
quantité  de  résines ,  de  pelleteries  et  de  bois  de  teinture  , 
Saigon  ne  possède  aucun  objet  d'échange  qui  puisse  con- 
venir aux.  marches  de  l'Europe.  Ils  finirent  par  prendre 
chacun  une  cargaison  de  sucre ,  qu'ils  payèrent  à  un  prix 
exorbitant. 

En  résumé,  le  voyage  de  M.  White  n'est  pas  sans  intérêt. 
Il  nous  fournit  des  idées  nouvelles  sur  une  contrée  qui  ne 
nous  est  guère  connue  que  par  le  voyage  qu'y  fit  M.  Barrow 
en  1795;  car  les  tentatives  faites  depuis,  notamment  par  un 
bâtiment  américain  ,  en  i8o3,  pour  explorer  ce  pays,  ont 
été  sans  résultat.  Celui  qu'a  obtenu  M.  White  est  peu  en- 
courageant sous  le  rapport  commercial.  En  effet,  le  peu- 
ple de  la  Cochinchine  conserve  ses  préventions  contre  les 
étrangers,  et  son  gouvernement  ignore  encore  que  tout 
commerce  se  fonde  sur  la  réciprocité  des  intérêts.  II  est  à 
présumer  qu'il  ne  modifiera  pas  de  long-tems  les  droits  exor- 
bitans  qui ,  aujourd'hui ,  éloignent  de  ses  ports  les  spécu- 
lateurs, et  qu'il  ne  sera  pas  aisé  de  le  déterminer  à  favoriser 
ce  système  d'échanges,  dont  les  nations  civilisées  tirent 
principalement  leurs  richesses  et  leurs  moyens  de  pros- 
périté, (  Monthly  Review.  ) 


3IONTAGNES    DU    NILGHERRI,     OU     CLIMAT     DE     L  EUROPE 

PRÈS  DE  l'Equateur. 

(  lijrtrnit  cCniie  lettre  particulière.  ) 


«  Après  avoir  passé  quelques  Jours  à  Callcul,  je  montai, 
à  la  polate  du  Jour,  dans  mon  palanquin,  et  Je  pris  la  roule 
qui  mène  aux  montagnes  du  Nilgherri.  Je  m'avançai  à  Ira- 
vers  une  foret  qui  est  remplie  d'élc'phans  ;  mais  mon  cor- 
tège était  nombreux  :  il  se  composait  tl'euviron  cinquante 
hommes ,  dont  la  plupart  étaient  armés  de  lances ,  d'é- 
pées  ,  de  fusils  et  de  carabines;  et,  en  mesure  contre 
vme  rencontre,  J'étais  presque  fàcbé  qu'il  ne  s'en  présentât 
pas  une  pour  nous  éprouver.  Dans  la  matinée  du  cinquième 
Jour,  j'arrivai  au  pied  des  montagnes  de  Nilgherri,  et,  à  la 
nuit  tombante,  je  commençai  à  les  gravir.  Le  jour  suivant, 
au  lever  du  soleil,  je  me  trouvai  dans  un  site  délicieux  ;  J'é- 
tais environné  de  rochers,  de  montagnes,  de  bois  et  de 
ruisseaux.  Je  continuai  de  monter  pendant  quelques  heures, 
et  j'atteignis  enfin  une  station  appelée  le  Dinhutli ,  où  des 
Européens  ont  bâti  quelques  chaumières.  Le  thermomètre, 
qui  mai'quait  98° (Fahrenheit)  à  Calicul,  en  marquait  iciôo 
de  moins,  et  à  cette  température,  quand  la  nuit  fut  ve- 
nue, Je  ne  fus  pas  fâché  de  m'envelopper  dans  une  double 
couverture.  Je  ne  puis  vous  dire  combien  Je  jouis  de  ce 
changement  de  climat  ;  i!  avait  dissipé  toutes  meslangueurs, 
il  m'avait  rendu  la  santé,  au  point  que,  tout  fatigué  que  Je 
me  trouvais  par  sui;e  du  voyage,  Je  passai  ma  journée  en- 
tière à  parcourir  le  pays. 

»  Le  séjour  de  Dinhutti  est  ravissant j  il  me  rappelle, 
parle  climat  et  par  l'aspect  des  lieux,  les  sites  les  plus 
beaux  de  la  Suisse.  En  un  mot,  il  ressemble,  à  s'y  trom- 
per, à  quelques-unes  des  contrées  de  l'Europe.  Après  y 


Climat  de  l'Europe  près  d^  l'équateur.  i45 

avoir  demeuré  quelques  jours,  je  me  remis  à  gravir,  non 
plus  en  palanquin,  mais  à  clieA'al,  les  monlagnes  du  Nil- 
glierri.  Je  gagnai,  au  bout  de  cinq  lieues  de  chemin,  une 
autre  station,  celle  de  \ Otacamunde ,  située  à  5oo  toises 
plus  haut  que  la  première,  et  où  l'air  est  beaucoup  p!us 
froid.  Le  pays  se  compose  d'une  suite  de  collines  qui 
couronnent  les  monlagnes  du  Nilgherri;  la  plus  haute 
s'élève  sur  nos  têtes  à  environ  i,5oo  toises  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  Ces  collines  sont  tapissées  de  verdure  et 
entrecoupées,  çà  et  là,  par  des  masses  de  rochers.  De 
jolis  bois,  qui  les  révèlent  en  partie,  donnent  au  pays  l'as- 
pect d'un  grand  parc  bien  distribué,  tel  qu'on  en  voit  en 
Europe.  A  la  culture  près ,  tout  est  ici  comme  en  Angle- 
terre j  les  bois  sont  parsemés  de  fraises,  d'anémones  et 
de  violettes.  Le  rosier,  le  chèvrefeuille  et  le  jasmin  s'entre- 
lacent sur  le  tronc  des  arbres.  Le  rossignol  et  l'aloueltc 
font  retentir  les  bois  de  leur  chant  j  mais,  ce  qui  distingue 
ce  pays  des  contrées  de  l'Europe ,  c'est  que  les  violettes  y 
sont  ombragées  par  des  canneliers  et  par  des  rododendnms 
d'une  hauteur  immense,  et  que  le  chant  du  l'ossignol  est  in- 
terrompu par  le  glapissement  des  singes  et  par  les  cris 
des  paons  et  des  coqs-d'Inc'e. 

»  On  a  peine  à  croire  (pi'll  existe  un  tel  pays  ,  situé  près 
de  l'équateur,  et  environné  de  climats  brùians.  Il  n'est 
connu  des  Européens  que  depuis  1819.  Il  joint  aux  avan- 
tages que  je  viens  de  signaler,  celui  d'avoir  un  climat  pres- 
qu' uniforme;  car,  après  les  moussons,  la  température  y 
varie  très-peu.  Au  moment  où  j  écris,  j'éprouve  un  froid  si 
vif  aux  mains,  que  j'ai  peine  à  tenir  ma  plume.  Quoique  la 
petite  pièce  où  je  suis,  soit  hermétiquement  fermée  de  tous 
les  côtés,  je  me  vols  réduit  à  souffler  dans  mes  doigts;  ou 
n'a  oublié  dans  ma  chambre  aucune  des  précautions  usitées 
contre  le  froid  ,  si  ce  n'es!  \o  feu  ,  doul  je  ui'acc()inuio(U'i';ns 
fort.  IVlon  liiornioni('>lrc  nuirq'U'  '"id"  (  d<' F.ducnlicil  "i;  [\  .m/e 


iij()  t^oyages  dans  la  mer  des  Indes. 

heures  du  malin,  placé  à  Tombre ,  il  ne  s'éiève  jamais  au- 
dessus  de  70°,  même  au  mois  de  mai,  celui  qui  est  le 
plus  chaud  de  l'année. 

»  Quelques  Anglais  se  sont  fixés  dans  ce  pays,  et  ils  s'oc- 
cupent d'agriculture.  Ils  sont  forts  ,  robustes  et  bien  por- 
tans.  Leurs  enfans  ont  un  teint  de  lis  et  de  roses,  ce  qui, 
dans  rinde,  est  un  vrai  phénomène.  I^e  sol  est  une  terre 
grasse  et  profonde 5  les  légumes,  les  fruits  et  les  fleurs  y 
viennent  en  abondance.  En  général,  tout  ce  qui  croît  dans 
nos  pays  septentrionaux,  réussit  également  ici.  Ces  cul- 
tivateurs ,  qui  ont  établi  quelques  fermes  et  des  jardins 
potagers,  en  vendent  les  produits  aux  habitans  de  Ca- 
licut.  Ces  produits  sont  généralement  bonsj  les  pommes 
de  terre  surtout  sont  excellentes. 

»  En  vous  rappelant  ce  que  je  vous  ai  dit  antérieu- 
rement de  ma  santé,  vous  concevrez  combien  je  me  fé- 
licite de  cette  expérience  que  j'ai  tentée  pour  me  rétablir. 
Cette  course  aux  montagnes  du  Nilgherri  m'a  remis  en 
peu  de  jours  et  m'a  dispensé  de  faire  un  voyage  en  Eu- 
rope. Je  ne  doute  point  que  si  Ton  établissait  ici  un  lii- 
valid  Bungalow  (  maison  pour  le  traitement  des  ma- 
lades ) ,  il  ne  devînt  une  ressource  précieuse  pour  ceux 
des  Européens  qui,  fixés  dans  l'Inde,  souffrent  comme 
moi  de  son  climat  brûlant.  » 


VOYAGES   DANS    LA    BIER    DES    INDES,    A    BORD    DE    LA 
FRÉGATE   l'aNDROMAQUE. 


La  frégate  anglaise  XAndromaque  faisait  partie  d'une  es- 
cadre chargée  d'examiner  la  baie  de  Lagoa,  sur  la  côte 
méridionale  d'Afrique,  et  de  faire  exécuter  certaines  con- 


T-^oj  tiges  dans  la  nier  des  Indes.  j^T 

veulioiis  cuire  le  youveraeuieut  britannique  et  les  états 
arabes,  jelalives  à  l'abolition  de  la  traite  des  nègres. 

Le  journal  que  nous  annonçons  ,  a  été  rédigé  à  bord  de 
ce  bâtiment,  par  un  oflicier  de  marine j  il  ne  se  recom- 
mande point  par  sou  mérite  littéraire  ,  mais  il  contient  des 
particularités  curieuses  sur  des  contrées  fort  peu  connues  ; 
c'est  ce  qui  nous  détermine  à  en  donner  le  fragment  sui- 
vant : 

K  Après  avoir  visité  la  baie  de  Lagoa ,  nous  fîmes  voile 
pour  Madagascar.  Nous  passâmes  le  canal  de  IMozamIjique, 
doublâmes  le  cap  de  Sainte-Marie,  a  l'extrémité  méridio- 
nale de  cette  île,  et  longeâmes  la  côte,  jusqu'à  ce  que  nous 
atteignîmes  Foulpointe,  où  nous  avons  uu  établissement. 
Je  pris  terre  par  ordre  du  chef  d'escadre  pour  entrer  en 
communication  avec  M.  Hastie,  ancien  officier  dans  un 
de  nos  régimens  à  l'ile  Maurice,  et  maintenant  directeur  , 
aux  appoiutemens  annuels  de  5oo  liv.  st.,  de  cet  établisse- 
ment. Il  cultive  sur  ce  point  de  la  côte  une  portion  de 
terrain  considérable ,  et  il  a  sous  lui ,  pour  le  seconder  , 
quatre  cents  naturels  ,  et  un  économe  anglais  pour  les  sur- 
veiller. Ce  dernier,  à  le  juger  sur  sa  mine,  ne  tiendra  pas 
long-tems  contre  ce  climat  meurtrier. 

»  \J Androinaque  était  la  première  frégate  qui  eiitinouiiie 
dans  ce  port.  Aussi  causa-t-elle  une  grande  surprise  aux  babi- 
tans  et  à  leur  chef,  nommé  Ra-Farla.  De  notre  côté,  nous 
n'éprouvâmes  pas  moins  d'élonnement  en  voyant  ce  cbc^i 
africain,  revêtu  de  l'uniforme  anglais.  Il  portait  un  babil 
rouge,  de  larges  épaulettes  d'or,  un  grand  cbapeau  à  cor- 
nes galonné  et  des  bottes  à  la  Wellington.  C'est  dans  ce 
costume  qu'il  se  pavane  maintenant  sur  le  rivage  de  Mada- 
gascar, kii  qui  s'y  promenait  naguère  dans  sa  majes- 
tueuse nudité.  Kn  m'approchaut  de  Ra-Fai'la ,  auquel 
M.  'Haslie  me  présenta  ,  je  remarquai  que  les  l)oul(m* 
de  sou  babil  portaient  un  nunuuo,  et  que  c'était  celui  (k* 


i/}^  T-^ciya^es  dans  lu  mer  des  liuL-s, 

8-2'  régiment.  II  paraît  cjue  cet  uniforme  a  apparleuu ,  au- 
trefois, à  notre  commissaire  Uplon,  qui  mourut  sur  cette 
côte.  Sur  l'invitation  de  notre  chef  tVescadre ,  Ra-Farla 
vint  dîner  à  son  bord.  Il  se  fit  accompagner  pour  s'y  rendre 
par  un  détachement  de  sa  garde,  et  il  nous  divertit  beau- 
coup par  les  airs  de  royauté  qu'il  cherchait  à  se  donner. 

»  En  longeant  encore  un  peu  cette  côte,  nous  gagnâmes 
Sainte-Marie;  nous  y  trouvâmes  une  frégate  française  qui 
était  à  l'ancre  dans  le  détroit  entre  cette  île  et  la  côte  de  Ma- 
dagascar. Elle  y  était  déjà,  nous  dit-on,  depuis  près  d'un 
an.  Sou  équipage  était  occupé  à  fortifier  quelques  points 
de  Sainte-Marie  et  à  former  un  établissement.  On  m'apprit 
que  la  saison  des  maladies  avait  bien  éclairci  cet  équipage, 
ce  que  je  n'eus  pas  de  peine  à  comprendre,  en  voyant  l'état 
déplorable  de  ce  qui  restait.  Ces  malheureux  avaient  tous 
un  teint  cadavéreux  ;  on  eût  dit  qu'ils  avalent  été  empoi- 
sonnés. Nul  doute  qu'au  prochain  retour  de  cette  saison  , 
ils  ne  soient  obligés  de  partir,  non  pas  pour  l'Europe,  mais 
pour  le  voyage  sans  retour.  La  chaleur  est  ici  intolérable; 
on  éprouve  une  oppression  qui  permet  à  peine  de  respirer. 

»  Nous  nous  éloignâmes  volontiers  de  cet  îlot  ;  nous  prîmes 
la  haute  mer  et  fîmes  route  pour  la  Terre-Ferme  ,  afin  de 
gagner  la  petite  île  de  Zanzibar.  Mais  les  vents  nous  poussant 
dans  la  direction  de  Sainl-Juau-de-Nova ,  nous  fumes  tour- 
mentés par  la  crainte  de  toucher  le  bas-fond,  épouvantai! 
ordinaire  de  ceux  qui  viennent  dans  ces  parages.  Je  ne  vis 
pourtant  rien  qui  indiquât  ce  bas-fond  ,  là  où,  d'après  nos 
cartes  marines,  on  doit  le  trouver.  Quelques  gens  de  notre 
équipage  croient  l'avoir  aperçu  ;  mais  ma  conviction  est 
qu'ils  se  trompent  et  les  cartes  marines  aussi. 

»  Nous  confiant  à  un  vieux  marchand  d'esclaves,  ([ui  ser- 
vait comme  pilote  à  notre  bord,  nous  continuâmes  à  faire 
route  vers  Zanzibar ,  île  dont  on  n'ajiproche  guère  sans 
danger.  Etant  en  avant  de  l'escadre  et  à  4o°  de  longitude 


Voyages  dans  la  mer  des  Indes.  i4o 

orientale,  nous  aperçûmes  enfin  la  terre  et  nous  iloublànies 
bientôt  une  pointe,  que  ,  sur  la  fol  du  pilote,  nous  crûmes 
être  celle  de  Zanzibar,  mais  cpii  se  trouva  nôtre  que  celle 
de  l'île  Pemba.  Nous  nous  rapprocbàmes  alors  de  la  terre 
ferme;  nous  longeâmes  la  côte  pendant  le  cours  da  sept 
à  huit  lieues  ,  et  nous  entrâmes  sains  et  saufs  dans  le  port 
de  Zanzibar ,  qui ,  une  fois  qu'on  y  est ,  est  certainement  le 
port  le  plus  sûr  qu'il  y  ait  au  inonde. 

»  Rien  de  plus  agréable  et  en  même  tems  de  plus  com- 
mode que  cette  île  ;  elle  est  toute  couverte  de  bois  ,  là  où 
elle  n'est  pas  cultivée j  et  dans  les  parties  qui  le  sont,  on 
Y  volt  fleurir  le  gérofle,  le  riz,  le  blé  de  Turquie,  le  café, 
la  canne  à  sucre ,  en  un  mot ,  toutes  les  meilleures  produc- 
tions des  tropiques. 

»  On  s'avituaille  facilement  ici  ;  les  vivres  de  toutes  sortes 
y  abondent;  ce  qui  prouve  bien  qu'on  y  travaille,  malgré 
tout  ce  que  le  vieux  pilote  m'avait  dit  de  la  paresse  des 
babllans.  On  vint  nous  apporter  des  vivres  de  toute  espèce, 
et  on  nous  les  offrait  comme  présens  ,  sans  doute  parce 
qu'on  avait  peur  de  nous.  Mais  le  chef  d'escadre  voulut  les. 
payer;  sur  quoi ,  grand  étonuement  de  la  part  des  babitans 
et  du  gouverneur  de  l'île  ;  mais  quand  le  refus  du  chef  d'es- 
cadre les  eut  convaincus  de  notre  générosité  ,  Ils  cherchè- 
rent à  en  abuser.  Ce  qu'on  nous  offrait  en  présent  se  com- 
posait de  i,5oo  ananas  très-beaux  et  du  meilleur  goût , 
d'une  quantité  innombrable  de  bananes  ,  de  mangoustes  , 
de  citrons  et  de  patates  douces  ;  ajoutez  à  cela  quatre  cents 
pfèces  de  volailles,  trois  vaches,  un  taureau,  etc.  Tous 
ces  vivres  furent  payés  un  tiers  de  plus  qu'ils  ne  valaient. 
liCs  bestiaux  ne  sont  pas  de  l'espèce  de  Madagascar,  mais 
bien  de  celle  de  Bombay  ;  ils  sont  d'une  petite  stature  ;  ils 
pèsent  trois  cents  livres  l'un  portant  l'autre,  et  n'ont  \y.\^ 
de  bosse  sur  le  dos  ,  connue  ceux  de  la  côte  d'Afrique. 
»  L'île  de  Zanzibar   est  uuc  possession  de  l'inian  tle  Mas- 


1 5o  J^oycigcs  dans  lu  nier  des  Indes. 

cat,  qui  y  tient  quelques  soldats  et  un  gouverneur.  Ce  tle. - 
nier  a,  dlt-ou ,  des  appointeniens  assez  minces,  deux  dol- 
lars par  jours  (i  i  fr.  );  mais  en  revanche  ,  l'iman  lui  laisse 
tirer  tout  le  parti  qu'il  peut  de  sou  poste  ,  et  il  use  bieu  de 
cette  faculté.  Il  perçoit ,  pour  son  propre  compte ,  un  droit 
sur  chaque  bâtiment  marchand  qui  relâche  dans  le  port  ; 
il  fait  toutes  les  ventes  et  tous  les  achats,  avituaille  les 
bâtimeus  au  prix  qu'il  vert ,  et  ne  laisse  vendre  que  ce  qu'il 
a  refiisé  d'acheter. 

»  Ce  gouverneur  donna  à  dîner  à  notre  chef  d'escadre 
pendant  son  séjour  dans  le  port.  Je  me  trouvais  du  diuer 
avec  quelques-uns  de  mes  camarades;  jamais  je  n'ai  vu  de 
repas  aussi  sale  et  aussi  dégoûtant;  c'était  à  en  avoir  des 
nausées;  la  nappe  paraissait  avoir  servi  depuis  six  mois, 
sans  cire  blanchie,  bien  que  je  soupçonne  que  le  gouver- 
neur n'en  fait  pas  usage ,  et  que  ce  fût  seulement  pour  nous 
faire  honneur  qu'on  l'avait  mise.  II  y  eut,  à  la  vérité,  abon- 
dance de  mets  de  toute  espèce  :  mais ,  ils  étaient  servis  sta- 
des plats  sales  ,  et  ils  nageaient ,  pour  la  plupart ,  dans  la 
graisse.  Point  d'assiettes  de  rechange ,  et  les  couteaux  ,  les 
fourchettes  et  les  cuillers  n'étaient  pas  en  nombre  suflisant . 
de  sorte  que  nous  étions  obligés  de  nous  les  passer  les  uns 
aux  autres,  à  tour  de  rôle.  Les  fourchettes  et  les  cuilliers 
étaient ,  les  unes  en  argent ,  les  autres  en  fer  et  d'autres  en 
bois.  Les  gobelets  étaient  également  rares,  de  façon  que  h^ 
même  servait  à  plusieurs  convives  ;  en  un  mot ,  rien  de 
moins  comforlahle  que  ce  repas. 

»  Nous  apprîmes  que  la  traite  avait  considérablement 
diminue  dans  cette  île;  qu'au  lieu  de  4o,ooo  nègres,  qui, 
autrefois,  s'y  vendaient  annuellement,  cest  tout  au  plus 
s'il  s'en  vend  aujourd'hui  i4,ooo. 

)»  Du  port  de  Zanzibar  ,  nous  fîmes  voile  pour  celui  de 
IVlosand)ique,  Eji  v  arrivant,  nous  apprîmes  qu'il  s'y  était 
tramé  un  complot  pour  massacrer  tous   ies  blancs  ,  sur  la 


Voyages  dans  lu  mer  des  Indes.  î  5 1 

côte  ,  et  ce  qui  doit  surprendre  ,  c'est  que  les  premiers  ins- 
tigateurs de  ce  complot  n'étaient  pas  des  nègres,  mais  quel- 
ques Lianes,  qui,  s'il  eût  réussi,  n'auraient  pas  tardé  ù 
en  être  les  victimes.  Cette  trame  fut  éventée  ,  et  la  présence 
de  notre  escadre  fît  qu'on  n'osa  pas  en  tenter  l'exécution. 
Les  conspirateurs  se  sauvèrent  sur  des  barques  ,  et  gagnè- 
rent les  contrées  voisines  j  mais  ils  lurent  livrés  par  les 
chefs  de  ces  mêmes  contrées ,  et  lorsque  nous  quittâmes 
Mosambique  ,  le  gouverneur  portugais  était  dans  l'intention 
de  leur  faire  trancher  la  tète.  » 


DU    PORT    DE    JACKSON    ET   DE  LA  VILLE  DE   SIDNEY  (^NOU- 
VELLE  GALLES  MÉRIDIONALE). 

(  Notes  extraites  du  journal  du  lieutenant  Ennis,  officier  de  la  fre'- 
gate  le  Tamar,  qui  faisait  partie  de  l'expédition  faite  en  1824  ,  pour 
établir  une  colonie  sur  la  côte  septentrionale  de  l'Australie  (i).  ) 


«  Ce  port  est  assurément  l'un  des  plus  beaux  que  j'aie 
vus  dans  aucun  pays.  Il  a  environ  sept  milles  d'étendue. 
Il  est  complètement  cerné  par  la  terre  ,  et  garanti  de  cette 
manière  contre  tous  les  vents.  Peu  fortifié  aujourd'hui ,  il 
serait  susceptible  d'être  rendu  imprenable. 

»  Le  pays  qui  le  borde  est  de  la  plus  grande  beauté. 
Des  collines  qui  s'élèvent  graduellement  du  rivage  ,  et  qui 
sont  revêtues  de  bois  de  haute  futaie  et  d'arbustes  divers, 
entrecoupés  par  des  terres  cultivées  et  des  pâturages ,  lui 
donnent  un  aspect  singulièrement  pittoresque  et  intéres» 
saut. 

»  En  approchant  de  la  ville  de  Sidney  ,  qui  est  bâtie 
sur  la  partie  méridionale  du  port ,  on  aperçoit ,  sur  le  pen- 

(i)  Yoy.  a«  livraison  ,  i^c  vol.,  paj;.  3(j8. 


1^2  Du  port  de  Jackson 

chant  des  collines  environnantes,  de  jolies  maisons  de  cam- 
pagne ,  et  dans  la  ville  même  ,  quel<|ues  édifices  publics  , 
qui  offrent  un  coup-d'œll  noble  et  imposant. 

»  Celte  ville  occupe  la  pente  de  deux  collines  avec  le 
vallon  qui  les  sépare.  Elle  n'existe  que  depuis  à  peu  près 
trente  ans ,  et  elle  est  déjà  grande  ,  belle  et  florissante.  Ses 
rues  sont  tirées  au  cordeau  ;  les  maisons  ont  toutes  un  air 
de  décence  ,  de  propreté  ,  et  quelques-unes  même  y  joi- 
gnent de  réiégance;  les  édifices  publics  y  sont  superbes  ; 
par  le  goût  et  la  majesté  qui  les  caractérisent ,  ils  feraient 
lionneur  même  à  la  métropole. 

3>  Le  climat  de  la  Nouvelle-Galles  méridionale  est  excel- 
lent. La  ville  de  Sidney  peut  êlre  regardée  comme  le 
Montpellier  de  l'Orient.  Le  sol  est  d'une  rare  fécondité.  Il 
produit  en  abondance  tout  ce  qui  croît  eu  Angleterre,  et  eu 
outre  presque  tous  les  fruits  des  Tropiques.  Les  cboses  né- 
cessaires à  la  vie,  tels  que  le  bœuf,  le  mouton,  la  vo- 
laille, etc.,  sont  d'une  bonne  qualité  et  d'un  prix  fort 
modique.  Le  progrès  rapides  que  cette  colonie  a  faits  ,  peu- 
vent être  regardés  comme  un  gage  certain  de  l'importance 
qu'elle  acquerra  dans  la  suite. 

»  Pendant  notre  séjour  à  Sidney  ,  nous  allâmes  voir  une 
tribu  d'Aborigènes,  qui  s'étaient  campés  sur  le  rivage  op- 
posé à  celui  où  est  située  cette  ville.  C'était  celle  du  roi 
Bungari ,  la  même  qu'on  trouva  ici  quand  on  y  aborda 
pour  la  première  fois.  Ayant  gagné  ce  point  du  rlvag?, 
nous  vîmes  une  troupe  de  misérables  ,  nus  et  affamés  , 
groupés  pêle-mêle  autour  d'un  grand  feu.  Ils  firent  d'abord 
peu  d'attention  à  nous  et  paraissaient  ne  pas  vouloir  être 
troublés  dans  leur  repos.  Cependant  ,  nous  nous  ap])ro- 
châmcs  d'eux  ,  et  nous  leur  oflVîmes  un  peu  de  rbum  et  de 
tabac  j  ils  acccplercnt,  cl  bienlot  ces  slimulans  les  firent 
sorlir  de  leur  iipalliie.  lisse  mirent  ;i  ilanser  devant  nous  : 
l'jur  danse  était  sauvage  ,  licencieuse  et  dégoùuinlc  ;  cr'peu- 


et  de  la  ville  de  Sid/iry.  1 53 

(lant  ,  il  n'y  avait  que  les  liorunies  qui  dansassent.  I^es 
iémmes  ,  pendant  ce  tems  ,  clianlaient  une  sorle  de  com- 
plainte sauvage  et  monotone.  Ces  misérables  n'observent 
aucun  culte  particulier;  et  ils  sont,  dit-on,  sans  idée 
sur  un  monde  à  venir.  Trente  années  de  communications 
avec  des  Européens  n'ont  opéré  en  eux  aucun  change- 
ment. Ils  paraissent  considérer  les  douceurs  de  la  vie  civi- 
lisée comme  un  faible  dédommagement  de  cette  portion  de 
lilîerlé  au  prix  de  laquelle  elles  sont  achetées.  Bien  qu'ha- 
bitant le  plus  beau  pays  du  monde  et  maîtres  du  sol  le  plus 
fertile,  ils  n'eu  tirent  pour  alimens  que  quelques  racines  et 
quelques  bulbes  ,  et  si  la  pêche  ,  ressource  assez  précaire , 
vient  à  leur  manquer  ,  ils  sont  réduits  aux  alimens  les  plus 
révoltans,  tels  que  les  lézards  et  des  larves  d'insectes.  Ce 
tableau  présente  sans  doute  un  pénible  contraste  entre  la 
condition  de  l'homme  sauvage  et  cel'e  de  l'homme  civi- 
lisé !  » 


SCIENCES. 


Notice  sur  un   compte  rendu  d'expériences  faites 

PAR  le  capitaine  SABINE,  POUR  DETERMINER  LA  FI- 
GURE DE  LA  TERRE,  ET  LA  DIRECTION  DE  QUELQUES- 
UNS   DES    COURANS   DE    l'aTLANTIQUE  ,    ETC. 


Depuis  le  commencement  de  ce  siècle ,  les  géomètres 
les  plus  distingués  de  l'Europe,  se  sont  occupés  ,  tant  en 
France  qu'en  Angleterre ,  d'e^ipériences  jjour  détermi- 
ner ,  au  moyen  des  vibrations  du  pendule  ,  les  différences 
de  gravitation  qui  ont  lieu  dans  diverses  parties  du  globe. 
Cependant,  malgré  l'habileté  reconnue  drs  auteurs  de  ces 


1 54  Expériences 

expériences  ,  et  la  bonté  des  instrumens  qu'ils  ont  em- 
ployés ,  on  n'a  pu  arriver  encore  à  aucune  solution  défini- 
tive de  ce  problême. 

Des  observations  sur  la  longueur  du  pendule ,  dans 
difFéreus  points  de  la  France,  ont  été  faites  par  les  géo- 
mètres français ,  et  d'autres,  sur  le  même  objet,  ont  été 
faites  également  dans  la  Grande-Bretagne  ,  par  le  capitaine 
Kater,  officier  de  marine,  chargé  ,  par  le  gouvernement 
anglais  ,  de  cette  mission  ;  mais  ,  les  résultats  comparés  do 
toutes  ces  observations  ,  ont  présenté  tant  de  discordances 
entr'eux,  qu'on  n'en  a  rien  pu  conclure  de  satisfaisant.  Tel 
était  l'état  de  nos  connaissances  à  cet  égard  ,  lorsque  la 
série  d'expériences  dont  il  est  rendu  compte  par  le  capi- 
taine Sabine  ,  a  été  entreprise. 

Pourvu  des  meilleurs  instrumens  de  la  Société  royale  de 
Londres  et  du  bureau  des  longitudes ,  ainsi  que  de  quatre 
chronomètres,  prêtés  par  MM.  Parkinson  et  Frodsbam  , 
opticiens  de  cette  capitale,  le  capitaine  Sabine  fit  voile  à 
bord  du  Pheasant^  pour  la  colonie  anglaise  de  SierraLeone, 
en  Afrique,  qu'il  atteignit  le  'i.i  février  1822.  Ce  fut  là 
qu'il  commença  ses  expériences.  Il  se  rendit  d'abord  à  l'ile 
de  Saint-Thomas,  située  immédiatement  sous  l'équateur , 
dans  le  golfe  de  Guinée,  et  de  là  ,  à  celle  de  l'Ascension  , 
^°  1/2  latitude lauslrale.  De  cette  île,  il  passa  successive- 
ment à  Bahia,  à  Maranham,  aux  îles  de  la  Trinité  et  de  la 
Jamaïque  ,  et  enfin  à  New- York.  Il  quitta  ce  dernier  port 
pour  retourner  directement  à  Londres,  où  il  arriva  le  5  fé- 
vrier 1823. 

Le  compte  rendu  des  expériences  faites  par  le  capitaine 
Sabine  ,  dans  le  cours  de  ces  divers  voyages  ,  étant,  par  sa 
nature,  peu  susceptible  d'analyse,  et  les  détails  qu'il  ren- 
ferme sur  une  foule  d'opérations  scientifiques ,  ne  s'adres- 
sanl  qu'à  une  classe  spéciale  de  lecteurs,  nous  croyons  de- 
voir les  écarter  de  cette  notice,  et  nj   faire  entrer  (jue  lo 


pour  déterminer  la  figure  de  la  terre.  iSf» 

résultat  de  ces  mêmes  expériences  ,  seul  objet  cVun  intérêt 
général.  ' 

Ce  résultat  donc ,  qui  est  celui  d'expériences  faites  sur 
treize  points  dltîérens  du  globe  ,  comparé  avec  les  résultats 
antérieurs  obtenus  par  les  géomètres  français  ,  sur  dix. 
points  différens  de  la  France  ,  et  par  le  capitaine  Rater,  sur 
sept  points  différeus  de  l'Angleterre ,  est  que  l'ellipticlté  du 
globe  est  de  -^^  ^. 

Cette  ellipticité  diffère  sensiblement ,  comme  on  voit , 
de  y^^  77 ,  celle  qui ,  sur  la  foi  des  premiers  géomètres  de 
nos  jours,  a  été  admise  comme  le  résultat  d'expériences  du 
même  genre  faites  sur  la  terre,  jointes  aux  données  fournies 
sur  l'applatissement  des  pôles  par  les  inégalités  lunaires. 

Pour  résoudre  le  problème  en  question  ,  des  expériences 
ont  ainsi  été  tentées  sur  un  arc  du  méridien  de  la  plus 
grande  étendue  accessible ,  et  les  résultats  que  donnent 
ces  expériences,  s'accordent  eutr'eux  dans  des  combinai- 
sons trop  variées,  pour  qu'il  soit  permis  de  regarder  leur 
coïncidence  comme  une  chose  fortuite. 

INous  passerons  maintenant  au  chapitre  Hydrographie 
du  compte  rendu  du  capitaine  Sabine  j  chapitre  qui  ren- 
ferme un  grand  nombre  d'observations  intéressantes  sur 
les  courans  qui  existent  dans  divers  parages  de  l'Atlantique, 
tant  boréale  qu'australe.  L'étude  de  ces  courans  est,  sans 
doute  ,  sous  le  double  rapport  de  la  sûreté  et  de  la  marche 
accélérée,  d'une  grande  importance  en  navigation.  C'est 
parce  que  beaucoup  de  capitaines  en  Ignorent  l'existence , 
que  les  navires  qu'ils  conduisent  sont  souvent  retardés  dans 
leur  course,  et  quelquefois  même  exposés  à  de  grands  dan- 
gers ;  tandis  que  d'autres,  mieux  dirigés,  échappent  h  ces 
mêmes  dangers  et  marchent  d'une  manière  beaucoup  plus 
prompte.  Le  voyage  du  capitaine  Sabine  fournit  plusieurs 
exemples  d'accélération  de  la  marclie  des  navires,  par  l'elTet 
des  courans. 


1 56  Expériences 

Dans  son  trojet  du  cap  Monte  an  cap  îles  Trois-poinlcs , 
sa  marclie  fut  accélérée  tle  soixante  lieues  niariups  ,  nu 
moyen  du  courant  cjuî,  dans  la  saison  où  les  vents  de  sud- 
ouesl  régnent  dans  le  golfe  de  Guinée,  suit  la  direction  de 
la  côte ,  autour  du  cap  Palmas ,  dans  la  partie  orientale  de 
ce  golfe. 

De  même,  dans  le  trajet  de  la  rivière  de  Gabon  à  l'île 
de  TAscension ,  distance  de  cinq  cents  lieues  marines,  le 
navire  fut  avancé  de  cent  lieues,  par  le  seul  effet  d'un  cou- 
rant en  sens  contraire  du  précédent.  Les  courans  du  golfe 
de  Guinée  offrent  un  phénomène  bien  remarquable  :  c'est 
de  marcher  en  sens  opposé ,  parallèlement  l'un  à  l'autre  et 
h  la  côte;  ils  se  touchent  à  leur  bord  et  présentent  une  dif- 
férence de  température  de  lo  à  12  degrés  de  Fahrenheit. 
Un  bâtiment  qui  marche  le  long  de  la  côte,  dans  ces  cou- 
rans, est  accéléré  ou  retardé  de  quinze  à  dix-huit  lieues 
par  jour,  suivant  qu'il  est  engagé  dans  l'un  ou  dans 
l'autre. 

Le  lendemain  du  jour  où  le  capitaine  Sabine  partit  de 
Maraham,  il  entra  dans  un  courant  qu'il  avait  évité  pour 
s'y  rendre ,  et  dont  la  vitesse  prodigieuse  était  de  trente- 
trois  lieues  en  vingt-quati'e  heures. 

Le  10  septembre ,  à  dix.  heures  du  matin ,  le  navire , 
marchant  avec  toute  la  vélocité  imprimée  par  ce  courant, 
une  décoloration  subite  et  très-marquée  dans  les  eaux  de 
la  mer,  fut  signalée  au  loin  du  haut  du  grand  mât.  Le  na- 
vire était  alors  au  5"  08  de  latitude  et  au  5o°  'i8  de  lon- 
gitude occidentale.  Ce  phénomène  était  causé  par  la  ri- 
vière des  Amazones.  Ce  fleuve  immense,  par  la  force  et  la 
rapidité  de  son  cours,  seprojettait  en  mer  jusqu'à  cent  lieues 
au-delà  de  son  embouchure,  sans  qu'il  eut  encore  confondu 
ses  eaux  avec  celles  de  l'Atlantique ,  à  travers  laquelle  il 
poursuivait  son  cours  majestueux.  Sa  vitesse  était  de 
vingt- trois  lieues  on  vingt-quatre  heures. 


pour  déterminer  la  figure  de  la  terre  ,  etc.         iS^ 

Le  capitaine  Sabine  calcule  que  ,  pendant  ses  divers  tra- 
jets, commençant  à  Sierra-Leone  et  finissant  à  New- York, 
trajets  d'environ  trois  mille  lieues  marines ,  il  a  obtenu , 
au  moyen  des  courans  ,  une  accélération  de  plus  de  cinq 
cents  lieues  ;  exemple  frappant  du  parti  qu'un  navigateur 
habile  peut  en  tirer. 

Le  vénérable  nlajor  Rennell ,  savant  si  recommandable 
par  ses  connaissances  géographiques  ,  a  joint  les  observa- 
tions du  capitaine  Sabine  à  celles  qu'il  recueille  depuis 
plusieurs  années,  sur  le  même  sujet.  Il  les  consignera  dans 
les  cartes  hydrographiques  qu'il  dresse  dans  ce  moment,  et 
qui ,  lorsqu'elles  seront  assez  complètes  pour  pouvoir  être 
rendues  publiques  ,  seront  sans  doute  un  véritable  bienfait 
pour  la  navigation.  (  Lit.  Gaz.  ) 

MÉLANGES. 


TABLEAU  DUNE  ARMEE  TURQUE  EN  CAMPAGNE. 


L'armée  ottomane  peut  se  comparer  à  ces  bandes  de  pè- 
lerins armés  ,  qui  ont  autrefois  inondé  toutes  ley  parties  de 
l'Europe.  Mais  au  lieu  de  moines  portant  la  croix  et  le  cha- 
pelet, on  voit  à  la  tète  de  cette  armée  des  derviches  revêtus 
de  manteaux  bizarres  ,  et  montés  sur  des  ânes  en  signe 
d'humilité.  Ces  derviches  sont  suivis  d'une  troupe  qui  porte 
l'étendard  du  prophète  j  après  eux  ,  vient  un  corps  appelé 
enfans  perdus ,  qui  pille  et  ravage  le  pays  par  oii  l'armée 
passe.  Ceux-ci  précèdent  les  titnariots  ou  milice  nationale  , 
montés  sur  des  ânes  ou  des  mules  ,  qu'ils  se  prqcurent  à 
leurs  frais ,  ou  plutôt  à  ceux  des  pays  qu'ils  mettent  à 
contribution.  A  leur  suite  vient  l'infanterie,  corps  qui 
était  jadis   l'orgueil    de  l'armée  ottomane ,    mais   qui  en 

II.  '  n 


i58  Festin  chinois. 

est  aujouixl'liiii  la  honte.  Celle-ci  est  armée  de  fusils  sans 
baïonnettes  et  de  pistolets  ;  elle  marche  sans  ordre ,  par 
bande  comme  des  troupeaux  de  moutons.  Derrière  les  tima- 
riots  sont  aussi  les  topachis  ou  artilleurs  ,  dont  les  canons 
sont  tirés  par  des  bœufs  ou  par  des  esclaves  chrétiens.  On 
accélère  la  mai'che  de  ces  derniers  comme  celle  des  au- 
tres ,  à  coups  de  fouet.  Parmi  les  soldats  ,  les  uns  chantent , 
les  autres  pleurent  ;  et  d'autres  déchai'gent  leurs  fusils  eu 
Tair.  L'arrière-garde  de  ce  mélange  confus  est  fermée  par 
un  chef  vêtu  magnifiquement ,  monté  sur  un  coursier.  Il  est 
environné  d'une  foule  de  valets  et  d'esclaves  ,  auxquels  il 
distribue  des  coups  de  sabre  quand  ils  rapprochent  de  trop 
près.  Sous  la  protection  de  ces  valets  sont  des  vivandiers  grecs 
ou  juifs  ,  qui  vendent  des  bardes  ;  des  Bohémiens  qui  récitent 
des  contes  ,  et  enfin  des  voleurs  et  des  bourreaux.  Une 
armée  turque  ne  marche  jamais  sans  avoir  à  sa  suite  un 
grand  nombre  de  commissaires  juifs  ,  qui  vendent  l'orge 
pour  les  chevaux  et  le  froment  pour  faire  le  pain  ;  et  lors- 
que l'armée  prend  position  ,  tous  les  habitans  des  envi- 
rons, amis  ou  ennemis,  sont  mis  indistinctement  à  contri- 
bution. 


FESTIN    CHINOIS- 


Un  négociant  chbois  ,  établi  à  SIncapoura  ,  donna  ,  il 
y  a  quelque  tems  ,  aux  négocians  des  factoreries  euro- 
péennes dans  cette  île ,  et  aux  officiers  militaires  qui  s'y 
trouvaient ,  un  festin  dans  le  goût  chiiiois.  On  y  servit  les 
mets  suivans  :  un  potage  aux  Jiids  d'oiseaux  ,  et  six  autres 
potages ,  tant  de  mouton  que  de  grenouilles  et  de  Joie  de  ca^ 
nards;  un  hachis  de  queues  d'éléphans ,  avec  une  sauce  aux 
œufs  de  lézards  ;  un  porc  épie  à  l'étuvée  ,  servi  Aans-\egras 
rert  de  la  tortue  ^  mets  que  quelques  Français  qui  assistaient 


Histoire  des  voyages  et  des  mctamorphoscs ,  etc.  i5f) 
au  festin  parurent  trouver  fort  bon  \  tlu  becco  de  mer  excel- 
lent ,  et  des  gésiers  de  poissons  entoures  tl  herbes  marines  ; 
enfin ,  des  bécassines  garnies  de  crêtes  de  paons ,  mets  d\ia 
goût  exquis ,  qui  n'est  servi  eii  Chine  que  dans  les  plus 
grands  festins.  Ce  plat ,  à  lui  seul ,  avait  pu  coûter  environ 
200  dollars  (  1,100  fr.  ) 

A.U  dessert,  même  rechercbe  qu'aux  services prccédeus. 
On  y  remarquait  des  gelées,  dont  la  peau  du  rhinocéros 
avait  fourni  l'élément  ;  on  ne  les  trouva  pas  d'un  goût 
fort  délicat.  Les  fruits  avaient  été  apportés  exprès  de 
Malacea  ,  et  les  vins,  qui  étaient  d'espèces  très -variées  , 
venaient  principalement  d'Europe. 

VOYAGES  ET  METAMORPHOSES  d'uNE  LIVRE  DE  COTON. 


Les  détails  suivans  sur  les  changemens  de  lieu  et  de 
forme  que  subit  une  livre  de  coton  ,  avant  de  devenir 
propre  à  la  consommation  ,  font  voir  ,  d'une  manière  frap- 
pante ,  toute  rimportance  de  cette  matière  pour  notre  com- 
merce et  notre  industrie.  Cette  livre  de  coton  arrive  de 
rinde  à  Londres  dans  l'état  brut  ;  de  I^ondres ,  elle  va  à 
Manchester,  où  on  la  file  5  de  cette  dernière  ville,  eil:- 
passe  à  celle  de  Paisley ,  en  Ecosse,  où  on  la  tisse  ;  (îc 
Paislay  ,  elle  est  envoyée  en  Ayrsliire  ,  oii  on  la  travaille 
au  tambour ,  et  de  là  à  Dunbarton  ,  011  on  la  coud  à  l.» 
main.  Ensuite,  elle  vient  de  nouveau  à  Paisley,  d'où  eli- 
passe  dans  une  autre  partie  du  comté  de  PienfrcAv  ,  pour 
être  blanchie  ;  cela  fait ,  elle  revient  encore  une  fois  à 
Paisley,  qu'elle  quitte  de  nouveau  pour  aller  à  Glasgo^v  , 
où  on  y  met  la  dernière  main.  De  Glasgow  ,  t>lle  est  enliu 
expédiée  h  Londres  pour  y  être  vendue. 

On  ne  peut  pas  dire,  d'une  manière  exacte  ,  quel  est  1<; 
itrms  néeessnirenKMii  emplovc-  p,>nr  faire  arriver  celle  \\\\>i 


1 6o  T)e  l'âge  des  arbres. 

de  coton  de  1  état  brut  à  l'état  fabriqué  ;•  mais  on  s'écartera 
peu  de  la  vérité  ,  en  supposant  qu'il  s'écoule  une  période 
de  trois  ans  ,  depuis  l'époque  où  elle  est  emballée  dans 
l'In  le,  jusqu'à  celle  où  on  la  livre  au  consommateur.  Cette 
petite  quanlité  de  coton ,  au  moment  où  on  la  vend  en  tissu, 
se  trouve  avoir  parcouru  i45o  lieues  par  mer  et  5o7  par 
terre  j  elle  a  fait  travailler  cent  cinquante  individus  au  moins, 
tant  dans  les  soins  nécessaires  à  son  transport  qu'à  sa  fabri- 
cation ,  et  elle  gagne  deux  mille  pour  cent  de  valeur ,  par 
ces  divers  voyages  et  transformations. 


DE    L  AGE   DES    ARBRES. 


Le  major  Rooke  rapporte  ,  dans  la  description  qu'il  a 
donnée  de  la  foret  de  Sherwood,  qu'en  coupant  du  bois  de 
haute  futaie  dans  le  Berkland  et  le  Bilhaugb  ,  on  a  trouvé 
dans  l'intérieur  de  plusieurs  arbres  ,  des  lettres  qui  avaient 
été  gravées  autrefois  à  leur  surface  ,  et  qui  indiquaient  le 
roi  sous  le  règne  duquel  ils  avaient  été  marqués.  D'après 
cela  ,  il  est  clair  que  si  l'on  compare  le  nombre  d'années 
qui  se  sont  écoulées  depuis  le  milieu  du  règne  du  roi  dont 
un  de  ces  arbres  porte  le  nom  ,  à  celui  qu'il  faut  à  un  arbre 
pour  arriver  au  même  degré  de  croissance ,  d'après  les 
idées  reçues  aujourd'hui ,  on  pourra  juger  de  l'exactitude 
de  ces  idées  3  et  c'est  parce  qu'elles  ne  se  trouvent  pas  tou- 
jours d'accord  avec  les  résultats  dont  nous  parlons,  que 
nous  allons  citer  les  falls  suivans. 

Les  chiffres  contenus  dans  l'intérieur  des  arbres  en  ques- 
tion ,  sont  ceux  de  Jacques  V,  de  Guillaume  et  de  Marie, 
et  l'on  eu  a  découvert  un  du  roi  Jean.  Un  des  chiffres  du 
roi  Jacques  était  à  la  profondeur  d'un  pied  environ  ,  dans 
l'intérieur  du  tronc ,  et  à  un  pied  du  centre.  L'arbre  avait 
été  abattu  en  178OJ  il  devait  avoir  deux  pieds  de  diamètre 


De  l'art  de  l'imprimerie  à  Constantinople.  i(i  i 

lorsqu'il  fut  marqué.  Les  arbres  qui  présentent  cette  gros- 
seur, sont  ordinairement  plantés  depuis  cent  vingt  ans,  ou 
environ.  Si  on  ajoute  ce  nombre  au  tems  qui  s'est  écoulé 
depuis  Tannée  qui  répond  au  milieu  du  règne  de  Jacques  , 
on  se  convaincra  que  l'arbre  avait  du  être  planté  en  i/JQ^. 
Celui  qui  portait  les  cbifFres  de  Guillaume  et  de  Marie,  coupé 
aussi  en  1786,  présentait  environ  neuf  pouces  d'épaisseur 
en  debors  du  cbiffre,  et  trois  pieds  trois  pouces  en  dedans. 
Le  chifï're  du  roi  Jean  était  à  la  profondeur  de  dlx-bult 
pouces  dans  l'intérieur  du  tronc,  et  à  un  peu  plus  d'un  pied 
du  centre.  L'arbre  avait  été  coupé  en  17915  mais,  comme 
le  milieu  du  règne  du  roi  Jean  répond  à  l'année  1 201  ,  si 
nous  ajoutons  les  cent  vingt  années  nécessaires  pour  qu'un 
arbre  puisse  arriver  à  la  grosseur  de  deux  pieds  de  dia- 
mètre ,  la  plantation  de  celui-ci  remontera  à  l'an  io83  , 
c'est-à-dire  vingt  ans  après  la  conquête  de  [Guillaume  :  il 
devait  donc  être  âgé  de  sept  cent  six  ans  lorsqu'on  l'a  abattu. 
Ce  qui  est  à  peine  croyable  ,  c'est  que  cet  arbre  n'ait  eu 
qu'une  croissance  de  dix-buit  ponces  dans  l'espace  de  cinq 
cent  quatre-vingt-quatre  ans,  tandis  que  ceux  qui  étaient 
de  la  même  grosseur,  lorsqu'ils  ont  été  marqués,  ont  acquis 
douze  pouces  de  diamètre  en  cent  soixante-treize  ans.  Le 
major  Rooke  dit  qu'on  a  abattu  plusieurs  arbres  qui  por- 
taient cette  marque,  et,  qu'ainsi,  il  n'est  pas  probable 
qu'on  ait  commis  à  cet  égard  aucune  erreur. 


DE  L  ART  DE  L  IMPRIMERIE  A  CONSTANTINOPLE. 


On  ne  sait  peut-être  pas  assez  généralement  que  parmi 
les  arls  de  la  civilisation  ,  adoptés  par  les  Turcs  depuis 
leur  établissement  en  Europe,  se  trouve  celui  de  l'imprime- 
rie.Cet  art  fut  introduit  dans  leur  capita'o  ,  c-ii  i-)^.  vl  les 
premiers  ouvrages  qui  sortirent  des  presses  du  gouverne- 


ï6i  De  l'art  de  l'iivpvinie-rie  à  Constaiitinoplc, 

meut  de  Conslantiuople  ,  soûl  :  THisloire  de  la  gueri'e 
maritime  des  Otlomaus,  pax'  Hadjl  Khalfa ,  et  le  Dlcliou- 
naire  Arabo  -Turc  ,  par  Vaucouli ,  publiés  Tuu  et  Vautre 
dans  Taunce  ii4i  de  Tliégire,  et  de  notre  ère  1728.  On 
publia  quatre  autres  ouvrages  dans  Tannée  suivante  :  deus. 
en  lySo,  deux  en  lySi,  un  en  1702,  un  en  1705,  un  en  1734, 
deux  en  \'}l\0,  un  en  1741,  un  en  1742  et  un  en  i755-L>G,  en 
tout  dis.-huit  ouvrages ,  formant  vingt-cinq  volumes  ,  qui 
traitent ,  pour  la  plupart  ,  d'histoire  et  de  philologie  ,  et 
qui  ont  été  traduits  ou  compilés  de  l'arabe  ,  du  français 
ou  du  latin.  Ces  premiers  eiForts  d'une  presse  naissante, 
pour  éclairer  une  race  barbare ,  furent  suspendus  à  celte 
époque  ,  non  comme  on  le  pense  généralement  par  suite 
d'une  révolte  parmi  les  copistes  de  la  capitale  ,  mais  par 
suite  delà  mort  du  directeur  de  l'imprimerie,  Ibrahim,  et 
de  celle  de  son  élève  Cazi  Ibrahim.  A  ces  causes ,  il  faut 
ajouter  les  événemens  de  la  guerre ,  au  milieu  desquels  on 
perdit  de  vue  cet  utile  établissement. 

Depuis  ce  tems  ,  '■  l'art  de  l'imprimerie  resta  abandonné 
à  Constantinople  ,  jusqu'en  1785  ,  époque  où  il  y  fut  rétabli 
par  un  fîrman  du  sultan  Abdul-Hamed.  Ce  prince  institua, 
dans  cette  année  ,  une  commission  pour  administrer  l'im- 
primerie impériale  ^  sous  son  règne  et  sous  ceux  de  ses  suc- 
ceseurs  ,  il  n'a  été  publié  que  cinquante  ouvrages  dans 
l'espace  de  trente-six  ans,  depuis  1784  jusqu'en  1820. 
Yingt-un  de  ces  ouvrages  sont  des  grammaires  ,  des  diction- 
naires et  autres  écrits  philologiques 3  trois  sont  historiques  , 
cinq  traitent  de  géométrie  ,  de  géographie  et  de  sciences 
en  général  ;  huit  t'e  fortifications  ,  deux  de  l'équitation  et 
luiit  de  matières  religieuses.  Parmi  ces  ouvrages,  buit  ou 
dix  sont  traduits  du  français  5  un  seul  est  traduit  de  l'an- 
glais, savoir,  la  Géométrie  de  l>onnycaslle. 

Le  dernier  ouvrage  ,  publié  par  la  commission  ,  est  un 
traité  d'analomie  et  de  médecine.  Il  est  intitulé  :  Le  Miroir 


De  l'ait  de  rànpi-iinergb  à  Cojistantî/iople .        i65 

des  corps  dans  Vanatoniie  de  l'homme  ;  c'est  le  premier 
travail  de  ce  genre  qui  ait  paru  en  Turquie.  L'apatliie  des 
Turcs,  leurs  'ois  et  leurs  préjugés  religieux,  qui  défendent 
d'ouvrir  le  corps  humain ,  et  de  se  mettre  en  contact  avec 
le  sang  ,  ont  dû  suffire  pour  les  empêcher  jusqu'ici  de  cul- 
tiver ce  genre  de  connaissances.  Mais  la  tendance  vers  tous 
les  genres  de  perfectionnement ,  qui  forme  le  caractère  dis- 
tinctif  de  notre  siècle  ,  paraît  exercer  son  influence  jusque 
sur  ce  peuple  orgueilleux  et  opiniâtre  ;  influence  qui  doit 
être  puissante  ,  car  les  représentations  du  corps  humain 
(  eu  cinquante-six  planches  ,  assez  mal  gravées)  ,  qui  ac- 
compagnent cet  ouvragée  ,  font  voir  qu'elle  a  déterminé 
l'infraction  d'une  loi  positive  du  Coran.  L'auteur  de  cet 
ouvrage  (  grand  in-folio  de  800  pages  ) ,  Cliani  Zadeh,  Me- 
hcmmed  Ataollah  ,  memhre  du  corps  des  Ulémas ,  est , 
dit-on  ,  fils  d'un  hehini  hachi ,  ou  premier  médecin  de 
l'empire.  Il  a  fait  des  études  en  Italie ,  où  il  paraît  avoir 
recueilli  les  élémens  de  son  Miroir. 

Voici  dans  quels  termes  il  se  félicite  de  l'accueil  fait  à 
son  ouvrage  par  le  Sultan  : 

«  Le  juge  par  excellence,  dit-il ,  celui  qui  règle  les  lois 
de  l'état,  le  Platon  de  l'empire  et  du  califot ,  le  souverain 
auquel  le  destin  a  révélé  les  sciences  et  la  sagesse  ,  le  sultan 
des  sultans ,  doué  de  la  vertu  de  Salomon  ,  le  monarque 
dont  la  gloire  rappelle  les  tems  de  Cosrocs  ,  le  roi  des 
rois,  revêtu  du  pouvoir  du  siècle  de  Djemehed ,  sultan  et 
fds  de  sultan ,  le  vaillant  sultan  Mahmoud-Khan  ,  fils  du 
glorieux  sultan  Ahdoul-Hamed-Khan  (puisse  le  soleil  de 
sa  puissance  ne  jamais  cesser  de  luire  sur  le  cours  de  ses 
victoires  et  de  ses  glorieuses  entreprises  !)  ;  sa  majesté  noire 
seigneur  enfin ,  ayant  daigné  ,  pendant  plusieurs  jours  . 
examiner  et  approfondir  Uii-mcme  ,  avec  un  grand  discer- 
nement ,  toutes  les  vérités  contenues  dans  1rs  livres  ci-des- 
sus ,  a  jugé  qu'ils  pouvaient  être  de   la  plus  grande  utililc 


i64  Suicides  en  Angleterre. 

pour  l'empire  ottoman  (  qui  durera  éternellement)  et  pour 
ses  sujets  ;  qu'en  outre ,  cet  ouvrage  n'avait  été  précédé 
par  aucun  autre,  dont  les  avantages  pussent  lui  être  com- 
parés ;  que  ,  comme  tel ,  il  doit  donc  être  compté  parmi 
les  belles  et  innombrables  productions  qui  ont  illustré  son 
règne  fortuné;  et,  d'après  ces  motifs  de  bien  public,  sa 
hautesse  a  attaché  ,  dès  ce  moment ,  la  plus  grande  im- 
portance audit  ouvrage ,  et  a  voulu  qu'il  fût  imprimé  et 
publié  sous  sa  protection  suprême.  Cette  détermination 
justifie  bien  le  précepte  :  que  les  rois  sont  inspirés.  » 

L'auteur  termine  sa  préface  en  exprimant  sa  joie  et  son 
orgueil  de  ce  qu'à  l'aide  de  Dieu ,  les  gravures  ont  été 
exécutées  sans  aucun  secours  étranger. 

{Monthly  Magazine.^ 


SUICIDES    EN   ANGLETERRE. 


Voici  ,  pendant  les  treize  dernières  années  ,  l'état  du 
nombre  des  suicides  commis  dans  la  ville  et  banlieue  de 
Westminster,  l'une  des  grandes  divisions  de  Londres,  mais 
qui  a  une  administration  municipale  séparée  : 


Années. 

Hommes. 

Femmes. 

Total. 

i8i3 

if) 

8 

24 

i3 

20 

6 

26 

i4 

16 

7 

23 

x5 

23 

7 

3o 

i6 

16 

10 

26 

«7 

i3 

4 

»7 

i8 

i3 

7 

20 

ï9 

18 

6 

=»4 

20 

i3 

6 

>9 

21 

A 

.S 

>7 

22 

i5 

6 

21 

23 

ifi 

6 

22 

24 

>4 

7 

21 

207  83  2go 


Routes  (in glaises.  iG5 

Le  nombre  des  suicides  commis  dans  les  mois  de  no- 
vembre de  ces  treize  années  ,  n'est  que  de  vingt-deux  ,  ce 
qui ,  année  commune ,  nVst  pas  tout-à-fait  deux  pour  le 
mois  de  novembre  de  chaque  année  ;  tandis  que  le  nombre 
des  suicides  commis  aux  mois  de  juin  de  ces  mêmes  années , 
est  de  treute-quatre  ,  faisant  près  de  trois ,  année  commune. 
Ce  fait  dément  donc  le  dicton,  selon  lequel  le  mois  de  novem- 
bre est  spécialement  celui  où  les  Anglais  se  pendent  ou  se 
noient.  En  effet ,  dans  le  mois  de  novembre  de  chacune  des 
années  1812,  i8i5  ,  1820  et  1824  ,  il  n'y  a  pas  eu  un  seul 
suicide  ,  et  cela  dans  une  ville  dont  la  population  est  de 
182,444  âmes  ,  d'après  le  recensement  de  1822.  Sur  le  total 
des  treize  années ,  le  mois  de  mai  et  de  septembre  sont 
ceux  dans  lesquels  il  s'est  commis  le  plus  petit  nombre  de 
suicides,  le  nombre  dans  chacun  de  ces  mois  n'étant ,  pour 
la  période  entière ,  que  de  dix-sept.  Les  mois  d'août  et  d'oc- 
tobre sont,  après  ces  derniers,  ceux  dans  lesquels  il  s'en  est 
commis  le  moins ,  le  nombre  pour  ces  mois  étant  de  dix- 
neuf  ;  et  après  eux  vient  enfin  le  mois  de  novembre  ,  où , 
comme  on  l'a  vu,  il  s'en  est  commis  vingt-deux. 

On  verra  ,  d'après  l'état  ci-dessus  ,  que  le  nombre  col- 
lectif des  suicides,  depuis  1812  jusqu'en  1824  inclusivement, 
a  été  de  cent  vingt-neuf,  ce  qui,  année  commune,  est  de 
25  4/5,  et  que  depuis  1816  jusqu'en  1824  inclusivement ,  le 
nombre  a  été  de  cent  soixante-un,  faisant,  année  commune, 
20  I  /8  par  an.  Il  y  a  donc  eu,  durant  les  huit  dernières  années, 
une  diminution  ,  année  commune  ,  de  près  de  six  suicides 
par  an.  On  verra  que  le  nombre  des  hommes  suicidés  excède 
celui  des  femmes  dans  la  proportion  de  cinq  à  deux. 

ROUTES    ANGLAISES; 


11  résulte  de  plusieurs  doounicns  soumis  celle  année  au 


i66  Lettre  française  d' un  prince  de  V Inde. 

Parlement  Britannique  ,  sur  Tétai  des  routes  à  barrières  , 
que  retendue  de  celles  d'Angleterre  et  du  pays  de  Galles 
est  de  24,55 1  milles  (8,177  l'^"fs  de  France)  ,  et  que  la 
recette  faite  aux  barrières  s'élève ,  année  commune  ,  à 
1,008,290  liv.  st.  (  23,207,250  fr.  )  ,  somme  plus  que  sufii- 
santc  pour  couvrir  les  frais  d'entretien  de  ces  roules. 

Le  comté  de  Middlesex  (  où  est  située  la  capitale  ),  compte 
dans  son  enceinte  157  milles  (  52  lieues  environ)  ,  de  routes 
à  barrières.  Ces  barrières  font,  année  commune,  une  re- 
cette de  I5824  ^iv.  st.  (  45,600  fr.  ) ,  et  les  frais  d'entretien 
de  ces  routes  ,  également  année  commune ,  moulent  à 
1,644  ^'v-  st.  (  4i,ioofr.  )  ,  d'où  il  résulte  qu'il  y  a  un  ex- 
cédant de  180  liv.  si.  (4)5oo  fr.  )  par  lieue. 

Il  résulte  deséclaircissemens  fournis  par  M.  Mac  Adam, 
ingénieur  civil,  devant  un  comité  de  la  cbambre  des  com- 
munes, concei'uant  les  frais  d'e«fre//e/i  qu'exigent  k-s  routes 
construites  par  lui,  d'après  un  nouveau  système,  qu'une 
route  qui  touche  à  la  capitale  coûte ,  par  an,  pour  la  pre- 
mière lieue  ,  i,5oo  liv.  st.  (  57,5oo  fr.  )  j  pour  la  deuxième, 
i,o5oliv.  st.  (26,750  fr.  )5  et  pour  la  troisième,  750  liv.  st. 
(  18,750  fr.) 

LETTRE    FRANÇAISE    d'uN    PRINCE    DE    l'iNDE.  - 


La  lettre  suivante  est  une  nouvelle  preuve  fort  singulière 
de  l'universalité  de  la  langue  française.  La  diplomatie  eu- 
ropéenne en  a  ,  depuis  long-tems  ,  adopté  l'usage  ;  il  est  cu- 
rieux de  voir  des  rois  de  l'extrémité  orientale  de  l'Asie , 
suivre  cet  exemple.  Cette  lettre  a  été  adressée  ,  en  1822, 
à  Tempereur  de  la  Cochinchine  ,  par  l'empereur  des  Bir- 
inans  ,  le  même  qui  lutte  aujourd'hui  contre  les  Anglais  , 
avec  des  chances  diverses.  C'est  un  Européen  ,  uomm<? 
Gypson  ,  auquel  11  avait  donné  le  litre  d'ambassadeur,  qui 
avait  été  chargé  tle  la  remettre. 


Lettre  Jvancalse  dan  prùivc  do  l'Inde.  167 

«  De  la  grande  Aille  d'Ummérapoura,  au  pays  où  règne 
la  religion  du  vrai  Dieu ,  où  l'on  trouve  réunis  les  trésors 
les  plus  précieux  de  la  terre ,  l'auguste  monarque,  pro- 
tecteur de  cent  rois  ses  tributaires ,  maître  du  glorieux 
et  célèbre  éléphant  blanc  Schadam  chen  Men  ,  et  de  tous 
les  autres  éléphans  blancs  ,  possesseur  de  l'arme  volanfe  et 
invisible,  des  mines  les  plus  riches  ,  dominateur  des  eaux 
et  de  la  terre  ,  défenseur  de  la  vraie  religion ,  empereur 
juste  et  tout-puissant  ,  dont  les  pieds  sacrés  commandent  à 
tous  les  pays  soumis  à  sa  domination  ,  écrit  en  ces  termes, 
par  l'entremise  de  ses  ministres  ,  généralissimes  et  grands 
dignitaires,  à  S.  M.  l'einpereur  de  Cochiachine. 

»  Au  commencement  du  monde,  lorsque  le  soleil,  la  lune 
et  les  étoiles  furent  créés  ,  les  peuples  se  réunirent  pour 
élire  un  roi,  et  ils  élurent  le  juste  des  Justes,  le  fidèle 
observateur  des  dix  commandemens  sacrés  du  gouverne- 
ment des  peuples  ;  fils  du  soleil  et  des  anges  ,  il  fut  nommé 
Maha  Samadâ,  c'est-à-dire  l'auguste  roi  élu  à  l'unanimité. 
Descendant  de  lui  en  ligne  directe  ,  l'empereur  du  lever 
du  soleil,  resplendissant  comme  cet  astre,  règne  aujour- 
d'hui paisiblement ,  en  récompense  des  vertus  et  des  bien- 
faits qu'il  a  pratiqués  pendant  toute  la  durée  des  transmi- 
grations successives  de  son  ame  sur  la  terre. 

»  Eu  arrivant  à  la  suprême  grandeur,  il  a  conservé,  comme 
ses  aïeux  et  son  prédécesseur ,  la  gloire  du  trône  et  des  som- 
braires  royaux.  Aimant  et  chérissant  ses  peuples  comme  ses 
propres  enfans  ,  il  les  a  exemptés  de  tous  tributs  ,  et  ils  se 
sont  réjouis,  à  son  avènement ,  comme  dans  une  belle  nuit 
que  la  lune  éclaire  de  ses  rayons  argentés.  Conformément 
aux  doctrines  de  la  religion,  il  fait  de  nombreuses  au- 
mônes ,  et  s'cflbrce  ,  en  suivant  tous  ses  préceptes  ,  de 
mériter  les  jouissances  du  paradis.  En  reconnaissance  de 
ses  bienfaits  ,  ses  peuples  prient  pour  que  leur  bon  roi  soit 
exempt  de    toute  iiilirniilé  ,   et  jouisse   d'un  long   règne. 


lG8  Lettre  francaisa  d' un  prince  de  l'Inde. 

S.  M.  possède  les  royaumes  tle  Siina  Paraula,  Sampadipali , 
Duracca  ,  Yarainlia  ,  Sirih  KUterama  ,  Geya  Vutldana  , 
Camboza  ,  Yodih  IVagara  ,  Rehmayatha  ,  MahaNagara, 
Slvik  ,  Chein,  Alavipura,  Yazengala  ,  Lavayatha ,  Hari- 
mirenzha. 

»  Tous  ces  pays,  suivant  leur  grandeur  et  leur  puissance  , 
payent  à  S.  M.  tributs  et  hommages  depuis  les  lems  les 
plus  recules  5  le  royaume  de  Malia  Vihica  Yecapura ,  où 
résidait  le  dieu  Maha  Mouny ,  et  qui  contient  les  quatre 
provinces  de  Denliavady  ,  Duciravady,  Magavady  ,  et  Ka- 
mavady^  le  royaume  de  Nagachantba  ,  dont  la  capitale 
est  Manipura  ,  et  celui  de  Asama  Seccadera  ,  qui  a  pour 
capitales  Goracon  et  Ramapura  ,  sont  aussi  soumis  à  son 
impériale  Majesté  ,  et  lui  payent  tribut  et  hommage.  Au- 
delà  des  mers ,  sont  encore  des  îles  et  des  royaumes  qu'il 
protège  ,  et  dont  il  reçoit ,  comme  hommage  ,  des  jeunes 
vierges  ,  des  armes  ,  des  chevaux,  des  éléphaus  et  d'autres 
présens  précieux. 

»  Au  loin  ,  comme  près  de  lui,  il  aime  à  accorder  sa  pro- 
tection à  tous  les  princes  qui  la  sollicitent  et  à  leur  faire  des 
présens  conformes  à  leur  grandeur.  Il  accorde  honneur  et 
protection  à  tous  ceux  qui  servent  fidèlement  sa  personne , 
dans  son  armée  et  dans  son  gouvernement.  Il  est  l'ami  de 
tous  les  rois  sacrés  ou  non  sacrés.  Les  brames ,  hommes 
et  femmes  ,  et  les  gens  puissans  par  leurs  richesses ,  jouis- 
sent aussi  de  sa  protection  ,  ainsi  que  tous  les  habitans  du 
royaume  ,  étrangers  ou  indigènes.  Il  surveille  tout  ce  qui 
concerne  la  religion  et  les  bonzes  ,  et  récompense  ces  der- 
niers suivant  leur  mérite  ,  imitant  en  cela  le  grand  roi 
Chec-Kiavade ,  qui,  dans  un  instant,  se  transportait  où  il 
voulait  aller. 

»  Il  pratique  les  aumônes  et  la  bienfaisance ,  les  morli  fica- 
tions ,  la  charité  poussée  jusqu'à  l'oubli  de  soi-même  ,  la 
droiture  et  la  justice,  la  délicatesse  et  l'aftabilité  5  il  oublie 


LeAtre  frojicaise  d'un  prince  de  l'Inde.  ifig 

1rs  ofienses  et  n'en  conserve  jamais  le  souvenir  j  il  de'sire 
le  liien  de  lous  les  hommes  el  même  des  animaux  j  son  cœur 
ne  counaît  ni  la  haine  ,  ni  le  ressentiment  ;  il  observe  les 
jeûnes  avec  scrupule  ;  il  tolère  et  respecte  les  religions  et 
les  usages  de  lous  les  peuples  ,  et  leur  accorde  sa  protec- 
tion ,  car  tel  est  le  décalogue  sacré  des  rois.  S'efforcant 
tVimiter  les  vertus  et  de  suivre  en  tout  la  conduite  de  Maha 
Samada  ,  notre  auguste  monarque  pratique  encore  huit 
lois  de  la  reconnaissance.  Il  en  reconnaît  sept  pour  la  mo- 
ralité et  quatre  qui  concernent  les  devoirs  envers  les  morts  ; 
fidèle  à  cette  règle  de  conduite  ,  il  espère ,  suivant  ses 
désirs  ,  voir  fleurir  et  prospérer  les  quatre  parties  de  son 
royaume. 

))  C'est  pour  se  conformer  à  l'un  des  sept  commandemens 
qui  règlent  la  conduite  réciproque  des  rois  ,  et  leur  ensei- 
gnent à  s'aider  mutuellement  toutes  les  fois  que  les  circons- 
tances le  requièrent  ,  que  son  auguste  aïeul  envoya  des 
ambassadeurs  à  S.  M.  l'empereur  de  la  Cochinchine. 

»  Par  terre  ,  les  difficultés  du  chemin  ;  par  mer,  les  vents 
contraires  ,  purent  seuls  les  empêcher  d'arriver  jusqu'en 
présence  de  Sa  Majesté. 

»  Après  la  mort  de  notre  vieux,  monarque,  qui  a  laissé  son 
royaume  et  ses  trésors  dans  l'état  le  plus  florissant,  son 
petil-fils  étant  monté  sur  le  trône  ,  a  songé  ,  dès  son  avène- 
ment, à  tenter  de  nouveau  d'établir  des  relations  avec  la 
Cochinchine. 

»  Sur  ces  entrefaites,  Ong  Doi  Lam  et  Thu  Hap  ïrinh  , 
étant  arrivés  à  Pulo  Plnang,  y  rencontrèrent  un  Chinois 
habitant  de  notre  pays  et  chef  de  nos  îles  et  montagnes 
aux.  nids  d'alcyons  ;  ils  lui  firent  part  d'une  mission  dont 
ils  étalent  chargés  par  le  gouvernement  de  Cochinchine , 
et  ce  dernier  connaissant  les  intentions  du  souverain  à  cet 
égard  ,  les  conduisit  jusqu'à  Tavui.  TiC  grand  ministre 
Mengh  Maha  Senabady  était  alors  .i  Marlaban,  en  com- 


1^0  Lettre  française  d'un  prince  de  Vlnde. 

mission  de  généralissime.  Celui  qui  gouvernail  la  province 
du  Pe'gu  Anbsavatly  el  résidait  au  port  de  mer,  était 
Menglié  Sado  Menla  Koratha. 

))  Par  les  soins  de  ces  deux  ministres  ,  les  Coch inchinois 
furent  conduits  jusqu'à  la  ville  de  Chagain  sur  les  galères 
et  bateaux  des  cérémonies.  De  Chagain  ils  furent  conduits 
sur  les  bateaux  dorés  et  au  son  d'une  musique  harmonieuse , 
à  la  ville  de  Shueghl  Vet,  située  au  nord-est  de  la  capitale  ; 
on  leur  bâtit  une  fort  belle  maison  où  ,  malgré  qu'ils  ne 
fussent  porteurs  d'aucunes  dépèches  de  leur  gouvernement, 
ils  furent  logés  et  gardés  avec  les  plus  grands  honneurs. 
Ce  fut  alors  qu'on  leur  fit  demander  officiellement ,  s'ils 
étaient  envoyés  par  le  ministère  cochinchinois.  Sur  leur 
réponse  affirmative  ,  ils  furent  conduits  dans  la  partie  sud  de 
la  ville  d'Umerapoura ,  au  jardin  Maha  Siri  Nandavan  ,  où 
nous  leur  continuâmes  les  traitemens  les  plus  honorables. 
Alors  les  cadeaux  du  ministre,  qu'avaient  apportés  Ong 
Doi  Lara  et  Thu  Hap  Trinh.  furent  présentés  à  l'empereur  ; 
ces  présens  consistaient  en  armes  et  soieries.  Aux  diftérentes 
questions  adressées  à  ces  Cochinchinois  ,  ils  répondirent  : 
que  l'empereur  Gialong  avait  eu  long-tems  l'intention  d'en- 
voyer uns  ambassade  à  l'empereur  du  lever  du  soleil,  et 
n'en  avait  été  empêché  que  par  sa  mort  ;  qu'après  cet  évé- 
nement ,  son  fds  Minh-Mang  étant  monté  sur  le  trône  , 
qu'il  occupait  depuis  deux  ans,  le  gouvernement  de  8.  M. 
ies  avait  envoyés  au  Pégu  ,  et  qu'ils  venaient  aux  pieds 
de  notre  empereur  pour  s'informer  de  l'état  actuel  du 
royaume  et  de  ses  relations.  Ong  Doi  Lam  ajouta  que  les 
Cochinchinois  avalent  quelques  difficultés  avec  les  Siamois 
au  sujet  du  Camboge  ,  et  que  si  nos  deux  royaumes  s'unis- 
saient contre  Siam  ,  nous  pourrions  lea  vaincre  sans  peine  , 
et  dès-lors  établir  entre  nos  deux  pays  des  communications 
fLicilesj  cesafiaii'es,  disait-il,  avaient  été  prises  eu  considé- 
ration dans  le  grand  conseil  de  l'état. 


Lettre  française  d'un  prince  de  l'Inde.  i  ■;  i 

>5  Du  tenis  des  aïeux,  du  présent  monarque,  et  même  long- 
lems  auparavant,  le  royaume  des  Siamois  était  notre  tribu- 
taire; dans  rèregoo  des  Birmans  ,  c'est-à-dire,  il  y  a  plus 
de  deux  cents  ans  ,  le  roi  de  Siam  ,  Biaza  Duraza ,  était 
dans  notre  capitale  ,  où  nous  le  gardions  avec  grand  hon- 
neur dans  notre  maison  blanche.  Nous  avions  donné  le  gou- 
vernement du  territoire  siamois  à  son  fils  ,  qui  payait 
annuellement  un  tribut  de  trente  éléphans  et  trente  mille 
tikaux  ;  mais  bientôt  il  se  révolta  et  refusa  le  tribut  accou- 
tumé. Le  frère  de  l'aïeul  de  notre  présent  monarque,  qui 
régnait  sous  le  nom  de  Chen  Bin  Shin,  et  construisait  alors 
la  capitale  Yatana  Pura  Ava,  envoya  des  armées  comman- 
dées par  des  chefs  choisis  dans  la  noblesse  pour  reprendre 
le  royaume  de  Siam.  Sur  ces  entrefaites  ,  le  chef  des  Siamois 
mourut  ,  et  notre  armée  ayant  détruit  la  vilîe,  se  retira  j 
de  ce  moment  ,  les  Siamois  sont  devenus  brigands  et 
pirates  à  la  mer  3  jusqu'ici,  nous  avons  tout  souffert  avec 
patience.  Ong  Doi  LauT  et  son  compagnon  nous  ont  fait 
savoir  que  pour  cette  même  raison  ,  ils  avaient  dû  venir 
comme  de  simples  marchands  ;  en  étant  lui-même  bien 
convaincu,  et  pesant  ces  raisons  dans  l'intérêt  et  la  dignité 
des  deux  nations  ,  notre  auguste  monarque  a  pensé  qu'il  ne 
convenait  pas  qu'un  tel  obstacle  entravât  nos  relations  \  en 
conséquence,  des  personnes  de  confiance  sont  envoyées  en 
Cochinchine  et  autorisées  à  négocier  et  recevoir  toutes  les 
décisions  de  S.  M.  l'empereur  et  de  ses  ministres  d'état.  Ce 
sont  :  INemio  Siri  Sura  Naratha ,  Nemio  Tazaou  ,  Nemlo 
Siri  Raja  Gounnarat ,  Nemio  Tederat  Kio  ,  Seidi  Noratha, 
Nemio  Sira  Kiojua,  Siri  Cheiuda  Noratha. 

»  Que  nous  avons  envoyés,  avec  Ong  Dôi  liam  et  Thû  hap 
Trinh  ,  en  leur  remettant  pour  être  offert  eu  présent  à 
S.  M.  l'empereur  de  la  Cochinchine  ,  un  sceau  secret  de 
l'empire  en  or ,  vingt  anneaux  de  rubis  ,  vingt  anneaux  de 
saphir,  trois  sacs  de  rubis  bruts  ,  une  couverture  en  soie 


1^2  Stances  sur  la  tombe  de  Napoléon. 

de  fabrique  du  pays,  quatre  pièces  tle  soie  unie  ,  un  clia- 
pelet  de  pierres  jaunes  ,  un  bloc  de  pierres  vertes ,  quatre 
boursettes  ,  dont  une  très-petite  ;  trois  boîtes  yernissées  de 
différentes  grandeurs  ;  une  boîte  à  bétel  avec  ses  pieds  ; 
quatre  garde-mangers  ;  un  bandège  en  vernis  ;  une  coupe 
à  tlié  avec  son  couvercle  ;  dix-huit  lines  crayons  blancs  ; 
trente  panelles  d'huile  de  naphte. 

))  Investis  de  toute  notre  confiance  ,  et  attachés  à  la  per- 
sonne de  Tempereur ,  nos  envoyés  ont  connaissance  de  tout 
ce  qui  est  relatif  à  la  destruction  des  Siamois  ,  ennemis 
communs  de  nos  deux,  nations  ,  et  nous  les  autorisons  à 
agir ,  pour  cette  affaire ,  suivant  ce  qui  a  été  conclu  à  cet 
égard. 

»  Nous  souhaitons  qu'il  plaise  à  S.  M.  l'empereur  de  Co- 
chinchine  et  à  ses  ministres  ,  de  rédiger  par  écrit  leurs 
décisions  à  ce  sujet ,  et  de  vous  les  transmettre  sans  retard  , 
par  l'entremise  de  nos  commissaires ,  accompagnés  de 
quelques  personnes  de  confiance.  » 


STANCES    SUR    LA   TOMBE   DE    NAPOLEON. 


Un  voyageur  anglais  ,  qui  se  rendait  dans  l'Inde,  relâcha 
à  Sainte-Hélène,  le  5i  janvier  1824-  La  vue  de  la  tombe  de 
Napoléon  lui  inspira  des  vers  publiés  dernièrement  dans 
\ Oriental  Herald,  et  dont  voici  la  traduction  : 

«  Salut ,  triste,  vallon  ,  où  seul ,  loin  des  morts  vulgaires  ,  repose 
pour  toujours  un  homme  redoutable  ! 

»  Ile  terrible,  battue  par  les  orages,  vomie  par  un  volcan,  avec 
tous  ces  rochers  qui  te  couvrent ,  tu  étais  faite  pour  servir  de  se'pulture 
au  guerrier  ! 

»  Comme  loi ,  c'est  le  feu  de  la  nature  qui  l'a  fait  surgir  ;  et  de 
même  que  tu  domines  tlans  l'espace  des  mers  ,  sa  mémoire  dominera 
dans  l'espace  du  tems. 


Noiwclles  des  sciences  ,  du  commerce ,  etc.         1-5 

•»  Ce  météore  effrayant  a  parcouru  sa  rapide  carrière,  et  il  s'est 
éteint  dans  les  abîmes;  mais  rien  ne  pourra  en  effacer  la  t!  are. 

»  Oui  ,  ce  fut  dans  sa  pre'voyance  maternelle  que  la  nature  souleva 
ce  rocher  immense ,  afin  qu'il  pût  servir  de  mausolée  au  plus  extra- 
ordinaire de  ses  fils. 

»  Sitôt  que  Sainte-Hélène  paraît  à  l'horlson ,  le  voyageur  nui  revient 
des  mers  lointaines  de  l'Inde  ou  de  la  Chine,  y  fixe  des  regards  émus. 

»  Jamais  l'île  où  les  Anglais  creusèrent  la  tombe  de  Napoléon  ne 
sera  oubliée  ,  et  si,  un  jour,  elle  s'enfonçait  sous  les  eaux  qui  rongent 
se»  bords,  les  étoiles  qui  brillent  au  firmament  en  marqueraient  la 
place. 

»  Adieu,  triste  vallon  ,  où  seul,  loin  des  morts  vulgaires  et  des  rives 
fortunées  de  la  Seine,  repose  en  paix  un  homme  redoutable!  » 

(  Oriental  Herald.  ) 


NOUVELLES  DES  SCIENCES, 

DE    LA    LITTÉRATURE,    DES   BEAUX-ARTS,    DU    COMMERCE, 
DES    ARTS    INDUSTRIELS,    DE   L'aGRICULTURE  ,    ETC. 


HISTOIRE  NATURELLE. 


Prospectus  dune  nouvelle  société  dont  le  but  est  d'intro- 
duire en  Angleterre  et  de  priver  de  nouvelles  espèces  et  de 
nouvelles  variétés  d  animaux,  prises  parmi  les  quadrupèdes, 
les  oiseaux  et  les  poissons  ,  et  de  Jormer  un  musée  zooloo-i- 
que.  — Depuis  long-tems,  ceux  qui  s'occupent  criiistoire 
naturelle,  regrettent  que  nous  n'ayons  pas  un  grand  éta- 
blissement destine  à  l'étude  de  la  zoologie  ,  et  une  ménage- 
rie publique,  ou  collection  aussi  complète  que  possible  de 
tous  les  animaux  vivans,  où  Ton  puisse  observer  leur  na- 
ture,  leurs  qualités  et  leurs  habitudes.  Il  n  j  a  eu  Europe 
n.  12 


1^4  Noiwelles  des  sciences , 

aucun  état  dont  la  capitale  ne  possède  un  établissement  de 
ce  genre ,  excepté  celle  de  l'empire  Britannique.  Quoique 
nous  ayons  plus  de  facilité  que  les  autres  peuples  pour  faire 
des  collections  d'animaux  vivans  à  cause  de  nos  colonies, 
de  nos  flottes  et  de  nos  voyages  de  long  cours  dans  toutes 
les  parties  du  monde,  nous  avons  encore  bien  peu  de  ri- 
chesses de  ce  genre. 

Le  physicien  ou  le  naturaliste  qui  désire  étudier  la  nature 
animée ,  n'a  d'autre  ressource  que  de  visiter  et  de  mettre 
à  profit  les  magnifiques  établissemens  d'un  pays  voisin  et 
rival.  Le  but  que  se  propose  la  société  que  nous  annon- 
çons,  est  de  faire  disparaître  cette  espèce  d'opprobre  5  au- 
cune époque  ne  peut  être  plus  avantageuse  pour  cette  en- 
treprise que  celle  où  nous  nous  trouvons. 

Cettesociété  sera ,  pour  la  zoologie,  ce  qu'est  celle  d'agri- 
culture pour  la  botanique. Tous  ses  efforts  teudrontà  intro- 
duire de  nouvelles  variétés  ou  de  nouvelles  races  d'ani- 
maux pour  les  priver  et  pour  en  peupler  nos  basses-cours , 
nos  bois  ,  nos  bosquets  et  nos  landes. 

L'exécution  de  ce  projet  demande,  1°  un  vaste  espace 
de  terrain  pourvu  de  tous  les  accessoires  ;  1°  des  bâtimens 
situés  dans  la  capitale  et  propres  à  recevoir  un  musée. 

Comme  on  présume  qu'un  grand  nombre  de  personnes 
seront  disposées  à  encourager  cet  établissement ,  on  pro- 
pose de  faire  une  souscription  annuelle  de  2  liv.  st.  par  in- 
dividu ;  la  somme  pour  l'admission  étant  de  5  liv.  st.  ,  les 
souscripteurs  auront  l'entrée  libre  de  la  collection  et  des 
enclos;  ils  pourront  aussi  obtenir,  à  des  prix  très-modérés, 
des  animaux  vivans  ou  des  œufs  de  poissons  ou  d'oiseaux. 

Il 'suffit  d'annoncerjque  le  plan  de  cette  société  appar- 
tient à  Sir  Humplay  Davy  et  à  Sir  ï.  Stamford  RafFles , 
pour  faire  sentir  les  résultats  importans  que  l'on  doit  en 
attendre.  Grâces  à  cette  grande  et  belle  institution  ,  on 
peut  espérer  cfue  l'Europe  ne  tardera  pas  à  s'enrichir  d'es- 


du  commerce  ,   de  l' industrie. ,  etc.  ï-^S 

pèces  qui  lui  sont  encore  inconnues  et  qui  pourront  lui 
fournir  de  nouveaux  moyens  de  transport  et  de  nouveaux 
aliniens.  Il  serait  à  désirer  qu'une  institution  semblable 
fût  créée  en  France,  caria  ménagerie  du  Jardin-des-Plan- 
tes  ne  peut  pas  en  tenir  la  place.  Fort  utile  pour  la  science, 
elle  ne  paraît  pas,  jusqu'à  présent ,  avoir  été  d'aucun  profit 
pour  l'économie  domestique. 

Ourang-outang  tué  à  Sumatra.  —  Les  journaux  ont 
parlé,  il  y  a  quelque  tpms,  d'un  ourang-outang  d'une 
grandeur  démesurée,  qui  aurait,  dit-on,  sept  pieds  de  haut, 
et  sur  lequel  le  docteur  Abel  rédige  un  mémoire. 

On  mande  de  Sumatra ,  qu'on  a  tué  dernièrement  à  Ta- 
ruman ,  un  iudividn  énorme  de  celte  même  espèce  :  "  Il 
avait ,  dit  l'auteur  de  la  lettre  ,  six  pieds  de  haut  et  le  pied 
long  de  quatorze  pouces  et  demi.  La  peau  était  recouverte 
de  poils  bruns,  longs  et  brillans  ,  semblables  à  ceux  d'une 
crinière  de  cheval.  Sa  face,  qui  offrait  tout-à-fait  l'aspect 
de  la  figure  humaine,  avait  une  barbe  longue  et  crépue  et 
des  moustaches.  Vous  vous  ferez  quelqu"'idée  de  la  taille  et 
de  la  forme  de  cet  être  singulier,  quand  je  vous  dirai  qu'ayant 
mesuré  une  de  ses  dents  canines,  je  la  trouvai  de  trois 
pouces  et  un  quart ,  et  qu'il  vécut  plusieurs  heures  après 
avoir  reçu  cinq  balles  dans  le  corps  et  avoir  été  percé 
d'un  coup  de  lance.  Le  corps  était  bien  proportionné  et  on 
ne  remarquait  pas  de  protubérance  à  l'estomac.  » 

Le  rédacteur  du  journal  anglais,  auquel  nous  emprun- 
tons ce  fait,  observe  qu'on  devrait  s'interdire  de  faire  pé- 
rir des  êli'es  qui  se  rapprochent  autant  de  l'humanilé  que  ce- 
lui qu'on  décrit  ici.  Celte  considération  n'a  pas  arrêté  ses 
meurtriers:  après  l'avoir  tué  d'une  manière  cruelle,  on  li- 
vra sa  tête  à  un  cuisinier  du  vaisseau  pour  qu'il  en  détachât 
les  clwirs  en  la  faisant  cuire. 

Licorne  en  Afrique  e,t  au  Thihef.  —  Tifi  correspondance 


inf)  Nouvelles  des  sciences  , 

ileM.  R  uppell,  savant  qui  voyage  maintenant  dansTintéreur 
tle  l'Afrique  ,  offre  le  passage  suivant ,  à  l'égard  de  la  licorne 
qu'on  a  cru  jusqu'ici  un  animal  fabuleux  :  «  Un  des  indigè- 
nes m'a  dit ,  spontanément ,  qu'il  avait  vu  en  Afrique  un 
animal  de  la  grandeur  d'une  vache,  portant  une  corne  large 
et  droite  sur  le  front.  Dans  la  femelle,  la  corne  manque.  » 
Un  voyageur  anglais  prétend  que  l'on  trouve  le  même  ani- 
mal daus  les  montagnes  du  Tliibet ,  et  il  assure  même  qu'on 
lui  en  a  fait  voir  des  débris. 

Imjnensité  des  plantes  et  des  animaux.  — M.  Cuvier  a 
dernièrement  présenté  à  l'Académie  des  sciences ,  un  rap- 
port sur  les  progrès  de  nos  connaissances  en  histoire  natu- 
relle ,  depuis  le  retour  de  la  paix  maritime ,  lequel  offre 
des  détails  fort  intéressans.  En  1778,  Linnée  indiqua  environ 
huit  mille  espèces  de  plantes.  M.  DecandoUe  en  décrit  au- 
jourd'hui quarante  mille,  et,  en  peu  d'années,  on  en 
comptera  sans  doute  plus  de  cinquante  mille.  Buffon  esti- 
mait le  nombre  des  quadrupèdes  à  environ  sept  cents, 
et  il  est  loin  de  regarder  cette  liste  comme  complète. 
M.  de  Lacépède  écrivit ,  il  y  a  vingt  ans  ,  l'histoire  de 
toutes  les  espèces  connues  de  poissons,  et  le  total  ne  se 
montait  pas  à  quinze  cents.  Le  seul  cabinet  du  roi  en  con- 
tient maintenant  deux  mille  cinq  cents ,  qui ,  observe 
M.  Cuvier,  ne  sont  encore  qu'une  faible  portion  de  ce  que 
les  mers  et  les  fleuves  pourraient  fournir.  Nous  n'osons  plus 
fixer  le  nombre  des  oiseaux  et  des  reptiles  ;  les  cabinets  sont 
encombrés  de  nouvelles  espèces  qui  ont  besoin  d'être  clas- 
sées. Mais  ce  qui  étonne  encore  davantage,  c'est  le  nom- 
bre toujours  croissant  des  insectes  ;  les  voyageurs  les  rap- 
portent par  milliers  des  pays  chauds  ;  le  cabinet  du  roi  en 
contient  plus  de  vingt-cinq  mille  espèces ,  et  probablement 
il  n'y  en  a  pas  moins  de  dispersés  dans  les  autres  cabinets 
de   l'Euroj^e.    L'ouvrage  de   M.    Strauss  sur  le  scarabée , 


du  commerce  ,  de  l'industrie  ,  etc.  i'j'j' 

vient  de  prouver  que  ce  petit  corps,  d'uu  pouce  de  lon- 
gueur, a  trois  cent  six  pièces  dures  qui  lui  servent  d'enve- 
loppes ,  quatre  cent  quatre-vingt-quatorze  muscles  ,  vingt- 
quatre  paires  de  nerfs  et  quarantc-hnit  paires  de  trachées. 

Procédé  pour  conserver  les  débris  d'animaux  peur  les  ca- 
binets d'histoire  naturelle. — Il  consiste  à  tremper  ces  débris , 
dans  de  Talcohol  raèlé  avec  une  for  le  dissolution  de  sublimé 
corrosif.  Les  fibres  des  fourrures  ou  des  plumes  ,  une  fois 
saturés  du  liquide  vénéneux  ,  ne  peuvent  plus  servir  de  pâ- 
ture aux  insectes  ;  étant  d'ailleurs  antiseptique  ,  ce  liquide 
garantit  la  matière  animale  des  influences  atmosphériques  , 
et  comme  il  est  incolore  ,  il  n'en  altère  pas  les  nuances.  Le 
tissu  demeure  également  intact.  M.  Waterton  (i  ),  naturaliste 
qui  a  communiqué  ce  procédé,  a  lui-même  une  très-grande 
collection  d'individus  rares  qu'il  a  rapportés  de  l'Améri- 
que du  sud  et  qu'il  a  conservés  par  ce  moven.  Quelqnes-uns 
d'entre  eux  qui  ont  subi  cette  pi-éparation  ,  il  y  a  mainte- 
nant douze  ans,  ont  toute  la  perfection  et  l'éclat  qu'ils  pour- 
raient avoir  s'ils  étaient  tués  de  la  veille. 

Distance  à  laquelle  le  sable  et  les  corps  d'un  petit  volume 
peui>e?it  être  portés  par  le  vent.  — •  <f  Nous  trouvant,  dit  un 
voyageur  anglais  ,  le  19  du  mois  de  janvier  dernier,  à  bord 
du  C/)^û?e  qui  venait  des  Indes  Orientales,  à  environ  six 
cents  milles  de  la  côte  d'Afrique,  nous  fûmes  surpris  en 
plein  jour  de  voir  nos  voiles  se  couvrir  d'un  sable  brun  qui , 
examiné  au  microscope,  parut  extrêmenieut  fin.  Le  même 
jour,  à  deux  heures  après  midi  ,  ayant  eu  occasion  de 
faire  plier  uos  voiles ,  nous  en  vîmes  sortir  des  nuages  de 
poussière ,  au  moment  où  le  vent  les  fit  battre  contre  le 
mât.  Pendant  lu  nuit  précédente,  un  vent  frais  avait  souillé 
du  nord-est,  et  la  terre  la  plus  jiroche  était  la  partie  de  la  côlc 

(  1  )  C'est  h;  mniic  «lui  ;i  public  une  rulalioii  si  curieuse  Je  ses  voyaç^e^ 
(laus  les  furets  «]r  la  Guiauc. 


178  Nouvelles  des  sciences  , 

d'Afrique  qui  est  entre  la  Gambie  et  le  Cap- Vert,  dont 
Qous  étions  éloignes  de  six  cents  milles.  Ce  fait  ne  nous 
o(Fre-t-il  pas  le  moyen  d'expliquer  facilement  comment 
ont  ëtc  transportées  les  graines  des  plantes  que  l'on  trouve 
dans  les  îles  éloignées  et  de  nouvelle  formation. 

SCIENCES   MÉDICALES. 

Du  mercure  administré  en  fumigation  et  des  effets  du 
quinine.  —  A  une  réunion  de  la  Société  médicale  et  phy- 
sique de  Calcutta ,  qui  s'est  tenue  en  janvier  dernier,  il  a  été 
lu  un  mémoire  du  docteur  Gibson ,  de  Bombay,  sur  l'effet 
des  préparations  mercurielles  administrées  par  fumigation. 
Il  résulte  d'un  grand  nombre  d'expériences  faites  par  ce 
médecin ,  qu'administré  de  cette  manière  dans  les  cas  de 
rhumatismes  et  de  syphilis  .  le  mercure  est  plus  efficace 
qu'il  ne  l'est  lorsqu'on  l'emploie  suivant  les  méthodes  les 
plus  usitées.  Il  paraît  que  pour  la  cure  de  ces  maladies ,  les 
Hindous  l'administrent  depuis  long-tems  sous  cette  forme , 
mais  généralement  avec  si  peu  de  mesure  qne  son  effet  or- 
dinaire est  de  causer  la  salivation  et  de  rendre,  par  lîi,  le  re- 
mède pire  que  le  mal.  La  préparation  employée  communé- 
ment par  eux ,  est  celle  du  cinabre  ordinaire  du  commerce. 
A  cette  même  réunion,  il  s'est  fait  quelques  observa- 
lions  sur  l'emploi  de  la  quinine  j  dans  les  cas  de  fièvres 
endémiques.  On  en  avait  reçu  une  petite  quantité  à  Cal- 
cutta ,  à  l'état  de  sulfate.  Ce  médicament  dissipe  avec  une 
rapidité  inconcevable  les  fièvres  interminentes  et  même 
les  rémittentes  qui  participent  des  premières.  La  dose  est 
de  trois  à  cinq  grains  qu'on  peut  prendre  sous  forme  de  pi- 
lules, et  qui,  pour  chasser  ces  fièvres  et  en  prévenir  le 
retour,  sont  plus  efficaces  qu'autant  d'onces  du  kina  or- 
dinaire. I 

Cojiseroation  des  préparations  anatomiques.-—h€S  subs- 


du  cojwnercs  ,  de  l' industrie  ,  etc.  17g 

tauces  employées  jusqu'ici  pour  la  couservalion  des  prépa- 
rations auatomiques,  telles  que  le  salpêtre  ,  le  sel  ordinaire, 
le  sublimé  corrosif,  l'acide  pyroligneux,  elc. ,  exercent  une 
action  chimique  si  forte  sur  la  lame  des  instrumens  ,  que 
les  pièces  préparées  à  Taide  de  ces  substances  ne  peuvent 
plus  ensuite  être  soumises  à  la  dissection.  Le  docteur  Good- 
man propose  un  agent  bien  prétérable  à  ceux  que  nous 
venons  de  nommer,  et  qui  ne  présente  point  cet  inconvé- 
nient. Cet  agent ,  c'est  l'eau-de-vie  (whiskey).  Voici  la  ma- 
nière dont  il  l'emploie  ;  «  Je  fixe,  dit-il ,  un  tuyau  dans  une 
»  grosse  artère,  et  j'y  injecte  de  Teau-de-vie  jusqu'à  ce 
»  qu'elle  n'en  puisse  plus  recevoir.  On  ne  voit  point  cette 
»  liqueur  sortir  par  la  bouche  ou  par  lesinsestins ,  comme 
»  lorsqu'on  emploie  une  solution  de  sel  ordinaire ,  ce  que 
»  l'on  peut  attribuer  à  l'action  de  l'alcohol  ,  qui  fait  con- 
»  tracter  les  extrémités  délicates  des  vaisseaux  capillaires. 
»  De  cette  manière  on  agit  sur  tout  le  système  cellulaire 
»  et  musculaire.  » 

De  docteur  Goodman  conseille  encore  d'éponger  la  peau 
avec  de  l'acide  pyroligneux  impur ,  et  alors ,  dit-il ,  on 
pourra  conserver  le  cadavre  très-long-tems  ,  même  pen- 
dant les  chaleurs  de  l'été ,  et  l'on  n'aura  point  à  craindre 
pour  les  instrumens  que  l'on  emploiera. 

Ancienneté  du  mode  d'enseignement  mutuel.  — Le  cou- 
seiller-d'état  russe,  SlorstofF,  inspecteur  des  écoles  en  Si- 
bérie, fit,  vers  la  fin  de  l'année  dernière,  une  tournée 
d'inspection  dans  les  villages  au-delà  du  Baïkal.  En  expli- 
quant aux  vieillards  des  tribus  boriates  de  la  Selende  le 
mode  le  plus  facile  pour  apprendre  à  écrire  à  leurs  cufans , 
il  fut  très-étonné  de  leur  entendre  dire  que  pour  enseigner 
l'arillimélique ,  leurs  lamas  se  servaient  de  planches  couver- 
tes de  sable ,  et  que  ce  moyen  avait  été  emprunté  du  Tiiibet. 
Celte  découverte  inattendue  le  porta  à  conclure  que  Lan- 


1 8o  Nouvelles  des  sciences , 

castre  ,  que  l'on  croit  avoir  invente  le  système  d'enseigne- 
ment mutuel,  avait  appris  des  prêtres  de  l'Inde,  où  il 
avait  résidé  ,  le  mode  d'écrire  sur  le  sable. 

GÉOGRAPHIE.  —  VOYAGES.  —  STATISTIQUE. 

Nombre  des  chrétiens  dans  le  inonde.  —  Il  résulte  d'uu 
calcul  fait  pour  déterminer  le  nombre  des  chrétiens  et  celui 
des  individus  qui  professent  d'autres  religions ,  que  si  l'on 
distribue  les  habitans  du  monde  connu  en  trente  parties 
égales  ,  dix-neuf  de  ces  parties  seront  composées  depayens, 
six  de  juifs  et  de  mahométans ,  et  cinq  de  chrétiens ,  dont 
deux  appartiennent  aux  églises  grecques  ei  orientales ,  et 
trois  aux  églises  romaines  et  protestantes.  Si  ce  calcul  est 
exact,  le  christianisme,  à  le  prendre  dans  sa  plus  grande 
latitude,  n'est,  avec  les  autres  religions,  que  dans  le  rapport 
de  cinq  à  vingt-cinq  ,  ou  de  un  à  cinq.  Une  brochure  ,  pu- 
bliée d'abord  en  Amérique  et  réimprimée  ensuite  à  Londres, 
en  1812  ,  contient  un  calcul  d'après  lequel  les  habitans  du 
monde  connu  seraient  au  nombre  de  800,000,000,  et  les 
populations  chrétiennes  à  celui  de  200,000,000 ,  savoir  : 
catholiques  de  l'église  grecque  et  orientale,  3o, 000,000  j 
catholiques  de  l'église  romaine,  100,000,0005  protestans 
no, 000, 000.  Il  y  a  461,000,000  d'idolâtres  j  i3o,ooo,ooo  de 
musulmans  5  et  9,000,000  de  juifs.  S'il  est  vrai  que  trente 
ans  soient  la  durée  d'une  génération,  il  naît  et  il  meurt 
800,000,000  d'individus  dans  cet  espace  de  tems  ;  il  en  naît 
et  il  en  meurt  75,059  par  jour,  3,o4.4  par  heure,  et  3i  par 
minute. 

Longévité  et  population  en  Russie.  —  Une  gazette  de 
Saint-Pétersbourg  parle  d'un  homme  mort  à  l'âge  de  cent 
soixante-huit  ans  ,  près  de  Polosk ,  sur  les  frontières  de  la 
Livonie.  Il  avait  vu  sept  souverains  sur  le  trône  de  Russie , 
et  se  rappelait  très-bien  la  mort  de  Gustave-Adolphe.  Il 


du  commerce  ^  de  l'industrie  ,  etc.  i8i 

avait  servi  comme  soldat  daus  la  guerre  de  Trente  Ans. 
A  la  bataille  de  Pultawa ,  eu  1709,   il  avait  cinquante-uu 
ans.  A  l'âge  de  qualre-vingt-trelz.e  ans,  il  épousa  sa  troisième 
femme  avec  laquelle  il  a  vécu  cinquante  ans.  En  1796,  ses 
deux  plus  jeunes  fils  avaient,  l'un  quatre-vingt-six  ans  et 
l'autre  soixante-deux.   Ses  deux  fils  aînés  avaient,  à  la 
même  époque,  quatre-vingt-quinze  et  quatre-vingt-treize 
ans.  Tous  les  membres  de  la  famille  issue  de  ce  patriarche 
vivaient  dans  le  village  de   Polotzka ,    que  Catherine   II 
avait  fait  construire  pour  eux,  en  leur  donnant,  en  même 
tems,  une  portion  considérable  de  terrain  pour  leur  subsis- 
tance. A  l'âge  de  cent  soixante-trois  ans  ,  ce  moderne  Nes- 
tor jouissait  d'une  parfaite  santé.  Un  document  officiel,  ré- 
cemment publié ,  prouve  également  combien  ces  latitudes 
septentrionales  sont  favorables  à  la  prolongation  de  la  vie 
humaine.  En  iSaS,  il  est  mort  en  Russie  dix  vieillards, 
qui  avalent  plus  de  cent  dix  ans ,  et  un  autre  qui  en  avait 
cent  trente.  La  population  de  cet  empire  redoutable  fait 
des  j.rogrès  prodigieux  et  beaucoup  plus  rapides  que  celle 
des  Etats-Unis  d'Amérique.  Il  résulte  du  même  document 
que  dans  les  neuf  éparchles  d'Orell ,  Wladlmir,  Tambow , 
Tu!a,  Pern,  Ksan,  Rjasan,Smolensket  Woronescli,  le  nom- 
bre des  naissances  a  été  également,  en  1825  ,  de  629,4275 
\es  morts  ne  s'étaient  élevés  qu'à  277,875.  Ainsi,  rien  que 
dans  neuf  provinces ,  l'excédant  des  naissances  avait  été 
de  25i,554. 

Terre  de  lord  Breadalbane.  —•  Cette  terre,  qui  fait  vivre  - 
15,557  personnes,  commence  à  deux  mille  à  l'est  de  Tay- 
Brldge,  dans  le  comté  de  Perlb ,  et  elle  s'étend  à  l'ouest 
jusqu'à  Casdale,  dans  l'Argylesbire,  ce  qui  fait  une  longueur 
totale  de  qualre-vingt-dlx-neufmilles  et  demi  (environ  trente- 
trois  lieues).  La  îargeur  varie  de  trois  à  quinze  milles  (d'une 
lieue  à  cinq).  Cette  terre  n'est  interrompue,  dans  toute  sa 


i82  Nouvelles  des  sciences  , 

longueur,  que  par  les  propriétés  de  trois  ou  quatre  per- 
sonnes qui  occupent  un  des  côtés  de  la  vallée  ,  tandis  qu  elle 
occupe  l'autre  ,  de  manière  que  lord  Breadalbane .  en  va- 
riant un  peu  sa  direction  à  droite  ou  à  gauche,  peut  faire 
près  décent  milles  (trente-trois  lieues),  sans  quitter  ses  terres. 

Ducats  troiwés  dans  hi  Jorêt  de  Spielitz  ,  en  Silésie.  — 
Quelques  paysans  ont  dernièrement  découvert  dans  une 
caverne  de  cette  forêt  6,000  ducats ,  frappés  à  une  époque 
fort  ancienne ,  plusieurs  squelettes  et  des  armes  de  toute 
espèce.  On  suppose  que  c'était  un  des  lieux  où  se  réunissait 
jadis  ce  fameux  tribunal  secret  qui  fut ,  pendant  le  moyen 
âge ,  la  terreur  de  l'Allemagne. 

Voyage  au  mont  Sinài. — Un  jeune  homme,  nommé 
M.  Blanc,  et  son  ami,  M.  Crompton,  sont  arrivés  au  Kairc, 
le  1 5  mal  dernier,  après  un  voyage  dans  le  désert ,  pendant 
lequel  ils  ont  beaucoup  souffert  par  le  manque  d'eau  et 
l'excès  de  la  chaleur.  Ils  s'étaient  rendus  au  mont  Sinaï , 
en  suivant ,  le  livre  de  l'Exode  à  la  main ,  la  route  de  Moïse 
et  des  Israélites.  Ils  ont  pris  leur  café  dans  le  lieu  même 
où  Moïse  a  reçu  le  Décalogue  ;  ils  ont  visité  la  grotte  où 
Elisée  se  retira  à  Noreb  ,  et^ils  se  sont  placés  sur  la  pierre 
où  Moïse  était  assis  lorsqu'il  leva  les  mains ,  pendant  le 
combat  d'Israël  et  d'Amalcc.  Ils  ont  aussi  trouvé  dans  plu- 
sieurs excavations  divers  objets  d'antiquité  fort  curieux , 
qu'aucun  voyageur  n'avait  encore  décrits. 

Temples  de  Confucius.  — Il  y  a  en  Chine  i,56o  temples 
dédiés  à  Confucius.  On  calcule  que  pendant  les  sacrifices 
qu'on  y  fait  au  printems  et  en  automne,  on  immole  27,000 
cochons,  2,800  moutons  ,  2,800  daims  et  27,000  lapins  ,  et 
qu'on  y  dépose  en  offrande  27,000  pièces  de  soie. 

Extrait  d'une  lettre  d'Alexandrie. — Le  bruit  court  qu'on 
attend  ici  un  envoyé  anglais  ,  qui  doit  proposer  au  vice-roi. 


du  commerce. ,  de  l'industrie  j  etc.  i83 

de  la  part  du  gouvernement  Britannique  ,  un  plan  pour 
unir  la  Mer  Rouge  à  la  Méditerranée. 

Le  vice-roi  a  dernièrement  vendu  du  coton  de  Moka 
pour  la  valeur  de  douze  millions  de  talaris. 

II  y  a  maintenant  à  Alexandrie  tant  de  négocians  étrangers 
qu'on  manque  de  place  pour  les  loger.  Une  seule  chambre 
coûte  de  800  à  1,000  piastres  d'Egypte.  Les  marchés  sont 
encombrés  de  marchandises  étrangères  :  ces  dernières  per- 
dent 25  p.  '^/o  ;  encore  est-il  difficile  de  le  vendreù;  ce  prix. 

Hindous  convertis  au  christianisme.  —  Registre  des  in- 
dividus baptisés  par  les  missionnaires  ,  dans  diverses  parties 
de  l'Inde. 


1800 

1 

1801 

6 

1802 

9 

i8o3 

•  4 

i8o4 

i5 

i8o5 

3i 

1806 

a6 

1807 

«4 

1808 

20 

1809 

80 

1810 

loG 

COMMERCE, 

1811 

97 

1812 

95 

i8i3 

113 

1814 

127 

i8i5 

i33 

1816 

85 

1817 

174 

1818 

86 

1819 

54 

1820 

5i 

1821 

70 

1,407 


Droits  de  douanes.' — Un  fait  curieux  vient  encore  de  con- 
firmer la  doctrine  exposée  dans  l'article  si  remarquable  sur 
le  produit  comparé  des  hautes  et  petites  taxes ,  inséré  dans 
notre  premier  numéro  (i).  En  1800  ,  le  droit  sur  le  vin  de 
Porto,  était  de  4oliV'  par  tonneau,  et  il  a  produit  224,000 
liv.  si.  (5,600,000  fr.).  En  1824  >  i^  éi&\\.  de  go  liv,,  et  il  n'a 
produit  que  100,000  liv.  st.  (2,5oo,ooo  fr.)  Ainsi,  l'augmen- 

(i)  Voy.  tom.  I ,   l'e  liv.,  pag.  3(|. 


i84  Nouvelles  des  sciences , 

atlou  de  ce  droit ,  de  plus  de  loo  p.  "/o  ,  a  eu  pour  résultat 
uue  diminution ,  dans  la  recette,  de  plus  de  moitié. 

Commerce  direct  du  Canada  avec  l'Inde.  —  Les  jour- 
naux du  Canada,  du  28  juin  dernier,  annoncent  qu'en 
vertu  de  l'acte  du  Parlement  qui  accorde  la  liberté  du  com- 
merce aux  colonies  anglaises ,  il  vient  de  se  former,  dans 
celte  ville,  une  Compagnie  pour  commercer  directement 
avec  les  Indes-Orientales. 

Métaux  -précieux^  exportés  d'Angleterre.  —  On  estime 
que  les  quantités  d'or  et  d'argent ,  tant  monnoyés  qu'en 
barre ,  qui  ont  passé  d'Angleterre  en  pays  étrangers , 
dans  le  cours  des  trois  mois  compris  entre  le  5  avril  et 
le  5  juillet  derniers,  montent  à  la  valeur  de  2,854,o5o 
liv.  st.  5  près  d'un  million  st.  (vingt-cinq  millions  de  fr.)  par 
mois. 

LITTÉRATURE.    . 

Le  Grand  htconnu.  —  Le  bruit  court  qu'il  se  présente 
enHa  un  individu  qui  se  déclare  auteur  des  célèbres  ro- 
mans de  Waverley ,    des   Puritains,    etc Selon  ce 

bruit,  ils  seraient  l'ouvrage  d'un  M.  Greenfield  ,  ancien 
professeur  à  une  université  d'Ecosse,  lequel  s'étant  expa- 
trié à  la  suite  de  quelques  mallieurs  qu'il  avait  éprouvés, 
n'a  pu  les  publier  sous  son  propre  nom.  Sir  Walter  Scott 
les  aurait  revus  et  corrigés  à  mesui'e  qu'ils  lui  auraient 
été  transmis  par  l'auteur,  et  il  y  aurait  ajouté  des  préfaces. 
M.  Greenfield  porte  maintenant ,  dit-on,  le  nom  de  Ru- 
llierford. 

Il  nous  serait  impossible  de  dire  si  ce  bruit  est  fondé  ou 
non,  ni  quelle  eu  est  la  source j  mais  nous  pouvons  affir- 
mer qu'il  s'accrédite  Nul  doute  que  sir  Walter  Scott  n'ait 
quelque  part  à  la  publication  de  ces  ouvrages  ;  mais  quant 
à  la  nature  de  cette  part,  c'est  ce  qui  demeure  enveloppé 


du  commerce  ,  de  l'industrie  .,  etc.  i85 

fVun  mystère  profond.  On  prétend,  qu  interrogé  sur  ce 
point  parle  roi  d'Angleterre,  lorsque  S.  M.  est  allée  en 
Ecosse,  il  dit,  d'un  ton  très-affirmalif ,  qu'il  n'en  était  pas 
l'auteur.  S'il  en  est  ainsi,  le  bruit  en  question  peut  avoir 
quelque  fondement.  D'après  ce  même  bruit,  M.  Greenfield 
serait  en  route  pour  revenir  dans  son  pays  ,  et  si  cela  est , 
on  ne  lardera  pas  à  savoir  à  qui,  de  lui  ou  de  sir  Walter 
Scott,  doit  rester  tant  de  gloire. 

Prolixité  des  orateurs  anglais.  • —  Le  comte  de  Liver- 
pool  a  porté,  pendant  la  première  partie  de  sa  carrière 
politique,  le  titre  de  lord  Hawkesbury.  Cette  circons- 
tance était  ignorée  de  madame  de  Staël.  Un  jour,  qu'en 
causant  avec  lui ,  elle  se  plaignait  de  l'extrême  prolixité 
de  certains  orateurs  anglais,  elle  s'écria  :  «  Mais  à  pro- 
pos ,  Mylord ,  dites-moi  donc  ce  qu'est  devenu  un  lord 
Hawkesbury,  qui  m'ennuyait  à  lui  tout  seul  plus  que  tous 
les  autres  ensemble?  a 

Littérature  Chinoise.  —  Cette  nation  qui  s'est  si  soigneu- 
sement isolée  du  reste  du  monde,  possède  une  Encyclopé- 
die en  soixante-quatre  volumes.  Cet  ouvrage  a  été  rédiaé 
par  Vaug-Hong-Cban,  écrivain  chinois  distingué,  qui  vivait 
sous  le  règne  de  l'empereur  Van-Pei,  vers  1600,  à  peu 
près  à  l'époque  où  les  missionnaires  européens  vinrent  en 
Chine  pour  la  première  fois.  Vang-Hong-Chan  a  été  aidé 
par  son  fils  dans  la  composition  de  son  ouvrage.  II  y  est 
question  des  mousquets  européens.  La  classification  des 
matières  est  très-singulière  ,  et,  comme  on  le  pense  bien 
elle  a  fort  peu  d'analogie  avec  celle  de  l'Encyclopédie  de 
d'Alenibert  rt  de  Diderot.  Voici  quelle  est  cette  classifica- 
tion :  1°  astronomie;  1°  géographie;  5°  portraits  des  per- 
sonnages remarquables  et  des  différentes  tribus  de  chaque 
région;  4°  "Mystère  du  grand  cycle  et  du  Patkua;  5°  ar- 
chitecture; G°  meubles  et  instrumens  de  guerre,  d'agricul- 


i8(i  Noiweltes  des  sciences  , 

ture,  tie  jardinage  et  de  pêcher  7°  aiiatomie;  8°  costume; 
9**  jeu  des  échecs  et  autre  jeux;  10°  anciens  caractères 
chinois;  1 1"  botanique  et  histoire  naturelle  des  différentes 
contrées;  12°  manière  de  boxer  et  défaire  des  armes; 
1 3°  art  du  bûcheron  ;  1 4"  art  de  la  danse  ;  1 5*  divers  mojrens 
de  conserver  la  santé  et  de  prolonger  Texistence,  16"  des 
combats  de  coqs  et  de  taureaux;  17°  monnaie  et  pièces 
d'argent  gravées. 

Enseignement  du  chinois  à  Londres.  —  Le  célèbre  doc- 
teur Morrison  ,  qui  a  fait  de  longs  voyages  en  Asie  et  dont 
les  travaux  philologiques  sur  la  langue  chinoise  sont  con- 
nus de  tous  les  orientalistes,  est  maintenant  à  Londres,  où 
il  emploie  une  partie  de  son  tems  à  donner  des  leçons  de 
chinois.  Nous  n'attachons  pas  la  même  importance  à  cette 
langue  que  si  nous  étions  des  mandarins  du  premier  rang; 
mais  il  est  impossible  qu'on  ne  retire  pas  quelques  avanta- 
ges de  l'étude  que  plusieurs  personnes  en  font  dans  ce  moment 
sous  la  direction  de  ce  voyageur.  Un  aussi  vaste  empire  , 
dont  la  population  fait  plus  du  quart  de  la  population  totale 
<lu  globe ,  qui  avait  atteint  son  plus  haut  point  de  civilisa- 
tion avant  qu'Athènes  fût  bâtie,  et  peut-être  même  avant 
que  la  Grèce  fût  peuplée  ,  doit  nécessairement  avoir  une 
littérature  intéressante  ;  et  un  peuple  dont  les  formes  socia- 
les sont  si  bizarres  et  si  différentes  des  nôtres ,  vaut 
certes  bien  la  peine  d'être  étudié  à  fond.  D'ailleurs ,  il 
paraît  que  depuis  les  travaux  du  docteur  Morrison,  et  ceux 
d'un  savant  philologue  français,  M.  Abel  Piémusat,  l'étude 
du  chinois  n'est  pas  même  aussi  difficile  que  celle  du  grec. 
M.  Mill,  dans  un  article  remarquable,  inséré  dans  le  der- 
nier numéro  du  Wcàtminster  Reçiew  ,  observe  que  notre 
éducation  est  si  mal  entendue,  que  l'on  nous  impose  l'obliga- 
tion d'étudier  des  langues  mortes  qui  ne  peuvent  être  que  des 
objets  d'epiu-c  curiosité,  tandis  que  nous  négligeons  eutiè- 


du  commerce  ,  de  l'industrie  ,  etc.  187 

rement  la  langue  d'un  peuple  avec  lequel  nous  faisons , 
depuis  beaucoup  d'années,  un  grand  commerce,  principe 
de  la  richesse  ou  de  l'aisance  d'une  multitude  d'individus 
qui  y  prennent  une  part  quelconque. 

AGRICULTURE. 

Procédé  pour  faciliter  les  défrichemens.  — On  a  pense 
qu'au  lieu  d'abattre  les  arbres  au  moyen  de  la  hache  et  de 
la  scie,  qui  est  le  moyen  ordinairement  employé,  on  arri- 
verait plus  promptement  à  ce  résultat  en  les  faisant  éclater 
à  l'aide  de  la  poudre  à  canon;  en  conséquence,  des  expé- 
riences ont  été  tentées  dans  ce  but,  et  elles  ont  eu  un  plein 
succès.  Dans  le  Canada ,  en  Afrique  et  dans  tous  les  pays 
où  le  bois  abonde  et  s'oppose  à  la  culture  du  sol,  ce  moyen 
pourrait  être  utilement  employé.  Le  procédé  en  question 
consiste  simplement  à  perforer  avec  une  vrille  le  tronc  de 
l'arbre  que  l'on  veut  abattre,  en  inclinant  toujours  l'ins- 
trument vers  la  racine.  On  remplit  ensuite,  avec  de  la 
poudre  à  canon,  le  trou  qui  a  été  pratiqué,  et  l'explosion  se 
fait  de  la  manière  ordinaire.  En  employant  ce  moyen,  on 
peut  éclaircir  plus  de  pays  en  un  jour,  qu'on  ne  peut  le  faire 
en  huit,  en  se  servant  de  la  hache  et  de  la  scie  ;  et  il  y  a  cet 
avantage  de  plus,  que  le  terrain  alentour  étanlfort  ébranlé 
par  l'explosion ,  se  prête  beaucoup  mieux  à  la  culture. 

Tout  gros  bois  qu'on  voudrait  abattre,  soit  pour  l'em- 
ploi du  chauffage,  soit  pour  en  retirer  de  la  potasse,  pour- 
rait être  traité  par  ce  même  procédé. 

Procédé pQur  le  dessèchement  des  étangs.  —  A  une  cer- 
taine profondeur,  au-dessous  de  la  surface  de  la  terre,  pro- 
fondeur qui  varie  suivant  l'élcvalion  des  lieux,  on  rencontre 
communément  une  couche  de  sable  qui,  par  sa  nature 
livre  facilement  passage  à  l'eau.  Dans  les  terrains  sujets 
aux  e;iii\  stagnantes,  ce  sab'e  est  recouvert  par  une  couche 


i88  Noui'elles  des  sciences , 

tVargile  peu  épaisse.  Il  suffira  donc  de  creuser  un  fossé  au 
fond  de  l'étang  qu'on  veut  dessécher,  jusqu'à  ce  qu'on  ar- 
rive à  la  couche  de  sable  en  question  ;  l'eau  sera  de  suite^ 
absorbée,  et  l'étang  mis  à  sec.  S'il  y  avait  trop  d'eau  pour 
qu'on  pût  creuser  commodément  au  fond  de  l'étang,  il 
faudrait  creuser  un  fossé  au  bord ,  et  ouvrir  ensuite  une 
communication  avec  l'eau,  au  moyeu  d'une  tranchée.  Ce 
procédé  a  d'abord  été  employé  par  un  fermier,  qui  en  tirait 
un  grand  avantage,  sans,  à  ce  qu'il  parait,  se  rendre 
compte  de  la  cause  de  son  efficacité.  C'est  ce  qui  a  donné 
l'idée  d'en  faire  une  application  plus  générale. 

Sur  l'emploi  du  sel  dans  le  traitement  des  bestiaux.  — 
M.  Curwen,  membre  très-distingué  de  la  chambre  des  com- 
munes ,  et  dont  les  opinions  au  parlement  font  à  peu  près 
autorité  en  agriculture,  a  publié  à  diverses  époques  les 
résultats  de  ses  expériences  sur  cette  matière. 

Voici  quelques  faits  tirés  d'un  de  ses  écrits,  sur  l'emploi 
du  sel  dans  le  traitement  des  bestiaux.  «  Au  printems, 
dit-il,  im  de  mes  troupeaux  fut  attaqué  d'une  maladie  in- 
flammatoire ;  je  lui  fis  administrer  du  sel  en  fortes  doses, 
cinq  à  six  onces  par  jour,  et  la  maladie  se  dissipa  prompte- 
ment.  Lorsqu'on  fait  paître  les  troupeaux  dans  des  terrains 
humides ,  on  court  grand  risque  de  les  perdre  par  suite 
d'épizooties.  J'ai  trouvé  que  le  sel  était  un  préservatif  certain 
contre  ces  fâcheux  efïets  de  l'humidité.  Je  le  fais  adminis- 
rer  avec  succès  aux  chevaux  dont  les  jambes  se  gonflent 
à  !a  suite  de  grandes  fatigues.  Il  est  également  bon  pour  pré- 
venir comme  pour  guérir  cette  incommodité.  On  peut,  dans 
ce  cas ,  varier  la  dose  depuis  quatre  onces  jusqu'à  une  li- 
vre par  jour.  Donné  aux  vaches,  le  sel  ôte  au  lait  et  au 
beurre  ce  goût  de  navet  qu'il  contracte  quelquefois 
lorsqu'on  les  nourrit  de  ce  végétal.  Il  peut  s'employer 
aussi    très-utilement    pour    la    conservation    des    abeilles 


du  commerce  ,  de  l'industrie  ^  eic.  j8i) 

pendant  Tliiver.  Il  laut  pour  cela  qu'il  soit  en  dissolution 
dans  de  l'eau  de  source,  etinélé  avec  un  peu  de  mélasse  ; 
dans  cet  état,  le  sel  est  pour  ces  animaux  un  préservatif 
excellent  contre  la  dissenterie,  maladie  à  laquelle  ils  sont 
fort  sujets. 

M  Avant  d'employer  le  sel  dans  le  traitement  de  mes 
bestiaux,  j'avais  à  payer,  année  commune,  un  compte  an- 
nuel de  58  liv.  st.  (  i,45o  fr.  )  ,  pour  soins  et  médicamens 
fournis  par  le  maréchal  j  depuis  que  je  fais  usage  de  ce 
préservatif,  ma  dépense  en  ce  genre  est  tout-à-fait  minime» 

»  Comme  Tabus  du  sel  donné  aux  bestiaux  a  ses  dangers, 
et  que  cette  substance  peut  être  considérée  comme  un  ali- 
ment ou  un  poison,  suivant  l'emploi  qu'on  eu  fait,  il  ne 
sera  peut-être  pas  mal  à  propos  de  faire  connaître  ici  les 
doses  que  M.  Curwen  fait  administrer  dans  diverses  cir- 
constances. 

En  avril.       En  décembre. 
Ouces.  Onces. 

Aux  chevaux 4  ^  P^r  jour. 

Aux  vaches  quand  elles  don- 
nent du  lait 4  4 

Aux  bœufs  qu'on  engraisse.  4  6  \   *^<"^"«^^  «" 

Aux  bouvillons -x  3  i    *'*"''  ''°'*- 

Aux  veaux i  i 

Aux  moutons i  l^  ^ay  semd\nc. 

»  J'ai  vu  avec  plaisir,  dit  M.  Curvren,  que  mes  expé-> 
riences  réitérées  sur  l'emploi  du  sel  dans  le  traitement  de.« 
bestiaux,  ont  été  confirmées  par  celles  d'un  grand  nombre 
il'autres  propriétaires  du  comté  de  Cumberland.  » 

INDUSTRIE. 

Fabriques  da  Jlanelle  à  Rochdale.  —  On  fabrique  chaque 
semaine,  dans  cette  ville  et  dans  les  villages  voisins,  environ 
II.  i3 


donné 


IQO  Noxwelles  des  sciences  , 

20,000  pièces  Je  flanelle  (le  quarante-six  yards (i)  chacune, 
faisant  47,840,000  yards  par  an.  Dans  ce  nombre,  on  en 
exporte  17,840,000  yards,  et  le  reste,  s' élevant  à  traite 
ïnilîtons  de  yards ,  est  consommé  dans  la  Grande-Bretagne, 
ce  qui  fait  à  peu  près  une  yard  et  demie  par  individu.  On 
f;\it  aussi  de  la  flanelle  d'une  bonne  qualité  dans  le  pays  de 
Galles;  on  en  fabrique  également,  mais  d'une  qualité  iufé- 
rieure,  à  Reswlck  et  dans  quelques  autres  villes  du  royaume. 
Il  existe,  en  outre,  plusieurs  manufactures  de  ce  genre 
sur  le  continent,  et,  dans  ce  moment,  on  en  établit  aux 
Etats-Unis  d'Amérique.  Mais  la  totalité  de  la  flanelle  qui  se 
fabrique  sur  les  différens  points  du  globe ,  n'égale  pas  la 
(juantité  de  celle  qui  se  fait  à  Eochdale  et  dans  son  voisinage 
immédiat.  Le  prix  de  ce  tissu  varie  de  5  deniers  (  10  sous)  , 
à  5  sb.  (  3  fr.  Go  c.  ),  par  yard  ;  de  manière  que  la  valeur 
annuelle  de  la  flanelle  fraljrlquée  à  Rochdale  s'élève  à  la 
somme  énorme  de  trois  millions  slerliags  (75,000,000  fr.). 
La  laine  employée  représente  à  peu  près  la  moitié  du  prix 
de  vente  :  les  salaires  et  les  autres  frais  de  fabrication  re- 
présentent la  seconde  moitié. 

Puissances  des  machines.  —  On  calcule  qu'à  l'aide  des 
machines,  deux  centsbras  fabriquent,  de  nos  jours,  autant  de 
tissus  de  coton  que  pouvaient  en  fabriquer  vingt  millions  de 
bras,  sans  machines,  ily  a  quarante ausj  eèquepour  fabriquer 
sans  machines  la  quantité  de  coton  qui  se  fabrique  annuelle- 
ment dans  la  Grande-Bretagne ,  il  faudrait  le  travail  de  seize 
millions  d'ouvriers,  qui  emploieraient  la  simple  roue  à  filer. 

Ou  calcide  en  outre  que  la  quantité  des  produits  de  tout 
genre,  fabriqués  aujourd'hui  à  l'aide  des  machines,  est  telle, 
que  pour  fabriquer  cette  même  quantité  sans  machines  ,  il 
Jaudrait  y  employer  le  travail  de  quatre  cents  millions 
d'ouvriers. 

(i)  On   coim)te   rommunément  que   78  aunes  fie  Franrp   font   100 
yards. 


du  commerce  y  de  l'industrie  ,  etc.  i(ji 

Appareil  pour  haler  à  terre  les  bâtimens  qu'on  veut  ra- 
douber. —  Ce  nouvel  appareil ,  fort  ingénieux ,  paraîê  avoir 
plusieurs  avantages  sur  le  mode  employé  Jusqu'ici.  Voici 
quelques-uns  de  ces  avantages. 

Le  bâtiment  qu'il  s'agit  de  radouber,  peut  être  lialé  à 
terre ,  visité ,  radoubé  (  si  toutefois  il  n'y  a  que  de  légèrrs 
réparations  à  faire  )  ,  et  lancé  de  nouveau  ea  mer  pendant 
la  durée  d'une  même  marée  ;  et  la  réparation  d'un  navire 
n'est  jamais  interrompue  par  l'opération  nécessaire  pour  en 
haler  à  terre  un  autre  qu'on  veut  également  mettre  en  ré- 
paration :  ce  qui  a  lieu  lorsqu'on  radou])e  dans  un  chan- 
tier ,  puisqu'il  faut  remplir  le  chantier  d'eau  pour  qu'un 
autre  bâtiment  y  arrive.  Ce  nouveau  procédé  est  plus  ex- 
péditif ,  le  bâtiment  qu'on  haie  avançant  sur  un  plan  in- 
cliné ,  à  raison  de  deux  pieds  et  demi  jusqu'à  cinq  pieds  par 
minute.  Il  a  aussi  l'avantage  de  l'économie  ,  car  les  frais 
de  l'opération  entière ,  tant  pour  ba'.er  le  bâtiment  à  terre 
que  pour  le  relancer  en  mer ,  en  le  supposant  du  por4,  de 
aoo  à  3oo  tonneaux ,  ne  s'élèvent  pas  à  plus  de  5o  schel- 
lings  (  57  fr.  5o  cent.  )  ,  et  les  frais  de  construction  de  l'ap- 
pareil ne  se  montent  qu'à  un  dixième  de  ceux  qu'exige  la 
construction  d'un  chantier.  Enfin  ,  ce  même  appareil  est 
susceptible  d'être  employé  là  où  il  serait  impossible  d'éta- 
blir un  cliantier  ;  il  peut  se  transporter  d'un  lieu  dans  un 
autre,  et  môme  être  placé  à  bord  du  bâtiment  auquel  on  se 
propose  de  l'appliquer. 

Sur  l'emploi  du  cuir  pour  doubler  les  bâtimens  de  mcr^ 
— •  On  s'est  assuré  ,  par  des  expériences  multipliées ,  que 
le  cuir  ne  s'altère  pas  lorsqu'il  est  plongé  dans  Veau  ;  qu'il 
n'est  pas  sujet  à  être  ronge  par  les  vers,  et  quil  no  s'use 
pas  non  plus  par  le  cboc  des  vagues.  D'après  c's  pro- 
priét<?s,  on  a  pensé  qu'il  v  aurait  une  grande  écouoniie  à 
le  substituer  au  cuivre ,  a»  zinc  et  même  au  bois  ,  pour 
doublure  des  bâtimens  de  mer.   Un  navire  f|ui  ,  avant  de 


1 9^  Nouvelles  des  sciences , 

quitter  nos  côtes,  avait  été  doublé  eu  cuir  de  semelle  ,  et 
qui  est  revenu  dernièrement  de  l'Océan  austral ,  après  une 
absence  de  trente-six  mois,  s'est  trouvé  dans  le  meilleur 
état  possible.  Le  cuir  de  la  doublure  est  même  plus  fort  et 
plus  solide  qu'il  ne  l'était  avant  le  départ  du  bâtiment ,  el 
il  n'est  nullement  attaqué  par  les  vers. 

Procédé  de  M.  Mackiiitosh  ,  pour  rendre  toute  espèce 
d'étoffes  ,  le  drap ,  le  cuir  ,  le  papier,  etc.  ,  ùîiperniéahles  à 
l'air  et  à  l'eau.  —  Ce  procédé  important ,  que  nous  de- 
von's  à  la  sagacité  de  M.  Charles  Mackintosh ,  consiste  à 
réunir  les  surfaces  de  deux  pièces  d'étoffes  par  un  vernis 
flexible  fait  avec  le  caout-chouc  dissous  dans  l'huile  de 
napbte  que  l'on  obtient  de  la  distillation  du  cbarbon.  Ce 
vernis  est  composé  de  douze  onces  de  caout-cliouc  et  d'un 
verre  d'huile.  On  peut  employer  la  chaleur  pour  la  dis- 
soudre, après  quoi  on  le  passe  au  tamis.  On  élend  alors 
d'une  manière  quelconque  l'étoffe  ,  et  on  la  couvre  avec  une 
brosse  d'une  couche  de  ce  vernis  élastique.  Lorsque  le  vernis 
est  devenu  gluant ,  ou  applique,  sur  la  première,  une  autre 
pièce  d'étoffe  qui  a  été  vernie  de  même.  On  soumet  à  une 
certaine  compression  l'étoffe  ainsi  préparée ,  et  on  la  fait 
sécher  ensuite.  Le  journal  anglais  qui  rapporte  ce  procédé, 
en  considère  l'efScacité  comme  incontestable. 

Fers  à  cheçal  en  acier.  —  Le  pied  du  cheval  se  compose 
à  son  extrémité ,  d'une  matière  élastique  qui  se  contracle 
et  se  dilate  ,  suivant  qu'elle  est  comprimée  ou  non  par  le 
poids  de  l'animal.  Le  fer  ,  qu'on  y  ajoute  communément , 
est  un  cercle  en  matière  non  élastique ,  qui  gêne  l'action  du 
pied,  et  cause,  à  cet  organe,  des  cors  et  autres  callosités 
qui  estropient  l'animal.  Il  produit  aussi  des  ossifications  aux 
parties  cartilagineuses  et  des  abcès  qui  causent  à  l'animal  de 
cruelles  souffrances  et  ime  vieillesse  prématurée. 

Il  y  a  quelques  années  qu'un  propriétaire,  amateur  de 
chevaux,  fit,  de  concert  avec   un  chirurgien  vétérinaire^ 


du  commerce ,  de  l'industrie,  etc.  193 

M.  Bracy  Clark,  des  expérinces  clans  le  but  de  détermi- 
ner pourquoi  le  cheval  est  le  seul  animal  (  l'homme  ex- 
cepté )  qui  souffre  de  maladies  de  pieds  5  et  il  conclut  de 
ses  expériences,  que  ces  maladies  devaient  s'attribuer  au 
fer  non  élastique  qu'on  leur  fait  porter.  Ayant  trouvé  la 
cause  du  mal ,  11  ne  restait  que  le  remède  à  chercher.  Dans 
ce  but ,  le  chirurgien  vétérinaire  Inventa  un  fer  à  cheval 
en  acier ,  qui  se  trouve  être  exempt  des  Inconvéniens  du 
fer  à  cheval  ordinaire.  Ce  n'est  qu'i^près  de  nombreux  essais, 
auxquels  il  a  employé  plusieurs  années  ,  qu'il  est  parvenu 
à  le  perfectionner.  Il  l'appelle ,  the  steel  tablet  expan- 
sion shoe  [fer  à  cheval  élastique  ,  formé  de  feuillets  d'acier). 
Ce  fer  a  beaucoup  de  succès  ,  et  on  en  conseille  l'usage  à 
tous  ceux  qui  veulent  ménager  les  pieds  de  leurs  chevaux. 
Le  maréchal  qui  le  fabrique  se  nomme  Samuel  Davy , 
et  il  demeure  près  de  la  première  barrière  sur  V Edgeware 
Road. 

Moyens  de  rendre  toutes  les  espèces  de  papiers  incomhus- 
tihîes.  — Ce  résultat  merveilleux  est  obtenu  par  un  procédé 
extrêmement  simple.  Il  est  indifférent  que  le  papier  soit 
blanc  ,  écrit ,  imprimé  ,  peint  ou  marbré.  La  seule  chose 
qui  soit  nécessaire ,  c'est  de  le  tremper  dans  une  forte  so- 
lution d'eau  d'alun,  et  ensuite  de  le  bien  faire  sécher.  On 
peut  facilement  se  convaincre  de  l'efiicacité  de  ce  procédé , 
en  tenant  un  morceau  de  papier  ainsi  préparé  au-dessus  de 
la  tlamme  d'une  bougie.  Il  y  a  cependant  du  papier  qui  a 
besoin  d'être  imbibé  plus  fortement  qu'il  ne  pourrait  l'être 
par  une  seule  immersion.  Dans  ce  cas ,  il  faut  recommencer 
l'opération  de  le  tremper  et  de  le  faire  sécher  ,  Jusqu'à  ce 
qu'il  ait  été  complètement  saturé.  On  assure  que  ce  pro- 
cédé ,  loin  d'altérer  la  couleur  ou  la  qualité  du  papier > 
contribue  au  contraire  à  les  améliorer. 


«94 


Noiwelles  des  sciences , 

BOURSE    DE    LONDRES. 


Prix  dts  actions  dans  les  diffêrens  canaux,  docks,  travaux  hydrau- 
liques ,  Compagnies  des  mines,  etc.,  pendant  le  mois  d'oct.  1825. 


A^^htnn 

Birmingliani y^ . . 

Coventi*y •  p. 

Elesmei-e  et  Chester 

Grande  Jonction 

Huddei-fCeld 

Kennet  et  Avon 

Lancasler 

Leeds  et  Liverpool 

Oxford 

Ré;;ent 

Roclidale 

Stafl'ord  et  Worcester 

Trent  et  Mersey . 

Warwict  et  Birmingham 


Commercial 

Indes  orientales . . 

Londres 

Indes  occidentales. 


TRAVAUX  HYDRAULIQUES. 


Londres  (orientale). . . . 

Grande  Jonction 

Kent 

Londres  (méridionale). 
Middlesex  occidental.. 


COMi'AGNIF.S  UU  GAZ. 


Cité  de  Londres 

Nouvelle  cité  de  Londres, 

Impériale 

Nouvelle  Impériale 

Générale  unie 

Westminster 


COMPAGNIES  D'ASSURANCE. 


Alliance.    ■    .   . 
Id.    maritime 

Globe 

Gardien 

Impériale.  ■  .  . 
Londres.  .  .  • 
Protectrice.  .  . 
Echange  Royal 


PaiK 
primitif 

des 
Actions. 


100 
loa 


I\loNTANT 

(les 
versemens 

des  Ac- 
tionnaires 


100 
i33 
100 

kl 
100 

40 

85 
i^o 
100 
100 


100 

-■i 

100 

120 

100 

-   ffl 

100 

»i5 

100 
5o 
100 
100 
65 


100 

00 

100 

i)0 

5o 

40 

5o 

40 

5o 

iS 

5o 

5o 

5 
100 
5o 

«2     10 


Octobre 
1826. 


25o 

340 

1200 

125 

3o5 

32 

2G 
^45 

800 

5o 
120 


iS5 
80 
38 


i3   10 
ri    10 

i(;8 


2:î 

4  10 
2-5 


ftu  commerce  de  l'industrie  ,  etc . 


195 


COMPAGNIES  DES  MINES. 


Anslo-IVIexicaine 

/</.  Chili 

Bré^ilieaDe 

r^stello 

Cliilienne 

Colombienne 

Haïtienne 

Potose 

Keal   del  monte 

Kio  rie  la  Plata 

Mexjcâine-Unie 

SOCIÉTÉS  DIVERSKS. 

Compagnie   d^AgricuUure  Australienne. 
1,1.  id.  (1.1  Canada.   . 

/,/.  i.l.  de  la  Colombi 


Banque   d'Irlande 

Compagnie  d'agriculture  de  Rio  de  la  Plata.. 
ï(h  des  Indes  occidentales 


Prix 

primitifs 

des 
Actions. 


100 
100 
100 
100 
100 
100 
100 
100 

5o 
400 
100 

40 


100 

i 

100 

10 

100 

5 

100 

10 

25 

12 

40 

4 

100 

S'h 

100 

I 

100 

5 

5o 

I 

100 

10 

Montant 

des 
versemens 

des  Ac- 
tionnaires 


3o 
5 
S 
5 
5 
5 
5 
5 
5 
3oo 
5 


Cours 


Octobre 

)82(J. 


80 
5 
II   10 

7    5 
1 1 
18 

9 

't  10 
5  10 


Cours  des  fonds  publics  anglais  et  étrangers,  depuis  le  2/^ 
août  jusqu'au  5o  septembre  i825. 


FONDS    ANGLAIS.                               Plus  haut.  Plus  bas.         dern.  cour, 

Banck  Stock,  8  p.  «/o ^3i    ....  227    1/2.       ferme'. 

3  p.  «/o  consol 89  3/4.  86  1/4.     88  1/3 

3  p.  0/0  réduits 90   1/2 .  87    ,  . .  .       ferme. 

3  1/2  p.  7o  réduits 98  3/8 .  9^  3/8 ,       fermé. 

Nouveau  4  p- °/o ^°4   ••••  99  7/8-      io3   .... 

Longues  annuités  expirant  en  1860...      22  .3/i6  21    3/i6      fermé. 

Fonds  (le  l'Inde  10  1/2  p.  0/0 207    1/4.    261     ....    266  1/2 

Obligations  de  l'Inde,  3  p.  "/o 43s-p.in.  los.  p. m.    i4s.p. m. 

Billets  de  l'Echiquier  ,  2  i/4  p.  "/«•  •  •  •    '  20s.  p.m.  1  s.    dis.     l^  s.p.m. 


ig6         Nouvelles  des  sciences  ^  du  commerce  .^  etc. 

FONDS   ÉTRANGERS, 

Plus  haut.       Plus  bas.       dero.voun. 

Obligations  autrichiennes,  5  p.  o/o.  . .     98  1/2.    96   . . .  .  y8   i/i 

I(i.  du  Brésil Id 781/2.     74   ... .       761/2 

Id.  (le  Buenos-Ayres  ,  6  p.  "/o . . .     88  3/4 .    83  ... .  83  1/2 

/J.  du  Chili  /J 81    ....    70    ....       75   1/2 

jTû?.  de  Colombie,  1822. /û?. 85    ....    72    ....  763/4 

Id.  Id.,i824.Id 84  ....  71    ....     753/4 

Id.  de  Danemarck ,  5  p.  "/o....   ici    ....  100    ....  ici    1/8 

Rentes  françaises,  5  p.  °/c 102  3/4.    loo   1/4.       99  ex,  d. 

Obligations  grecques,  /</. 4^    *••■   ^^    •'••      ^^   '/^ 

Jd.  du  Mexique  , /c? 74  3/4.    63  3/4.       72   1/2 

/J.  deNaples,     Jd. 881/2.    87    . . . .      88    . . . . 

Id.  du  Pe'rou  ,     6  p.  "/o 78   1/2 .    66   ....      67  3/4 

Id.  du  Portugal,  5  p.  «/o 86  1/2 .    79  1/4.      83  1/2 

/c?.  de  Prusse,  1818, /c? ici  3/4.   99  3/4-  100  3/4 

Id.  Id.1821,  Id 100  3/4.     99   ••..  100   .... 

Id.  de  Russie ,  Id 97  i/4 .  89  1/2  ex.d.  94  ex.d. 

Id.  d'Espagne ,  Id. 22  3/4.   17    1/2 .      18   , . . . 


OCTOBRE   î825. 
REVUE 

HISTOIRE  NATURELLE.  —  ÉCONOMIE 
DOMESTIQUE. 


Du    PROJET    d'introduire     LE     POISSON    DE     IVIER     DANS 
l'eau     DOUCE  ,    ET    DE    PRIVER    DE   NOUVELLES    ESPECES 

d'animaux. 


Le  docteur  Mac  Cullocli,  en  s'autorisant  des  expé- 
riences faites  dans  File  de  Guernsey,  par  INT.  Arnold, 
a  proposé  dernièrement  d'introduire  le  poisson  de  mer 
dans  l'eau  douce ,  et  concuri'emment  de  le  parquer  ,  si 
l'on  peut  employer  cette  expression  ,  dans  des  dépôts  d'eau 
salée.  Comme  ce  projet  n'a  pas  été  examiné  avec  toute 
l'attention  qu'il  mérite  ,  nous  croyons  devoir  en  entretenir 
nos  lecteurs  avec  quelques  développemens.  Nous  leur  com- 
muniquerons ensuite  plusieurs  observations  qui  nous  ap- 
partiennent ,  sur  un  sujet  analogue. 

L'époque  où  nous  vivons  est  généralement  considérée 
comme  favorable  aux  améliorations  de  tout  genre.  Notre 
intention  n'est  pas  de  contredire  cette  manière  de  voir. 
Cepcjndant  il  faut  avouer  que  l'espèce  humaine  manifeste 
toujours  une  singulière  répugnance  pour  les  innovations. 
Presque  toutes  ont  eu  à  lutter  contre  des  préventions  opi- 
niâtres,  et  plusieurs  sans  pouvoir  les  vaincre.  Il  ne  nous 


igS  Du  projet  d'introduire  le  poisson  de  mer 

faudrait  pas  beaucoup  d'efforts  pour  produire  des  preuves 
nombreuses  ,  à  l'appui  de  ce  que  nous  avançons  j  mais  il 
nous  faudrait  beaucoup  de  place.  Nous  nous  contenterons 
d'en  rapporter  quelques-unes,  dont  Ténumération  ne  sera 
pas  sans  utilité. 

La  patente  de  Watt  était  expirée  avant  qu'il  eût  vendu 
assez  de  machines  à  vapeur  pour  rentrer  dans  ses  avances  j 
et  ces  machines  n'étaient  pas  encore  d'un  usage  général,  à 
la  fin  de  la  prolongation  de  quatorze  ans  que  le  Parlement 
lui  avait  accordée,  quoiqu'il  n'y  eût  pas  moins  de  vingt- 
huit  ans  d'écoulés  ,  depuis  l'époque  de  leur  invention.  Il  y 
avait  plus  de  cinquante  ans  que  le  système  de  la  navigation 
à  vapeur  avait  été  proposé ,  lorsqu'on  en  fit  la  première 
application.  C'est  en  vain  que  ,  bien  long-tems  après  cette 
découverte ,  lord  Stanhope  en  avait  de  nouveau  recom- 
mandé l'usage.  Vingt-deux  bateaux  à  vapeur  naviguaient 
sur  la  Clyde  ,  en  Ecosse  ,  lorsque  l'Angleterre  n'en  possé- 
dait pas  encore  un  seul  ;  et  l'Amérique  du  Nord  effectuait, 
depuis  plusieurs  années,  vme  grande  partie  de  ses  trans- 
ports, au  moyeu  de  la  vapeur,  avant  que  nous  crussions  à 
la  possibilité  de  suivre  son  exemple.  C'est  inutilement  que 
l'on  a  tenté  ,  dans  le  comté  de  Kent ,  de  substituer  la  char- 
rue écossaise  à  deux  chevaux ,  à  cette  lourde  et  incommode 
machine  qui  ne  peut  être  ébranlée  que  par  quatre  ou  six 
chevaux,  et  qui,  avec  une  dépense  double,  fait  moitié 
moins  d'ouvrage. 

C'est  avec  tout  aussi  peu  de  succès  que  l'on  a  essayé 
d'abréger  les  procédures  et  de  diminuer  les  épices  des  tri- 
bunaux ;  et  de  persuader  aux  membres  du  clergé  qu'ils  tou- 
chent la  dîme  pour  résider  dans  leurs  paroisses  et  pour 
instruire  leurs  ouailles  ,  et  non  pas  pour  tirer  des  perdrix 
dans  le  Norfolk,  ou  jouer  au  Avhist  à  Balh. 

Il  n'y  a  encore  qu'un  petit  nombre  d'années  que  nous 
avons  adopté  l'usage  si  commode  de  porter  des  cheveux 


dans  l'eau  douce  ,  etc.  199 

courts  et  sans  poudre.  Que  de  peines  n'a  pas  eues  lady 
Montague  pour  introduire  rinoculatiou  ;  Pierre-le-Grand , 
pour  raser  ses  Scythes  j  et  le  (^uarterly  Rei>iew ^  pour  hu- 
maniser son  langage  !  Celle  dernière  réforme  peut ,  il  est 
vrai ,  être  considérée  comme  une  des  plus  extraordinaires 
de  notre  époque. 

Nous  pourrions  prolonger  cette  éuuméralion  hien  da- 
vantage; mais  cela  deviendrait  aussi  fatiguant  pour  le  lec- 
teur que  pour  nous.  Les  améliorations  sont  nécessairement 
des  réformes ,  et  c'est  pour  cela  qu'elles  réussissent  si  rare- 
ment. Tout  est  pour  le  mirux ,  dit-on.  Nos  pères  étaient* 
plus  sages  que  nous,  car  ils  étaient  plus  anciens.  Les  vieil- 
lards sont  toujours  sages ,  attendu  que  leur  barbe  est  plus 
longue  que  celle  des  jeunes  geus.  Gardez-vous  de  lâcher  la 
bride  à  votre  coursier;  Dieu  sait  où  il  pourrait  vous  con- 
duire .'  Lorsqu'en  France  qu  commença  à  couper  les  che- 
veux, on  ne  tarda  pas  à  couper  les  têtes.  La  réforme  du 
bourg  pourri  d'Old  Sarum  conduirait,  peut-être,  à  celle  du 
comté  d'York.  Si  nous  supprimions  la  perruque  du  chan- 
celier ,  nous  supprimerions  ensuite  ses  six  clercs ,  les  ré- 
pliques ,  les  ajourneœens  ,  etc.  ,  etc.  Qu'an  rat  s'introduise 
dans  les  digues  ,  et  bientôt  il  submergera  toute  la  Hollande. 

C'est  par  ces  raisons  que  le  prudent  George  III  n'a 
jamais  voulu  réformer  les  perruques  des  évêques.  Si  les 
médecins  eussent  conservé  les  leurs ,  leurs  fonctions  ne 
seraient  pas  aujourd'hui  usurpées  par  les  apothicaires  ,  et 
la  génération  actuelle  ne  s'en  porterait  que  mieux.  Les 
Français  ont  démoli  la  Bastille,  et  on  sait  comment  cela 
a  fini. 

La  Chine  devrait  servir  de  modèle  aux  nations.  Pékin, 
la  ville  élernelle,  ne  réforme  rien  ,  et  c'est  pour  cela  qu'elle 
es.t  éternelle.  Les  Turcs  fument  leurs  pipes  et  s'asseyent 
comme  des  tailleurs,  depuis  le  tems  d'Osman  et  de  l'invin- 
cible Amural  ;  aussi  sont-ils  encore  à  la  même  place. 


200  Du  projet  d' introduire  le  poisson  de  mer 

Lorsque  les  Romains  substituèrent  la  soie  à  la  laine  qu'ils 
portaient  auparavant,  ils  commencèrent  à  décheoir.  Si 
Rome  n'eût  pas  changé  sa  toge ,  elle  serait  encore  debout. 
Ne  changez  rien  5  et  alors  esto  perpétua  comme  les  Esqui- 
maux. 

Si  les  améliorations  sont  préjudiciables  aux  intérêts  po- 
litiques des  peuples  ,  elles  le  sont  encore  davantage  à  leur 
moralité.  On  connaît  ces  sages  maximes  :  «  Contentus 
parvo.  »  «  Un  cœur  content  vaut  mieux  que  la  richesse.  » 
«  Celui  qui  ne  désire  rien  ,  dit  Cicéron ,  ressemble  aux 
'dieux.  »  Le  désir  est  un  état  pénible  pour  Famé  ;  or  il  pré- 
cède ordinairement  les  améliorations;  donc  il  est  prudent 
de  ne  pas  améliorer.  Nos  méthodistes  ,  nos  radicaux ,  nos 
démagogues,  sont-ils  autre  chose  que  des  mécontens?  Si 
Caïn  eût  été  content ,  il  n'aurait  pas  failli.  Et  Troie ,  pour- 
quoi a-t-elle  été  détruite?  Parce  que  Paris  s'était  lassé  d'être 
célibataire,  et  que  Ménélas  ne  voulait  pas  rester  veuf. 

C'est  par  ces  puissantes  considérations,  et  d'autres  de 
même  force  ,  que  Ton  témoigne  communément  si  peu  de 
faveur  pour  les  améliorations  ;  que  les  novateurs  sont  si 
mal  accueillis  ,  que  lorsque  quelqu'un  présente  un  projet, 
il  ne  trouve  presque  jamais  personne  pour  l'aider  ,  et  qu'au 
contraire  c'est  à  qui  élèvera  des  objections.  Mais  sans  nous 
laisser  gagner  par  cette  disposition  générale  des  esprits , 
nous  allons  rendre  compte  des  moyens  que  l'on  propose 
pour  fournir  de  nouveaux  alimens  aux  babitans  des  trois 
royaumes. 

Le  docteur  Mac  Culloch  assure  qu'on  s'est  convaincu, 
par  des  observations  et  des  expériences  plusieurs  fois  répé- 
tées,  que  beaucoup  de  poissons  de  mer  n'ont  aucune  ré- 
pugnance pour  l'eau  douce  3  et  au  contraire  qu'ils  y  vivent , 
qu'ils  y  croissent  et  qu'ils  s'y  nourrissent  tout  aussi  bien  que 
dans  leur  clément  naturel.  Il  n'y  a,  dit-Il,  aucune  raison 
chimique  pour  que  cela  doive   être  autrement.    L'eau  est 


dans  l'eau  douce  ,  etc.  20 1 

pour  les  poissons  la  même  chose  que  l'air  pour  les  animaux 
qui  vivent  sur  la  terre,  le  médium  de  la  respiration  et  du 
mouvement.  Elle  agit  sur  leurs  o\iies  qui  sont  leurs  pou- 
mons ,  par  le  moyeu  de  l'oxigène  quelle  contient.  Or,  il  a 
été  démontré  qu'il  est  plus  facile  de  dégager  Foxigène  de 
Veau  douce  que  de  Teau  de  mer  ,  et  que ,  par  conséquent , 
l'acte  de  la  respiration  doit  se  faire  plus  aisément  dans  la 
premièi-e  que  dans  la  seconde. 

Il  est  également  démontré  que  les  eaux  douces  contien- 
nent les  mêmes  variétés  de  col ,  pour  recevoir  le  frai ,  que 
la  mer  elle-même  ,  et  qu'ainsi  il  n'y  a ,  à  cet  égard ,  aucune 
difficulté.  Quant  aux  alimens ,  quoique  Ton  suppose  que 
certains  poissons  mangent  des  herbes  marines ,  il  est  in- 
contestable que  !a  plupart  sont  exclusivement  carnivores. 
Les  différentes  espèces  Avivent  en  se  mangeant  les  unes  les 
autres ,  même  celles  qui  paraissent  consommer  un  peu  de 
matière  végétale.  I^es  plus  grands  dévorent  les  plus  petits, 
et  par  conséquent  là  où  il  y  a  des  espèces  variées  et  en 
quantité  suffisante ,  il  est  impossible  qu'il  y  ait  disette  d'ali- 
mens.  Une  morne  peut,  d'une  seule  fois ,  avoir  six  millions 
de  petits,  puisque  c'est  le  nombre  d'œufs  qu'elle  porte  :  il 
est  donc  bien  difficile  qu'il  y  ait  Insuffisance  de  nourriture 
pour  les  poissons.  Il  semble  même  que  la  nature  ne  leur 
ait  accordé  cette  fécondité  merveilleuse  que  pour  qu'ils 
aient  toujours  assez  de  moyens  de  subsistance.  Quant  à  la 
végétation  sous-marine,  il  paraît  qu'elle  n'a  été  créée  que 
pour  leur  servir  d'asile  et  de  lieux  de  refuge  ,  et  non  pas 
d'aliment  ;  car  il  est  bien  loin  d'être  démontré  d'une  ma- 
nière positive,  qu'aucun  d'eux  mange  réellement  de  ces 
herbages . 

Ainsi  le  raisonnement  et  l'expérience  détruisent  égale- 
ment les  objections  que  l'on  a  faites  contre  la  possibilité 
d'acclimater  le  poisson  de  mer  dans  l'eau  douce.  Nous 
pourrons  l'élever  aussi  facilement  que  nos  anlirraux  dômes- 


•20'i  Du  projet  d^introduire  la  poisson  de  tuer 

tiques  ;  et ,  pour  cela  ,  il  ne  sera  pas  même  nécessaire 
d'avoir  toujours  recours  à  Teau  douce,  qui,  cependant,  dans 
beaucoup  de  cas  ,  présentera  de  grands  avantages.  Nous 
trouverons  sur  nos  côtes  une  multitude  d'endroits  où  il  sera 
très-aisé  d'établir  des  enclos  pour  le  garder,  soit  comme 
objet  de  spéculation,  soit  pour  notre  consommation  per- 
sonnelle, et  oii  nous  l'aurons  tout  autant  sous  la  main  que 
nous  pouvons  avoir  la  volaille  de  nos  basses-cours. 

Il  existe  déjà ,  depuis  plusieurs  années ,  trois  enclos  de 
ce  genre  dans  la  Grande-Bretagne.  Quoiqu'ils  aient  parfai- 
tement réussi,  ils  n'ont  pas  été  imités,  tant  nous  mettons 
de  lenteur  à  adopter  les  innovations  dont  les  avantages  sont 
le  plus  palpables  !  lien  existe  aussi  à  Bermude  et,  dans  la 
Grèce,  à  Missolongîii  ,  sur  les  côtes  de  l'Adriatique.  Les 
habitans  des  deux  contrées  prennent  le  poisson  pour  !e  par- 
quer dans  ces  enclos  ,  où  ils  le  conservent  et  l'engraissent 
comme  des  animaux  privés. 

Il  est  assez  curieux  que  nous  qui  passons  une  grande 
partie  de  notre  jeunesse  à  apprendre  le  latin ,  à  la  vérité 
pour  l'oublier  quand  nous  sortons  du  collège  ,  nous  ne  sa- 
cbions  pas  que  l'usage  de  parquer  le  poisson  de  mer  était 
général  dans  Fancienne  Rome ,  et  que  c'était  même  une 
des  branches  les  plus  importantes  de  son  économie  domes- 
tique. L'exemple  du  peuple  romain  fait  voir  également  qu'il 
est  possible  d'élever  le  poisson  de  mer  dans  l'eau  douce  j 
car  dès  les  premiers  tems  de  la  république  ,  les  cultivateurs 
allaient  ramasser  des  œufs  dans  la  mer,  pour  les  transpor- 
ter dans  les  !acs  qui  sont  dans  le  voisinage  de  Rome.  Plus 
tard  cette  pratique  avait  été  singulièrement  perfectionnée 
par  les  plus  riches  patriciens ,  qui  attachaient  autant  de 
prix  aux  poissons  de  mer  qu'ils  élevaient  dans  leurs  étangs, 
que  nous  pouvons  en  attacher  aujourd'hui  aux  plantes 
exotiques  de  nos  serres  chaudes.  Un  passage  de  CoUimelle 
peut  nous  donner  uue  idée  de  la  grande  étendue  et  de  !'im- 


dans  l'eau  douce  ,  etc.  2o3 

portance  de  ces  étangs  ,  et  des  dépenses  qu  occasionalt 
leur  entretien.  Mais ,  comme  il  nous  serait  facile  de  le  faire 
voir  ,  les  Romains  ne  se  bornaient  pas  à  priver  les  poissons  : 
ils  privaient  aussi  beaucoup  d'autres  animaux  qui  vivent 
sur  terre  ;  et  il  est  incontestable  qu'à  cet  égard ,  au  lieu 
d'améliorer  les  usages  de  cette  grande  et  puissante  nation, 
nous  avons  au  contraire  fait  beaucoup  de  pas  rétrogrades. 
Il  paraît  cependant  que  l'usage  de  déposer  le  poisson  de 
mer  dans  l'eau  douce  s'est  conservé  en  Sicile  j  car  le  capi- 
taine Smith  assure  qu'encore  aujourd'hui ,  les  habitans 
transportent  le  mulet  et  le  homard  dans  !e  lac  de  Biviera  , 
afin  d'en  améliorer  la  qualité. 

Cette  dernière  preuve  est  sans  réplique  et  ne  permet- 
trait pas  de  traiter  de  chimériques  les  idées  du  docteur 
Mac  Culloch  ,  quand  bien  même  la  possibilité  de  lesnaettre 
à  exécution  ne  serait  pas  démontrée  par  le  succès  des  es- 
sais de  M.  Arnold.  Mais  quelques  personnes  prétendent 
que  le  poissoa  de  mer ,  sorti  de  sou  élément  naturel ,  ne 
peut  pas  manquer  de  se  détériorer  et  de  perdre  la  saveur 
qui  lui  est  propre.  liCS  Romains  étaient  d'une  opinion  Lieu 
différente  ,  comme  on  peut  en  juger  par  les  frais  qu'ils  fai- 
saient pour  l'élever  dans  des  étangs ,  quoiqu'ils  fussent  si 
rapprochés  des  côtes  j  et ,  eu  effet ,  il  est  constant  qu'il  s'est 
toujours  améhoré  dans  l'eau  douce  ,  qu'il  s'y  engraisse  ,  et 
que  sa  chair  y  acquiert  un  goût  plus  délicat,  «  Il  est  prouvé 
par  les  expériences  que  j'ai  faites  ,  dit  M.  Arnold ,  que  la 
loche  devient,  dans  l'eau  douce  ,  doux  fois  plus  forte  qu'elle 
ne  l'est  dans  la  mer.  La  limande  y  devient  souvent  trois 
fois  plus  grosse,  et  elle  y  perd  sa  marbrure.  Le  mulet  n'y 
augmente  pas  en  longueur,  mais  il  y  grossit  beaucoup,  et 
il  présente  une  couche  de  graisse  bien  plus  considérable 
que  -de  coutume.  On  sait  généralement  que  les  huîtres  ne 
sont  jamais  bonnes,  avant  d'avoir  été  transportées  de  la  mer 
dans  l'eau  douce.    liCs  seules  qui  soient  bonnes  naturelle- 


2o4  •0«  projet  d'introduire  le  poisson  de  mer 

meut ,  celles  que ,  dans  les  marchés ,  on  désigne  sous  le 
nom  (le  Notii^s,  sont  toujours  recueillies  dans  les  endroits 
où  Teau  douce  se  réunit  à  la  mer. 

Il  existe  plusieurs  poissons  de  mer  qui  vivent  dans  Teau 
douce  sans  y  avoir  été  contraints  par  l'homme.  Ce  sont 
le  congre ,  la  sardine  ,  le  gade-tacaud  -  la  molette  ,  l'alose , 
la  grande  lamproie,  la  petite  lamp'oie,  Tépinoche ,  l'é- 
per'an,  le  quadricorne,  le  surmulet,  le  carrelet,  le  car- 
relet rouge,  la  baleine  Manche,  la  m  us  telle ,  le  molle,  le 
maquereau  ,  le  hareng,  la  morue ,  la  loche  ,  la  loche  rouge, 
le  langoustin,  le  saumon,  l'anguille,  la  chevrette,  le  crabe, 
et  quelques  autres  encore. 

M.  Arnold  est  parvenu,  en  outre,  à  acclimater  dans 
l'eau  douce,  les  poissons  suivans  qui  n'y  viennent  pas  natu- 
rellement :  la  limande ,  l'atherine ,  la  sole ,  le  boulereau  , 
le  bellicant,  le  lien,  le  turbot,  les  huîtres  ,  les  moules,  etc. 

En  résumé  ,  toutes  les  fois  qu'on  a  voulu  acclimater  un 
poisson  de  mer  dans  l'eau  douce  ,  on  y  est  toujours  par- 
venu ,  quand  on  s'y  est  pris  d'une  manière  convenable ,  et 
les  différentes  espèces  s'y  sont  propagées ,  lorsqu'elles  ont 
eu  le  tems  nécessaire  pour  le  faire.  Ce  qui  est  remarquable 
encore ,  c'est  que  l'expérience  a  réussi ,  alors  même  que 
l'eau  éprouvait  des  changemens  alternatifs  ,  et  que  de  salée 
elle  devenait  saumâlre,  puis  douce  et  successivement  par 
rotation.  On  n'a  pas  eu  besoiu  de  donner  des  alimens  aux 
poissons  de  mer  que  l'on  avait  privés  :  ils  se  sont  multi- 
pliés d'une  manière  prodigieuse  tout  en  se  servant  les  uns 
aux  autres  de  pâture,  et  c'est  ainsi  qu'un  étang  de  cinq 
^cres  ,  qui  n'était  autrefois  d'aucune  valeur  ,  est  actuelle- 
ment la  source  d'un  revenu  considérable. 

Partant  de  ces  faits ,  qui  sont  incontestables  ,  l'auteur 
du  projet  propose  ,  en  premier  lieu  ,  d'utiliser  ces  grands 
espaces  remplis  d'eau  douce  qui  se  trouvent  dans  les  trois 
royaumes,  en  1rs  approvisionnant  de  poissons  de  mer.  Il 


dans  l'eau  douce  ,  etc.  20 j 

assure  que  rien  qu'en  Ecosse,  il  existe  au  naoins  cinq  cents 
railles  carrés  occupés  par  des  lacs  ou  des  étangs  qui  ne 
produisent  pas  un  seul  scheliing,  et  qui  fournissent  à  peine 
quelques  poissons  aux  habitans  des  districts  voisins.  En 
France  et  en  Allemagne  ,  les  étangs  convenablement  aj)pro- 
visionnés  de  poissons  d'eau  douce,  donnent  une  rente 
égale  à  celle  de  la  terre.  Très-certainement  ils  ne  produi- 
raient pas  un  reveau  moins  considérable  dans  la  Grande- 
Bretagne,  si  on  y  introduisait  la  marée,  et  ils  fourniraient 
une  quantité  prodigieuse  de  denrées  aiimentaires. 

Le  doctem-  Mac  CuUoch  propose  en  outre  d'enclore  wne 
portion  de  la  Tamise ,  afin  d'y  établir  un  marché  de  pois- 
sons vivans  pour  la  métropole.  Si  les  compagnies  qui  se 
forment  tous  les  joui's  avaient  réellement  un  autre  but  que 
d'agioter  sur  la  valeur  de  leurs  actions ,  ce  projet  serait 
déjà  exécuté  ;  car  les  avantages  en  sont  évidens.  En  effet , 
les  marchands   de   poissons    savent   très-bien  qu'il  n'y  a 
qu'une  portion   fort  peu  considérable  de  celui  qu'ils  ven- 
dent au  marché  qui  soit  en  bon  état.  Sur  cent  turbots  que 
l'on  apporte   à  Londres ,  peut-être  ny  en  a-t-il  pas  dix 
qui  soient  sains!  Il  est  d'usage  de  dire,  quand  un  poisson 
est  mauvais,  qu'il  est  hors  de  saison  5  mais  cette  explicatioij 
n'est  pas  admissible 5  car  jamais  le  poisson  n'est  hors  de 
saison  que  pendant  le  tems  très-court  du  frai.  D'ailleurs , 
l'approvisionnement   actuel  du  marché   a   l'inconvéuient 
d'être  fort  régulier.  Quelquefois  il  y  a  encombrement ,  et 
alors  les  marchands  de  poisson  en  détruisent  des  quantités 
considérables  pour  maintenir  les  prix.  Mais  il  arrive  plus 
souvent  encore ,    soit  à  cause  du  mauvais  tems ,  soit  par 
toute  autre  raison,  qu'il  y  a  insuffisance  dans  l'approvision- 
nement ,  et  les  ventes  se  fout  à  des  prix  exorbitaus.  Si  le 
poisson  venait  à  Londres  en  plus  grande  quantité  et  d'uue 
manière  moins  irrégulicre  ,  uu  plus  grand  nombre  de  pér- 
il. i5 


io6  Du  projet  d'introduire  le  poisson  de  mer 

sonnes  pourraient  consommer  cet  aliment  salubre  et  agréa- 
ble ;  et  sa  valeur  ,  au  lieu  d'éprouver  des  variations  conti- 
nuelles ,  deviendrait  uniforme  et  permanente. 

En  admettant  même  que  la  marée ,  parquée  dans  la 
Tamise,  ne  se  propageât  pas ,  le  but  de  l'entreprise  ne  se- 
rait pas  manqué  pour  cela  j  car  cet  enclos  serait  un  réser- 
voir où  le  poisson  serait  déposé  dans  les  momens  d'abon- 
dance, et  d'où  on  le  retirerait  quand  il  deviendrait  plus 
rare.  Dans  le  cas  au  contraire  où  il  se  propagerait,  comme 
nous  sommes  convaincus  que  cela  aurait  lieu  ,  ce  réservoir 
serait  une  espèce  de  garenne  qni  aurait  de  grands  avantages 
pour  les  entrepreneurs.  Si  les  poissons  déposés  dans  l'en- 
clos ne  se  nourrissent  pas  comme  dans  la  mer  ,  en  se  man- 
geant les  uns  les  autres ,  il  serait  facile  ,  à  l'exemple  des 
"Romains,  de  les  alimenter  avec  les  restes  des  consomma- 
tions d'une  population  anssi  considérable  que  celle  de  Lon- 
dres. Il  n'y  a  pas  de  motifs  ponr  que  nous  ne  nourrissions 
pas  nos  poissons  comme  nous  nourrissons  nos  volailles  ;  et 
qu'après  avoir  naturalisé  la  carpe  et  la  tancbe,  et  en  avoir  fait, 
en  quelque  sorte ,  des  animaux  domestiques  ,  nous  soyons 
moins  heureux  pour  les  autres  espèces. 

L'auteur  du  plan  que  nous  analysons,  voudrait  qu'on 
formât  l'enclos  avec  des  palissades  ,  à  l'emboucbure  de  la 
Tamise  ou  de  la  Medway.  Tous  les  jours  im  bateau  à  va- 
peur en  apporterait  du  poisson  au  marché  de  Londres, 
et  rapporterait  de  cette  ville,  si  cela  était  nécessaire,  ce 
qu'il  faudrait  pour  nourrir  les  poissons  restés  dans  le  ré- 
servoir. Il  n'y  aurait  d'ailleurs  aucune  difficulté  à  alimen- 
ter constamment  ce  réservoir  de  poissons  vivans,  au  moyen 
de  bateaux  à  soupape.  On  en  apporte  à  Gravesend  de  cette 
manière  ;  et  l'exemple  de  Bermude  et  de  M  issolonghi  prouve 
également  que  rien  n'est  plus  facile. 

M.  Mac  Culloch  suppose  aussi  que  la  tortue  pourrait 


dans  Veau  douce  ,  etc.  207 

cire  naturaiisce  clans  la  Grande-Bretagne,  et  ceci  mérite 
toute  l'attention  de  la  cour  des  aldermen  (1).  Les  capitaines 
de  nos  navires  disent,  il  est  vrai ,  que  les  tortues  meurent , 
quand  elles  viennent  dans  nos  latitudes.  Cependant  si  quel- 
ques-unes ne  survivaient  pas ,  comment  se  ferait  la  soupe 
à  la  tortue  ?  D'ailleurs ,  n'est-il  pas  bien  connu  qu'en  par- 
ticulier ,  la  tortue  du  capitaine  ne  meurt  jamais  ?  mais  un 
fait  décisif  c'est  qu'il  y  a  quelque  tems  ,  on  en  a  pris  une 
clans  le  Tamar  ,  et  (|uoique  trouvée  dans  Teau  douce  ,  elle 
e'tait  parfaitement  saine ,  et  elle  fut  jugée  excellente  à  Sal- 
tash  où  on  la  mangea. 

La  naturalis.ition  de  la  tortue,  loin  d'être  difficile,  nous 
paraît  même  extrêmement  aisée.  Le  paon  et  notre  poule 
domestique  sont  originaires  des  parties  les  plus  chaudes  de 
rinde,  et  la  pintade  vient  des  sables  brûlans  de  l'Afrique  ; 
ce  C]ui  n'empêche  pas  qu'ils  ne  soient  aujourd'hui  parfaite- 
ment acclimatés  dans  des  contrées  beaucoup  plus  septen- 
trionales fjue  la  nôtre.  Il  est  certain  cependant  cjue  la 
nalviralisation  de  ces  oiseaux  présentait  beaucoup  plus  de 
difficultés  cjue  celle  d'un  animal  aquatique;  car,  tandis  Cjue 
la  différence  de  la  température  de  l'air  de  ces  climats  si  éloi- 
gnés l'un  de  l'autre,  est  de  quatre-vingts  degrés  de  Fahren- 
heit ,  il  n'y  a  pas  une  différence  de  plus  de  dix  degrés  dans 
la  température  de  leurs  eaux  respectives.  Il  est  évident 
que  cette  différence  sera  à  peine  sensible  pour  la  tortue , 
surtout  quand  on  considère  cju'elle  a  la  vie  très-dure ,  et 
que,  d'ailleurs,  elle  sera  protégée,  par  son  enveloppe, 
contre  la  rigueur  du  froid. 

(i)  Note  du  Tr.  Ce  sont  des  magistrats  municipaux  dont  les  fonc- 
tions ont  quelque  analogie  avec  celles  de  nos  anciens  e'chevins.  Une 
soupe  à  la  tortue  est  de  fondation  dans  les  repos  de  corps  de  la  Cite'. 
Ce  mets,  presqu'inconnu  en  France  ,  est  si  estime  en  Angleterre  ,  que 
lorsque  le  maître  d'une  taverne  doit  en  servir  ,  il  le  fait  annoncer  dans 
les  journaux  ,  plusieurs  jours  à  l'avance.  S. 


2o8  Du  projet  d'introduire  le  poisso/i  de  mer 

En  dépit  de  Tantipathie  que  nous  avons  pour  les  amé- 
liorations ,  et  de  celle  que  l'on  a  plus  particulièrement  té- 
moignée pour  l'introduction  de  nouveaux  animaux  ,  nous 
sommes  convaincus  qu'un  Jour  nous  aurons  des  étangs  pour 
nos  tortues ,  comme  nous  avons  des  basses-ceurs  pour  nos 
volailles.  C'est  vraiment  une  disposition  bien  clrange  dans 
i'Iiomme ,   que  cette  aversion   pour  tous  les  projets   qui 
peuvent  améliorer  sa  condition  s'ils  réussissent.  Pourquoi 
le  !ord-maire  et  la  cour  des  aldermen  n'ont-ils  pas  voté 
mille  liv.  st.  pour  faire  mettre  des  tortues  dans  le  canal 
du  Régent  ou  dans  celui  de  la  Nouvelle-Rivière;  et  ce  qui 
serait  bien  plus  facile  encore ,   pourquoi  les  monopoleurs 
du  dock-,  des  Indes-Occidentales   n'en   introduisent-ils  pas 
dans  leurs  superbes  bassins  ,  où  ,  au  milieu  des  nègres ,  du 
rhum  ,  du  sucre  et  du  café  ,  elles  pourraient  se  croire  chez 
elles  ?  Mais  les  directeurs ,  de  même  que  les  aldermen  ,  se 
contentent  de  se  procurer  de  la  tortue  suivant  l'ancienne 
manière  ,  et  leur  secrétaire  a  même  déclaré  que  le  projet  en 
question  ne  pourrait  pas  réussir.  On  avait  dit  aussi  que  ce 
dock  ne  réussirait  pas  ;  et  le  tems  a  confondu  les  contradic- 
teurs ,  comme  les  tortues  viendront  à  leur  tour  confondre 
les  directeurs  et  leur  secrétaire. 

Malheureusement  notre  répugnance  pour  les  innovations 
ne  s'est  pas  manifestée  seulement  à  l'occasion  des  animaux; 
mais  aussi  à  l'occasion  des  plantes.  Ce  honteux  et  stupide 
entêtement  nous  a  empêché  d'en  acclimater  un  nombre 
Immense ,  qui  aurait  augmenté  les  produits  de  notre  agri- 
culture ,  ou  servi  à  Tembellissement  de  nos  jardins.  Au 
mépris  des  expériences  faites  ,  et  d'expériences  dont  les  ré- 
sultats étaient  incontestables ,  nos  jardiniers  ont  pei'sévéré 
dans  leur  routine  :  ils  continuent  de  cultiver  des  boutures 
et  des  rejetons ,  au  lieu  de  cultiver  la  semence  ,  et  ils  dé- 
truisent, par  la  réclusion  et  une  chaleur  immodérée,  des 
plantes  innombrables  qui  devraient  être  laites  depuis  long- 


dans  l'eau  douce  ,  etc.  20g 

lems  à  notre  climat.  De  tems  en  tems,  une  piaule  ,  plus 
heureuse  que  les  autres  ,  trouve  le  moyen  de  s'échapper,  et 
se  naturalise  dans  nos  jardins;  mais  tout  concluant,  que 
sont  ces  faits  ?  on  n'en  tient  aucun  compte  ,  et  on  persiste 
dans  les  vieux  érremens;  car  Texpérience,  quand  elle  n'est 
pas  seconde'e  par  l'esprit  d'observation,  ne  peut  avoir  aucun 
résultat  utile.  Il  y  a  environ  cinq  ans  que  Ton  cultive  l'ana- 
nas sans  le  secours  du  feu ,  et  comme  ce  fait  ne  peut  pas 
être  contesté  ,  on  dit  seulement  que  ceux  que  l'on  obtient 
de  cette  manière  ne  sont  pas  bons  ',  et  quand ,  ce  qui  n'est 
pas  rare,  il  s'en  trouve  d'excellens ,  on  soutient  que  ce  sont 
des  exceptions. 

Mais  revenons  à  notre  sujet.  Nous  avons  avancé  que 
trois  des  oiseaux  privés  de  nos  basses -cours  sont  origi- 
naires de  pays  chauds  :  ils  ne  se  trouveraient  pas  en  An- 
gleterre, s'ils  n'y  avaient  pas  été  naturalisés  par  l'homme. 
Or ,  ce  qui  a  déjà  été  fait  une  fois ,  pourrait  être  fait  une 
seconde;  et  nous  n'éprouverions  pas  plus  de  difficultés  à 
acclimater  le  florican  indien  on  l'oiseau  messager ,  si  nous 
essayions  de  le  faire.  Lord  Hastings  n'a-t-il  pas  déjà  natu- 
ralisé la  perdrix  de  l'Inde  ?  Et  Toiseau  de  paradis  qu'on 
supposait  ne  pas  pouvoir  vivre  hors  de  'a  Nouvelle  Guinée , 
a  cependant  vécu  à  Reusingtou,  et  probablement  il  y  vivrait 
encore ,  sans  l'excès  des  soins  qui  lui  ont  été  prodigués  par 
une  main  royale  (i). 

Pour  savoir  si  une  chose  peut  être  faite  ,  il  faut  la  tenter. 
Mais  les  ennemis  des  innovations  s'opposent  à  tous  les 
essais  ;  afin  qu'on  ne  les  force  pas  à  en  reconnaître  la  pos- 
sibilité et  les  avantages.  Si  les  animaux  ne  pouvaient  pas 
vivre  sous  des  latitudes  diverses  ,  comment  l'homme  lui- 
même  ,  né,  dit-on,  au  pied  du  mont  Ararat ,  pourrait-il 
exister  dans  le  Groenland  ,  se  nourrissant  de  baleine  .sous- 

(1)  La  duchesse  de  Kent. 


2 1  o  Du  projet  d'introduire  le  poisson  de  mer 

le  pôle  ,  et  de  noix,  de  cacao  sous  Tequateur  ;  heureux  dans 
l'un  et  l'autre  climat  ,  et  partout  dévorant  tout  ce  qui  se 
rencontre  sous  sa  main?  Comment  le  cheval  prospère- t-il 
également  sous  le  soleil  de  l'Afrique  et  sous  les  glaces  de  la 
Norwège?  Il  y  a  trois  siècles  qu'il  était  inconnu  dans  !e 
Nouveau-Monde ,  et  maintenant  il  le  parcourt  d'un  pôle  à 
l'autre.  Pourquoi  donc  ne  pourrait-on  pas  ^lassi  naturaliser 
le  zèbre  ,  l'éléphant  ou  l'hippopotame? 

Ainsi  que  le  cheval ,  l'âne,  le  renard,  le  loup,  le  lièvre, 
^e  mouton  et  le  bœuf,  se  rencontrent  dans  le  monde  en- 
tier 3  et  partout  ils  modifient  !a  peau  qui  les  couvre,  confor- 
mément au  tems  et  au  climat.  La  chèvre  des  montagnes 
chargées  de  neige  de  l'Himalaya  a  vécu  à  Londres  ,  et  vrai- 
semblablement elle  s'y  serait  propagée,  si  les  chefs  de  nos 
manufactures  se  fussent  lassés  de  tirer  de  l'Asie  la  laine 
propre  à  faire  des  schals  :  les  heureux  essais  de  M.  Ter- 
naux  ,  l'un  des  premiers  fabricans  delà  France,  autori- 
sent cette  conjecture.  La  barbe  de  la  chèvre  fait,  il  est  vi'ai, 
plus  de  chanceliers  et  d'évêques  dans  une  latitude  que  dans 
l'autre;  mais  voilà  tout.  Quant  à  sa  peau  elle  est  toujours 
la  même  ;  et ,  dans  tous  les  pays ,  elle  est  également  sus- 
ceptible d^être  convertie  en  livre  de  poche  ,  en  gants  et  en 
souliers  pour  les  belles. 

Il  en  est  de  même  des  oiseaux  ,  avec  cette  seule  diffé- 
rence qu'ils  peuvent  encore  changer  de  climat  avec  plus 
de  facilité  et  de  promptitude  que  les  autres  animaux.  On 
trouve  également  la  bécassine  au  Beagal  et  dans  la  baie 
Baffiu,  dans  la  Mer  Rouge  et  dans  le  bassin  polaire  de 
M.  Barrow  (i).  L'hirondelle  poursuit  les  mouches  depuis 
les  sables  brûlans  de  l'Afrique  jusqu'aux  marais  glacés  du 
Nord.  Mille  autres  font  de  même 3  mais  comme  nous  n'é-- 

(i)  Note  du  Tr.  M.  Barrow  est  un  membre  de  l'amirauté  anglaise  : 
c'est  lui  qui  a  re'dige' les  inslructions  des  expe'ditions  entreprises  pour 
<lécouvrir  un  passage  dans  les  mers  polaires  de  rAmëriquc  du  nord. 


dans  l'eau  douce  ,  etc.  ?.  1 1 

crlvons  pas  un  traité  d'histoire  naturelle,  i!  est  inutile  cVen 
faire  l'énumération. 

Que  les  différentes  espèces  d'animaux  aient  chacune  leur 
climat  de  prédilection  ,  cela  est  dans  Tordre.  Dans  le  prin- 
cipe, elles  durent  être  placées  dans  les  pays  qui  leut  con- 
venaient le  mieux. ,  et  qui  fournissent  en  plus  grande  abon- 
dance les  alimens  qu'elles  consomment.  Il  n'y  a  aucune 
raison  pour  que  d'elles-mêmes  elles  en  franchissent  les 
limites.  Quel  motif,  par  exemple  ,  pourrait  déterminer  un 
éléphant  à  se  rendre  volontairement  en  Europe,  au  risque 
d'y  être  mis  dans  une  cage  et  montré  pour  un  schelling  , 
dans  le  cas  où,  sur  la  route,  il  n'aurait  pas  été  pris  et 
mangé  par  un  Hottentot?  Mais  la  nature  n'a  pas  dit  aux 
animaux  comme  aux  flots  de  l'Océan  :  Vous  n'irez  pas 
plus  loin. 

Si  les  preuves  que  nous  avons  données  de  îa  vérité  de 
cette  assertion  ne  suffisaient  pas  ,  on  pourrait  en  acquérir 
d'autres  en  allant  visiter  le  géoloj^ue  Buckland.  Quand  vous 
pénétrez  dans  son  appartement;  vous  vous  y  trouvez  en- 
touré des  débris  de  tous  ces  quadrupèdes  qu'on  ne  rencontre 
plus  aujourd'hui  qu'en  Asie  et  en  Afrique  ;  et  cependant 
tous  ces  débris  ont  été  découverts  dans  une  excavation  du 
Yorkshire.  Des  découvertes  semblables  ont  été  faites  éga- 
lement en  France,  en  Allemagne  et  en  Italie  ,  en  un  mot 
dans  toutes  les  contrées  de  l'Europe. 

Nous  sommes  fermement  convaincus  que  tous  les  ani- 
maux sont  susccptib'es  d'être  naturalisés  dans  les  différens 
climats  du  monde  ;  mais  nous  ne  croyons  pas  qu'il  en  soit 
tout-à-fait  de  même  des  plantes.  Il  est  facile  de  donner  la 
raison  de  celte  différence  :  les  animaux  peuvent  eux-mêmes 
produire  la  chaleur  ,  tandis  que  les  plantes  dépendent  en- 
tiè^ement  de  celle  de  la  température  dans  laquelle  elles  se 
trouvent.  Nous  ne  prétendons  pas  cependant  qu'un  élé- 
phant déjà  âgé  puisse  être  impunément  exposé  à  la  rigueur 


212  Du  projet  d'introduire  le  poissoii  de  mer 

d'an  hiver  de  la  Grande-Bretagne.  Nous  ignorons  de  quelle 
manière  les  chevaux  ont  été  dispersés  dans  toutes  les  par- 
ties de  l'univers  ;  mais  il  est  probable  que  c'est  par  grada- 
tion. Quant  à  notre  poide  domestique,  il  paraît  que  de 
l'Inde  elle  est  venue  dans  TAsie  Mineure  ,  et  de  là ,  dans  le 
midi  de  l'Europe ,  d'oii  ensuite  elle  a  été  transportée  dans 
le  Nord.  La  pintade  importie  d'Afrique  par  les  Romains , 
s'est  répandue  de  l'Italie  dans  les  contrées  plus  septentrio- 
nales. Le  paon  a  suivi  une  marche  semblable  j  et  rien  ne 
s'oppose  à  ce  que  l'éléphant  et  en  général  tous  les  animaux 
des  tropiques  s'accliiuatent  de  la  même  manière  en  Europe, 
et  se  répandent  insensiblement  de  l'équateur  au  pôle.  Les 
petits ,  élevés  dans  des  contrées  plus  froides  ,  pourront  être 
exposés  à  une  température  plus  froide  encore  j  et  de  géné- 
ration en  génération  ,  ces  différentes  espèces  deviendront 
toujours  moius  délicates.  C'est  ainsi  que  ces  animaux  anté- 
diluviens ,  dont  les  débris  se  trouvent  en  si  grand  nombre 
dans  les  carrières  de  l'Europe  septentrionale ,  ont  dû , 
lorsque  l'homme  n'existait  pas  encore  pour  les  arrêter 
dans  leur  marche ,  s'éloigner  graduellement  des  contrées 
où,  dans  le  principe,  ils  avalent  été  placés  par  la  nature. 

Nos  immenses  possessions,  dispersées  dans  toutes  les  par- 
ties de  l'univers  ,  nous  donneront  de  grandes  facilités  pour 
faire  des  essais  sur  tous  les  genres  d'animaux  dont  l'intro- 
duction ,  dans  la  Grande-Bretagne,  sera  jugée  utile.  Quel- 
quefois le  succès  pourra  n'être  que  le  résultat  du  tems  ; 
souvent  aussi  il  sera  beaucoup  plus  prompt  qu'où  ne  le 
suppose.  La  première  chose  à  faii-e,  ce  sera  de  détruire  des 
préjugés,  et  il  est  vraisemblable  que  c'est  également  ce 
qu'il  y  aura  de  plus  difficile. 

On  demandera  peut-être  quels  avantages  procurera  à  la 
Grande-Bretagne  Ja  naturalisation  des  animaux  des  tropi- 
ques. Nous  répondrons  que  les  uns  serviront  à  embellir  nos 
paysages  ;  que  les  antres  nous  fourniront  de  nouveaux  ali- 


dans  l'eau  douce,  etc.  2i5 

mens,  ou  que  nous  les  obligerons  à  travailler  pour  nous. 
Ils  scrvirout  aussi  à  consommer  les  productions  végétales 
dont  ne  font  pas  usage  les  animaux  que  nous  possédons 
déjà  ,  et  à  occuper  des  places  ou  des  régions  que  ceux-ci 
n'occupent  pas. 

Pour  mieux  sentir  le  prix  des  services  qu'ils  nous  ren- 
dront à  cet  égard ,  il  suffit  de  réfléchir  à  ceux  que  nous  rend 
la  chèvre.  La  chèvre  est  l'épurateur  universel  du  règne  vé- 
gétal ;  c'est  elle  qui  consomme  les  plantes  vénéneuses  qui  y 
sont  répandues  ,  et  elle  trouve  sa  nourriture  dans  des  pâtu- 
rages inaccessibles  à  la  plupart  des  autres  animaux.  Elle 
nous  est  donc  doublement  utile,  et  elle  nous  procure  un 
profit  qui ,  sans  elle  ,  n'existerait  pas.  L'utilité  du  porc  est 
encore  plus  frappante  ;  car  les  alimens  qu'il  consomme  sont 
des  rebuts  qui  n'ont  absolument  aucune  espècede  valeur  ;  et 
par  conséquent  c'est  de  rien  qu'il  fait  quelque  chose.  lien  est 
à  peu  près  de  même  du  canard  et  de  l'oie;  et  eu  général  tous 
ces  végétaux  sauvages  que  la  culture  n'a  pas  améliorés,  n'ont 
guère  d'autre  utilité  que  de  servir d'alimens  aux  difFérens  ani- 
maux que  nous  consommons,  et  qui  en  élaborent  les  sucs  dans 
leur  estomac. 

Les  chardons  ne  sont  jusqu'à  présent  d'aucune  utilité;  ils 
rebutent  jusqu'à  l'dne  qui  essaie  d'en  manger.  Si  donc  nous 
introduisions,  en  Angleterre,  un  animal  auquel  ils  pour- 
raient servir  d'alimens ,  sa  nourriture  ne  donnerait  lieu  à 
aucune  dépense.  Quel  avantage  n'aurions-nous  pas  aussi  à  y 
naturaliser  la  renne,  qui  nous  procurerait  de  la  venaison,  en 
échange  des  lichens  qui  ne  nous  sont  bons  à  rien  ! 

Nous  allons  maintenant  dire  un  mot  des  animaux  qu'il 
conviendrait  d'importer,  soit  sous  le  rapport  deragrémenl, 
soit  à  cause  des  avantages  positifs  que  l'ou  en  retirerait ,  eu 
les  consommant  ou  en  les  faisant  concourir  à  nos  travaux. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  guère  acclimaté  que  le  paon,  parmi 
les  oiseaux  de  pur  agrément ,  quoiqu'il  y  en  ait  une  multi- 
II.  iG 


2 1 4  Du  projet  d'introduire  le  poisson  de  mer 

tnde  d'autres  qae  nous  aurions  pu  aussi  naturaliser  en  Angle 
terre.  Le  faisan  doré  n'y  est  vu  que  très- rarement  j  et  tous 
les  oiseaux,  étrangers  ,  tristement  reclus  dans  des  cages  , 
comme  des  lions  et  des  singes,  n'y  engendrent  pas,  et  ne 
contribuent  en  aucune  manière  à  la  décoration  de  nos  paysa- 
ges. Il  n'y  en  a  pas  un  seul  cependant ,  indépendamment  de 
ceux  qui  sont  inconnus  dans  nos  ménageries,  que  nous  n'au- 
rions pu  naturaliser  tout  aussi  facilement  que  le  paon  ou  la 
pintade.  L'ibis  et  le  flamand  devraient  contribuer  à  l'agrément 
de  nos  étangs  et  de  nos  cours  d'eau ,  de  même  que  le  cygne 
noir  d'Australie,  tout  récemment  introduit  dans  la  Grande- 
Bretagne,  commence  à  y  concourir.  C'est  un  pas  de  fait  vers 
une  amélioration.  Pourquoi  n'a-t-on  pas  en  même  tems  in- 
troduit les  grues  de  mer  dont  la  forme  est  si  élégante?  Le 
pélican  ferait  plus  que  contribuer  à  notre  amusement  ;  il 
pourrait  aller  à  la  pèche  pour  nous,  comme  il  fait  en  Chine. 

Comment  se  fait -il  que  nous  n'ayons  encore  privé  que 
deux  seules  espèces  de  tout  le  genre  des  anas  ,  l'oie  et  le  ca- 
nard? La  sarcelle  est  un  oiseau  plus  agréable  à  l'œil  et  beau- 
coup meilleur  :  à  quelques  milles  de  rAngletfrre,  nous  pou- 
vons la  voir  dans  les  basses  -  cours  des  Hollandais  ;  rien 
n'était  plus  facile  que  de  suivre  un  exemple  si  rapproché  de 
nous.  Quatre  mille  ans,  dit-on  ,  se  sont  écoulés  depuis  la  fin 
du  déluge,  époque  à  laquelle  les  animaux  furent  rendus  à  la 
liberté;  et,  pendant  ce  long  période,  nous  n'avons  privé 
qu'une  demi-douzaine  d'oiseaux,  tandis  que  l'arche  toute  en- 
tière aurait  dû  l'être.  Tout  le  Musée  britannique  circulerait 
aujourd'hui  dans  nos  basses-cours  ou  nagerait  dans  nos  étangs , 
que  ce  ne  serait  pas  encore  avoir  fait  beaucoup ,  en  compa- 
raison de  ce  qui  resterait  à  faire  ;  et  il  est  inconcevable  que , 
depuis  si  long-tems,  nous  n'ayons  pas  même  songé  à  appri- 
voiser la  caille  ,  le  faisan  ,  la  bécasse,  la  perdrix  ,  etc. 

Nous  n'avons  pas  fait  davantage  à  l'égard  des  quadru- 
pèdes. Sur  un  millier  d'animaux  à  quatre  pattes  ,  nous  n'en 


dans  l'eau  douce  ^  etc.  21 5 

avons  apprivoisé  que  huit;  savoir  :  le  cheval,  Fâue,  le 
bœuf,  le  daim  ,  le  mouton,  la  chèvre  ,  le  chien  et  le  chat. 
Encore  est-ce  improprement  que  nous  disons  nous}  car,  par 
le  fait  ,  dans  l'espace  de  dix-huit  cent  vingt-cinq  ans ,  nous 
n'en  avons  pas  apprivoisé  un  seul  ;  tous  l'ont  été  par  les  na- 
tions antérieures .  Les  peuples  de  l'Asie  ont  fait  davantage , 
puisqu'ils  sont  parvenus  à  douipler  le  chameau  ,  le  droma- 
daire et  Téléphant.  On  a  ,  il  est  vrai ,  tenté  d'introduire  eu 
Angleterre  et  de  priver  le  renne  :  malheureusement  l'igno- 
rance et  l'inattention  de  ceux  qui  ont  fait  cet  essai ,  l'ont 
empêché  de  z'éussir.  On  a  également  laissé  mourir  tous  les 
élans  importés  d'Amérique.  Mais  le  mauvais  succès  de  ces 
expériences,  qui  n'accuse  que  l'incurie  de  ceux  qui  les  ont 
dirigées,  ne  doit  pas  nous  abattre.  Un  champ  immense  se 
découvre  devant  nous  j  rien  ne  nous  empêche  d'j  pénétrer. 
Nous  pouvons  ,  si  nous  voulons,  accroître  ,  dans  une  pro- 
portion indéfinie,  la  masse  de  nos  denrées  alimentaires; 
nous  pouvons  aussi  soulager  les  classes  ouvrières,  en  fai- 
sant exécuter  une  partie  de  leurs  travaux  par  des  animaux 
qu'il  dépend  de  nous  d'apprivoiser. 

On  va  nous  demander  comment  on  y  parviendra.  Assu- 
rément ce  ne  sera  point  en  répétant  sans  cesse  que  cela  est 
impossible.  Jadis  on  croyait  aussi  qu'il  était  impossible  de 
s'élever  dans  les  airs  en  ballon,  d'en  descendre  en  para- 
chute; de  distribuer  la  lumière  aux  habitans  d'une  grande 
ville,  avec  des  tuyaux  et  des  robinets,  comme  l'eau  dans 
des  bains  publics;  et,  pour  revenir  à  notre  sujet,  avant 
que  cela  fut  tenté ,  on  devait  croire  également  qu'il  serait 
impossible  de  soumettre  ,  dans  l'Inde  ,  à  la  volonté  de 
l'homme ,  le  plus  grand  et  le  plus  fort  des  quadrupèdes  , 
de  lui  faire  porter  nos  fardeaux,  et  de  le  faire  combattre 
dans  les  rangs  de  nos  armées. 

Grâces  à  la  société  qui  s'organise  sous  la  direction  de 
Sir  Humphry  Davy  ,  quelques  -  unes  des  hypothèses  dont 


2i6  Notice  historique 

nous  venons  d'entretenir  nos  lecteurs  ,  ne  tarderont  pas  It 
être  réalisées.  Cette  société  ne  se  bornera  point  à  créer 
une  ménagerie,  à  Tinstar  de  celle  du  Jardin  des  Plantes  à 
Paris  ,  qui  n  a  contribué  en  rien  au  bien-être  des  habitans  de 
la  France  :  lorsqu'elle  introduira  de  nouveaux  animaux  en 
Angleterre,  ce  ne  sera  pas  seulement  pour  en  faire  une 
vaine  parade ,  mais  pour  en  perpétuer  l'espèce ,  et  pour 
les  faire  servir  à  nos  besoins.  Sans  doute  l'autorité  d'un 
nom  tel  que  celui  d'Humpbry  Davy ,  ébranlera  un  peu  les 
incrédules ,  et  eu  imposera  à  cette  ignorance  présomp- 
tueuse, toujours  prêle  à  contester  ce  qu'elle  est  incapable 
de  comprendre  (i).  (  London  Magazine.  ) 


BIOGRAPHIE. 


NOTICE    HISTORIQUE    SUR    JAMES    WATT. 


James  Watt  naquit  à  Greenock ,  en  Ecosse,  en  lySG , 
d'une  famille  dans  laquelle  les  connaissances  mathémati- 
ques étaient  depuis  long  -  tems  héréditaires.  Sou  père  était 
un  négociant  distingué  de  cette  ville,  et  il  fut  un  de  ses 
magistrats  pendant  plusieurs  années.  Son  fils  aîné,  celui 
qui  est  l'objet  de  cette  Notice,  né  avec  un  tempérament 
très-délicat ,  ne  put  pas  profiter  de  l'enseignement  des  éco- 
les établies  dans  sa  ville  natale.  C'est  une  chose  remarquable 
que  la  plupart  des  artistes ,  des  poètes  ou  des  philosophes 
qui  ont  fait  le  plus  d'honneur  au  genre  humain  ,  aient  dû 
à  des  circonstances  analogues  cette  profondeur  de  pensée 
et  cet  amour  de  l'étude  qui  ont  immortalisé  leur  mémoire. 

(i)  Voyci  le  piospcclus  de  celte  Sociiitc,  i^e  liv.  du  2«  vol.  p.  173. 


sur  James  Watt.  217 

Pope  fut  forcé  ,  par  sa  constitution  débile ,  de  vivre  con- 
stamment au  foyer  domestique  i  Pascal  ,  Tontenelle  ,  Sa- 
muel Johnson,  et  beaucoup  d'autres  personnages  illustres, 
n'ont  trouvé  de  soulagement  à  leurs  souffrances  que  dans 
les  hautes  méditations  de  la  philosophie.  On  serait  même 
tenté  de  conclure,  des  exemples  célèbres  de  Walter  Scott 
et  de  lord  Byron,  que  la  faiblesse  physique  est  générale- 
ment compensée  par  un  plus  grand  développement  des  fa- 
cultés intellectuelles,  et  par  Thabitude,  en  quelque  sorte 
indispensable,  de  la  méditation.  Nous  sommes  convaincus 
que  cette  persévérance  dans  l'étude,  qui  a  distingué  James 
Watt  pendant  toute  la  durée  de  sa  longue  et  pénible  car- 
rière ,  doit  être  attribuée  en  grande  pai'tie  à  la  faiblesse  de 
son  tempérament. 

A  l'âge  de  dix-huit  ans,  Watt  vint  à  Londres  dans  l'in- 
tention d'apprendre  l'art  de  fabriquer  les  instrumens  de 
mathématiques  jet,  pendant  l'espace  d'un  an ,  il  fit  de  grands 
progrès  dans  les  différentes  branches  de  la  mécanique.  Peu 
de  tems  après  son  retour  en  Ecosse  ,  vers  l'année  1757  ?  à 
peine  âgé  de  vingt-un  ans ,  il  h\\,  nomme Jahricant  d' instru- 
mens de  mathématiques  de  l'Unii^ersité  de  Glasgow ,  citée 
dans  tous  les  tems  pour  le  talent  et  la  réputation  de  ses 
professeurs ,  et  alors  honorée  par  des  hommes  tels  que 
Simpson  ,  Adam  Smith,  fondateur  de  l'économie  politique, 
et  le  célèbre  Black,  l'émule  de  Priestiey  ,  de  Scheele  et  de 
Lavoisier  ,  créateurs  de  la  chimie  moderne. 

Ce  fut  pendant  son  séjour  à  Glasgow,  en  1765,  que 
Watt  l'eçut,  du  proiesscur  de  philosophie  naturelle,  la  mis- 
sion de  réparer  un  modèle  de  la  machine  à  vapeur  de  Ne(i^- 
comen.  lia  difficulté  qu'il  éprouva  à  fournir  delà  vapeur  à 
la  machine,  lui  suggéra  l'idée  d'un  condensateur  séparé  ; 
et ,  -par  une  suite  d'expériences  fort  curieuses,  il  parvint  à 
établir  aA-^ec  exactitude  la  quantité  (\e  calorique  consommé 
dans  l'évaporalion.  Ce  serait  dépasser  les  limites  de  celle 


2 1 8  Notice  histoncjue 

Notice ,  que  de  faire  l'exposé  des  moyens  qu'il  employa 
pour  perfeclionner  la  machine  à  vapeur  ,  et  pour  varier  la 
forme  et  les  matériaux  des  différentes  pièces  d'un  méca- 
nisme aussi  compliqué.  Nous  ne  pouvons  pas  davantage 
parlef  en  détail  de  toutes  les  conséquences  importantes  qu'il 
a  tirées  de  ses  nombreuses  expériences.  11  suffira  de  dire 
qu'on  pourrait  à  peine  citer  une  seule  amélioration  qu'il  ait 
due  au  hasard  ;  tous  les  changemens  qu'il  a  faits  à  la  ma- 
chine à  vapeur  sont  le  fruit  de  son  habileté  comme  artiste  , 
et  de  ses  profondes  connaissances  en  chimie  et  en  mécani- 
que. Jamais  un  seul  hcnarae  ne  réunit  autant  de  savoir  , 
d'imagination  et  de  sagacité. 

En  1  ^65  ,  Watt  s'associa  avec  le  fameux  docteur  Roe- 
buck pour  former  une  manufacture  de  machines  à  vapeur. 
Mais  il  n'atteignit  pas  le  but  qu'il  s'était  proposé  ,  non-seu- 
lement à  cause  de  la  position  pécuniaire  du  docteur,  mais 
aussi  parce  qu'il  fût  forcé  de  se  livrer  tout  entier  à  ses  fonc- 
tions d'ingénieur  civil.  En  1767,  il  fit  le  plan  d'un  canal  de 
jonction  entre  le  Forth  et  la  Clyde,  et  bientôt  après  il  di- 
rigea les  travaux  de  celui  de  Monkland  à  Glasgow.  On  lui 
doit  également  des  projets  de  canaux  entre  Perth  et  For- 
far,  et  un  rapport  sur  !a  jonction  des  deux  mers  par  l'isthme 
de  Crinan.  Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  les  plans ,  les 
projets  et  le-s  devis  de  toute  espèce  qu'il  a  présentés  pour 
construire  des  ponts  ,  creuser  des  ports  ,  des  canaux  et  des 
lits  de  rivière.  Son  dernier  projet  fut  celui  d'unir  Inverness 
et  le  fort  William  par  un  canal  que  le  grand  ingénieur  Tel- 
ford  a.  depuis,  entrepris  et  heureusement  exécuté  :  c'est  le 
canal  Calédonien. 

Après  ce  dernier  travail ,  Watt  accepta  l'invitation  de 
M.  Boulton,  de  Manchester,  et  il  vint  se  fixer  en  Angle- 
terre. C'est  en  1775  qu'il  obtint  une  prolongation  au  terme 
dn  brevet  qu'il  avait. pris  pour  ses  perfectionnemens  aux 
machines  à  vapeur ,  et  qu'il  en  commença  la  fabrication , 


sur  James  PVatt.-  aig 

sous  la  raison  Boullon  et  Watt.  La  grande  économie  qui 
résultait  de  ce  puissant  moteur ,  en  fit  bientôt  adopter  Tu- 
sage  dans  les  mines  du  comté  de  Cornouailles  et  dans  tout 
le  reste  de  l'Angleterre.  Pendant  les  années  1781 ,  1782  , 
1 784  et>  1 785  ,  J.  Watt  perfectionna  beaucoup  les  moulins , 
et  montra  autant  de  génie  dans  ses  inventions  ,  que  de  per- 
sévérance et  de  sagacité  dans  leurs  diverses  applications. 
Lorsqu'on  examine  avec  soin  l'ensemble  de  ses  travaux , 
on  est  forcé  d'admirer  en  lui  un  esprit  de  recbercbe ,  une 
habileté  d'exécution  et  une  fécondité  de  ressources  qu'on 
ne  saurait  trouver ,  au  même  degi'é  ,  dai^is  aucun  autre  mé- 
canicien des  tems  modernes.  Les  améliorations  qu'il  a  fait 
subir  à  toutes  les  machines  à  vapeur  ou  à  roues  ,  ont 
donné  à  notre  population,  à  nos  manufactures,  à  notre 
fortune,  une  impulsion  sans  exemple  dans  les  annales  du 
pays.  Au  milieu  des  détails  innombrables  de  tant  d'occupa- 
tions, il  suivit  avec  ardeur  les  progrès  des  connaissance.^ 
chimiques ,  et  il  y  contribua  lui-iriéme  par  la  découverte 
de  quelques  propriétés  remarquables  des  gaz. 

En  1786,  il  introduisit  en  Angleterre  le  nouveau  procédé 
de  blanchiment  par  l'acide  muriatique  (i),  découvert  par 
M.  Berthollet  de  Paris.  Il  communiqua  ce  procédé  à  son 
beau-père,  M.  Mac-Grégor ,  et,  après  avoir  fait  construii'c 
les  appareils  nécessaires  avec  le  plus  grand  soin,  il  eu  diri- 
gea les  premiers  essais  qui  furent  couronnés  d'un  succès 
complet.  On  sait  combien  il  en  est  résulté  d'avantages  et 
•d'améliorations  dans  le  système  général  de  nos  manufac- 
tures. 

Indépendamment  de  ces  graves  occupations ,  il  n'est  point 
de  méthode  ou  de  procédé  que  M.  Watt  n'ait  tenté  de  pcr- 
fecliounerj  pas  ^de  sciences  qu'il  n'ait  plus  ou  moins  ap- 
profondies. Plusieurs  années  de  sa  vie  ont  été  troublées  par 

(i)  C'est  l'acide  hydro-chlorique  de  la  nomenclalure  actuelle. 


220  ■  Notice  historique 

la  nécessité  où  il  s'est  trouvé  réduit,  de  défendre  ses  bre- 
vets d'invention,  contre  une  foule  de  prétentions  illégitimes; 
et  ce  n'est  qu'en  1 799 ,  que  la  cour  du  banc  du  roi  lui  donna 
gain  de  cause  contre  ses  adversaires. 

En  1800,  James  Watt  se  retira  des  affaires;  mais  il  ne 
cessa  point  de  s'intéresser  aux  progrès  des  sciences ,  de  la 
littérature  et  des  arls  :  jusqu'au  dernier  moment  de  sa  vie, 
on  le  trouva  toujours  prêt  à  donner  son  avis  et  ses  conseils 
dans  les  matières  de  sa  compétence.  Malgré  l'extrême  fai- 
blesse de  sa  constitution  ,  grâce  au  régime  et  à  la  tem- 
pérance, il  parvint  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans,  avec 
la  jouissance  de  toutes  ses  facultés;  il  expira,  après  une 
courte  maladie  ,  à  Heathficld  ,  dans  le  comté  de  Stafford  , 
le  25  août  18 19.  Il  avait  été  nommé  membre  de  la  Société 
Royale  d'Edinbourg,  en  1784;  de  celle  de  Londres,  en 
1785.  En  1806,  rUniversité  deGlasgowlui  conféra  le  titre 
de  docteur  en  droit ,  et  bientôt  après  l'Institut  de  France 
l'admit  au  nombre  de  ses  huit  membres  étrangers. 

Le  18  juin  18^4?  dans  une  assemblée  publique  tenue  à 
Londres,  il  fut  résolu  d'élever  une  statue  à  cet  honorable 
citoyen.  Le  président,  lord  Liverpool,  annonça  que  le  roi 
souscrivait  pour  5oo  livres  sterling  (  i2,5oo  fr.  )  à  l'érec- 
tion d'un  monument  aussi  national.   L'illustre  président 
de  la  Société  Royale,  Sir  Ilumphry  Davy  ,  présenta  un 
précis  admirable  des  services  que  James  Watt  avait  rendus 
au  monde  entier,  par  ses  précieuses  découvertes,  et  le  fils 
de  son  premier  associé,   l\i.   Roulton,  lut  un  exposé  très-, 
intéressant  des  avantages  qu'en  avaient  relire  les  manu- 
factures de  la  Grande  -  Bretagne.  Nous  sommes  loin  de 
penser  que  les  éloges  de  personnages  aussi  distingués  que 
le  comte  de  Liverpool,  Sir  Humphry  Davy,  M.  Huskisson, 
Sir  James  Mackintosh ,  M.  Peel  et  M.  Brougham,  puissent 
ajouter  quelque  chose  à  la  gloire  de  Watt;  mais  nous  éprou- 
vons une  véritable  satisfaction  en  voyant  des  hommes  si 


sur  James  TVatt.  22 1 

honorables  devenir  les  interprètes  de  l'opinion  publique, 
et  payer  à  sa  mémoire  le  tribut  de  l'admiration  univer- 
selle. 

Il  nous  serait  difficile  de  décrire,  d'une  manière -digne 
du  sujet,  les  protliges  qui  sont  dus  au  génie  de  J.  Watt  j 
mais  nous  terminerons  celte  Notice  ,  eu  citant  le  passage 
suivant  d'un  essai  de  Francis  Jeflrej ,  qui  pourra  en  donner 
VI  ne  idée  : 

«  Quand  on  examine  les  grands  changemens  que  Walt  a 
»  introduits  dans  la  construction  de  la  machine  à  vapeur , 
))  et  dans  son  application  aux  arts  ,  on  est  tenté  de  l'en  cou- 
»  side'rer  comme  !e  véritable  inventeur.  C'est  lui  qui  en  aré- 
»  glé  les  mouvemens  avec  assez  de  bonheur  pour  la  rendre 
»  applicable  aux  fabrications  les  plus  délicates,  et  (rui  lui  a 
»  donné  assez  de  force  et  de  solidité  pour  triompher  des  ré- 
))  sistances  les  plus  énergiques.  Il  a  réuni  la  vigueur  et  la 
»  flexibilité  ,  de  manière  à  communiquer  à  ce  nouvel  agent 
»  la  précision  ,  la  souplesse  et  la  puissance  la  plus  éton- 
»  nante  qu'on  ait  encore  employée  dans  l(?s  arts  mécani- 
»  ques.  Tja  trompe  d'un  éléphant,  qui  saisit  une  épingle  et 
>»  brise  un  chêne  ,  ne  saurait  lui  être  comparée.  Au  moyen 
n  de  la  macbine  à  vapeur ,  on  grave  un  cachet ,  on  aplatit, 
»  comme  de  la  cire,  les  métaux  les  plus  durs  ;  on  file,  sans 
»  le  rompre,  un  fil  aussi  fin  que  le  plus  léger  duvet  j  on 
»  soulève  un  vaisseau  de  guerre  comme  une  ciialnupe;  on 
»  brode  la  mousseline  cl  on  forge  des  ancres  \  on  taille  l'a- 
»  cier  en  petits  rubans,  et  on  fait  marcher  les  navires  en 
»  dépit  des  courans  et  des  tempêtes  ! 

»  Celte  découverte  a  augmenté  indéfiniment  la  masse 
»  des  jouissances  humaines  ;  elle  a  rendu  accessibles  au 
»  moiide  entier  les  ressources  de  Taisance  et  de  la  prospii- 
M  irité.  Elle  a  donné  aux  faibles  mains  de  liionnne  un  pou- 
»  voir  sans  limites,  et  assuré  à  l'intelligence  un  Irioniplie 
M  perpétuel  sur  la  matière.  1 -'espèce  bumalne  en  est  rede- 
II.  iT 


222  Origine  et  progrès 

»  vable  à  un  seul  homme  ;  elle  a  reçu  de  lui  un  service 
»  immense  ,  universel  ;  et  Ton  peut  dire  que  l'inventeur  de 
»  la  charrue,  déifié  par  la  reconnaissance  de  ses  sauvages 
»  contemporains  ,  méritait  moins  un  tel  hommage  que  Fil- 
»  lustre  mécanicien  dont  l'Angleterre  pleure  encore  la 
»  perte.  »  (  Glasgow  Magazine.  ) 


AGRICULTURE. 


ORIGINE  ET  PROGRES  DE  L  HORTICULTURE  EN  ANGLETERRE. 


L'origine  de  l'horticulture ,  de  même  que  celle  de  tous 
les  arts  de  première  nécessité  ,  se  perd  dans  la  nuit  des 
lems.  Les  végétaux  qui  fixèrent,  d'abord,  l'attention  de 
l'homme,  comme  propres  à  le  nourrir,  furent  sans  doute 
les  fruits  ,  et  le  premier  jnrdin  dut  probablement  son  exis- 
tence à  ridée  qu'il  eut  de  s'approprier  les  arbres  qui  les  por- 
taient, soit  en  les  protégeant  là  oii  ils  se  trouvaient ,  soit  eu 
\es  rapprochant  de  son  habitation.  Tous  les  écrivains  de 
l'antiquité  s'accordent  à  mettre  à  la  tète  des  premiers  arbres 
à  fruit  que  l'on  cultiva,  le  figuier  et  ensuite  la  vigne,  dont  le 
fruit  nous  sert  d'aliment,  aussi  bien  que  de  boisson.  Les 
amandiers  et  les  grenadiero  furent  également  cultivés  de  très- 
bonne  heure  dans  la  terre  de  Chanaan  ;  et  il  résulte  des 
plaintes  des  Israélites  dans  le  désert,  que  la  figue,  le  raisin 
et  l'olive  étaient  connus  de  tems  immémorial  en  Egypte. 

Il  paraît  que  ,  dans  les  premiers  tems ,  on  attachait  moins 
d'importance  aux  racines  et  aux  herbes  légumineuses  qu'aux 
fruits  j  et  comparativement ,  elles  sont  encore  négligées  daus 
les  pays  chauds  ,  où  ia  terre  ne  peut  leur  fournir  ces  sucs  dé- 
licieux ([ui  les  alimentent  dans  les  région's  temjérées.  Ce- 


de  rhorticulluie  en  Angleterre .  220 

pendant  les  poireaux,  les  oignons,  les  aulx,  les  concom- 
bres et  les  melons  ,  étaient  communs  en  Egypte,  à  une  épo- 
que très-reculée.  (Nomb.  XI ,  5.)  On  peut  conclure  de  sa 
description  du  j.irdin  d'Eden  et  de  ses  lois  sur  la  culture  des 
vignes  de  Chanaan,  que  Moïse  était  un  fort  bon  agronome. 
Par  ces  lois ,  les  planteurs  de  vignes  et  de  figuiers  ne  doivent 
laisser  mûrir  aucun  de  leurs  fruits ,  pendant  les  trois  pre- 
mières années.  Le  produit  de  la  quatrième  appartient  à 
Dieu.  La  récolte  de  la  cinquième  année  peut  seule  être  con- 
sommée par  !e  cultivateur.  Ce  régime ,  prescrit  pour  la  cul- 
ture chananéenue ,  doit  avoir  beaucoup  contribué  à  la  pros- 
périté des  arbres  à  fruits. 

Les  jardins  d' A  Icinoùs  contenaient,  dit-on,  des  poires, 
des  grenades  ,  des  figues ,  des  olives  et  d'autres  fruits  brïl- 
lans  à  la  vue  ;  probablement  des  citrons  et  des  pommes. 
Quant  aux  légumes  ,  nous  savons  seulement  qu'il  y  en  avait 
de  plantés  sur  couches.  Peu  importe  que  ces  jardins  soient 
fabuleux  5  il  nous  suffit  que  les  fruits  qui  y  sont  nommés  fus- 
sent connus  du  tems  d'Homère. 

Dans  les  lois  des  décemvirs,  le  m ot/zorfz/5 désigne  en  même 
tems,  un  jardin  et  une  maison  de  campagne  ;  mais  dans  la 
suite  ,  le  jardin  potager  fut  distingué  par  l'adjonction  du 
mot  pijiguis.  Pline  prétend  que  Ton  doit  regarder  comme 
une  mauvaise  ménagère,  celle  dont  le  jardin  est  mal  tenu. 
Suivant  cet  auteur,  qui  écrivait  vers  la  fin  du  premier 
siècle  de  notre  ère  ,  on  cultivait  de  son  tems  ,  dans 
le  voisinage  de  Rome,  presque  toutes  les  espèces  de  fruits 
que  nous  connaissons  aujourd'hui  et  plusieurs  de  nos  légu- 
mes. Il  faut  en  excepter,  cependant,  l'ananas,  l'orange  (le 
citron  était  alors  connu,  mais  l'orange  ne  le  fui  que  dans 
le  IV^  siècle  ) ,  la  pomme  de  terre  et  le  chou  de  mer.  Très- 
peu  de  ces  fruits  sont  originaires  d'Italie  :  la  figue  y  fut  ap 
portée  de  la  Syrie;  le  citron,  de  la  Médie  ;  la  pèche,  de 
la  Perse;  la  grenade  ,  d'Afri([ue  ;  i'abritot,  de  l'Epire;  les 


224  Origine  et  jvogrès 

pommes ,  les  poires  et  les  prunes  ,  de  l'Arménie ,  et  les  ce- 
rises, du  royaiirne  de  Pont;  les  châtaignes,  les  noisettes, 
les  sorbes,  les  fraises  et  les  framboises,  paraissent  avoir  été 
les  seuls  fruits  que  la  nature  y  ait  produits.  On  trouvait  des 
groseilles  dans  les  montagnes  boisées  du  noi'd  de  l'Italie  ; 
mais  ce  fruit  était  peu  connu  dans  les  plaines  de  la  Pénin- 
sule. La  vigne  et  l'olivier  étaient  alors  cultivés  comme  au- 
jourd'hui ,  et  formaient  une  des  principales  branches  du 
commerce  de  ce  pays  ;  la  vigne  était  mariée  à  l'ormeau  et 
au  peuplier,  et,  ce  qui  est  remarquable,  quelques  planta- 
tions de  ce  genre  ,  dont  Pline  fait  mention,  entr'autres  celle 
de  la  vallée  de  la  cascade  de  Marmora  ,j  près  de  Terni  ^ 
existent  encore. 

Daines  Barriuglon  et  Sir  Joseph  Banks  ont  pensé ,  d'a- 
près quelques  épigrammes  de  Martial  et  quelques  mots  de 
Pline  et  de  Columelle,  sur  les  concombres,  que  les  Romains 
connaissaient  le  luxe  des  serres  chaudes  et  des  fruiisjbrcés. 
Le  /apis  specidaris  (  pierre  transparente  )  était  façonné  en 
châssis  de  cinq  pieds  de  long  qui  pouvaient  remplacer  ceux 
de  verre;  par  ce  moyen,  Tibère,  qui  aimait  beaucoup  les 
concombres,  en  obtint  plusieurs  fois  dans  une  même  année. 
Ils  croissaient,  dit  Columeîle,  dans  dps  corbeilles  de  fu- 
mier ,  couvertes  de  terre ,  et  l'on  avait  soin  de  les  exposer 
^1  l'air  dans  la  belle  saison  et  de  les  rentrer  à  la  nuit;  il  est 
probable,  ajoute  M.  Banks,  qu'on  avançait  aussi  les  raisins 
et  les  pèches ,  par  des  moyens  artificiels ,  tels  que  les  serres 
chaudes  ou  le  duvet;  mais  cette  opinion  nous  paraît  peu 
vraisemblable. 

L'horticulture  des  Romains  fut  entièrement  soumise  aux 
observances  superstitieuses  dictées  par  le  polythéisme.  Var- 
rou  exhorte  son  ami  à  adorer  Yénus ,  comme  protectrice 
des  jardins,  et  à  observer  les  jours  lunaires;  certaines 
choses ,  ajoute-t-il,  doivent  se  faire  pendant  que  la  lune  est 
dans  son  croissant  ;   d'autres ,   telles  que  la  moisson  et  la 


de  l'horticulture  en  Angleterre.  225 

coupe  des  taillis  ,  pendant  qu'elle  est  dans  son  déclin. 
«  J'observe  pieusement  ces  règles,  dit  Agrasius,  non  seu- 
lement pour  tondre  mes  brebis,  mais  encore  pour  couper 
mes  cheveux,  car  je  deviendrais  cbauve,  si  je  les  coupais 
quand  la  lune  n'est  pas  dans  son  déclin.  » 

Tous  les  auteurs  romains  qui  ont  traité  de  la  culture  des 
champs ,  prétendent  que,  au  moyen  de  la  greffe ,  l'on  peut 
confondre  indistinctement  toutes  les  espèces  ,  et  que  le  re- 
jeton participant  toujours  de  la  nature  du  tronc  auquel  on 
l'unit,  ne  porte  plus  que  des  fruits  de  l'espèce  de  ce  der- 
nier. Pline  cite  des  exemples  de  ceps  de  vigne  grefi'és  sur 
des  ormeaux  et  des  châtaigniers  j  mais  les  expériences  mo- 
dernes nous  ont  convaincus  qu'on  ne  doit  pas  ajouter  foi  à 
ces  assertions,  bien  que  Pline  et  d'autres  écrivains  assurent 
avoir  été  témoins  oculaires  des  pbénomènes  qu'ils  rappor- 
tent. En  Italie,  on  montre  des  roses  venues  sur  des  myates  , 
et  des  jasmins  greffés  sur  des  orangers.  Evelyn  dit  en  avoir 
vu ,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier  ,  k  Gènes  et  à  Bruxelles. 
Mais  pour  peu  qu'on  ait  de  connaissances  en  physiologie 
végétale,  on  sait  que  la  chose  n'est  pas  possible  j  c'est  un 
simple  tour  d'adresse  qui  consiste,  par  exemple,  à  se  pro- 
curer une  rose  et  une  fleur  d'orange  ,  et  à  insérer  la  tige 
de  la  première  dans  la  tige  de  la  seconde.  Plusieurs  ma- 
nières de  pratiquer  de  pareilles  déceptions  sont  signalées 
par  feu  M.  Thouin,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  La  Greffe 
Charlatan. 

Les  seuls  fruits  naturels  à  l'Angleterre ,  sont  la  prune 
sauvage  ou  prunelle,  la  gadelle  ou  groseille,  la  ronce,  la 
framboise ,  la  fraise ,  la  baie  de  bruyère  noire ,  rouge  et 
blanche,  la  cénelle,  la  noisette,  le  gland  et  le  fruit  du 
liétre.  Nos  autres  fruits  nous  ont  été  apportés  par  les  Ro- 
mains ,  qui  introduisaient  leur  jardinage  dans  les  pays  dont 
ils  faisaient  la  conquête,  et  par  les  ordres  religieux,  pen- 
dant le  moyeu  âge.  Quant  à  nos  légumes,  les  seuls  qui 


2'26  Origine  et  progrès 

soient  indigènes  ,  sont  la  carotte ,  le  céleri ,  la  betterave  j 
Tasperge ,  le  chou  de  mer  et  le  champignon. 

Jacques  I^r  protégea  l'horticulture  et  embellit  de  jardins 
les  palais  de  Théobald  et  de  Greenwich.  Mandelso,  qui  vit 
le  premier  de  ces  jardins,  en  iG/jo,  dit  qu'il  le  trouva  en- 
touré de  hautes  murailles  et  très  riche  en  arbres  fruitiers. 
Charles  I®''  appela  près  de  lui  le  Hollandais  Tra  iescant  pour 
soigner  un  jardin  potager  ;  il  créa  ensuite  une  place  de  bo- 
taniste royal  qu'il  donna  à  Parkinsou,  auteur  de  Paradisus 
terrestris,  un  des  plus  originaux  de  nos  anciens  ouvrages  sur 
la  culture  des  fruits  et  des  fleurs.  Les  melons  muscats  furent 
alors  cultivés  ,  comme  en  France  et  en  Italie,  sur  des  cou- 
ches inclinées  et  couvertes  de  paille  ,  au  lieu  de  cloches.  Le 
chou-fleur  et  le  céleri  étaient  rares  à  cette  époque  ;  le  broc- 
coli  n'avait  pas  encore  paru  j  les  pommes  de  terre  de  Vir- 
ginie (  l'espèce  la  plus  commune  chez  nous  )  étaient  très  - 
peu  connues  ;  mais  celles  du  Canada  (  nos  artichauts  de 
Jérusalem  ) ,  étaient  généralement  répandues. 

Charles  II  introduisit  dans  son  royaume  le  jardinage 
français.  Son  jardinier  ,  Rose,  qui  avait  passé  quelque  tems 
en  Hollande ,  alors  la  meilleure  école  d'horticulture  ,  et  qui 
avait  aussi  étudié  à  Paris  sous  La  Quintinie,  planta ,  dans  les 
jardins  d'Hamptoncourt  et  Malborough ,  des  arbres  à  fruit 
nains,  qui  étaient  si  remarquables,  que  Loadon,  son  élève, 
dans  son  ouvrage  intitulé  The  Retired  Gardener,  publié 
en  1667  ,  défie  toute  Tf^urope  d'en  montrer  de  pareils. 

Lorsque  La  Quintinie  vint  en  Angleterre  ,  Charles  II  lui 
offrit  une  pension  pour  y  résider  en  qualité  de  surinten- 
dant des  jardins  royaux;  mais  il  n'accepta  pas  cette  ofî're 
et  retourna  auprès  de  son  maître.  La  Quintinie  fut  le  pre- 
mier des  jardiniers  modernes  qui  unit  la  théorie  à  la  prati- 
que de  son  art  ;  il  était  d'abord  destiné  à  l'Eglise ,  mais  se 
sentant  une  vocation  décidée  pour  le  jardinage,  il  se  livra 
exclusivement  aux  études  qui  s'y  rapportent.  Ce  fut  M.  Tarn- 


de  V horticulture  en  Aimleterre.  Qï^7 

honneau  qui  lui  confia  cV abord  la  direction  cle  ses  jardins. 
Il  fut  appelé  bientôt  après  à  la  direction  de  ceux  du  roi.  Il 
mourut  à  Paris  en  1701.  Louis  XIV  parlait  toujours  de  lui 
avec  Texpression  du  regret ,  et  il  dit  à  sa  veuve  qu'il  parta- 
geait toute  sa  douleur. 

Evelyu  traduisit  l'ouvrage  de  La  Quintinle,  sur  les  oran- 
gers, ainsi  que  son  Vavjait  Jardinier  ;  il  publia,  en  1664? 
le  Kalendarium  Hortense,  qui  a  depuis  servi  de  modèle  à 
une  foule  d'ouvrages  de  ce  genre.  Son  dernier  livre  sur  le 
jardinage,  intitulé  VAcetaria,  fut  publié  en  1669.  Cet 
homme  respectable  ,  l'un  des  fondateurs  de  la  Société 
royale,  fut  consulté  par  le  gouvernement  sur  toutes  les 
questions  relatives  aux  plantations  ou  à  l'agriculture.  Lors 
de  la  disette  de  1662,  ou  invita  la  Société  à  propager  la 
culture  de  la  pomme  de  terre  ;  mais  Evelyn  qui  semble 
avoir  ignoré  à  cette  époque  tout  le  prix  de  ce  tubercule  ou 
qui  n'en  entendait  pas  la  culture ,  n'accueillit  point  cette 
proposition.  Il  encouragea  cependant  un  grand  nombre  de 
publications  utiles  sur  des  objets  d'économie  rurale,  et 
spécialement  sur  riiorticullure  ;  cntr'autres  la  traduction  de 
\  Essai  sur  les  arbres  fruitiers  ■)  d'Arnaud  d'Andillj,  un  des 
meilleurs  ouvrages  pratiques  connus  jusqu'à  ce  jour  ,  et 
remarquable  surtout  comme  le  premier  qui  ait  livré  au 
ridicule  le  mode  de  tailler  les  arbres  en  formes  de  murs  , 
d'animaux ,  etc. 

Daines  Barringlon  [ifense  que  les  serres  chaudes' et  les 
glacières  furent  introduites  chez  nous ,  pour  la  première 
fois  j  sous  le  règne  de  Charles  II ,  parce  qu'au  dîner  donné 
à  Windsor ,  à  l'occasion  de  l'avènement  de  ce  prince ,  on 
servit  des  cerises  ,  des  fraises  et  des  glaces  à  la  crème. 

Dans  le  dix-huitième  siècle,  le  jardin  botanique  de  Chelsea 
et  son  directeur  Philippe  Miller,  acquirent  quelque  renom  ; 
une  ère  nouvelle  s'ouvrit  pour  le  jardinage  ,  lors  de  la  pu- 
blication de  son  dictionnaire,  et  surtout  depuis  l'édition  de 


228  Origine  et  progrès 

cet  ouvrage  dans  laquelle  il  adopta  le  système  de  Linnée. 
Miller  perfectionna  la  culture  de  la  vigne  et  du  figuier.  I-e 
broccoli  italien  et  l'ananas  ne  furent  connus  en  Angleterre 
que  par  lui.  L'ananas  fut  d'abord  cultivé  par  Sir  Mathcw 
Decker  ,  à  Richemond  ,  dans  des  pots  placés  en  serre  ;  mais 
dans  la  suite  on  reconnut  qu'il  était  mieux  de  les  élever  sous 
couche,  comme  en  Hollande. 

L'horticulture  a  fait  d'étonnans  progrès  depuis  le  tems 
de  Miller;  l'usage  des  serres  chaudes,  généralement  ré- 
pandu de  nos  jours,  lui  a  domaé  une  physionomie  toute 
nouvelle.  On  commença  à  voir  des  serres  en  Angleterre 
dans  les  premières  années  du  dix-septième  siècle;  mais  les 
galeries  couvertes  en  vitrage  et  chauffées  par  des  poêles, 
ne  furent  en  usage  que  dans  le  dix-huitième.  Les  soins  et 
l'adresse  nécessaires  pour  faire  XQnr'ir  XesJ'ruits  forcés  ^  de- 
vinrent de  puissans  motifs  d'émulation  peur  les  jardiniers 
qui ,  dès-lors  ,  se  disputèrent  à  qui  fournirait  annuellement 
les  fruits  les  plus  beaux  et  les  plus  précoces.  Cette  émula- 
tion, jointe  à  un  goût  général  pour  les  connaissances 
botaniques,  fit  importer,  en  Angleterre,  un  grand  nombre 
de  plantes  exotiques  qui  se  répandirent  peu  à  peu  jusque 
dans  les  provinces  les  plus  reculées.  Les  Jardiniers  se  troii- 
vèrent  dans  la  nécessité  d'étudier  la  nature  de  ces  plantes, 
afin  d'employer  à  leur  culture  les  procédés  les  plus  conve- 
nables. Ainsi  s'établit  une  tendance  générale  vers  le  per- 
fectlor»nement ,  et  une  connaissance  mieux  entendue  des 
principes  de  l'horticulture,  de  1-60  à  1790.  La  culture  de 
l'ananas  et  du  raisin  fut  portée  à  Welbeck ,  dans  le  Not- 
tinghamshire ,  à  une  très-haute  perfection.  Speeckley  fît 
connaître  quelques  nouvelles  espèces  de  ces  deux  fruits  ,  et 
contribua  beaucoup  par  ses  écrits  à  en  répandre  la  culture. 
Actuellement,  chaque  jardin  clos  de  murs  a  sa  vigne , 
sa  serre  à  pêches ,  et  plusieurs  mêmes  ont  une  étuve  pour 
certains  fruits  exotiques. 


de  Vhorticidlure  en  Angleterre,  aaq 

Le  jai'dlnage  a  fait  de  grands  progrès  en  Ecosse,  mais 
ces  progrès  ne  datent  que  d'environ  cinquante  ans  ;  car, 
en  tout  pays,  les  perfecllonuemens  dans  les  arts  n'ont 
lien  qu'en  raison  de  l'accroissement  des  richesses  et  de 
1  „iccumulation  des  capitaux.  Jusqu'à  ces  derniers  tems  , 
l'Ecosse  s'est  plus  fait  remarquer  par  l'excellence  des  jar- 
diniers qu'elle  envoyait  chez  les  autres  nations,  que  par 
ceux  qu'elle  employait  à  développer  les  ressources  particu- 
lières de  son  sol. 

En  Irlande,  l'horticulture  est  encore  Irès-arriére'e.  Les 
premières  améliorations  de  ce  genre  introduites  dans  celte 
île,  sont  dues  aux  soldats  de  Cromwell ,  et  surtout  a 
Walter  Blythe  ,  auteur  du  célèbre  et  ingénieux  ouvrage 
The  Iinproçer  improved.  Depuis  CroniAvell  Jusqu'à  l'établis- 
sement de  la  Société  de  Dublin,  en  1749?  l'horticulture 
y  resta  stationnairej  mais  par  suite  des  travaux  de  celte 
même  Société,  elle  a  fait  depuis  des  progrès  notables. 

Après  avoir  tracé  ce  rapide  historique  de  l'horticulture 
dans  les  trois  royaumes,  jusqu'à  la  naissance  des  deux 
sociétés  dont  nous  venons  de  parler,  essayons  de  la  com- 
parer à  ce  qu'elle  est  chez  les  autres  nations. 

L'art  du  jardinage  est  soumis,  peut-être  plus  que  tout 
autre,  à  l'influence  des  circonstances  géographiques.  Il 
est  certain  que  la  nature  a  réparti  à  cbaque  climat  une 
variété  déterminée  des  végétaux^  mais  ceux  d'enlr'eux  qui 
sont  les  plus  utiles  à  l'homme,  comme  les  grains  farineux  , 
l'ont  suivi  dans  tous  les  lieux  où  il  a  fixé  son  séjour.  Cer- 
tains climats  paraissent  plus  propres  à  la  culture  des  lé- 
gumes ,  et  d'autres  à  celle  des  fruits  j  cependant  il  n'en  est 
aucun  dans  lequel  les  meilleures  espèces  des  uns  ou  des 
autres  ne  puissent,  à  l'aide  de  l'art,  arriver  en  plein  air  à 
un  tïès-haut  degré  de  perfection.  liCS  plus  beaux  fruits  sont 
originaires  de  la  Syrie,  delà  Perse  et  de^  Indes;  mais  les 
légumes  les  plus  succulens  et  les  plus  aromatiques  naissent 
n.  18 


23o  Origine  et  progrcs 

dans  les  champs  liumidcs  île  la  Hollande  el  de  TAngle- 
terre.  Si  ce  n'est  dans  le  Mi'auais,  aucun  légume  de  qua- 
lité supportable  ne  croît  en  Italie.  Le  seul  broccoli  de 
Rome  peut  être  comparé  à  celui  d'Angleterre.  Les  poi- 
reaux, les  carottes,  les  panais,  les  raves,  y  sont  petits, 
amers  et  dursj  le  céleri  y  est  filandreux  5  les  haricots  y 
sont  secs  et  sans  saveur.  Les  citrouilles ,  les  melons  et  les 
tomattes ,  sont ,  parmi  les  productions  de  ce  genre ,  à  peu 
près  les  seules  qui  soient  d'une  bonne  qualité  dans  le  midi 
de  l'Italie  :  toutefois  les  concombres  de  ce  pays  ne  valent 
pas,  à  beaucoup  près ,  ceux  que  nous  cullivons  sous  couche. 

En  Lombardie,  le  climat  est  plus  tempéré.  Presque 
toutes  les  terres  sont  sillonnées  par  des  cours  d'eau  ;  ce  qui 
donne  à  l'air  beaucoup  de  fraîcheur.  Aussi,  les  légumes  en 
général  et  les  fruits ,  tels  que  la  pêche  ,  l'ahricot ,  la  pomme, 
la  poire,  la  cerise,  la  prune,  le  raisin,  la  figue  et  l'olive, 
y  sont-iis  excellens.  En  certains  endroits  ,  les  citronniers  et 
les  orangers  demandent  à  être  abrités  pendant  l'hiver  j  mais 
dans  d'autres,  comme  à  Gênes,  ils  peuvent  rester  en  plein 
air,  et  les  fruits  y  parviennent  à  une  haute  maturité.  La 
Lombardie  jouit  donc  d'un  climat  qui ,  quoique  moins  boa 
que  celui  de  Rome  et  de  Naples,  pour  les  fruits,  et,  pour 
les  racines  et  les  légumes,  que  celui  de  la  Hollande,  peut 
cependant ,  à  tout  prendre  ,  élre  considéré  comme  le  plus 
favorable  du  continent  aux  deux  branches  de  l'horticulture. 

Selon  le  témoignage  de  M.  Pouqueville  et  de  M,  Hol- 
land ,  la  Turquie  d'Europe  n'a  que  de  mauvais  légumes , 
mais  €n  re>  anche  elle  a  d'excellens  fruits. 

Tous  ceux  qui  ont  voyagé  en  Espagne  savent  qu'à  l'ex- 
ception des  légumes  cultivés  dans  les  ports  par  les  négo- 
cians  étrangers,  il  n'y  a  de  bon  en  ce  genre  que  les  aidx  , 
les  oignons  et  les  citrouilles 5  mais  les  fruits  et  surtout  le 
raisin ,  la  figue  et  l'orange  y  sont  délicieux. 

Dans  le  midi  de  la  France ,  on  cultive  Ircs-peu  les  ra- 


de  l'horticulture  en  Angleterre.  aji 

cines  el  les  herbes.  La  citrouille ,  le  blé  noir,  le  luaïs ,  le 
navet  et  la  pomme  de  terre  ,  sont  pi-esque  les  seuls  végé- 
taux à  l'usage  du  paysan.  Dans  les  provinces  du  centre,  le 
haricot  est  la  piante  par  excellence  ;  cependant  les  marchés 
de  Paris  sont  assez  bien  approvisionnés,  particulièrement 
eu  salade ,  épinards  ,  oseilles  et  petits  pois  ;  les  asperges  et 
les  artichauts  y  sont  d'un  goût  meilleur  qu'en  Italie.  Le 
nord  de  la  France  est  cité  pour  ses  pommes  et  ses  poires  j 
le  midi  pour  ses  raisins  et  ses  figues  ,  qui ,  avec  la  grenade  , 
sont  naturalisés  en  Languedoc.  L'olivier  prospère  entre 
Kice,  Marseille  et  Aix.j  l'oranger  qu'où  cultive  en  plein 
air,  dans  les  îles  d'Hyères ,  est  d'un  excellent  produit  ; 
l'amande  est  très  bonne  aux  environs  de  Lyon  ;  Montreuil, 
près  Paris,  est  renommée  pour  ses  pêches  j  Argenteuil,  pour 
ses  figues 5  Fontainebleau,  povir  ses  raisins  de  table;  Tours 
et  Agen  pour  les  cerises  et  les  prunes.  Les  fruitières  de 
Paris  sont  abondamment  pourvues  de  ces  fruits  dans  leur 
saison  respective  ;  mais  aucun  d'eux  n'est  cultivé  en  serre 
chaude,  si  ce  n'est  pour  la  famille  royale  et  un  très-pelil 
nombre  de  familles  opulentes.  Il  n'y  a  peut-être  pas ,  dans 
toute  la  France  ,  plus  de  trois  ou  quatre  propriétaires  qui 
s'occupent  de  la  culture  de  l'ananas.  On  est  généralement 
dans  l'idée  que  l'air  y  est  contraire  à  ce  fruit.  Le  dernier 
duc  d'Orléans  voulant  faire  une  épreuve  en  ce  genre,  se 
procura,  par  l'intermédiaire  du  comte  d'Egremont,  son 
ami ,  une  étuve  d'ananas  pourvue  de  rejetons ,  de  briques  , 
de  duvet,  de  pots  remplis  d'écorce  d'arbres,  et  enfin  il  fit 
venir  jusqu'au  célèbre  jardinier  Blaikey;  car  rien  n'avait 
été  oublié  j  mais  après  plusieurs  essais  infructueux ,  tant  dans 
les  diverses  habitations  du  prince  ,  près  de  Paris  ,  que  dans 
une  de  ses  propriétés  à  peu  de  distance  de  Montpellier,  sur 
le  bord  delà  mer,  l'entreprise  fut  abandonnée.  Eu  résumé 
on  peut  allirmer,  sans  craint»;  d'èlrc  déjueiitl ,  que  la  culture 


232  Origine  et  progrès 

Aea  fruits  forcés  est  à  peu  près  inconnue  dans  celte  partie 
de  TEurope. 

Le  climat  de  l'Allemagne  convient  mieux  que  celui  de  la 
France,  aux  herbes  et  aux  racines,  mais  il  est  moins  bon 
pour  la  culture  des  fruits.  Les  légumes  d'Hambourg  et  les 
fruits  de  Vienne  l'emportent  sur  ceux  des  autres  villes  du 
nord.  Le  raisin ,  la  pomme  et  la  poire,  prospèrent  sur  la 
rive  septentrionale  du  Rhin  :  ces  deux  derniers  fruits  seu- 
lement réussissent  sur  les  bords  de  TElbe.  Une  des  vignes 
les  plus  avancées  dans  le  nord  de  l'Allemagne,  fut  plantée 
par  le  comte  de  Findiater,  à  son  château  près  de  Dresde, 
où  il  s'était  condamné  à  un  exil  volontaire.  Il  est  fort  rare 
qu'eu  Allemagne  le  figuier  réossisse  en  plein  air.  On  cul- 
tive le  mûrier  pour  ses  feuilles,  jusqu'à  Francfort-sur- 
rOder  j  mais  à  Berlin  et  à  Dresde ,  si  on  veut  obtenir  des 
mûres,  il  faut  fixer  l'arbi'e  en  espalier,  sur  des  murailles 
bien  exposées.  On  voit  des  abricots  et  des  amandes  entre 
Vienne  et  Presbourg  ;  quant  à  la  pèche ,  elle  ne  réussit 
en  Allemagne  qu'en  espalier.  Les  premiers  ananas  y  fu- 
rent cultivés  par  le  baron  de  Munchausen  (  qu^il  ne  faut 
pas  confondre  avec  le  fameux  voyageur  de  ce  nom  )  ,  à 
Schwobber;  près  de  Hamel ,  en  Westphalie.  Quelque  tems 
après,  le  docteur  Roltschmidt,  de  Breslaw,  en  envoya  à 
la  cour  impériale  dans  un  tems  (c'était  en  1702  )  où  ils 
étaient  à  peine  connus  en  Angleterre.  Ce  fruit  est  aujour- 
d'hui répandu  dans  tout  l'Empire.  Le  premier  qui  proté- 
gea l'horticulture  en  Allemagne  fut  Frédéric-le-Grand  j  il 
recueillait,  à  Postdam,  une  grande  quantité  d'ananas,  de 
pèches  et  de  raisins. 

En  Russie  et  en  Pologne  f  le  climat  est  également  défa- 
vorable à  la  culture  des  légumes  vivaces  et  à  celle  des  arbres 
fruitiers  ;  il  est  cependant  plus  fertile  qu'on  ne  l'imagine 
généralement  en  racines  et  en  farineux.  Ou  ne  voit  guère  de 


de  rhorliculture  en  Angleterre.  255 

jardins ,  dans  ces  contrées ,  qu'aux  environs  de  Moscou,  de 
Pélcrsbourg,  de  Wilna  et  de  Varsovie;  ils  appartiennent  à  , 
la  famille  impériale  ou  à  la  haute  noblesse,  et  ils  sont  eu 
général  tenus  sous  des  vitrages.  Les  jardiniers  sont  presque 
tous  allemands  ou  anglais  ;  ils  obtiennent  une  quantité  pro- 
digieuse d'ananas  et  de  pastèques. 

Le  climat  de  la  Suède  est  encore  plus  contraire  au  jar- 
dinage que  celui  de  la  Russie;  mais  la  nation  étant  plus 
civilisée,  les  jardins  y  sont  moins  rares;  la  pomme  de 
terre  y  abonde,  mais  on  y  voit  peu  de  serres  chaudes. 

Le  Danemarck  est  plus  favorable  à  l'horticulture  qu'on 
ne  serait  tenté  de  le  croire  d'après  sa  latitude.  Les  pâtu- 
rages sont  d'une  plus  grande  fécondité  dans  le  Holstein 
que  dans  bien  des  contrées  du  continent ,  et  par  l'aspect 
qu'oifrent  ses  jardins,  ce  pays  ressemble  plus  à  TAngleterre 
qu'aucun  autre  de  l'Europe.  Peu  de  fruits  y  croissent  en 
plein  air;  mais  les  légumes  y  arrivent  à  un  très  -  haut 
point  de  perfection  ,  et  la  pomme  ,  la  poire  ,  la  cerise  ^ 
et  même,  en  certains  endroits,  l'abricot  et  la  pêche  y 
mûrissent  en  espalier;  la  floraison  de  ces  arbres  est ,  il 
est  vrai ,  fort  tardive ,  et  ils  ont  besoin  d^être  protégés  par 
des  vitrages. 

11  ne  nous  reste  à  parler  que  de  la  Hollande  et  de  la 
Flandre;  pajs  où  les  jardins  d'agrément  et  potager  sont 
cultivés  depuis  long-tems  avec  le  plus  grand  succès.  On 
n'a  jamais  expliqué  ce  fait  d'une  manière  bien  satisfaisante. 
Harte  conjecture  que  la  nécessité  de  tirer  parti  d'un  sol 
stérile ,  jointe  à  la  liberté  qui  résultait  de  Téloignement 
de  la  cour,  durent  contribuer  à  cette  amélioration  géné- 
rale du  territoire.  Tout  ce  que  nous  savons  par  les  histo- 
riens des  Pays-Bas  ,  et  notamment  par  Gessner,  c'est  que 
le  goût  des  plantes  était  généralement  répandu  chez  les 
Hollandais  ,  même  avant  le  tems  des  croisades.  Lobel , 
dans  la  préface  de  sou  Ilisloire  des  plantes    (1576),   nous 


2 Si  Orif^ijie  et  progrès 

apprend  qne  déjà,  sous  les  ducs  de  Bourgogne,  ils  im- 
portaient des  plantes  du  Levant  et  des  deux  Indes  ;  qu'ils 
cultivaient  les  fruits  et  les  fleurs  exotiques  mieux  qu'aucun 
autre  peuple  ,  et  que  ,  jusqu'au  XVI*  siècle  ,  époque  où  , 
par  suite  des  guerres  civiles ,  leurs  jardins  furent  tous 
abandonnes  ou  détruits  ,  ils  possédaient  à  eux  seuls  plus  de 
plantes  rares  que  n'en  possédait  tout  le  reste  de  l'Europe. 

Le  climat  humide  de  la  Hollande  est  singulièrement  fa- 
vorable aux  légumes  de  toute  espèce.  Les  melons  y  ac- 
quièrent une  plus  forte  dimension  qu'aux  environs  même 
de  Londres  ;  car  les  rock-nielons  hollandais  ,  envoyés  an- 
nuellement au  marché  de  Covent-Garden ,  remportent  sur 
les  nôtres  en  volume  et  en  poids,  bien  qu'ils  soient  infé- 
rieurs en  qualité.  Leurs  ananas,  qui  nous  arrivent  aussi  , 
peuvent  se  comparer  aux  nôtres.  Amsterdam  possède  des 
pèches  d'une  très-belle  espèce  j  mais  elles  sont  moins  bonnes 
que  celles  de  Montreuil,  et  son  raisin  ne  vaut  pas*  celui  de 
Fontainebleau.  Malgré  la  longueur  des  hivers ,  les  serres 
haudes  fournissent  des  raisins  mûrs  en  mars  et  avril. 

Le  climat  et  le  sol  de  TAngleterre  ,  nous  pouvons  le  dire 
sans  préjugé  national,  sont  généralement  plus  favorables 
à  l'horticulture  que  ceux  de  tout  autre  pays.  En  admet- 
tant que ,  pour  les  herbes  et  les  racines ,  pour  les  fleurs 
bulbeuses  et  pour  quelques  fruits,  l'Angleterre  le  cède  à 
la  Hollande,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  pour  l'éclat 
de  la  verdure ,  pour  la  finesse  des  gazons  ,  pour  la  variété 
et  l'asp;  et  pittoresque  des  sites ,  elle  est  le  premier  pays 
de  l'Europe.  La  Erance  et  l'Italie  ont  sans  doute  de  meil- 
leurs fruits  qu'elle ,  mais  ces  pays  n'ont  pas  ses  légumes 
et  ses  gazons.  Charles  II,  entendant  un  jour  rabaisser 
notre  climat,  dit  que  c'était  cependant  celui  où  il  pou- 
vait, avec  le  moins  d'inconvénient,  se  pronaener  en  plein 
air  le  plus  de  jours  dans  l'année,  et  le  plus  d'heures  dans 
le  jour.  «  Il  y   a  ,   dit  Sii   William  Temple,  outre  la  don- 


de  Vhorliciilturn  en  Angleterre .  255 

ceux'  du  cliinat,  deux  choses  qui  contribuent  sensibienienl 
à  l'agrément  de  nos  jardins  :  c'est  le  sable  de  nos  allées 
et  la  verdure  presqu'éternelle  de  nos  gazons.  Le  premier 
de  ces  avantages  est  inconnu  partout  ailleurs.  Quant  au 
gazon,  on  n'en  trouve  de  pareil  ni  en  France,  nî  en 
Hollande.  Le  sol  de  ce  dernier  pays  n'est  pas  favorable  à  sa 
finesse,  et  la  chaleur  qu'il  fait  généralement  dans  l'autre , 
s'oppose  à  sa  fraîcheur. 

Les  produits  du  jardinage  en  Angleterre  surpassent  in- 
contestablement ceux.  A^s  autres  nations,  en  variété,  en 
qualité  et  en  quantité.  Sans  parler  des  innombrables  jar- 
dins des  particuliers  oii  les  fruits  les  plus  estimés  ,  tels 
que  l'ananas,  le  raisin,  la  pèche,  le  melon,  arrivent  à 
une  perfection  aussi  grande  que  dans  les  pays  dont  ils  sont 
originaires ,  que  de  fruits  envoyés  au  marché  de  Covent- 
Garden  et  aux.  marchands  fruitiers  de  Londres  I  On  y 
trouve,  en  toute  saison,  une  quantité  prodigieuse  d'ana- 
nas j  quantité  plus  forte  même  que  celle  qui  se  recueille 
à  la  Jamaïque  ou  à  Calcuta.  On  y  vend  en  janvier  et  fé- 
vrier, des  asperges ,  des  pommes  de  terre  ,  des  choux  de 
mer,  des  champignons  et  des  concombres  ;  en  mars  on  y 
voit  des  cerises  et  des  haricots,  et  une  foule  d'autres  végé- 
taux; en  avril,  des  melons  ,  Aqs  raisins,  des  pêches  et  des 
petits  poisj  en  mai,  tous  \çs  fruits  forcés  en  grande  abon- 
dance 5  en  juin ,  juillet  et  dans  les  mois  suivans  jusqu'en 
novembre,  une  variété  étonnante  de  fruits  d'été;  en  oc- 
tobre, des  raisins,  des  figues,  des  melons,  plusieurs  es- 
pèces de  pêches  ;  eu  novembre  et  décembi'e,  des  raisins  , 
des  melons  d'hiver ,  des  noix,  des  poires,  des  pommes, 
des  prunes,  et  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  des  ananas 
en  touttems.  Il  en  est  de  même  }.our  les  légumes;  en  un 
mot ,  on  ne  saurait  se  faire  une  idée  de  la  variété  et  de  la 
quantité  des  végétaux  qui  sont  apportés  dans  nos  marchés 
pendant  tout  le  cours  de  l'année. 


25G  Origine  et  progrès 

Les  fleurs  que  Ton  cultive  daus  les  serres  chaiules ,  la 
rose,  la  mignonelle,  ainsi  que  les  autres  fleurs  île  parterre, 
et  les  arbustes,  y  viennent  en  abondance  et  v  sont  cultives 
dans  toutes  leurs  varcités.  Quant  aux  herbes  me'dicinalcs 
et  propres  à  la  distillation,  on  .peut  en  trouver  plus  de  cinq 
cents  espèces  chez  les  herboristes. 

Non-seulement  tous  ces  produits  végétaux  sont  natura- 
lisés chez  nous,  mais  ils  s'y  trouvent  en  si  grand  nombre, 
que  les  consommateurs  se  les  procurent  à  des  prix  fort 
modiques,  tellement  qu'un  négociant  aisé  peut,  s'il  le 
veut,  avoir  sur  sa  table  des  fruits,  et  dans  son  salon  des 
fleurs,  qui  ne  le  cèdent  pas  à  ce  que  possèdent  en  ce  genre 
nos  plus  grands  propriétaires  ,  et  que  plusieurs  souverains 
en  Europe  voudraient  vainement  se  procui'er.  Tels  sont 
les  effets  des  influences  combinées  de  notre  climat,  de 
notre  industrie  et  de  notre  richesse  (i). 

Malgré  ces  beaux  résultats  de  l'horticulture  britan- 
nique, elle  laisse  encore  un  vaste  champ  ouvert  aux 
améliorations.  Les  mêmes  produits  pourraient  dans  beau- 
coup de  cas  s'obtenir  par  des  moyens  plus  simples  et  moins 
dispendieux,  et  quelques-uns  de  nos  légumes  seraient  sus- 
ceptibles d'être  améliorés,  sous  le  rapport  du  goût,  do  la 
reproduction  ,  de  la  précocité ,  de  la  grosseur  ou  de  h 
force.  Il  nous  manque,  d'ailleurs,  un  gi'and  nombre  d'es- 
pèces qu'on  cultive  dans  les  pays  chauds. 

Mais  ce  qui  nous  reste  principalement  à  faire,  c'est  de 
propager,  dans  les  classes  inférieures,  le  goût  et  la  con- 
naissance de  riiorliculture.  Peu  de  nos  fermiers  savent 
cultiver  un  jardin.   Les   arbustes  stériles  des   haies  pour- 

(i)]SoTE  DU  Tr.  Le  fruit  servi  aux  banquets  somptueux  donne's  à 
Paris  par  le  duc  de  Nortliumberland  ,  à  l'époque  du  sacre  de  S.  M. 
Charles  X,  venait  d'Angleterre;  il  avait  été  exclusivement  recueilli 
dans  ses  serres,  et  il  a  fait  l'admirallon  de  ses  convives,  plus  encore 
que  le  luxe  de  sa  vaisselle ,  et  la  magnificence  de  sa  livrc'e. 


da. l'horticulture  en  Angleterre.  'j.'5'j 

raient  être  avantageusement  remplaces  par  des  poiriers  ou 
des  pommiers.  Les  haies  elles-mêmes,  comme  cela  se  pra- 
tique dans  quelques  parties  daCeydertlale  ,  pourraient  Vètre 
par  des  rangées  de  pruniers  de  Damas  ,  dont  le  fruit  indi- 
gène mûrit  en  toute  saison ,  et  peut  utilement  s'employer 
dans  la  fabrication  du  vin  ou  des  confitures.  On  ne  saurait 
dire  quel  degré  d'aisance  et  de  bonlieur,  d'allachement 
pour  ses  foyers  ,  sa  famille  et  sa  patrie  ,  d'adoucissement 
dans  ses  formes  et  dans  ses  mœurs ,  re'sulleraient  pour  le 
peuple  des  campagnes,  du  seul  embellissement  de  ses  chau- 
mières et  de  ses  jardins.  Les  voyageurs  observent  géné- 
ralement, et  avec  raison  ,  que  l'on  peut  juger  de  la  condi- 
tion du  laboureur  par  la  seule  inspection  de  son  jardin  j 
en  effet,  i!  n'y  a  guère  de  moyen  par  lequel  le  cultivateur 
puisse  se  procurer  plus  de  bien-être,  à  moins  de  frais,  et 
avec  plus  de  chances  de  succès ,  tant  pour  lui-même  que 
pour  sa  patrie ,  qu'en  ren  lant  son  habitation  plus  com- 
mode et  plus  agréable ,  par  l'accessoire  d'un  petit  jardin  ; 
quelques  journées  employées  à  sa  culture  lui  donneront 
des  arbres  fruitiers,  des  semences  et  des  plants  d'un  grand 
nombre  de  végétaux  utiles. 

A  ces  avantages  ,  on  pourrait  ajouter  des  prix  destinés  à 
récompenser  les  cultivateurs  qui  se  seraient  distingués  par 
les  meilleurs  procédés  :  les  sociétés  d'horticulture  sont  à 
même  défaire  beaucoup  à  cet  égard,  et  nous  appelons  leur 
attenlion  sur  un  objet  si  utile  et  si  patriotique. 

li  nous  reste  peu  d'espace  pour  parler  des  jardins  de  pur 
agrément,  dans  lesquels  il  y  a  encore  beaucoup  à  faire, 
soit  en  simplifiant  les  modes  de  culture,  soit  en  naturali- 
sant les  espèces  exotiques,  ou  encore  eu  améliorant  celles 
qui  sont  indigènes  et  communes.  Le  goût  de  ces  sortes  de. 
jardins  a  fait  des  progrès  étonnans  dans  la  seconde  moitié 
du  dernier  siècle.  Le  nombre  des  plantes  étrangères  intro- 
duites dans  ce  pays  ,  paraît  s'élever  à  1 1,970. 

II.  19 


338  Origine  et  progrès 

A  toutes  les  observations  que  nous  venons  de  l'aire  sur 
le  jardinage,  on  peut  ajouter  que  cet  art  est  exercé  ,  chez 
nous,  d'une  manière  beaucoup  trop  empirique.  La  physio- 
logie végétale  n'a  commencé  à  être  comprise  dans  notre 
pays  que  depuis  les  expériences  et  les  savantes  dissertations 
de  M.  Knightj  encore  celte  science  ne  se  lie-t-elle  pas 
assez  intimement  à  l'art  du  jardinage.  Les  Anglais  se  sont 
toujours  plus  distingués  par  leurs  talens  pratiques,  que 
par  leurs  connaissances  en  théorie.  Ce  que  fait  un  Fran- 
çais ou  un  Allemand  par  son  habileté  acquise,  un  Anglais 
l'exécute  naturellement ,  et ,  en  quelque  sorte ,  d'inspira- 
tion. Accoutumé  à  i'abondance  ,  et  à  se  procurer  toutes 
choses  à  prix  d'argent,  il  sent  peu  le  besoin  de  la  science; 
il  cherche  ses  moyens  dans  sa  bourse  plutôt  que  dans  sa 
tête,  et  pour  atteindre  un  but,  il  va  toujours  en  avant  sans 
regarder  à  la  dépense.  Ainsi  le  jardinage  anglais  est  en  rap- 
port avec  le  caractère  national.  On  peut  remédier  à  cet 
inconvénient  en  faisant  faire  de  meilleures  études  à  nos  jar- 
diniers ,  et  en  les  accoutumant  à  observer,  à  réfléchir,  et  à  - 
généraliser. 

Disons  maintenant  un  mot  des  moyens  employés  par 
les  sociétés  d'horticulture,  pour  l'encouragement  de  cet  art. 
La  Société  de  Londres  doit,  en  quelque  sorte,  son 
origine  à  M.  Rnight,  son  président  actuel.  Elle  fut  formée 
en  i8o5  et  reconnue  légalement  en  1809.  La  Société  tient 
des  réunions  et  des  procès-verbaux  depuis  l'époque  de  sa 
formation.  Il  a  déjà  paru  plusieurs  volumes  de  ses  travaux. 
En  1817,  la  Société  acquit  un  jardin  ,  que  dans  ce  moment 
même  elle  s'occupe  d'étendre  considérablement.  Elle  a  des 
membres  correspondans  dans  toutes  les  parties  du  globe  , 
et,  à  la  faveur  de  ceux-ci ,  elle  s'est  déjà  procuré  un  grand 
nombre  de  graines  et  de  plantes.  Elle  a  envoyé  un  jardi- 
nier dans  l'Inde  et  un  autre  en  Chine ,  pour  y  choisir  et 
faire  parvenir  à  Londres  de  jeunes  plants  des  plus  beaux 


de  l'horticulture  eiï  Angleterre.  25() 

arbres  fruitiers  de  l'Orleul.  La  Société  distribue  des  mé- 
dailles d'or  et  d'argent  aux  simples  amateurs  comme  aux 
jardiûiers  de  profession;  il  faut  observer  que  ceux-ci 
sont  admis  comme  membres  à  des  conditions  moins  oné- 
reuses que  les  amateurs;  ainsi  la  Société  se  compose  de  trois 
quarts  d'amateurs  et  d'un  quart  de  jardiniers-praticiens. 

La  Société  Calédonienne  était,  dans  l'origine,  une  réu- 
nion de  fleuristes  qui  a  commencé  à  s'assembler  à  Edin- 
bourg,  en  i8o3.  Elle  a  agrandi  ses  vues  eu  1809.  Sou  but 
est  le  même  aujourd'hui  que  celui  de  la  Société  de  Lon- 
dres ,  sauf  quelques  branches  d'économie  domestique  dont 
cette  dernière  ne  s'occupe  pas ,  telles  que  l'éducation  des 
abeilles  et  la  fabrication  des  vins  anglais.  Elle  a  déjà  publié 
trois  volumes  in-8°  de  mémoires.  Le  dernier  a  paru  en 
1809.  Ses  membres  sont  classés  comme  ceux  de  la  Société 
de  Londres.  Elle  possède  unjardiu  expérimental,  et  ùistri- 
buft  des  médailles  d'or  et  d'argent.  Les  trois  quarts  de  ses 
membres  sont  des  jardiniers  de  profession. 

Les  médailles  distribuées  par  la  Société  royale  de  I>on- 
dres ,  on  été  jusqu'ici  décernées  plutôt  à  des  patrons  du 
jardinage  qu'à  des  jardiniers  mêmes.  Quelques-unes  n'ont 
tté  que  des  dons  de  pure  faveur,  comme  la  médaille  d'or 
accordée  à  MM.  Hanrolt  et  Melcalf,  pour  avoir  rédigé  !es 
statuts  et  le  règlement  de  -a  Société.  D'autres  ont  été  don- 
nées par  galanterie  ,  comme  celle  décernée  à  miss  Coke  , 
qui  en  a  obtenu  une  pour  avoir  pris  sous  sa  protection  un 
plant  de  melons  provenus  en  plein  air,  et  avoir  fait  hom- 
mage d'un  de  ces  fruits  à  la  Société.  Il  serait  difficile  de 
dire  les  motifs  qui  en  ont  fait  décerner  quelques  autres. 

Les  médailles  et  les  prix  de  la  Société  Calédonienne  ont 
été  au  contraire  presqu'enticrement  distribués  à  des  jar- 
diniers. Il  nous  paraît  qu'elle  a  fait  preuve  de  discerne- 
ment dans  ses  choix.  En  général ,  ce  ne  sont  pas  des  mé- 
moires qu'elle  demande  sur  des  questions  théoriques  ,  mais 


24 o  Origine  et  progrès  de  f  horticulture  en  Angleterre. 
(les  expériences  qu'elle  engage  à  faire,  et  dont  les  résultats 
doivent  être  connus  à  une  époque  déterminée.  Non-sevde- 
inent  ies  membres  de  la  Société ,  mais  les  étrangers  sont 
également  admis  à  concourir.  Il  en  résulte  une  si  vive 
émulation  ,  et,  à  l'époque  de  l'exposition,  un  si  grand  nom- 
l)re  de  beaux  produits,  que  pour  récompenser  le  mérite, 
la  Société  est  souvent  obligée  d'accorder  un  second  et  un  • 
troisième  prix  pour  le  même  objet.  Une  chose  qui  a  droit 
à  des  éloges  particuliers ,  c'est  que  la  Société  donne  des 
prix  pour  les  jardins  entretenus  avec  ordre  et  propreté , 
lors  même  qu'ils  n'offrent ,  d'ailleurs ,  rien  de  remarquable. 
INous  regardons  cet  usage  comme  très- judicieux  3  il  doit 
contribuer  à  former  une  bonne  école  de  jardiniers,  et  à 
maintenir  l'Ecosse  au  rang  qu'elle  occupe  parmi  les  pays 
agricoles. 

Nous  ne  demanderons  plus  au  lecleur  qu'un  dernier 
moment  pour  examiner  brièvement  laquelle  de  ces  deux 
Sociétés  a  pris  la  meilleure  route  pour  pai'venir  à  son  but, 
savoir ,  le  perfectionnement  de  l'horticulture.  Tout  le 
monde  sait  que  l'effet  ordinaire  des  sociétés  de  ce  genre  est 
d'exciter,  dans  les  classes  opulentes ,  un  désir  général 
d'en  faire  partie.  Elles  procurent  ainsi  des  patrons  puissans 
et  nécessaires  aux  individus  qui  exercent  les  arts.  En  con~ 
faidérant  la  question  sous  ce  point  de  vue,  nous  pensons 
que  les  deux  sociétés  ont  été  également  sages ,  quoique 
agissant  par  des  principes  différens  ,  et  que  chacune  d'elles 
a  suivi  la  marche  qui  convenait  le  mieux  à  la  localité  où 
elle  se  trouvait.  On  a  reproché  aux  belles  publications  de 
la  Société  de  liondrcs,  un  trop  grand  luxe  typographique, 
d'où  est  résulté  un  prix  beaucoup  trop  élevé  pour  que  les 
connaissances  qu'elles  renferment  soient  à  la  |  ortée  des 
jardiniers  et  des  cultivateurs.  Toutefois ,  chez  une  nation 
libre  et  éclairée,  ce  qui  est  véritablement  utile  se  répand 
bientôt  dans  toutes  les  classes.  Les  mémoires  de  celte  So- 


Coiip-d'œii  sur  la  Russie  et  sur  sa  littérature.  24  ' 
cidlé  ne  sont  d'ailleurs  qu'une  faible  partie  des  services 
qu'elle  rend  au  public. 

Cependant ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit ,  ce  n'est  pas 
par  leurs  publications  que  l'une  où  l'autre  des  deux  Sociétés 
jseut  opérer  le  plus  grand  bien ,  mais  plutôt  en  donnant  de 
l'éclat  et  de  la  vogue  à  l'objet  de  leurs  études  ,  et  en  mul- 
tipliant, par  l'influence  de  leurs  réunions  et  de  leurs  prix, 
les  jouissances  que  riiorticulture  peut  offrir  aux  classes 
opulentes.  C'est  par  ce  moyen  que  les  jardiniers  babiles 
seront  plus  appréciés  et  mieux  rétribués,  et  comme  une 
augmentation  de  bien-être  pour  une  portion  delà  Société 
entraîne  toujours  une  amélioration  dans  le  sort  des  autres, 
il  s'ensuit  que  de  meilleurs  légumes  et  de  meilleurs  fruits 
ne  tarderont  pas  à  être  consommés  dans  les  dernières 
classes  du  peuple  5  ce  qui  est  aujourd'hui  un  luxe  deviendra 
seulement  une  aisance}  ce  qui  sera  aisance  deviendra  bien- 
tôt une  cliose  de  nécessité  3  et  c'est  ainsi  que  le  mouvement 
particulier  Imprimé  par  ces  Sociétés  ,  contribuera  à  la  pros- 
périté générale  de  tous.  (  Quarterly  Ret>iew.  ) 

COUP   D'OEIL 

SUR    LA    RUSSIE    ET    SUR    SA  LITTERATURE. 


La  Russie,  il  y  a  un  peu  plus  d'un  siècle,  n'excitait  ni 
intérêt,  ni  craintes,  ni  jalousie.  On  savait  seulement  que 
ce  pays  éloigné  était  habile  par  des  barbares  ;  mais  on 
n'avait  sur  lui  que  des  notions  vagues  et  incertaines,  pui- 
sées dans  les  récits  de  quelques  voyageurs  aventureux.  A 
cette  époque,  la  Moscovie  était  autant  hors  du  cercle  de 
la  politique  européenne,  que  l'est  aujourd'hui  la  ïartarie 


24^  Coup-d' œil  sur  la  Russie 

ou  le  Japon.  Si  parfois  ses  ambassadeurs  et  ses  boyards 
pénétraient  jusque  dans  les  contrées  méridionales  de  l'Eu- 
rope, on  regardait  ces  hommes  ,  dont  il  était  impossible  de 
prononcer  les  effroyables  noms ,  comme  des  espèces  de 
monstres  sauvages,  sortis  de  régions  lointaines  et  incultes 
avec  lesquelles  nos  seuls  rapports  consistaient  Hans  un 
commerce  d'échange,-  nous  bornant  à  recevoir  les  pro- 
duits bruts  de  leur  sol  et  leur  envoyant  en  retour  ceux, 
de  nos  arts  et  de  notre  civilisation  ,  qu'une  noblesse  puis- 
sante faisait  servir  à  sa  grossière  magnificence.  Quelqu'un 
qui  eût  prédit,  il  y  a  un  siècle,  la  prépondérance  de  la 
puissance  moscovite,  se  .serait  moins  aventuré  peut-être 
que  celui  qui,  de  nos  jours,  annoncerait  aux.  Lapons,  ou 
aux  Esquimaux,  la  domination  du  monde  dans  l'espace 
de  cent  ans.  En  effet,  envahis  par  chaque  conquérant, 
humiliés  par  les  Scandinaves ,  tenus  dans  une  longue  sujé- 
tion par  les  Tartares ,  vaincus  eu  dernier  lieu  par  les  Po- 
lonais, les  Russes,  avant  le  règne  de  Pierre  I^'',  loin  de 
songer  à  attaquer  les  autres ,  semblaient  alors  ne  posséder 
aucun  principe  de  force  ni  de  courage ,  et  être  incapables 
de  résister  à  la  plus  légère  agression.  C'eût  été,  de  la  part 
d'un  czar,  une  prétention  inouie ,  que  d'aspirer  à  la  main 
d'une  princesse  anglaise  j  car,  qu'était-ce  pour  nous  que  la 
Moscoi^ie ,  sinon  une  contrée  lointaine,  stérile,  glacée, 
asile  de  l'ignorance  et  de  la  barbarie? 

Les  choses  ont  bien  changé.  La  Russie,  quoique  se  trou- 
vant encore  en  arrière ,  sur  le  chemin  de  la  civilisation , 
n'a  pas  craint  d'aspirer  à  la  dictature  des  autres  états  eu- 
ropéens, et  elle  l'a  obtenue.  Elle  pèse  sur  eux.  de  tout  son 
poids  ,  disposant  à  son  gré  des  royaumes ,  et  réglant  les 
destinées  des  nations  ,  depuis  la  ville  septentrionale  de  Tor- 
nëo  jusqu'aux  rives  desséchées  du  Mançanarès.  Elle  s'ef- 
force .  à  la  vérité ,  de  persuader  aux  membres  de  la  SainU- 


et  sur  sa  littérature.  24  5 

Alliance  qu'ils  possèdent  une  influence  égale  à  la  sienne  5 
mais,  parle  fait,  elle  les  tient  sous  sa  dépendance.  Dans 
la  grande  lutte  qui  s'est  élevée  entre  les  idées  nouvelles  et 
les  intérêts  anciens,  le  gouvernement  russe,  représentant 
de  ces  derniers,  s'en  est  constitué  le  champion.  Nous 
sommes  forcés  de  convenir  que  les  maîtres  iie  cette  nation 
ont  agi  avec  habileté,  s'ils  ont  eu  pour  but  unique  de  con- 
server et  d'étendre  le  pouvoir  gigantesque  dont  ils  sont 
investis.  En  effet,  s'ils  favorisaient  activement  le  dévelop- 
pement intellectuel  des  peuples  de  la  Russie ,  ce  pouvoir 
ne  larderait  pas  à  être  ébranlé  ,  ou  du  moins  contenu 
dans  des  limites  plus  étroites  ;  mais  aujourd'hui,  comme  il 
n'existe  chez  eux  aucune  opinion  publique  qui  mette  obs- 
tacle à  l'exercice  de  leur  autorité,  ils  ont  pu  l'étendre  au 
dehors ,  et  c'est  ainsi  que  nous  les  avons  vus ,  employant 
tour-à-tour  la  ruse  ou  la  force  ouverte,  ajouter  à  leur  vaste 
territoire  de  nombreuses  provinces  et  des  royaumes  tout 
entiers. 

Qu'on  jette  les  yeux  sur  la  carte  de  cet  hémisphère 
oriental,  et  qu'on  observe  les  progrès  lents,  mais  sûrs  , 
mais  invariables  de  la  puissance  russe.  On  la  verra  profiter 
de  toutes  les  vicissitudes  des  états  et  des  empires ,  pour 
s'emparer  ensuite  de  leurs  dépouilles.  Elle  ne  s'est  point 
agrandie  ainsi  que  l'a  fait  l'Angleterre ,  ens'approprianl  çà 
et  là,  et  comme  par  hasard,  des  territoires  détachés  les 
uns  des  autres,  éloignés  de  la  mère-patrie,  et  dont  l'en- 
tretien exige  le  plus  souvent  une  dépense  dix  fois  supé- 
rieure à  leur  valeur.  La  Russie  a  marché  en  étendant  peu 
à  peu  son  influence,  en  consolidant  ses  forces,  élargissant 
ses  frontières  et  assurant  ses  postes  avancés  par  de  nou- 
velles possessions.  Aujourd'hui,  semblable  à  une  pyramide 
renversée,  eile  penclie  sur  l'Europe  et  sur  l'Asie,  qu'à 
chaque  instant  elle  menace  d'écraser.  C'est  elle  qui ,  dans 


1^^  Coup-d'œil  sw  lu  Russie 

le  mallïeureux  partage  de  la  Pologne,  a  enlevé  la  mell- 
leuve  part  ;  la  Courlande  et  la  Livonie  lui  ont  donné  tout  le 
littoral  oriental  de  la  Baltique  ;  au  nord -ouest ,  elle  a  ajouté 
la  Finlande  à  ses  domaines  ,  tandis  que ,  vers  le  midi ,  elle 
s'emparait  de  presque  tout  le  pays  qui  borde  les  côtes  sep- 
tentrionales du  Pout-Euxin.  La  Géorgie  lui  appartient  ;  les 
cent  tribus  du  Caucase  sont  venues  déposer  leur  liberté  à 
ses  pieds.  Son  influence  agit  sans  aucun  contrôle  à  la 
cour  de  Téhéran  ,  et  s'est  fait  sentir  dans  les  conseils  de  la 
Grèce.  Ce  n'est  pas  tout  :  les  Russes  ont  traversé  l'Océan 
Pacifique;  ils  ont  été  planter  leur  pavillon  sur  les  côtes 
nord-ouest  de  l'Amérique.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  le 
système  de  ce  gouvernement ,  à  1  égard  des  provinces 
conquises,  est  de  les  traiter  avec  la  plus  grande  douceur. 
Les  Polonais  ont  obtenu  une  constitution  qui  flatte  leur 
orgueil  national.  Les  Finlandais  ont  reçu  ,  du  souverain 
lui-même ,  des  témoignages  non  équivoques  de  bonté  et 
de  condescendance  (i).  De  riches  présens  et  des  promesses 
plus  brillantes  encore  ont  consolé  les  princes  géorgiens  et 

(i)  Nous  avons  clé  témoins  à  ce  sujet  d'un  fait  assez  curieux.  Les 
FinlanJais  e'taient  profondcment  irrités  de  la  cession  de  leur  pays  à  la 
Russie.  L'empereur  Alexandre  résolut  de  les  aller  visiter;  mais  il  fut 
reçu  par  eux  avec  la  plus  grande  froideur.  Un  jour ,  qu'accompagne 
de  sa  suite ,  il  traversait  un  lac  dans  l'intérieur  du  pays ,  il  remarqua 
qu'un  des  rameurs  portait  une  décoration  attachée  à  sa  boutonnière. 
«  Où  as-tu  gagné  cela  ,  mon  ami  ?  >>  lui  dit  l'empereur.  Le  paysan 
garda  le  silence.  INIais  un  de  ses  compagnons  prit  la  parole  pour  lui ,  et 
dit,  qu'ayant  été  au  service  de  Napoléon  ,  il  avait  remporté  cette  dis- 
tinction sur  le  champ  de  bataille;  que  depuis  lors  ,  il  était  en  grande 
vénération  parmi  ses  compatriotes  qui  ne  l'appelaient  plus  que  le  Roi 
des  Finois.  «  Prenez  celte  rame,  dit  l'empereur  en  se  tournant  vers 
un  de  ses  aides-dc-camp  ,  et  conduisez  à  terre  le  Roi  des  Finois.  »  Ces 
simples  paroles  valurent  à  l'empereur  Alexandre  une  popularité  qu'il 
aurait  vainement  tenté  d'acheter  au  prix  de  plusieurs  millions. 


ei  sur  sa  littérature.  245 

cîrcassiens  tle  la  porte  tle  leur  indépendance.  Quant  aux 
Grecs,  la  Russie  s'est  offerte  à  eux.  comme  lem*  protectrice 
naturelle,  contre  les  persc'cutions  des  Musulmans.  Enfin, 
de  quelque  côté  que  la  mine  éclate ,  les  traînées  sont  dis- 
posées de  manière  à  ce  que  l'explosion  lui  devienne  profi- 
table. 

Il  existe  une  autre  considération  non  moins  e£fravante. 
Cet  empire  est  inaccessible  chez  lui,  inattaquable  du  de- 
hors. Adossé  à  des  montagnes  ,  baigné  par  plusieurs  mers , 
il  a,  dans  les  glaces,  les  neiges  et  tous  le  fléaux  terribles 
que  l'hiver  traîne  à  sa  suite ,  des  remparts  qu'aucune  force 
humaine  ne  peut  renverser.  Ainsi  que  l'a  fort  bien  dit 
M.  clePradt,  «  la  Piussie  possède  devant  elle  un  territoire 
qui  protège  le  sien  ,  tandis  que  l'occupation  de  la  Pologne 
lui  donne  accès  dans  le  cœur  de  l'Europe  ;  elle  peut,  quand 
elle  le  voudra  ,  transporter  ses  arsenaux  aux  frontières  de 
l'Allemagne,  et  faire  de  la  Yistule  sa  limite.  »  La  Russie 
n'a  rien  à  redouter  de  ses  voisins.  Eernadolte  ne  jouit  pas 
des  privilèges  de  la  légitimité  ;  il  craindrait  d'offenser  le 
monarque  qui  tient  dans  ses  mains  le  jeune  prétendant , 
héritier  du  roi  Gustave;  et  s'il  l'osait,  ce  serait  en  vain. 
La  Finlande  et  l'archipel  des  îles  d'Aland,  anciens  rem- 
parts de  la  Suède,  ne  défendent  plus  ce  royaume.  La  Prusse 
et  l'Autriche  ne  peuvent  ni  se  détaclicr  de  la  Russie,  ni 
l'arrêter  dans  ses  projets  ;  elle  a ,  pour  ainsi  dire  ,  ses  postes 
militaires  au  centre  des  états  de  la  première 5  et  la  seconde 
n'a  ni  forces ,  ni  barrières  capables  d'opposer  une  résis- 
tance efficace  à  la  marche  de  ses  troupes.  L'empire  otto- 
man est  renversé  sur  la  poussière.  Reste  à  savoir  mainte- 
nant si  la  Grèce,  sous  la  protection  et  avec  l'ai  iancc  de  la 
Grande-Bretagne ,  jouissant  d'un  bon  gouvernement  po- 
palaire  ,  pourra  devenir  un  obstacle  aux  progrès  toujours 
croissans  du  géant  du  Nord. 

L'armée  russe ,  qu'on  dit  s'élever  à  un  million  «riiom- 


a46  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

mes  (i)  ,  était,  pour  les  finances  de  l'empire,  un  trop 
lourd  fardeau.  On  imagina,  pour  le  soulager,  un  plan  de 
colonisation  militaire ,  qui  consiste  à  enregistrer  les  pay- 
sans appartenant  aux  domaines  de  la  couronne,  et  à  les 
discipliner  au  service  actif.  On  obtiendra  ,  par  ce  moyen , 
une  armée  formidable  ,  sans  trop  rie  charges  pour  l'état. 
Dans  un  pays  plus  civilisé  que  ne  l'est  la  Russie,  le  projet 
d'armer  la  population  n'eût  pas  été  sans  péril  pour  le 
pouvoir  absolu  ;  mais  les  bommes  d'état  qui  l'ont  conçu 
connaissent  trop  bien  le  terrain  sur  lequel  ils  agissent, 
pour  qu'ils  aient  à  craindre  aucuns  résultats  dangereux., 
lis  ont  prévu  que  les  colons ,  moitié  soldats ,  moitié  ci- 
toyens ,  ayant  tout  à  perdre  et  rien  à  gagner  dans  un  chan- 
gement qu'ils  susciteraient,  reconnaîtraient  eux-mêmes 
que,  dans  tout  autre  système  du  gouvernement,  la  foi'ce 
qui  réside  dans  leurs  mains  leur  serait  enlevée  ;  et  après 
tout,  malgré  les  rêveries  des  poètes  et  des  philosophes, 
il  n'y  a  rien  de  plus  puissant  en  ce  monde  que  le  fer  et  l'or. 

(i)  Note  DU Tr.  Des  rapports  officiels  la  portent  à  950,000;  mais  il  y 
a  presque  une  exagération  d'un  tiers,  dans  celte  évaluation.  Nous  croyons 
que  l'étatsulvant  se  rapproche  davantage  de  la  situation  effective. 

Quartiers-généraux.  Hommes. 

i^e  Armée,                  gén' Saken Moliilow 320,ooo 

ame  Amée,                    »     ^Vitlgenstein.le  Pruth 100,000 

Garde  Impériale  ,        »     Ouvarow Pétcrsbourg.  . .  .  80,000 

Armée  de  Géorgie  ,     »     Yermolow.  . .  .Tiflis 60,000 

Armée  de  Lithuanie,                                     Wilna 80,000 

Armée  de  Pologne  ,                                        \arsovie 3o,ooo 

Kosaques  réguliers  ,  7,000 

677,500 


Ce  calcul  a  été  fait  d'après  une  rcduction  opérée,  il  y  a  quelques 
mois  ,  d'environ  3o,ooo  hommes  qui  furent  tous  incorporés  dans  les 
colonies  militaires. 


et  sur  sa  littérature.  247 

Les  colonies  militaires  sont  déjà  répandues  sur  les  trois 
gouvernemeos  de  Novogorod,  de  Cherson  et  de  Charkow  j 
et  plus  de.5ojOoo  soldats  se  trouvent  aujourd'hui  disci- 
plinés ,  sans  que  l'Europe  en  ait ,  pour  ainsi  dire ,  eu  con- 
naissance. Leur  nombre  s'accroît  rapidement ,  et  chaque 
jour  de  nouveaux  villages  sont  enrôles.  L'organisation  de 
ces  colonies  est  fort  simple.  Les  villages  qui  dépendent  de 
la  couronne  sont  enregistrés  et  soumis  à  la  discipline  de 
chefs  militaires.  Tous  les  paysans  sont  dressés  au  manie- 
ment des  armes  ;  mais ,  en  même  tems ,  ils  sont  tenus  de 
fournir  à  leur  entretien  et  h  celui  de  leurs  familles,  par 
leur  travail ,  sous  l'inspection  du  chef  de  la  colonie  auquel 
une  certaine  étendue  de  terrain  a  été  concédée  pour 
l'usage  des  colons.  En  outre  des  troupes  régulières  effec- 
tives ,  on  a  créé  un  grand  corps  de  réserve  dans  lequel 
on  pi'end  les  recrues  destinées  à  remplir  les  cadres.  Cette 
éducation  commence  dès  l'âge  le  plus  tendre  et  se  divise 
en  trois  époques  pour  la  génération  nouvelle.  Jusqu'à  huit 
ans  ,  les  cnfans  sont  confiés  aux  soins  et  à  la  surveillance 
de  leurs  parens;  à  cet  âge ,  ils  passent  dans  des  écoles  mi- 
litaires ,  où  ils  sont  astreints  à  une  foule  de  devoirs,  et  sou- 
mis à  la  discipline  la  plus  rigoureuse.  Ce  n'est  qu'à  treize 
ans  qu'ils  obtiennent  la  distinction  de  cdntonnier ,  et  qu'on 
leur  apprend  à  la  fois  la  double  profession  de  laboureur  et 
de  soldat.  A  dix-sept  ans ,  ils  font  enfin  partie  de  la  colo- 
nie. Il  existe ,  pour  ces  établissemens ,  un  code  de  lois 
Sj)éc!ales.  IjC  commandanl  en  chef  Ce  la  cavalerie,  qui 
compose  à  peu  près  la  moitié  du  nombre  total  des  troupes 
coloniales  ,  est  le  chef  suprême  ;  mais  chaque  colcyiie  a  son 
tribunal  parliculier  ,  dont  roUicier  le  plus  élevé  en  grade 
est  le  président ,  et  dans  lequel  les  autres  officiers  siégeut 
selon  leur  rang.  Nulle  femme  de  ces  colonies  ne  peut  se 
marier  qu'avec  un  individu  enrôlé. 

Tel  est  le  système  que  vient  d'adopter  la  Russie  pour  se 


^48  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

créer  peu  à  peu  ,  sans  efforts  et  sans  de'penses  ,  une  force 
militaire  redoutable.  Une  fois  mise  en  mouvement ,  celte 
machine  se  consolidera  et  se  développera  déplus  en  plus, 
et  il  est  impossible  de  prévoir  ce  qu'on  pourrait  lui  oppo- 
ser,  si  un  jour  elle  devenait  un  instrument  d'agression. 
Cependant ,  quoique  le  gouvernement  russe  ne  coure  aucun 
risque  aujourd'hui  à  mettre  entre  les  mains  de  ses  serts 
des  moyens  de  conquérir  leur  liberté ,  nous  croyons  que 
cVst  une  expérience  hasardeuse  pour  l'avenir,  et  qui,  d'une 
manière  ou  de  l'autre,  amènera  de  grands  changemeus. 
Ces  bandes  armées ,  ayant  à  présent  une  part  dans  la  pro- 
priété du  sol  de  leur  patrie ,  s'y  attacheront  davantage  à 
mesure  quN'Ues  s'accroîtront,  et  elles  entraveront  déplus 
en  plus  l'action  du  gouvernement.  Si  on  les  laisse  occuper 
et  cultiver  paisiblement  le  même  sol ,  elles  y  resteront  en- 
chaînées par  les  liens  si  puissans  de  la  société  et  de  la  fa- 
mille i  ainsi  l'établissement  aura  été  manqué.  Si,  au  con- 
traire, un  esprit  d'activité  et  d'inquiétude  se  répand  parmi 
elles ,  il  sera  mille  fois  plus  difficile  de  s'assurer  de  leur 
docilité.  Qu'une  révolution  de  palais,  qu'une  émeute  se 
manifeste j  alors,  quelle  confiance  pourra-t-on  avoir  en 
elles?  Il  nous  semble  voir  la  glace  qui,  pendant  les  longs 
hivers  de  ces  contrées,  s'introduit  et  s'amonccle  dans  les 
cavités  extérieures  des  édifices;  le  dégel  arrive,  la  masse 
glacée  s'écroule,  ébranle  le  bâtiment,  et  quelquefois  l'en- 
traîne dans  sa  chute  (  i  ) . 

(il  Note  DU  Ta.  L'etablisscroenl  des  colonies  militaires  en  Russie, 
conceplion  gigantesque  comme  l'empire  auquel  elle  est  approprie'e, 
est  pre'senlé  ici  en  peu  de  lignes  et  d'une  manière  beaucoup  trop  vague. 
Nous  pensons  que  nos  lecteurs  ne  nous  sauront  pas  mauvais  gré  d'en- 
trer à  ce  sujet  dans  quelques  de'tails  indispensables  pour  avoir  une  idée 
pre'cisc  d'une  institution  qui ,  lorsqu'elle  aura  atteint  tous  ses  de'velop- 
inens,  fournira  à  la  Russie,  selon  les  calculs  les  moins  esage'rés , 
1 ,5oo,ooo  combatlans,  et  selon  Tévaluation  de  M.  le  comte  O/.arowsky, 


et  sur  sa  littérature.  a49 

Quand  on  considère  sur  le  papier  les  détails  de  la  force  mi- 
litaire de  la  Russie,  il  est  impossible  de  ne  pas  s'effrajer  et  de 

6,000,000,  tl'ici  à  trente  ans  ,  si  le  plan  décolonisation  reçoit  son  exé- 
cution complète.  Pour  supple'er  aux  renseignemens  qui  manquent-dans 
l'article  que  nous  traduisons,  nous  aurons  recours  au  Voyage  du  doc- 
teur Robert  Lyall  ^  publié  à  Londres  en  i824' 

«  Un  ukase  ,  dit  cet  écrivain  qui  a  fait  un  séjour  de  plusieurs  an- 
nées en  Russie,  désigne  les  villages  impériaux  destinés  à  devenir  co- 
lonies militaires.  Dans  \ç.5  villages  ainsi  désignés ,  tous  habités  par  les 
paysans  esclaves  de  la  couronne  ,  et  par  conséquent  à  la  disposition  de 
l'empereur,  on  porte  sur  des  registres  le  nom  ,  l'âge,  la  propriété  et 
la  famille  de  chaque  clief  de  maison.  Ceux  qui  ont  plus  de  cinquante 
ans  sont  choisis  pour  composer  ce  qu'on  appelle  les  maîtres  ou  chefs 
colons.  S'il  n'y  a  pas  assez  d'hommes  de  cet  âge  pour  formelle  nombre 
requis ,  on  prend  cexix  dont  l'âge  en  est  le  plus  rapproché.  A  la  place 
de  leurs  cabanes ,  on  leur  construit  des  maisons  alignées  en  rues.  Les 
chaumières  sont  toutes  pareilles  ,  et  séparées  l'une  de  l'autre  par  une 
cour.  Chaque  maître  colon  reçoit  en  partage  quinze  dessetines  (la  des- 
setine  équivaut  à  105,26  aresj  à  la  charge  d'entretenir  un  soldat,  sa 
famille ,  s'il  en  a  une  ,  et  son  cheval,  si  c'est  un  corps  de  cavalerie  qui 
est  établi  dans  le  village.  En  échange  ,  le  soldat  doit  l'aider  dans  la 
culture  de  son  terrain  et  dans  les  autres  travaux  de  la  campagne,  quand 
il  n'est  point  occupé  à  son  service  militaire;  bien  entendu  qu'on  ne 
doit  exercer  que  rarement  les  troupes  des  colonies  aux  époques  des 
semailles  et  de  la  moisson,  afin  de  les  laisser  vaquer  aux  travaux  de 
l'agriculture.  Mais  à  présent  que  les  soldats  cultivateurs  font  partie  de 
l'armée  régulière,  au  moins  pour  la  plupart,  les  maîtres  colons  n'eu 
peuvent  guère  attendre  qu'une  médiocre  assistance.  Lorsqu'une  nou- 
velle géne'ration  ,  accoutumée  à  la  fois  ,  dès  l'enfance,  au  double  exer- 
cice de  l'agriculture  et  des  armes  ,  les  aura  remplacés  ,  peut-être  la  fu- 
sion d'élémens  si  divers  s'opérera-t-cllc  plus  facilement. 

»  Il  dépend  de  l'oflicler  qui  préside  à  l'établissement  de  la  colonie 
de  désigner  le  soldat  qu'il  attache  au  maître  colon,  et  d'en  placer  un 
avec  sa  famille  auprès  de  chacun  de  ceux  qui  n'ont  pas  d'enfans.  Le 
colon  en  chef  devient  soldat  lui-même  ,  en  tant  qu'il  est  revêtu  de  l'u- 
niforme et  qu'il  est  obligé  d'apprendre  à  marcher  au  pas  ,  à  manier  le 
sabre  et  \\  saluer  les  officiers.  11  peut  choisir  un  fils,  un  parent,  un 
.imi ,  pour  l'aider  h  exploiter  sa  ferme,  (klui  qu'il  a  choisi  est  désigne 


25o  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

ne  pas  s'exagérer  ses  ressources.  Mais,  en  réalité,  cet  empire 
n'a  jamais  été  en  état  de  re'unir  ,  sur  un  même  point ,  des 

par  le  nom  d'adjoint,  et,  à  la  mort  du  maître  colon  ,  il  lui  succède  , 
toutefois  avec  l'agrément  du  colonel  du  re'giment. 

»  Si  le  maître  colon  a  plusieurs  fils  ,  le  plus  âge'  devient  son  adjoint, 
le  second  prend  les  fonctions  et  la  qualification  de  réserve  ,  et  on  lui 
donne  pour  demeure  une  maison  adjacente  :  le  troisième  peut  être 
soldat  cultivateur  :  les  autres  sont  classe's  comme  cantonniers  et  éleve's 
ainsi  que  nous  l'expliquons  ci-après. 

»  Le  soldat  que  l'on  constitue  membre  de  la  famille  du  colon  en 
chef,  qui  prend  place  à  sa  table  et  qui  l'aide  dans  ses  travaux,  est  de'— 
signé  sous  la  de'nomination  de  soldat  cultivateur.  Ces  soldats  cultiva- 
teurs forment  la  force  effective  des  nouvelles  colonies,  et  formeront 
peu  à  peu  celle  de  l'empire.  Dans  le  gouvernement  de  Novogorod  ,  on 
ne  leur  fait  faire,  dit-on,  que  les  exercices  de  l'infanterie  ;  mais  dans 
les  trois  gouvernemens  du  midi  de  la  Russie,  on  les  instruit  à  la  fois 
aux  exercices  de  l'infanterie  et  de  la  cavalerie.  Ces  exercices  sont  à  la 
discre'tion  de  leurs  officiers  ;  et  comme  les  soldats  n'ont,  pour  coopérer 
aux  travaux  de  la  ferme ,  que  le  tems  qui  n'est  pas  employé  au  service 
militaire ,  il  est  aisé  de  voir  que  l'assistance  que  peut  attendre  d'eux  le 
colon  en  chef  dépend  presque  toujours  ,  et  en  tout  tems  ,  de  !a  volonté 
de  l'officier  commandant  ;  car,  si  celui-ci  tient  à  la  sévérité  de  la  dis- 
cipline ,  surtout  dans  la  belle  saison,  le  colon  en  chef  ne  tirera  que 
peu  de  secours  du  soldat  qu'il  a  cependant  à  sa  charge  ,  avec  son  che- 
val, pendant  toute  l'année.  Trois  jours  d'exercice  par  semaine  pas- 
sent pour  un  service  modéré,  sans  compter  les  gardes  que  ehacjue  sol- 
dat doit  monter  régulièrement  h.  son  tour.  En  outre  ,  tous  les  vilLige^ 
militaires  sont  tenus  d'envoyer,  à  tour  de  rôle,  un  détachement  au 
quartier— général  dii  régiment  pour  y  faire  le  service. 

»  Le  soldat  cultivateur  est  soumis  au  double  service  de  soldat  et  de 
laboureur  pendant  vingt-cinq  ans,  à  dater  de  son  inscription  sur  le 
registre,  s'il  est  Russe  ,  et  pendant  vingt  ans  s'il  est  Polonais,  après 
<luoi  il  est  libre  de  quitter  le  service  ;  s'il  y  reste  ,  il  est  classé  parmi 
les  vétérans  et  envoyé  en  garnison.  Sa  place  est  remplie  par  le  réserve 
dont  je  vais  parler. 

»  Tout  près  de  la  maison  du  colon  en  chef,  on  en  construit  une 
exactement  semblable,  qui  est  occupée  par  le  réserve,  que  l'on  peut  re- 
garder comme  un  second  soldai  cultivateur;  c'est  le  colonel  du  régi- 
ment colonial  qui  le  choisit  parmi  les  paysans.  Ce  reserve  est  d'ordi- 


et  sur  sa  littérature.  ^-Tn 

forces  proportionnées  à  sa  population  ou  à  la  valevir  nomi- 
nale de  sou  armée.  Des  trésors  immenses  sont  nécessaires 
pour  rassembler  et  mettre  eu  mouvemeut  tle  si  grandes 

naire  un  fils  ou  un  parent  du  colon  en  chef.  On  lui  enseigne  tous  les 
devoirs  du  soldat  qu'il  est  destiné  à  remplacer.  SI  le  soldat  cullivateur 
est  tué  dans  le  combat,  meurt  naturellement  ou  quitte  le  service  après 
avoir  fait  son  tems  ,  sa  place  est  occupée  par  le  réserve  qui ,  à  son 
lour  ,  est  remplacé  par  un  cantonnier,  celui-ci  par  un  enfant  de 
troupe  ,  etc.  Le  réserve  doit  également  coopérera  la  culture  des  quinze 
dessctines  de  terre  et  aux  autres  travaux  du  ménage  :  il  est  tailleur, 
cordonnier,  etc. 

»  Le  colon  en  chef,  le  soldat  agriculteur  et  le  réserve  peuvent  choi- 
sir la  femme  qui  leur  plaît ,  et  on  encourage  ces  mariages  ;  mais  les 
femmes,  une  fois  entrées  dans  l'enceinte  des  colonies  militaires,  ne 
peuvent  plus  se  marier  ailleurs. 

»  Les  ûls  du  colon  en  chef,  du  soldat  cullivateur,  du  réserve,  de 
l'âge  de  i3  à  17  ans ,  sont  désignés  sous  le  nom  de  cantonniers.  On  les 
exerce  comme  soldats,  en  les  réunissant  dans  le  village  oîi  est  le  colonel, 
et  qui  sert  de  quartier  au  régiment.  Ils  continuent  aussi  par  intervalles 
de  suivre  les  écoles  pour  achever  leur  éducation.  Les  garçons  de  8  à 
i3  ans,  vont  à  l'école  ou  demeurent  avec  leurs  parens,  et,  de  deux 
jours  l'un  ,  sont  instruits  au  service  militaire.  Comme  les  cantonniers, 
ils  portent  l'uniforme  et  sont  regardés  comme  soldats.  Les  garçons  au- 
dessous  de  8  ans ,  demeurent  avec  leur  parens. 

»  L'éducation  des  enfans  est  un  des  traits  caractéristiques  du  système. 
Tous  les  enfans  mâles,  dans  la  colonie,  sont  envoyés  aux  écoles  d'en- 
seignement mutuel,  Là,  on  leur  apprend  à  lire,  à  écrire  et  à  compter. 
On  leur  fait  aussi  apprendre  une  espèce  de  catéchisme  sur  les  devoirs 
du  soldat,  dans  le  genre,  à  ce  que  j'ai  pu  comprendre,  de  celui  que 
Napoléon  avait  fait  faire  pour  les  jeunes  militaires.  On  les  instruit  à 
manier  le  sabre  ,  aux  exercices  du  manège  ,  etc.  Quand  ils  ont  atteint 
l'âge  de  i3  ans  ,  on  les  rassemble  au  quartier-général  du  régiment;  on 
les  forme  en  corps,  et  ceux  qui  se  distinguent  le  plus  par  leur  adresse 
et  par  leur  intelligence,  sont  promus  au  grade  d'officiers.  J'ai  vu  à 
Yoznesensk  (quartier-général  du  premier  régiment  de  Boog  ),  vil- 
lage qui  portait  auparavant  le  nom  de  Sokolnich,  un  corps  de  200 
cantonniers,  marcher,  faire  leu  ,  et  exécuter  toutes  les  évolutions  dn 
soldais  expérimentés  avec  une  justesse  et  une  précision  étonnantes.  Il 


2  5  2  Coup  d'œil  sur  la  Riissie 

masses.  La  popiilaliou  russe  est  ,  cVailleurs  .  tllsséminée 
sur  une  Irès-vasle  étendue  de  territoire,  et  c'est  un  motif 
de  plus  pour  ne  point  redouter  une  réunion  subite  des  corps 
nombreux  qui  composent  son  état  militaire.  Cest  moins 
aux.  propres  forces  de  la  Russie  ,  qu'à  la  faiblesse  des  au- 
tres états  et  à  l'ignorance  où  ils  sont  sur  son  compte  ,  qu'il 
faut  attribuer  la  prépondérance  qu  elle  exerce  sur  eux  ; 
elle  a  su  profiler  de  leur  erreur  avec  une  adresse  remar- 
quable, pour  leur  cacher  sa  situation  réelie.  Toute  exagéra- 
tion à  part,  il  est  facile  de  démontrer  qu'il  n'existe  pas 
un  pays  civilisé ,  qni  ,  proportion  gardée ,  ne  soit  plus 
productif,  eu  égard  à  son  étendue ,  à  sa  population  et 
même  à  son  climat. 

Depuis  que  la  Russie  a  pris  rang  parmi  les  puissances 
européennes  ;  depuis  qu'elle  fait  partie  du  système  poli- 
tique de  l'Europe  ;  elle  semble  n'avoir  été  guidée  que  par 
une  seule  volonté.  Chez  d'aulres  nations ,  la  mort  d'un 
monarque  ,  la  chute  d"un  ministre  changent  immédiate- 
ment la  marche  et  le  caractère  du  gouvernement.  Mais 
celui-ci  s'avance,  et  s'avance  toujours  vers  le  but  qu'il  s'fst 
proposé.  Le  caractère  de  l'empereur  Alexandre,  plein  de 
courtoisie  et  de  bienveillance ,  détourne  à  la  vérité  les 
soupçons  ;  ce  souverain  nous  apparaît  comme  le  gardien 
de  l'ordre  social,  l'avocat  de  la  tolérance,  l'appui  de  tous 
les  sentimeus  philaulropiques  ;  mais  croit-on  que  ses  re- 
gards, et  ceux  des  personnes  qui  l'entourent,  se  soient  dé- 
tournés de  ce  /fiïdi,  jjut  de  l'ambition  de  son  aïeule?  Et 
dans  les  détails  de  la  politique  russe,  que  de  choses  remar- 
quables et  dignes  d'admiration  ! 

y  a  parmi  eux  un  esprit  de  corps  qui  ne  peut  manquer  d'en  faire  de 
bons  militaires. 

»  L'éducation  des  femmes  avait  été  jusqu'à  pre'sent  tiès-ncgligée  ; 
mais  on  a  commencé  loul  récemment  à  établir  pour  elles  des  écoles 
d'après  la  méthode  de  Lancastre  ,  et  je  ne  doute  pas  (ju'il  n'y  en  ait 
bientôt  dans  toutes  les  colonies.  » 


et  sur  sa  littérature.  a  55 

Pierre  I'',  et  ses  successeurs  ,  ont  tonjoars  eu  pour  sys- 
tème cVattlrer  près  d'eux  et  de  s'attacher  les  hommes  dis- 
tingués par  lem's  talens ,  quelles  que  fussent  d'ailleurs  leur 
patrie  ,  leur  langue  et  leurs  opinions.  Cette  dernière  con- 
sidération était  nulle  pour  eux.  Que  pouvaient-ils  craindre? 
Quelle  influence  ime  opinion  individuelle  pouvait  -  elle 
avoir  sur  quarante  ou  cinquante  millions  d'hahitans  dissé- 
minés sur  des  milliers  de  lieues  carrées,  sans  connaissances, 
sans  désir  d'en  acquérir  ,  et,  pour  la  plupart,  aussi  indifFé- 
rens  à  la  marche  des  événemens  que  les  animaux  qui 
broutent  l'herbe  à  leurs  pieds?  D'ailleurs,  la  surveillance 
d'une  censure  jalouse  sur  xme  presse  captive  n'aurait-elle 
pas  étouffé  à  leur  naissance  toute  semence  dangereuse  de 
mécontentement ,  et  jusqu'au  moindre  mouvement  d'une 
indiscrète  curiosité  ?  La  grande  Catherine  se  plaisait  avec 
les  poètes ,  les  historiens  ,  les  puhlicistes  du  reste  de  l'Eu- 
rope; elle  ne  manquait  elle-même  ni  de  connaissances  en 
littérature,  ni  de  prétentions  à  ce  genre  de  gloire.  Nous 
avons  vu  des  productions  de  sa  plume ,  qui  dénotent  un 
degré  d'application  non  moins  difficile  à  concilier  avec  sou 
goût  pour  les  jouissances  sensuelles ,  qu'avec  cet  esprit  actif 
et  inquiet  qu'elle  porta  dans  tout  ce  qu'elle  entreprit.  Parmi 
les  personnes  qui  dirigent  aujourd'hui  la  politique  du  ca- 
binet de  Saint-Pétersbourg,  parmi  les  généraux  qui  com- 
mandent ses  armées  et  les  écrivains  employés  à  son  service 
on  voit  figurer  un  grand  nombre  de  noms  étrangers.  Des 
Grecs  et  des  Corses  ont  été,  et  sont  encore,  ses  plus  ha- 
biles hommes  d'état ,  des  Allemands  et  des  Polonais  ses 
capitaines  les  plus  distingués.  Les  travaux  publics  sont 
confiés  à  des  Espagnols  et  à  des  Anglais,  et  c'est  entre  les 
mains  des  Suisses  ou  des  Italiens  qu'est  remise  réducatlon 
des  princes  et  de  la  noblesse.  Le  pouvoir  absolu  y  trouve 
son  compte.  L'amalgame  de  ces  intérêts  divers  ,  de  ces 
mœurs  opposées  ,  celle  ijnporlation  constante  de  nations 
II. 


254  Coup  d'ϔl  sur  la  Russie 

étrangères,  en  agissant  et  réagissant  sur  l'opinion  dans  la 
sphère  la  plus  élevée,  ont  empêché  qu'il  ne  se  formât  on 
esprit  public  russe  y  tribunal  qui ,  à  la  longue  ,  eût  pu  pe$er 
et  influer  sur  les  grandes  questions  d'intérêt  général. 

Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  plus  haut ,  la  prépon- 
dérance de  la  Russie  sur  la  politique  de  l'Europe ,  résulte 
bien  plus  de  l'ignorance  des  autres  gouvernemens  que  de 
l'état  réel  de  ses  ressources.  Tonte  -  puissante  dans  ses 
moyens  de  défense j  livrée  à  elle-même,  elle  serait  sans 
force  au-delà  de  la  frontière.  La  guerre  de  la  Morée  en 
est  une  preuve  ;  si  une  poignée  de  Grecs ,  sans  armes  et 
sans  secours  étrangers ,  a  pu  maintenir  son  indépendance 
contre  la  Porte ,  comment  expliquera-t-on  l'espèce  de  défi 
porté  contre  la  Russie  par  le  Divan ,  dans  l'état  d'épuise- 
ment où  il  se  trouve  (i)?  Ce  n'est  donc  ni  du  nombre  de 
ses  habitans ,  ni  de  ses  ressources  pécuniaires ,  ni  du  talent 
de  ceux  qui  la  gouvernent,  ni  de  l'étendue  de  son  terri- 
toire que  résulte  son  pouvoir  :  il  est  tout  entier  dans  la 
natnre  du  pays,  séjour  des  glaces  et  des  neiges.  La  Russie 
est  comme  entourée  d'une  muraille  de  diamans,  à  l'abri 
de  laquelle  elle  se  rit  de  toute  agression  étrangère  ;  mais 
cette  muraitle ,  elle  ne  pourrait  la  transporter  en  avant 
d'elle,  s'il  lui  prenait  envie  d'attaquer  les  autres  états.  Ce 
formidable  empire  est  un  géant ,   mais  un  géant  de  va- 

(i)  Note  du  Tr.  Au  lieu  de  considérer  la  mode'ration  du  cabinet  de 
Salnl-Péteisbourg  envers  le  Divan,  pendant  les  quatre  dernières  an- 
ne'es,  comme  une  preuve  à  Tappui  de  ce  qu'il  avance,  l'e'crivain  an- 
clai<  aurait  mieux  fait,  ce  nous  semble  ,  d'en  rechercber  la  cause  dans 
un  ordre  de  choses  plus  e'ievé.  Il  aurait  dû  reconnaître  que  c'est  au  de'sir 
du  maintien  de  la  paix  ge'nérale  et  surtout  aux  pressantes  sollicitations 
du  gouvernement  britannique  ,  lorsque  lord  Castlereagh  en  dirigeait 
encore  les  conseils ,  que  l'empereur  Alexandre  a  eu  principalement 
égard  ,  lorsqu'il  a  re'sislé  au  vœu  unanime  de  ses  sujets  qui  soupiraient 
après  la  délivrance  de  leurs  coreligionnaires  et  demandaient  à  grands 
cris  l'abaissement  de  l'orgueil  ottoman. 


et  sur  sa  littérature,  a55 

peurs,  semblable  à  ceux  d'Ossian,  que  feraient  évanouir 
les  rayons  du  soleil.  Ses  finances  sont  loin  d'être  dans  un 
état  prospère.  Son  papier  n'obtient,  à  notre  Bourse,  que  80 
à  goliv.  st.  effectifs  pour  cent.  La  grande  masse  de  papier- 
monnaie  jetée,  sans  aucun  contrôle,  dans  la  circulation^  lui 
a  fait  perdre  •jS  p.  "/o  de  sa  valeur.  Les  provinces  on  sont 
inondées  ,  et  partout ,  malgré  les  efforts  réitérés  du  gou- 
vernement ,  malgré  tous  ses  décrets ,  il  n'a  pu  réussir  à 
l'introduire  dans  les  provinces  méridionales  où  l'on  ne 
veut  recevoir  qiie  du  numéraire.  Son  commerce  ofire  une 
preuve  encore  plus  évidente  de  sa  pauvreté.  Ce  sont  les 
capitaux  étrangers  qui  soutiennent  seuls  le  commerce  ex- 
térieur. Les  droits  de  douane  sont  exorbitans  et  mal  ré- 
partis ,  et  ont  donné  naissance  à  une  foule  de  contreban- 
diers ,  qui  frustrent  le  fisc  de  ses  revenus.  Conçoit-on  un 
système  moins  sensé  que  celui  qui  taxe  les  objets  selon 
leur  poids  ;  de  manière  que  les  produits  manufacturés  les 
plus  grossiers  et  les  moins  chers,  sont  ceux  qui  paient  le 
plus? 

Quant  à  l'administration  de  la  justice  et  à  l'état  des 
tribunaux  civils  et  criminels  >  il  y  aurait  de  grandes  ré- 
ibrmes  à  opérer.  Paul  P',  qui  eut  çà  et  là  d'assez  bons 
momens ,  voulut  l'essayer  ;  il  demanda  qu'on  lui  remît 
une  liste  des  abus  qui  se  commettaient  5  mais  leur  nombre 
l'cffrava  et  lui  fit  désespérer  d'y  apporter  aucun  remède. 
Hercule  seul  put  nettoyer  les  écuries  d'Augias. 

La  population,  premier  élément  de  force,  s'accroît,  il 
est  vrai,  en  Russie,  dans  une  proportion  cfl'rayante.  Saint- 
Pétersbourg-,  dont  une  partie  de  la  génération  actuelle 
aurait  pu  voir  la  création,  renferme  plus  de  trois  cent 
mille  babitans.  Odessa,  qui  commence  à  peine  à  figurer 
sur  nos  cartes ,  est  déjà  une  ville  très-populeuse.  Les  pro- 
vinces que  baignent  le  Don  et  le  Volga,  ont  été,  en  peu 
de  tems ,  couvertes  d'habitans.  Les  tribus  du  Caucase  et  de 


256  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

la  Krimée  ont  atanclonné  leur  vie  errante.  Oa  dirait,  aax. 
nombreux  changemens  qui  se  succètlent,  que  le  gouverne- 
ment russe  a  dirigé  exclusivement  son  attention  vers  l'O- 
rient, quoiqu'on  sache  qu'il  ne  néglige  pas  de  s'occuper  de 
ce  qui  se  passe  à  l'occident  de  l'Europe.  Il  serait  aussi 
difficile  de  tracer  une  limite  à  l'accroissement  de  la  popula- 
tion russe  qu'à  celle  de  l'Amérique  ;  ces  contrées  possèdent 
toutes  les  deux  un  territoire  immense  ,  illimité  ,  à  l'abri  de 
toute  invasion ,  et  susceptible  de  nourrir  dix  fois  plus  d'ha- 
bilans  qu'il  n'y  en  a  aujourd'hui. 

Mais  avec  l'accroissement  de  sa  population  et  la  marche 
progressive  de  la  civilisation ,  il  est  impossible  que  cet 
empire  conserve  la  force  compacte  dont  il  peut  disposer 
à  présent.  Tant  qu'il  a  été  plongé  dans  l'ignorance  et  la  bar- 
barie, il  a  pu  ne  prendre  aucun  intérêt  à  la  politique  géné- 
rale du  monde.  Des  circonstances  étrangères  sont  venues 
l'arracher  à  son  repos  5  il  a  su,  avec  une  adresse  remar- 
quable ,  se  les  rendre  favorables ,  et  se  placer  au  sommet 
de  la  confédération  européenne.  C'est  la  folle  ambition  de 
Napoléon  qui  l'y  a  poussé  j  c'est  Napoléon  qui  lui-même  a 
créé  cette  force,  qui,  après  l'avoir  renversé,  a  anéanti  la 
liberté  et  essayé  de  détruire  jusqu'à  son  nom.  Tant  que  le 
peuple  russe  restera  dans  cet  état  actuel  d'inertie ,  qui  le 
rend  l'instrument  passif  d'un  pouvoir  sans  bornes  ,  rieu  ne 
troublera  ni  n'arrêtera  les  plans  du  cabinet  de  Saint-Péters- 
bourg 5  mais  cette  situation  ne  peut  durer  éternellement. 
Oa  remarque  que  certaines  connaissances  comnaeucent  à 
s'introduire  parmi  les  paysans  ;  à  la  vérité  ,  aucun  indice 
extérieur  n'annonce  encore  que  la  masse  de  la  société  se 
soit  arrachée  à  son  apathie  ;  mais ,  sous  cette  enveloppe 
de  glaces,  il  y  a  des  vagues  qui  roulent  et  qui  bouillon- 
nent. 

Les  maîtres  de  ce  peuple,  que  leur  orgueil  et  leur  fierté 
aristocratiques  en  éloignent  sans  cesse,  se  sont  placés  trop 


et  sur  sa  UUéraiure,  '^o^ 

liant  pour  pouvoir  observer  les  changetuens  qui  s'opèrent 
dans  ses  facultés. 

Il  nous  sera  facile  de  nous  convaincre  de  ces  cliange- 
mens  en  jetant  un  coup-d'œil  rapide  sur  la  naissance  et 
les  progrès  de  la  littérature  russe  ;  c'est  un  sujet  qui,  jus- 
qu'ici ,  n'a  eucore  été  que  faiblement  exploré.  L'ouvrage 
dans  lequel  nous  puiserons  nos  observations,  suppléera 
au  peu  de  connaissances  que  nous  possédons  par  nous- 
mêmes  (i). 

On  conçoit  que  chez  une  nation  où  l'intervalle  qui  sé- 
pare les  petits  des  grands,  est  immense,  profond,  im- 
possible à  francbirj  où  tout  ce  qui  u^esl  pas  compris 
dans  la  caste  des  seigneurs  ou  dans  celle  des  esclaves 
est  compté  pour  rien ,  ainsi  que  la  poussière  dans  ime 
balance  ,  la  littérature  doit  être  envisagée  comme  repré- 
sentant exclusivement  la  seule  classe  privilégiée.  Ce  n'est 
pas  que,  parmi  ces  millions  de  serfs,  on  n^ait  vu,  à  dif- 
férentes époques,  surgir  un  génie  extraordinaire  qui  soit 
parvenu  à  briser  les  fers  qui  retenaient  sou  esprit  et  son 
corps  dans  un  bonteux  vasselage  ;  mais  de  tels  pbéno- 
mènes  sont  très-rares,  et  n'ont  brillé  qu'à  des  intervalles 
éloignés.  Comment  effacer  la  marque  flétrissante  de  la 
servitude  empreinte  sur  le  front  de  l'esclave  F  Comment 
arracber  à  son  abjection  une  intelligence  enfouie  dans  la 
fange  ? 

Les  améliorations,  en  quelque  genre  que  ce  soit ,  ne  peu- 
vent être  que  graduelles  et  très- lentes  cbez  les  Russes.  Ils 
possèdent,  à  la  vérité,  certaines  qualités  à  un  degré  émi- 
nent,  entr'aulres,   l'esprit  d'imilalion  ^   néanmoins,   nous 

(i)  Poliartiain  avœsda ,  Karmaunatn  Knijk  dha  liitbrioV  tiilz  i 
llcubileli  Rusho  sluvcsnus/i  va  iSaS,  islannaia  A.  liclujen  im  i 
K.  /?//«•/«/.  Saiiil-Pétcrsbourg,  GrcUch,  1823. —  Aperçu  sur  la  lil- 
Icralurc  .nnciennc  cl  uioJciiic  Je  la  Hus^ic  jusnu'cn  iSiij,  par  A.  Bcs- 
tujon  et  C.  Rilcvliii. 


258  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

avons  remarqué  qu'il  leur  était  très  -  difficile  tVélcver  leurs 
conceptlous  au  -  delà  d'une  certaine  limite.  Ils  atteignent 
prompteraent  cette  limite  ,  mais  aucun  effort,  aucune  ex- 
plication n'a  pu  jusqu'à  présent  la  leur  faire  dépasser. 
Ainsi,  parmi  eux,  les  gens  des  dernières  classes  reçoivent 
et  se  gravent  profondément  dans  l'esprit  les  principes  élé- 
mentaires des  mathématiques  :  qu'on  leur  présente  une  pro- 
position qui  exige  une  plus  forte  tension  d'esprit ,  c'est  en 
vain  qu'on  leur  applanlra  les  difficultés,  qu'on  leur  exposera 
le  problême  à  résoudre  de  la  manière  la  plus  lumineuse  : 
la  tâche  est  trop  grande ,  le  fardeau  trop  pesant ,  et  leur 
esprit  retombe ,  par  son  propre  poids ,  à  ce  point  au-delà 
duquel  il  ne  saurait  s'élancer.  Le  tems  seul  et  les  progrès 
qui  s'opèrent  à  la  longue  dans  les  sociétés  humaines  lui 
permettront  un  jour  de  le  franchir. 

Chez  une  nation  aussi  peu  avancée  que  l'est  le  peuple 
russe ,  les  historiens  et  les  poètes  sont  les  seules  classes  d'é- 
crivains qui  puissent  exciter  de  Tintérét  et  obtenir  quelque 
faveur.  Nous  nous  occuperons  plus  particulièrement  de 
ceux-ci,  nous  contentant  d'indiquer  les  ouvrages  des  pre- 
miers, car  il  en  est  peu  parmi  eux  qui  méritent  une  dis- 
tinction spéciale.  Pendant  long-tems,  on  a  porté  en  Russie 
une  grande  attention  à  la  philosophie  et  à  l'origine  des  lan- 
gues, sujet  intéressant  de  recherches,  et  nous  devons  avouer, 
à  riionneur  des  philologues  russes  qui  s'y  sont  livrés,  qu'ils 
ont  puissamment  contribué  à  avancer  cette  branche  impor- 
tante de  nos  connaissances  ,  la  sevde  qui  puisse  nous  éclai- 
rer sur  riiistoire  primitive  des  nations  (i). 

Les  premières  époques  des  peuples  sont  en  général  enve- 
loppées de  fables  poétiques.  L'esprit  inquiet  de  l'homme 
aime  à  s'égarer  dans  les  sombres  et  mystérieuses  reUaites 

(i)  Voyez  F.  Adelung's  Catherine  der  Grossen  Verdieuitc  unddic 
Vergleichende  sprachenhundc.  Saint-Petcrbomg ,  i8i5. 


et  sur  sa  littérature ,  aSp 

des  tems  qai  ne  sont  plus.  Il  se  plaît  h  se  retracer  des  scènes 
étrangères  à  ses  soins  journaliers,  et  h  errer  an  gré  de  sou 
imagination  dans  des  lieux  où  les  tristes  réalités  de  Texpé- 
rience  ne  viennent  pas  froisser  son  cœur.  N'osant  créer  ses 
fables  dans  le  présent,  parce  que  l'observation  et  la  ré- 
flexion ne  tarderaient  pas  à  les  dissiper,  il  les  bâtit  dans 
le  passé.  Quelques  nations  septentrionales  ,  et  principale- 
ment les  Finlandais  ,  ont  conservé  un  grand  nombre  de 
poésies  d'une  époque  antérieure  à  l'introduction  du  chris- 
tianisme ;  on  y  retrouve  toute  leur  ancienne  mythologie. 
Il  est  curieux  d'observer ,  chez  ces  peuples  ,  la  manière  dont 
s'est  opérée  leur  conversion  à  la  nouvelle  religion  et  l'in- 
fluence qu'elle  exerça  d'abord  sur  euxj  elle  ne  fit,  à  pro- 
prement parler  ,  qu'y  introduire  de  nouveaux  noms ,  trans- 
portant les  saints  de  notre  calendrier  dans  les  niches 
pratiquées  pour  leurs  dieux  inférieurs,  et  revctissant  les 
personnes  delà  Trinité  et  de  la  Sainte  Famille,  des  attributs 
de  leurs  plus  puissantes  divinités. 

Vivant  sous  un  climat  inhospitalier,  les  peuples  de  la 
Scandinavie  durent  sentir  de  bonne  heure  le  besoin  de  se 
rassembler;  ils  charmaient  l'eûnui  de  leurs  longues  soirées 
d'hiver,  eu  redisant  les  contes  que  leurs  pères  leur  avaient 
appris ,  et  qui  s'étaient  profondément  gravés  dans  leur  mé- 
moire. Voilà  comme  se  sont  transmis  d'âge  en  âge  ,  de  gé- 
nération en  génération,  et  sans  le  secours  de  l'écriture,  ces 
chants  et  ces  traditions  pour  lesquels  ils  ont  toujours  pro- 
fessé un  grand  respect.  L'histoire  n'a  souvent  d'autres  bases 
que  les  fragmens  qui  nous  eu  restent ,  pour  établir  ses  théo- 
ries. On  y  trouve  moins  d'imagination  que  dans  les  bril- 
lans  souvenirs  des  contrées  méridionales. 

On  a  dit ,  avec  raison,  que  la  poésie  était  un  langage  uni- 
.versel;  mais  ses  formes,  h  la  fois  solennelles  et  concises, 
conviennent  surtout  à  la  transmission  des  idées  et  des  sen- 
tiniens  d'aue  génération  à  l'autre.  Les  mausolées,  les  te  m- 


o.Go  Coup  (L'œil  sur  la  Russie 

pies,  les  obélisques,  les  palais  conservent  la  mémoire  des 
actions  des  granns  :  leurs  hauts  faits  y  sont  gravés  sur  l'ai- 
rain ou  sur  le  marbre;  mais  c'est  dans  ses  chants  et  ses 
traditions  que  le  peuple  retrouve  l'histoire  de  ses  ancêtres  ; 
c'est  là  qu'il  i-ecueille  l'héritage  de  leurs  affections  ,  de  leurs 
ininîitiés ,  en  un  mot ,  de  toutes  les  passions  qui  les  ont 
agités.  Tout  ce  qui  constitue  la  nationalité  ,  tout  ce  qui  dis- 
lingue tme  race  d'hommes  d'une  autre ,  se  propage  de 
cette  manière  dans  une  succession  non  interrompue ,  sem- 
blable à  un  fleuve  dont  on  s'efforcerait  en  vain  de  détourner 
le  cours.  C'est  un  malheur  pour  les  Russes  de  n'avoir  au- 
cune antiquité  populaire.  La  date  de  leurs  plus  anciennes 
poésies  ne  remonte  pas  au-delà  du  XYP  siècle,  et  le  petit 
nombre  de  monunîens  qui  restent  encore  de  la  langue  na- 
tionale de  cette  époque ,  n'a  ni  force  ni  couleur.  Il  rè- 
gne une  obscurité  profonde  sur  l'origine  et  les  premiers 
progrès  de  cette  langue;  cependant  il  est  à  croire  que  les 
traducteurs  de  la  Bible  et  les  annalistes  ecclésiastiques,  qui 
introduisirent,  dans  les  divers  idiomes  slavons  ,  une  foule 
de  mots  grecs  et  latins ,  ont  eu  sur  elle  une  grande  in- 
fluence. La  i-ésidence  desTarlares  ne  produisit  pas  de  chan- 
gemeus  remarquables.  Pendant  les  XVI*  etXVIP  siècles, 
le  séjour  de  plusieurs  écrivains  russes  dans  les  universités 
de  la  Pologne,  qui  fut  de  tout  tems  la  plus  intelligente  et 
la  plus  policée  des  nations  slaves ,  donna  un  grand  ascen- 
dant à  la  branche  sarmate.  Sous  Pierre-le-Grand ,  beaucoup 
d'expressions  nouvelles  ,  tirées  de  l'allemaud  et  du  latin  , 
se  nationalisèrent  dans  la  langue  russe,  qui  plus  lard  se 
francisa  comp. élément  sous  le  règne  d'Elisabelb.  Catherine 
vint,  qui  lui  rendit  son  caractère  national,  et,  depuis  lors, 
ses  progrès  ont  clé  chaque  jour  plus  marques. 

Ce  qui  restait  du  paganisme  aura  disparu  dans  le  pre- 
mier zèle  de  la  conversion,  car  le  fanatisme  religieux  est 
le  plus  iuipitoyable  des  destructeurs.  Wladimir,  Jaroslaiv 


et  sur  sa  littérature,  261 

pt  Monomach  irctalent  pas  personnellement  ennemis  îles 
connaissances  ;  mais  la  Russie  était  alors  devenue  une  arène 
de  discordes  intestines ,  et  les  Tartares  profitèrent  de  ses 
dissensions  pour  en  faire  leur  proie.   Les  paysans  russes 
conservent  encore  des  souvenirs    vagues   de  leurs  Luttes 
sanglantes  avec  les  Tartares  ;  le  nom  de  bonnets  noirs  ou 
têtes  noires  {cliernie  klohuki') ,  par  lequel  ils  désignent  les 
Turcs  et  les  tribus  orientales  ,  en  y  attachant  une  idée  inju- 
rieuse ,  indique  une  inimitié  profondément  enracinée.  Les 
seuls  dépositaires  de  Thistoire  et  de  la  littérature  furent, 
pendant  ces  tems  de  troubles  ,  les  monastères  et  la  ville 
libre  de  Novogorod,  où  le  commerce  étranger  avait   in- 
troduit de  bonne  heure  la  civilisation  des  peuples  méri- 
dionaux. Iwan  Danilovitch ,  plus  généralement  connu  par 
le  surnom  de  Kalifa{\a.  bourse),  que  lui  valut  sa  géné- 
rosité, et  Vassily,  qui  régna  un  siècle  après  lui,  contri- 
buèrent beaucoup  aux  progrès  du  peuple  russe  et  à  l'araé- 
lioration  de  son  sort.  ÏAvan-le-Terrible  ,  en  ouvrant  sa  cour 
aux  artistes   suisses;   Alexis,   en  contractant   au  loin  des 
alliances,  posèrent  les  premiers  foudemeus  des  relations 
de  la  Russie  avec  les  nations  étrangères. 

I^es  Annales  de  Nestor,  le  plus  ancien  des  livres  d'his- 
toire que  possède  cette  nation,  sont  évidemment  l'ouvrage 
d'un  esprit  habile  et  vigoureux.  Le  style  en  est  simple, 
sans  afléctalion,  mais  rempli  de  vieilles  expressions  sla- 
vonnes.  Dans  les  chroniques  de  P.skow  et  de  Novogorod  , 
un  grand  nombre  d'épisodes  intéressans  et  de  passages  fort 
pathétiques  se  perdent  dans  une  foule  de  détails  arides.  Ces 
livres  et  le  code  de  lois  que  publièrent  les  princes  sc;in(li- 
navae,  sont  tout  ce  qui  reste  aux  historiens  pour  se  gut<lcr 
dans  le  labyrinthe  de  Thistoire  primitive  de  lu  Russi(\ 

Parmi  les  noms  de  poètes  qui  n'ont  pas  été  entièrement 
ensevelis  dans  les  ruines  du  passé  ,  il  en  existe  un  (ce  n'est 
à  la  vérité  qu'un  nom  )  pour  lequel  les  Russes  ])i"f»l'essei)t  iu 
JI.  ii 


a62~  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

plus  religiense  vénération.  Boyan  ,  le  Rossignol  (  Solovei), 
célèbre  dans  les  traditions  comme  le  barde  qui  conduisait  les 
anciens  guerriers  de  la  Rnssle ,  celui  dont  les  magiques  ac- 
cords enfantaient  des  prodiges  de  valeur,  vit  encore  dans 
la  mémoire  de  ses  compatriotes  ;  mais  aucun  son  de  sa 
lyre  n'a  été  transmis  à  la  génération  présente.  On  retrouve, 
dans  im  fragment  sans  nom,  lliymne  de  guerre  de  la  cam- 
pagne d'Igor,  au  XII^  siècle.  Cette  hymne,  écrite  en  prose 
cadencée  ,  dans  un  dialecte  de  la  Russie  méridionale ,  pré- 
sente, à  travers  une  mythologie  obscure,  un  caraclère 
admirable  d'héroïsme.  11  y  a  une  lacune  pendant  les  trois 
siècles  suivans  j  et  jusqu^à  l'époque  de  Pierre-le-Grand  ,  la 
seule  pièce  qui  mérite  d'être  citée,  est  le  chant  de  bataille 
du  Don ,  description  animée,  pittoresque  et  sans  ornemens 
de  mauvais  goût  qui  la  défigurent. 

Pierre  I",  un  des  hommes  les  plus  extraordinaires  qui 
aient  existé,  eut  une  influence  prodigieuse  sur  son  siècle. 
Chaque  branche  des  arts  et  des  sciences  prit  racine  dans 
son  pays,  sous  ses  auspices  et  sous  son  active  protection. 
L'éloquence  populaire  elle-même  trouva  im  organe  dans 
Théophanes ,  qui  enseigna  aux  Russes  l'art  de  revêtir  la 
pensée  des  richesses  de  l'expression.  Quoique  sa  diction 
ne  soit  pas  exempte  de  barbarismes,  cependant  elle  ne 
manque  ni  de  logique  ni  d'énergie.  Kantemir  introduisit, 
dans  la  versification,  la  contexlure  artificielle  et  monotone 
du  vers  français  :  son  style  e^t  dur  et  heurté,  mais  ce  fut 
lui  qui  eut  la  gloire  d'applanir  la  route  pour  un  de  ces  phé- 
nomènes remarquables  que  la  Providence  destine  à  Tius- 
truction  et  à  l'amélioration  de  leurs  semblables.  Lomonossow 
était  le  fiilsd'un  pauvre  marin.  La  lecture  de  l'Ancier^-ïes- 
tament  avait  fait  sur  son  esprit  une  impression  profonde  ; 
il  transporta,  dans  sa  langue,  les  beautés  sublimes  qui 
clincelleut  à  cbaque  page  de  la  Bible,  et  parvint,  de  cette 
manière,  à  l'enrichir  de  nouveaux  élémens  de  force  et  dhar- 


et  sur  sa  littérature.  263 

rnonie.  Il  cpura  el  fixa  le  langage  ,  arracha  aux  lénèhrcs 
les  annales  Je  riiislolre  tle  son  pays  ,  répandit  le  goût  de  la 
philosophie  expérimentale ,  et  fit  faire  de  grands  progrès  à 
la  navigation.  Son  contenipoi'ain  TrediakoAVski  contribua  à 
améliorer  la  structure  du  vers  russe 3  mais  cet  écrivain, 
dépourvu  de  goût  et  de  génie,  n'eut  d'autre  mérite  qu'une 
industrie  laborieuse,  dont  ses  compatriotes  ne  lui  tinrent 
pas  compte  pendant  long-tems.  Ce  fut  à  celte  époque  que 
Sumarakow  fonda  le  théâtre  russe.  Le  tems,  qui  finit  par 
mettre  chaque  chose  à  sa  place ,  a  rejeté  Sumarakow  au 
rang  qu'il  doit  occuper 5  cependant,  tant  qu'il  vécut,  idole 
de  la  cour  et  d'une  noblesse  peu  éclairée ,  il  s'était  cru  en 
droit  de  traiter  avec  mépris  et  dédain  le  père  de  la  littéra- 
ture russe.  Il  laissa  la  langue  aussi  barbare  qu'il  l'avait 
reçue.  Les  pièces  de  son  théâtre  n'ont  ni  originalité,  ni 
caractère  national  ;  le  style  en  est  boursoufïlé  et  sans  élé- 
gance ,  et  les  intrigues  eu  sont  compliquées.  Popowski 
suivit  les  traces  de  Lomonossow  5  il  écrivit  avec  grâce  et 
pureté,  et  donna  une  traduction  estimée  de  V Essai  sur 
Vhoinnie ,  de  Pope. 

Vers  cette  époque  ,  il  s'établit  plusieurs  séminaires  en 
Russie,  et  l'on  fondu  ,  en  1755,  lUniversité  de  Moscou. 
Le  gouvernement  cherchait  a.  attirer  tous  les  étrangers  de 
distinction  j  mais  ,  malgré  ses  efforts  ,  nous  ne  remarquons 
poiut  encore,  dans  la  civilisation,  (ics  progrès  bien  sensi- 
bles, el  nous  ne  voyons  pas  qu'aucun  génie  extraordinaire 
se  soit  montré  jusqu'à  l'avénemenl  de  la  grande  Cathe- 
rine. Celte  femme  élounoute,  malgré  ses  vastes  entreprises 
et  sou  goût  pour  les  voluptés  ,  s'occupait  des  beaux  arts  et 
des  sciences  qu'elle  protégea  d'une  manière  efficace.  Elle 
s'arrachait  à  ses  plaisirs  tumultueux,  pour  en  rechercher  de 
plus  calmes  et  de  plus  purs  daus  le  commerce  des  muses , 
et  oubliait  ses  rêves  d'ambition  dans  les  projets  d'uuc  ré- 
forme intellectuelle.  D'une  main,  clic  confiait  à  ses  gêné- 


"'34  Coup  d'œil  sur  la  Russie 

raux  des  missions  auxquelles  la  jaslice  ne   présidait  pas 
toujours  5  et  de  l'autre ,  elle  fondait  des  écoles  et  des  aca- 
démies. Tel  est  le  souvenir  qu'a  laissé  celle  grande  souve- 
rains, qu'en  dépit  de  la  bizarrerie  de  ses  caprices  et  des 
cruautés  qui  signalèrent  son  règne ,   on  ne  prononce  au- 
jourd'hui son  nom,  en  Russie,  qu'avec  un  sentiment  de 
respect  et  d'affection.  Pelrow,  poète  lyrique,  plein  de  feu 
«-'t  de  hardiesse,  célébra  les  triomphes  d  Or'.ow.  Kheras- 
kow  voulut  en  vain  fléchir  la  muse  de  l'épopée  j  il  ne  put 
obtenir  ses  faveurs.  Quoiqu'on  rencontre  dans  son  Vladi- 
mir et  dans  sa  Russiade ,  des  passages  pittoresques  ,  des 
docrlj. tions  locales  pleines  de  vie,  le  style  de  ces  poèmes 
est ,  en  général,  lâche,  affecté  ,  diffus.  Rheraskove  écrivit 
trop  pour  bien  écrire  5   il  s'essaya  dans  chaque  genre  de 
poésie  et  ne  réussit  dans  aucun.  De  toutes  ses  productions  , 
Iskatelei Schastiyu  (  le  Chasseur  de  la  Fortune  ),  est  la  moins 
défectueuse.  On  doit  à  l'aimable  et  gai  Bogdanovitch  la 
Dusheuka  (Psyché),  une  des  plus  gracieuses  fictions  poé- 
tiques. Elle  obtint,   dès  sa  naissance,  la  faveur  publique 
qu'elle  eut ,  depuis  ,  le  bonheur  de  conserver.  L'apparente 
négligence  de  ce  poème  et  ses  divagations  continuelles  lui 
donnèrent  un  attrait  tout  particulier  ,  dans  un  pays  où  tant 
d'art  et  de  règles  sévères  jusqu'à  la  pédanterie,  entravent 
la  marche  de  la  versification.  La  facilité  du  style,  jointe  à 
ime  morale  saine  et  piquante ,  est  le  mérite  distinctif  des 
fables  de  Khemnitzer.  Yon  Visin  rendit  au  drame  russe 
un  caractère    national  ;   il  saisit  habilement  quelques-uns 
lies    travers    de   ses   compatriotes,    et    peignit    avec    des 
couleurs  franches    la    frivole   et  ridicule  vanité  des  der- 
nières classes  de  la  noblesse.  Ces  classes  peuvent  se  cor- 
riger j  elles  le  feront  sans  doute ,  mais  la  vive  peinlui'e  de 
leurs   ridicules  n'en  subsistera  pas  moins.  Rapnist  trans- 
porta dans  la  comédie  toute  l'amertume  de  la  satii-ej  ses 
Odes  sérieuses  sont  écrites  avec  nohlesse  et  élévation ,  et 


et  sur  sa  littérature.  ^65 

ses  pièces  légères  se  font  remarquer  par  leur  grâce  et  leur 
délicatesse.  La  traduction  en  prose  d'Ossian,  par  Kos- 
trow,  offre  un  rare  exemple  des  nombreuses  ressources 
de  la  langue  russe.  Celle  qu'il  a  faite  des  huit  premiers 
chants  de  l'Iliade,  quoique  n'étant  pas  également  soute- 
nue, est  cependant  à  citer  pour  Ténergie  et  la  dignité  du 
style.  Kniajniu  écrivit  des  tragédies  :  sa  pidon,  sou  Vadim, 
ainsi  qu'un  ou  deux  de  ses  vaudevilles  et  de  ses  comédies,, 
resteront  au  théâtre. 

Derzhavin  naquit  en  174^*  I^  ^Y  ^  P^s  de  bornes  aux 
éloges  outrés  que  font  de  lui  ses  compatriotes  j  écoutons 
13estu]ew  :  «Ce  barde  inspiré,  inimitable,  la  gloire  de 
»  son  pays  et  de  sou  siècle ,  s'est  élancé  à  une  hauteur 
>»  que,  jusqu'à  lui,  personne  n'avait  encore  atteinte,  et 
»  que  nul  autre  ne  pourra  dépasser.  A  la  fois  poète  et 
»  pbilosophe  ,  il  sut  faire  descendre  la  vérité  dans  Toreille 
»  des  rois.  Sa  mystérieuse  influence  vivifie  l'ame,  ravit  le 
»  cœur;  il  s'empare  de  nous  et  maîtrise  notre  attention 
«  par  la  rapidité  des  pensées,  la  hardiesse  de  son  élo- 
«  quence  et  le  grandiose  de  ses  peintures.  Son  style  est 
»  iri'ésistible ,  prompt  comme  l'éclair,  brillant  et  somp- 
»  tueux  comme  la  robe  de  la  nature.  »  Ou  voit ,  par  cet 
exemple,  jusqu'à  quel  point  l'exagération,  commune  aux 
Orientaux  ,  a  envahi  le  domaine  de  la  littérature  russe.  Il 
est  certain  que  Derzhavin  est  un  poète  du  premier  ordre , 
et  son  Ode  à  Dieu,  sa  Chute  d'eau ,  sou  Félilza,  sont  in- 
contestablement au  nombre  des  meilleures  pièces  de  la  lit- 
térature russe ,  si  même  elles  ne  sont  pas  les  meilleures. 
Ecrivain  enjoué  et  élégant,  Derzhavin,  après  avoir  éveillé 
l'attention  publique  parla  justesse  de  ses  critiques,  ne  tarda 
pas  à  prouver,  par  son  exemple,  qu'il  savait  éviter  les 
fautes  qu'il  avait  reprochées  aux  autres  ,  et  l'opinion  de 
ses  compatriotes  lui  assigna,  dès-lors,  un  rang  élevé  dont 
il  n'rst  jamais  descendu.   Les  vers  de  Dmiuicw  obtinrent 


266  Coup  d' œil  sur  la  Russie 

de  la  vogue  dans  les  cercles  du  grand  monde,  où  ils  cou- 
Iribuèrent  à  popvdariser  la  langue  russe.  Les  fobles  qu'il  a 
composées  sont  semées  d'allusions  fines  et  caustiques,  et  ne 
manquent  ni  d'aisance,  ni  d'abandon;  il  y  a  dans  ses  chan- 
sons de  la  gaîté  et  des  images. 

A  la  même  époque ,  Raramsln ,  se  corrigeant  de  l'en- 
llure  de  ses  premières  productions ,  abandonnait  ce  sejiti- 
W(?/zto/i.!i772e  ridicule  auquel  il  s'était  trop  facilement  laissé 
aller  dans  sa  jeunesse.  C'est  à  lui  qu'on  doit  une  Histoire  de 
Russie j  qui  fera  un  jour  autorité.  Il  serait  à  désirer  qu'il 
l'eût  écrite  dans  un  esprit  plus  philosophique,  et  non  pas 
comme  un  avocat  chargé  exclusivement  de  la  cause  de  son 
pays.  Mais,  en  somme,  il  a,  par  cet  important  ouvrage, 
jeté  un  grand  Jour  sur  uue  portion,  presqu'ignorée ,  de 
l'histoire  du  monde;  et  la  vente  rapide  de  plusieurs  mil- 
liers, d'exemplaires  d'une  production  aussi  chère  et  aussi 
volumineuse,  est  une  preuve  certaine  des  progrès  intellec- 
tuels du  peuple  russe.  Sous  le  rapport  du  style,  dont  elle 
offre  lui  excellent  modèle,  V Histoire  de  Raramsiu  mérite 
les  plus  grands  éloges.  La  Khtrsonida  de  Bobrow,  quoique 
fortement  empreinte  de  la  couleur  orientale  ,  est  une  pein- 
ture énergique  qui  présente  une  succession  de  scènes  ren- 
dues avec  talent  et  bonheur.  Yosiokow  introduisit  quelques 
nouveaux  changemens  dans  la  prosodie  slavonne.  Raise- 
roAV,  traducteur  de  Sterne,  et  Marlinow,  publièrent  des 
traduclions  des  poètes  les  plus  reuommés  de  la  Grèce,  de 
Rome  et  de  l'Europe  moderne.  Les  Satires  de  Gortshakow 
et  les  Parodies  de  Marin  ,  excitèrent  puissamment  l'atten- 
tion. Un  barde  de  la  Sibérie,  l'aveugle  Eros,  j;  ta  dans  le 
public  un  volume  de  poésies  joyeuses.  Ismailow,  que  les 
Russes  nomment  leur  Ténlers  ,  a  réussi  à  merveille  dans  ses 
peintures  de  la  vie  commune.  Benitzky  écrivit  quelques 
pièces  où  l'on  remarque  des  pensées  fortes  cl  originales;  ce 
poète  moiu-ul  en  iSoy,  âgé  de  vingt-neuf  ans ,  au  moment 


et  sur  sa  littérature .  -liSn 

où  il  avait  excité  la  plus  vive  admiration.  Nous  ne  devons 
pas  oulilier  de  faire  menlion  des  cxcellens  écrits  que  Shish- 
kow  a  composés  pour  les  eafansj  cet  auteur  a  pris  une  pari 
fort  active  aux  discussions  qui  se  sont  élevées  en  Russie,  re- 
lativement à  la  langue,  et  il  a  répandu  une  grande  clarté 
sur  cette  matière  dans  sou  O  Staroui  i  Novoin  Slo^ie  (  sur 
l'Ancien  et  le  Nouveau  style).  Les  pièces  de  théâtre  de  Su- 
dovsbchlkoAV ,   Kriukowski  et  Oserow ,  ont  eu  du  succès  ; 
mais  le  Pozharsky  du  second  est  défiguré  par  une  foule 
cVerreurs  historiques.   Le  dernier,   le  plus  admiré  par  ses 
compatriotes ,  sut  tirer  de  grandes  ressources  de  l'emploi 
de  l'hexamètre.  Son  Œdipe  est  estimé,  mais  son  Donskoy 
ofifre  plus  d'intérêt  pour  un  étranger;  le  caractère  russe  v 
est  peint  avec  vérité  ,  quoiqu'on  puisse  désirer  des  couleurs 
plus  naturelles  pour  le  héros  principal.  L'influence  d'Osé  • 
row  se  fera  long-tems  sentir  d'une  manière  funeste.  C'est 
lui  qui  a  enchaîné  la  tragédie  sous  le  joug  de  la  rime ,  quoi- 
que la  langue  russe ,  dont  les  accens  sont  si  variés  et  les 
désinences  si  riches  et  si  sonores  ,  n'eût  pas  besoin  d'un  tel 
secours  pour  être  poétique.  Shakhawskj  a  essayé  de  déli- 
vrer le  drame  de  ses  entraves  ;  ou  doit  regretter  qu'il  n'ait 
pas  eu  assez  de  génie  pour  remplacer  par  de  meilleurs  mo- 
dèles ceux  qu'il  voulait  renverser.  Le  théâtre  russe,  calqué 
sur  celui  des  Français,  est  tout  d'imitation.  Les  chefs- 
d'œuvre  de  Molière  ont  été  traduits  par  Kokoshkin ,  ceuv 
de  Racine  par  Lobano-\v,  et  ceux,  de  Corneille  par  Rantc- 
nin.  Boris  Fedorow  a  traduit,  sans  (aient,  quelques  frag- 
mens  du  Jules  César  de  notre  divin  Shaks^ieare,  dont  l'if c//«- 
let  a  clé  transporté  sur  la  scène  russe  par  Viskovatow.  Les 
Fables  de  Krilow  obtiendraient  les  suffrages  unanimes  de 
toutes  les  nations  policées.  Faciles,  piquantes,  énergiques» 
originales,  elles  présentent  des  modèles   exquis   de  celle 
joyeuse  satire  et  de  celle  douce  philosophie  que  nous  aimons 
à  trouver  dans  ce  genre  de  composilion.  I^a  traduction  de 


268  Coup  d'œil  sur  la  Russr'e 

cps  fables  serait  un  véritable  présent  à  faire  à  la  littérature 

anglaise  (i). 

Zhukowskliy  et  Balinshkow  ont  employé  la  langue  poé- 
tique avec  succès ,  et  réussi  mieux  qu'aucun  de  leurs  prédé- 
cesseurs à  populariser  la  littérature  3  ils  ont  excite  un  en- 
thousiasme universel.  Les  traductions  du  premier  sont  des 
modèles;  on  regrette  que  son  mysticisme  le  rende  parfois 
obscur  et  même  inintelligible.  Le  Guerrier  dans  les  ruines 
du  Kremlin  ,  ainsi  que  les  autres  poésies  nationales  de  Zhu- 
koAvsky,  ont  eu  une  influence  marquée  sur  l'esprit  de  ses 
compatriotes.  On  trouve  dans  la  Mort  du  Tasse  de  Batinsh- 
kow,  tout  le  fén  et  l'inspiration  du  génie.  Piisbkin  est  plein 
d'originalité  ;  RusJan  et  Lindmilla  ,  le  Prisonnier  de  guerre 
du  Caucase ,  sont  des  écrits  remplis  d'images  et  de  des- 
criptions charmantes.  Vaesemski  eut  à  la  fois  Vaudace  de 
créer  et  le  bonheur  de  faire  recevoir  de  nouveaux  mots  et 
de  nouvelles  formes  de  langage.  Gnaeditch  réusvsit  dans  ses 
traductions  des  auteurs  grecs;  son  poème  sur  la  naissance 
dHomère  ,  semble  avoir  été  composé  sur  les  rives  de  VAl- 
phée.  11  publia  aussi  des  Idylles  pour  le  peuple.  Glinka  est 
rêveur  et  mélodieux;  Davidow,  riche  et  martial  ;  Bara- 
linskv,  enjoué  et  gracieux  ;  Milovr,  rapide  et  heurté.  PiilicAV 
ouvrit  une  nouvelle  carrière  à  la  poésie,  dans  laquelle 
NiemceAvicz,  un  des  poêles  les  plus  distingués  de  la  Polo- 
gne, obtint  de  grands  succès  par  des  hymnes  populaires  et 
des  ballades  historiques.  L'auteur  russe  qui  voudra  désor- 
mais se  rendre  utile  à  sa  patrie,  doit  surtout  écrire  pour 

(i)  Note  du  Tr.  Nous  possédons  une  traduction  des  fables  de  Kri- 
low,  en  vers  français  et  italiens ,  entreprise  sous  les  auspices  de  M.  le 
comte  Orlow,  par  une  réunion  formée  des  écrivains  les  plus  distingues 
des  deux  nations.  11  existe  encore  une  autre  traduction  en  vers  français 
des  failles  choisies  de  Krllow,  publiée  à  Saint-Pétersbourg.  Nous  res- 
iiecterons  l'incognito  ijue  le  modeste  Iradurteur  a  voulu  conserver, 
«juoiijne  sontra\ail  nous  paraisse  avoir  droit  à  de  jusîes  éloges. 


et  sur  sa  littérature,  ,  260 

le  peuple  5  il  tloit  chercher  à  agir  sur  la  masse  de  la  na- 
tion, car  il  y  a  trop  d'égoïsme ,  de  dépravation,  de  suffi- 
sance et  d'orgueil  dans  les  classes  éleve'es ,  pour  qu'elles 
daignent  s'occuper  de  rinstruction  des  classes  inférieures  : 
mais  si  le  riche  ne  veut  pas  se  rapprocher  du  pauvre ,  il 
faut  rapprocher  le  pauvre  de  lui  j  et  celui  qui  réussira  dans 
cette  noble  tâche ,  sera  en  même  tems  le  bienfaiteur  des 
deux  classes.  Ostolopow  a  publié  une  colleclion  d'allégo- 
ries ingénieuses;  Rodsianka  est  le  peintre  poète  de  la  vie 
paisible.  Merslakow  et  Rai'lch  ont  donné  d'excellentes  tra- 
ductions; le  premier,  à^Y  Art  Poétique  d'Horace;  le  second, 
des  Eglogues  et  des  Géorgiques  de  Virgile.  Il  n'y  a  pas  jus- 
qu'aux femmes  russes  qui  n'aient  voulu  descen  !re  dans 
l'arène  poétique  ;  nous  citerons  eutr'autres  Anna  Bunin  et 
Anna  VolkoAV.  La  Chute  de  Phaéton  ,  d'Anna  Bunin  ,  ren- 
ferme un  grand  nombre  de  beautés  de  divers  genres.  Les 
ouvrages  périodiques  de  la  Russie  ,  que  nous  avons  sous  les 
yeux  ,  nous  ont  offert  des  productions  charmantes  échap- 
pées h  la  plume  des  femmes.  Certes  ,  on  peut  sans  crainte 
fonder  un  grand  espoir  sur  l'avenir  de  ce  peuple,  quand 
on  voit  une  telle  amélioration  et  une  si  grande  cidlure  dans 
l'esprit  du  beau  sexe. 

Parmi  les  prosateurs ,  nous  croyons  devoir  distinguer 
plus  particulièrement  Rachenowsky,  qui  a  soumis  à  une 
saine  critique  une  grande  variété  de  sujets  historiques. 
Grech ,  dont  l'ouvrage  sur  la  IJlléralure  russe  est  le  meil- 
leur guide  pour  se  livrer  à  l'étude  de  ses  écrivains,  a 
également  rendu  des  services  importans  à  sa  langue  mv.~ 
lernelle.  Quoique  Polonais  de  naissance,  Bulgarin  est  Té-, 
crivain  poîiiicjue  le  plus  estimé  parmi  les  Russes;  et  la 
plupart  des  articles  extraits  des  journaux  de  Sainl-l'élers- 
hoUrg,  qu'on  a  jugés  dignes  d'être  reproduits  dans  les  gazettes 
allemandes,  françaises  et  anglaises,  sortent  de  sa  plume. 
Nous  avons  eu  connaissance  en  Angleterre,  par  uiie  Ira- 
ir.  a5 


270  Coup  d' œil  sur  la  Russie. 

duclion  allemande ,  de  la  relation  du  voyage  et  de  la  captî- 
TÎté  du  capitaine  Golovîn ,  au  Japon.  Le  voyage  en  Améri- 
que ,  de  Svinjin  ,  mériterait  également  d'être  traduit  ;  les 
Soirées  Slavonnes  de  Naraejny,  sont  d'autant  plus  curieuses 
à  lire,  qu'on  y  trouve  plusieurs  fragmens  précieux  de  la 
vieille  poésie  nationale.  Menshenin  a  publié  sur  la  cliimie 
plusieurs  ouvrages  importans.  Nous  nous  garderons  bien 
également  de  passer  sous  silence  les  essais  descriptifs  de 
Jakovlew,  les  lettres  européennes  de  Kurkhelbecker  et  les 
-critiques  de  SomoAV. 

L'économie  politique  n'a  pas  manqué  d'interprètes  en 
Russie.  Nous  n'entendons  pas  parler  de  Storcli,  dont  les 
ouvrages,  quoiqu'imprimés  à  Saint-Pétersbourg  ,  ont  clé 
composés  en  allemand,  langue  maternelle  de  l'auteur;  mais 
de  Turgenew,  dont  la  tbéorie  sur  les  taxes  lui  a  valu  des 
louanges  méritées.  Les  frères  Bestushew  sont  des  voyageurs 
intéressans  et  d'excelleus  critiques. 

Nous  bornerons  là  cette  simple  nomenclature  des  meil- 
leurs auteurs  russes;  de  tous  ceux  qui  ont  contribué,  d'une 
manière  quelconque ,  à  répandre  les  lumières  de  l'Europe 
occidentale  dans  le  plus  vaste  et  le  plus  puissant  empire  de 
l'un i vers.  Cette  nomenclature  aura  probablement  paru  un 
peu  aride.  Peut-cire  aussi  trouvera-t-on  que  nous  avons 
été  trop  prodigues  de  louanges  ;  mais  nos  lecteurs  ne  doi- 
vent pas  oublier  que  nous  n'avons  cité  que  les  écrivains 
dont  les  productions  méritaient  véritablement  des  élogrs. 
Nous  sommes  fiers  et  coutens  de  noire  liste.  N'est-ce  pas  , 
en  effet,  une  cbose  remarqviable ,  qu'un  nombre  aussi  pro- 
dieieux  d'élémens  de  civilisation  répandus  sur  la  surface 
d'un  pays  qui  sort  à  peine  de  la  plus  affreuse  barbarie  ? 
Malgré  les  bayonnelles  qui  le  couvrent ,  une  opinion  pu- 
blique s'y  forme  et  y  grandit  :  encore  quelque  tems ,  et  son 
action  sur  la  marclie  du  gouvernement  commencera  peut- 
être  à  se  faire  sentir.  Nous  terminerons  en  laissant  parler 


Histoire  des  vins  anciens  et  modernes.  u.'j  i 

l'auteur  russe  qui  nous  a  fourni  une  partie  des  observations 
précédentes  :  «Consolons-nous,  dit-il  j  le  goût  public  (il 
aurait  dit  l'opinion,  s'il  l'eût  osé)  fait  tous  les  jours  des 
progrès ,  semblable  à  un  fleuve  caché  dans  le  sein  de  la 
terre ,  qui  travaille  sans  cesse  à  en  sortir.  La  nouvelle 
génération  commence  à  sentir  le  charme  et  la  force  de  la 
langue  nationale.  C'est  en  silence  que  s'opère  l'action  insen- 
sible du  tems.  Les  brouillards  qui  couvrent  le  champ  de 
notre  littérature ,  pourront  bien  encore  ,  pendant  quelques 
années,  dérober  à  notre  vue  la  Jeune  plante  qui  croît  et 
s'élève  j  mais  avant  peu  elle  fleurira,  et  l'avenir  nous  pro- 
met les  plus  riches  et  les  plus  abondantes  moissons.  » 

(^Westminster  Méfier.) 


HISTOIRE  DES  VINS  ANCIENS  ET  MODERNES. 

(  Deuxième  article  )  (i). 


En  passant  des  vins  en  usage  dans  l'antiquité ,  à  ceux  des 
lems  modernes  ,  nous  sommes  étonnés  que  le  docteur  Hen- 
derson,  dans  un  ouvrage  essenlieîlement  historique  ,  n'ait 
pas  essayé  de  joindre  ces  deux  époques  par  quelques  re- 
cherches sur  les  vins  du  moyeu  âge.  Ce  travail  était  néces- 
saire pour  remplir  son  plan  ,  et  il  aurait  pu  nous  fournir 
des  documens  du  plus  haut  intérêt  sur  les  habitudes  et  les 
mœurs  de  nos  aïeux.  On  trouve  bien,  il  est  vrai,  quelques 
considérations  de  ce  genre  dans  la  seconde  partie  du  vo- 
lume consacré  aux  vins  modernes  :  mais  ces  aperçus  sont 
généralement  imparfaits,  ctTauteur  aurait  dû  établir,  d'une 
manière  moins  brusque,   la  transition  des  coutumes  anli- 

(i)  Voyez  le  premier  article  dans  le  trolsicmc  numéro  de  la  lievuc 
Britannique ,  fixg.  ^S. 


2^3  Histoire  des  ii/is 

ques  aux.  usages  de  notre  époque.  Un  chapitre  intermédiaire 
et  spécial  eût  été  nécessaire,  et  certainement  les  matériaux, 
ne  lui  auraient  pas  manqué  pour  le  faire. 

Il  est  probable  que  les  conquérans  de  l'Europe  adoptè- 
rent ,  dans  leurs  repas ,  les  habitudes  des  peuples  civilisés 
qu'ils  avaient  dépossédés.  Peut-ctre  même  ces  habitudes  et 
celles  des  populations  du  moyen  âge  ,  seraient-elles  venues 
jusqu'à  nous  ,  si  le  caprice  de  la  mode  ne  les  eût  fait  dispa- 
raître. L'usage  de  porter  des  santés  et  des  défis  bachiques  , 
naguère  en  honneur  dans  nos  festins,  commence  à  vieillir, 
et  sera  probablement  oublié,  malgré  sa  gaîté  franche  et 
joviale  ,  dans  les  cercles  élégans  de  la  génération  qui  nous 
suit.  Ce  n'est  pas  dans  les  forêts  obscures  de  la  Germanie 
qu'on  a  commencé  à  couronner  les  coupes  de  fleurs  :  cette 
idée  poétique  n'a  pu  naître  que  sous  le  ciel  heureux  de  la 
Grèce.  Nous  voyons  encore  dans  les  vieux  fabliaux  com- 
ment les  chevaliers  couronnaient  de  fleurs  les  coupes  qu'ils 
"vidaient  eu  l'honneur  de  leurs  belles  ,  et  nos  vieillards  peu- 
"vent  se  rappeler  combien  cet  usage  chevaleresque  ajoutait 
de  grâce  et  de  vivacité  à  nos  fêtes  champêtres.  Mais  ,  pour 
ensuivre  la  trace,  il  faudrait  aujourd'hui  descendre  aux 
derniers  rangs  de  la  société ,  où  nous  ne  retrouverions  plus 
les  guirlandes  de  fleurs  que  dans  ces  grossières  couronnes 
qui  servent  d'enseignes  à  nos  cabarets. 

L'usage  des  boissons  chaudes  continua  de  se  maintenir 
dans  toutes  les  classes,  jusqu'au  XTI®  siècle.  Ce  goût ,  qui 
venait  des  anciens,  avait  dégénéré  en  véritable  passion  chez 
les  Romains.  A  Rome ,  les  noms  des  lieux  de  réunion  pu- 
blique étaient  dérivés  du  commerce  qu'on  y  faisait  des  bois- 
sons chaudes,  et  les  citoyens  qui  naç>aient  pas  leur  mé- 
nage ,  se  rendaient  aux  therniopolia  ,  comme  aujourd'hui 
les  modernes  fréquentent  les  cafés. 

Le  goût  des  Romains  pour  les  boissons  mélangées ,  telles 
que  le  vin  édulcoré  par  le  miel  et  des  substances  aroma- 


anciens  et  modernes.  2'j5 

tiques,  passa  de  ces  conque'rans  aux  barbares.  Bientôt  ce 
fut  un  besoin  Ae  corriger,  à  force  tl'épices  ,  la  saveur  âpre 
et  dure  des  vins  du  moyen  âge.  Ainsi  modifiés,  ces  vins 
prenaient  le  nom  général  de /^zwe^f,  probablement,  dit  le 
docteur  Henderson ,  parce  qu'ils  étaient  préparés  par  les 
pigmentanï  ou  les  apotbicaires ,  ou  plutôt,  selon  nous, 
parce  que  les  apothicaires  vendaient  alors  les  épices;  car  il 
était  du  bon  ton  de  servir  le  vin  et  les  épices  séparément , 
afin  que  les  convives  pussent  eu  faire  le  mélange  à  leur  gré. 
L'bippocras  était   une  variété  du  piment.  Le  docteur 
Pegge  a  cite  une  recette  curieuse  pour  le  préparer.  «  Pour 
»  faire  l'hippocras  des  grands  seigneurs ,  prenez,  dit-il,  du 
»   gingembre ,  de  Tanis  et  du  sucre  ;  l'hippocras  dupeuple  se 
M  fait  avec  de  la  canelle ,  du  poivre  et  du  miel  clarifié.  » 
Mais,  de  toutes  ces  liqueurs,  la  seule  qui  mérite  un  sou- 
venir, esl  l'infusion  de  suc  d^orangede  Séville  avec  le  su- 
cre, dans  un  vin  léger  :    on  donne  à  ce  mélange,  qui  est 
encore  en  usage  en  Allemagne,  le  nom  de  bishop  (évéque). 
Un  amateur  allemand  a  donné  une  classification  très-ori- 
ginale de  ces  breuvages.  Lorsque  le  mélange  est  fait  avec 
du  vin  de  Bordeaux  ou  de  Bourgogne,  il  se  nomme,  dit-il, 
liqueur  d'éi^éque  ;  si  on  a  employé  du  vieux  vin  du  Rhin  , 
c'est  une  liqueur  de  cardinal',  si  c'est  du  vin  de  Tokay,  la 
boisson  devient  iW^^wç.  du  pape . 

La  Bataille  des  vins,  un  des  fabliaux  du  XIII*  siècle, 
peut  nous  donner  une  idée  des  vins  qui  avaient  aloi's  de  la 
réputation  en  France  :  il  y  est  surtout  question  de  ceux 
d'Epernay,  de  Hautvillicrs  et  de  Chablis.  liCS  vins  du  Rhin 
étaient  connus  dès  le  XIP  siècle ,  car  à  celte  époque  ,  le 
vin  de  Johannisberg ,  qui  est  encore  le  meilleur  de  tous  , 
était  fait  par  les  moines  de  Vabbaye  de  ce  nom.  Les  bords 
c\e  la  Moselle  étaient  couverts  de  vignobles  plusieurs  siècles 
auparavant.  Le  docteur  Henderson  observe  que  les  meil- 
leurs  vins  du    moyen   âge   furent  toujours   produits  pur 


2^4  Histoire  des  vins 

des  terrains  appartenant  à  l'église,  parce  que  les  chapitres 
opulens  qui  les  possédaient  tenaient  beaucoup  plus  à  la 
qualité  qu'à  la  quantité  :  c'est  ce  qui  a  fait  la  réputation 
du  vin  théologique.  Mais  il  a  oublié  l'explication  matérielle 
de  celte  particularité.  Les  moines  n'étaient  pas  seulement 
les  dépositaires  de  toutes  les  connaissances  du  tenis  ,  et  par 
conséquent  les  plus  habiles  cultivateurs  de  la  vigne,  et  les 
meilleurs  fabricans  de  vins  5  ils  étaient  aussi  les  plus  heu- 
reux seigneurs  des  plus  heureux  vassaux.  Le  respect  qu'on 
portait  à  l'église  préservait  leurs  terres  de  toutes  les  dé- 
vastations qui  suivaient  les  guerres  féodales  ;  la  culture  en 
était  moins  interrompue,  plus  paisible,  et  leur  expérience 
agricole  profitait  naturellement  aux  paysans  de  leurs  do- 
maines. 

Nous  devons  citer  aussi  les  vins  de  Bourgogne ,  au  nom- 
bre de  ceux  qui  étaient  le  plus,  renommés  dans  le  moyen 
âge  j  car  ce  n'est  pas  sans  raison  que  les  ducs  de  cette  pro- 
vince étaient  désignés  sous  le  nom  de  Princes  des  bons 
rins.  Les  vins  de  Gascogne  n'avaient  pas  moins  de  réputa- 
tion, et  l'on  peut  dire  de  la  France,  en  gi^néral ,  que  ses 
vins  ont  été  célèbres  par  leur  bouquet  dans  l'antiquité  et 
dans  les  siècles  suivans ,  autant  que  de  nos  jours  5  tandis 
que  ceux  d'Espagne  n'ont  eu  que  le  mérite  de  la  force 
et  de  la  chaleur,  à  ces  trois  époques.  Le  docteur  Hendcrson 
aurait  pu  apprendre  à  ses  lecteurs,  d'après  Froissart,  que 
les  chevaliers  d'Angleterre,  sous  le  règne  d'Edouard  111, 
n'aimaient  pas  à  faire  la  guerre  en  Espagne,  parce  qu'ils 
accusaient  ses  vins  généreux  de  leur  brûler  le  foie,  d'ag- 
graver la  chaleur  du  climat  et  le  poids  de  leurs  armes. 
Mais  ils  faisaient  le  plus  grand  é  oge  des  coteaux  fertiles 
et  des  vins  salutaires  de  la  l)elle  France  :  aussi  c'était  tou- 
jours avec  une  vive  satisfaction  qu'ils  allaient  y  guerroyer. 

Les  vins  d'Italie  paraissent  avoir  été  peu  connus  à  l'é- 
tranger à  cette  époque,  malgré  l'opinion  du  docteur  Hcn- 


anciens  et  modernes.  a- 5 

derson.  Après  les  croisades,  les  vins  donx  de  la  Grèce  se 
répandirent  dans  loule  TEurope.  Les  îles  de  Chypre  et  de 
Candie,  exploitées  par  la  république  de  Venise,  en  fourni- 
rent en  abondance  à  nos  tables ,  et  les  chevaliers  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem  devinrent  propriétaires  d'une  comman- 
derie  dont  les  vins  formaient  le  plus  grand  revenu.  Ces  vins, 
qu'on  récolte  dans  Tile  de  Chypre,  conservent  encore  au- 
jourd'hui leur  antique  réputation. 

Les  rapports  établis  entre  l'Angleterre  et  les  provinces 
septentrionales  de  France,  depuis  la  conquête  des  Nor- 
mands ,  et  surtout  l'acquisition  de  la  Guyenne  par  Henri  II, 
contribuèrent  beaucoup  à  introduire  les  vins  de  France 
dans  la  Grande-Bretagne  :  il  y  eut  un  commerce  actif  avec 
Bordeaux ,  vers  cette  époque.  Depuis  lors ,  nos  réglemens 
furent  remplis  de  dispositions  relatives  à  l'importation  des 
vins  français.  Froissart  rapporte  que  ,  sous  Edouard  III , 
une  flotte  de  200  vaisseaux  marchands  partit  d'Angleterre, 
et  vint  mouiller  à  Bordeaux,  qui  était  le  siège  du  gouver- 
nement du  prince  Noir,  pour  y  faiz'ele  commerce  des  vins  : 
cependant  les  vins  de  la  Péninsule  commencèrent  à  obte- 
nir, dans  le  XVI*  siècle,  la  faveur  et  même  la  préférence 
des  Anglais;  ce  qu'il  faut  attribuer  principalement  à  la  sé- 
paration politique  de  l'Angleterre ,  de  ses  possessions  fran- 
çaises. 

Toutefois,  si  les  vins  secs  d'Espagne  étaient  estimés  en 
Angleterre,  ils  n'étaient  pas  les  seuls  dont  ou  iît  cas.  Har- 
risson  assure  qu'on  en  connaissait  plus  de  cinquante-six  es- 
pèces ,  tant  français  qu'étrangers ,  et  que  la  consommation 
totale  du  royaume  pouvait  s'é'ever  à  plus  de  vingt  ou  trente 
mille  tonneaux  par  année.  Cette  quanlllé  paraîtra  remar- 
quable au  XVI*  siècle,  mais  elle  l'est  moins  encore  que  la 
consommation  qui  se  Lisait  dans  quelques  occasions  parti- 
culières. Le  jour  de  l'intronisation  de  Nevil ,  archevêque 
d'York,   la  sixième  année  du  règne  d'Edouard  VI,  elle 


2^6  '  Histoire  des  vitis 

s'éleva  Jusqu'à  cent  tonneaux.  Le  prédécesseiu'  de  ce  prélat 
eu  avait  consommé  quatre-vingts  tonneaux,  année  com- 
inune  ,  pour  le  seul  service  de  sa  maison. 

A  la  fin  du  XVP  siècle,  les  vins  secs  des  Canaries  étaient 
ceux  dont  on  faisait  le  plus  usage,  et  vers  le  milieu  du  siècle 
suivant  ils  avaient  remplacé  les  vins  d'Andalousie  :  quoique 
leur  nom  soit  presque  entièrement  oublié ,  il  nous  en  arrive 
encore  beaucoup,  qu'on  vend  pour  du  Madère.  Howell , 
dans  ses  lettres  familières ,  prétend  que  ce  n'est  qu'avec  du 
vin  des  Canaries  qu'on  peut  constater  la  vérité  de  cet  adage  : 
«  Le  bon  vin  fait  le  bon  sang  3  le  bon  sang  donne  une  bonne 
buraeur;  la  bonne  humeur  inspire  de  bonnes  pensées;  les 
bonnes  pensées  mènent  aux  bonnes  actions  ;  et  les  bonnes 
actions  mènent  au  cielj  donc  le  bon  vin  mène  au  ciel.  »  11 
ajoute  que,  dans  cette  hypothèse  ,  il  y  a  beaucoup  d'An- 
glais qui  vont  au  ciel,  car  nulle  part  on  ne  boit  plus  de  vin 
des  Canaries  qu'en  Angleterre.  Ce  qu'il  en  disait  cessa  bien- 
tôt d'être  exact,  et  les  vins  légers  de  France  reprirent  leur 
supériorité.  Mais  les  longues  guerres  de  Louis  XIV  cau- 
sèrent une  nouvelle  révolution  dans  les  caves  anglaises. 
Les  relations  commerciales  avec  la  France  furent  inter- 
rompues; les  vins  de  Portugal  remplacèrent  les  vins  de 
Bordeaux.  Alors  commença  le  règne  du  Porto ,  et  nous 
nous  trouvâmes  sous  l'empire  du  traité  de  Méthuen  ,  dont 
nous  avons,  grâce  au  ciel,  assez  entendu  parler.  Le  vin 
de  Madère  est  d'une  date  plus  récente.  Il  est  même  assez 
remarquable  que,  malgré  le  grand  débit  qui  s'en  faisait 
dans  nos  colonies,  depuis  le  protectorat  de  Cromwell, 
rinlroduction  de  ce  vin,  en  Angleterre,  ne  remonte  pas 
au-delà  de  la  moitié  du  dernier  siècle.  Le  docteur  Hen- 
derson  pense  que  les  officiers  en  ayant  reconnu  les  qua- 
lilcs  pendant  leur  séjour  en  Amérique,  en  ont  répandu  le 
«oût  dans  la  métropole,  et  que  ce  goût  a  prévalu.  Reste  à 
savoir  si  rélal  de  paix ,  nos  rnpporls  continuels  avec  le  con- 


anciens  et  modernes.  l'j'j 

tincnl  cl  la  rcdiiclion  des  droits  d'entrée,  ne  feront  pas  dis- 
paraître de  nos  marclics  les  vins  capiteux  d'Espagne ,  de 
Portugal  et  de  Madère  ,  et  ne  ranimeront  pas  celte  passion 
des  vins  légers  de  France  et  du  Rliiu ,  si  générale  chez  nos 
ancêtres. 

Après  avoir  passé  en  revue  la  partie  historique  deTou- 
vrage  du  docteur  Henderson ,  il  nous  reste  peu  d'espace 
pour  l'examen  du  reste  de  son  livre ,  qui  est  consacré  aux 
vins  de  l'époque  actuelle ,  à  leur  fabrication  et  à  leurs  qua- 
lités distinctives.  Le  peu  de  lecteurs  qui  voudront  con- 
naître à  fond  cette  matière  ,  la  trouveront  parfaiteineut 
traitée  dans  l'ouvrage  même  ;  nous  nous  contenterons  seu- 
lement d'en  suivre  les  divisions  géographiques  et  de  faire 
de  tems  en  tems  quelques  observations.  Pour  suivre  le 
même  ordre  que  l'auteur,  nous  commencerons  par  les  vins 
de  Fraliice ,  le  pays  de  l'univers  le  mieux  partagé  j  ar  la 
nature ,  sous  le  rapport  de  la  production  du  raisin ,  et  en 
même  tems  le  plus  habile  dans  l'art  de  la  fabrication  des 
vins.  Cependant ,  nous  n'adoptons  pas  sans  restriction  cet 
éloge  du  docteur  Henderson;  car  il  y  a  des  déparlemens 
dont  les  crûs  sont  excellens,  et  les  produits  très-médio- 
cres, par  suite  de  la  routine  et  de  la  négligence  des  culti- 
vateurs. La  .pauvreté,  l'ignorance  ou  les  préjugés  des  vigne- 
rons les  empêchent  d'employer  de  meilleures  méthodes  , 
et  ce  n'est  guère  que  dans  les  caves  des  grands  capitalistes 
ou  des  riches  propriétaires  qu'on  trouve  les  vins  <le  pre- 
mière qualité.  En  effet,  dit  avec  raison  M.  Chaptal , 
quoique  le  sol  de  la  France,  depuis  les  bords  du  Rhin 
jusqu'aux  pieds  des  Pyrénées,  présente  tme  succession,  ra- 
rement interrompue,  de  vignobles  fertiles  ,  capables  de  pro- 
duire, sans  s'épuiser,  les  meilleurs  vins  de  l'Europe,  il  n'y 
a  que  les  crûs  de  la  Champagne  et  de  la  Bourgogne,  du  Dau- 
ph'iné,  du  Lyonnais  et  du  Bordelais ,  qui  aient  une  véritable 
réputation,  tandis  que  les  vins  du  Languedoc,  de  la  Pro- 
II.  ■2./^ 


2^8  Histoire  des  vins 

vence  et  du  Rnussillou,  climals  favorises  du  ciel,  ne  soui 
remarquables  que  par  leur  force  ,  trop  souvent  dépourvue 
de  bouquet. 

Les  vins  de  Champagne  se  distinguent ,  d'après  la  situa- 
tiftn  des  vignobles,  en  crus  de  ricière  et  crus  de  montagne. 
Les  premiers  sont  généralement  blancs  ;  les  autres  sont 
rouges.  Les  plus  vifs  et  les  plus  pétillans  de  ces  vins  sont 
rarement  les  meilleurs ,  quolqu  ils  flattent  singulièrement 
le  goût.  Leur  effervescence ,  qui  est  le  résultat  d'une  fer- 
mentation imparfaite,  est  une  preuve  du  défaut  de  bou- 
quet ,  et  la  petite  portion  d'alcobol  qu'ils  contiennent  se 
dissipe  avec  l'écume  de  la  surface ,  laissant  au  fond  du  verre 
ime  liqueur  éventée.  Aussi  les  vins  de  Champagne  demi- 
mousseux  sont-ils  plus  estimés  des  connaisseurs  que  les 
gninds  mousseux.  Les  premiers  peuvent  se  garder  pen- 
dant plusieurs  années  ;  les  seconds  se  décomposent  pres- 
qu'immcdiatement.  Le  meilleur  de  tous  ces  vins  est  celui 
de  Sillery,  ainsi  nommé  parc?  qu'il  était  fabriqué,  dès 
l'origine,  dans  le  marquisat  de  Sillery.  Il  fut  long-tems  à  la 
mode,  à  cause  des  soins  que  la  maréchale  d'Estrées  fit 
donner  à  sa  préparation  ,  et  il  porta  ,  par  cette  raison  ,  le 
nom  de  vin  de  fa  Maréchale.  Au  second  rang,  on  place 
les  vins  d'Aï,  fameux  par  leur  bouquet  aromatique  d'une 
odeur  analogue  à  la  pomme  de  pin,  et  par  leih-  vivacité, 
plus  précieuse  pourtant  lorsqu'ils  bouillonnent  lentement , 
que  lorsqu'ils  sautent  avec  impétuosité.  Hautviliers,  Eper- 
nay,  Pierry,  Bousi  et  le  clos  des  vins  rouges  de  Saint- 
Thierry,  près  de  Reims,  suivent  de  près  les  crûs  d'Aï  eu 
rivalisent  avec  eux.  Mais  les  vins  rouges  de  Champagne , 
quoiqu'ils  aient  du  corps  et  de  la  couleur,  sont  générale- 
ment moins  estimés  que  les  vins  blancs.  Le  Champagne 
rosé  ne  diffère  du  blanc  que  par  un  procédé  particulier  et 
fort  simple  de  fabrication  ;  il  a  d'ailleurs  cessé  d'être  à  la 
mode. 


aucians  et  modernes.  ^79 

Au  coraniencemeut  ilu  dernier  siècle ,  il  s'éleva  clans  les 
écoles  de  médecine  de  France,  une  dispute  ridicule  sur  la 
prééminenc  edes  vins  de  Champagne  ou  de  Bourgogne. 
Cette  singulière  discussion  continua  jusqu'en  1778,  époqvie 
à  laquelle  un  arrêt  solennel  de  la  faculté  de  Paris  fut  pro- 
noncé en  faveur  du  vin  de  Champagne.  Notre  intention 
n'est  point  d'appeler  de  ce  jugement;  et  nous  abandonnons 
à  leur  sort  les  qualités  diurétiques  du  vin  de  Bourgogne  : 
mais  ,  pour  la  saveur  et  le  parfum  ,  nous  donnerons  la  pré- 
férence aux  produits  de  la  Côle-d'Or,  en  dépit  des  arrêts 
de  la  médecine  ,  en  faisant  seulement  observer  qu'un  véri- 
table amateur  de  Bourgogne  ne  doit  pas  s'attendre  à  re- 
cevoir ce  vin  sans  altération  ,  de  ce  côté  du  détroit.  L'ex- 
périence a  démontré  que  les  vins  de  la  Romance ,  de 
Chambertin  ,  du  clos  Vougeot ,  de  Richebourg  et  de  Saint- 
Georges  ,  qui  sont  tous  d'une  extrême  délicatesse,  ne  pou- 
vaient passer  la  mer  sans  danger.  On  assure  même  qu'ils 
supportent  difl:-.cilement  les  voyages  ,  à  moins  qu'ils  ne 
soient  lais  en  bouteilles,  et  qu'ils  contractent  une  acidité 
tout-à-fait  désagréable  ,  lorsqu'on  ne  les  conserve  pas  avec 
le  plus  grand  soin.  Au  reste,  ces  vins  sont  en  trop  petite 
quantité,  et  trop  recbercbés  en  France,  pour  que  le  débit 
en  soit  de  quelque  importance  à  l'extérieur.  Ce  que  nous 
appelons  Bourgogne ,  eu  Angleterre ,  n'est  que  le  rebut  des 
vins  rouges  de  cette  province. 

En  passant  de  la  Bourgogne  dans  le  Dauphiné,  le  Beau- 
jolais et  le  Lyonnais,  nous  répéterons  ce  que  nous  avons 
dit  plus  haut ,  que  les  meilleurs  vins  de  ces  contrées  passent 
rarement  en  Angleterre.  Au  premier  rang  de  tous  ces  crûs , 
et,  peut-être,  de  tous  les  crûs  du  monde,  se  placent  les 
vignobles  de  la  partie  méridionale  d'une  colline  pierreuse 
«[tii  domine  les  bords  du  Rhône ,  à  une  petite  distance  de 
Valence.  Ces  vignobles  célèbres  ont  tiré  leur  nom  ai  un  er- 
mitage dont  les  ruines  en  couronnent  encore  les  hauteurs. 


a8o  Histoire  des  vins 

L'Ermitage  rouge,  plein  de  corps,  d'une  couleur  pourpre 
foncée ,  est  surtout  remarquable  par  un  bouquet  exquis  et 
par  une  saveur  analogue  ,  .quoique  très-supérieure  ,  à  celle 
des  framboises.  Le  vin  blanc  n'est  pas  si  estimé  ,  ce  qui  ar- 
rive presque  toujours  lorsque  le  même  coteau  produit  les 
deux  espèces.  Ceux  de  Côte-Rôtie,  brune  et  blonde^  pour- 
raient entrer  en  concurrence  avec  l'Ermitage ,  quoique  ce- 
pendant ils  lui  soient  un  peu  inférieurs. 

Les  vins  rouges  du  Languedoc,  du  Roussillon  et  de  la 
Provence  ,  sont  très-négligés,  selon  le  docteur  Henderson, 
et  ils  ressemblent  beaucoup  à  ceux  d'Espagne  par  leur  cou- 
leur foncée,  leur  force  et  leur  extrême  épaisseur.  Il  nous 
semble  pourtant  que  l'auteur  ne  leur  a  pas  tout-à-fait  rendu 
justice,  car  nous  avons  bu,  près  de  Montpellier,  du  vin  de 
Saint-Georges  ,  d'Orques ,  capable  de  rivaliser  avec  celui  de 
l'Ermitage,  par  son  odeur  suave,  son  agréable  consistance 
et  un  velouté  digne  des  meilleurs  crûs.  Les  vins  rouges  de 
Roussillon,  et  principalement  de  Cabors  et  de  la  côte  du 
Lot,  connus  dans  le  commerce  sous  le  nom  de  vins  noirs, 
sont  généralement  employés  à  renforcer  les  vins  légers  du 
Bordelais  5  ils  supportent  très-bien  la  mer,  et  quand  ils  ont 
vieilli,  ils  deviennent,  d'année  en  année,  plus  délicats  sans 
rien  perdre  de  leur  cbaleur.  Quant  aux  vins  muscats  blancs 
de  Roussillon  et  des  côtes  du  Languedoc,  tels  que  le  Lunei, 
le  Frontignan,  le  Rîvesaltes ,  on  doit  les  regarder  comme 
les  meilleurs  vins  sucrés  qu'il  y  ait  au  monde. 

Nous  dirons  peu  de  cbose  des  vins  de  Bordeaux ,  quoi- 
qu'ils soient  dignes  par  eux-mêmes  d'un  intérêt  particu- 
lier. Ils  sont  partagés  eu  plusieurs  districts ,  ceux  de  Médoc, 
de  Graves,  de  la  Palu,  des  vignes  blanches.  Les  vignobles 
de  Médoc,  qui  s'étendent  au  nord  de  Bordeaux  ,  sur  un  sol 
sablonneux  et  calcaire ,  produisent  des  vins  qui  ont  immor- 
talisé le  noms  de  Cbâteau-Margaux ,  de  Lafitte  et  de  La- 
tour.  Les  crûs  de  Graves  occupent,  au  midi  de  cette  ville, 


anciens  et  modernes.  281 

un  terrain  pierreux  :  les  vins  qu'on  y  récolte  sont  blancs. 
Le  canton  de  la  Palu ,  situé  sur  des  couches  fertiles  d'allu- 
vion ,  entre  la  Garonne  et  la  Dordogne ,  donne  des  vins 
plus  forts  et  plus  colores  que  ceux  de  Médoc  :  on  les  en- 
voie aux  Indes  orientales  sous  le  nom  de  Claret ,  et  ils 
gagnent  beaucoup  à  voyager  par  mer,  à  cause  du  goût 
âpre  et  sûr  qui  les  rend  désagréables  lorsqu'ils  sont  nou- 
veaux :  aussi  les  Français  les  appellent-ils  inns  de  cargai- 
son. Le  crû  des  vignes  blanches  produit  le  Saulerne,  si  jus- 
tement célèbre. 

Les  bons  vins  rouges  de  Bordeaux  sont  les  meilleurs  vins 
de  France  :  quoiqu'ils  contiennent  peu  d'alcohol ,  ils  se  con- 
servent bien  et  s'améliorent  par  le  transport.  Lorsque  la 
fermentation  en  a  été  complète ,  ils  sont  beaucoup  moins 
sujets  aux  maladies  que  les  vins  de  Bourgogne,  et  ils  ont 
moins  de  tendance  à  s'aigrir. 

Nous  ne  paillerons  des  vins  d'Espagne  que  pour  expri- 
mer l'aversion  qu'ils  nous  inspirent  (i).  Qu'ils  prennent  le 
nom  de  Rota,  d'Alicante,  de  Bcnicarlo  ou  de  Catalogne, 
qu'ils  contiennent  ou  ne  contiennent  pas  de  l'alcobol  en 
grande  quantité  ,  nous  les  confondons  tous  dans  la  même 
réprobation .  Cependant ,  l'Espagne  possède  un  sol  fertile  , 
extrêmement  favorable  à  la  produciion  des  vins.  Un  voya- 
geur anglais  a  trouvé,  en  1809,  dans  la  province  de  Gre- 
nade, des  vins  rouges  du  pays,  qu'il  a  jugé  compai'ables 
aux  bons  vins  de  la  Bourgogne.  Mais  il  fut  obligé  de  faire 
venir  d'Angleterre  un  assez  grand  nombre  de  bouteilles , 
pour  empêcher  qu'on  ne  mît  sa  provision  dans  des  outres 
goudronnées;  et,  quoique  le  pays  soit  environné  par  des 
forêts  de  lièges  ,  tous  les  bouchons  furent  envoyés  d'An- 
gleterre, avec  les  bouteilles!  Les  principaux  vignobles  de 

(i)  Note  du  Tr.  On  voit  que  la  prédilection  «le  l'ccrivain  anglais 
pour  les  vins  de  France ,  va  presque  jusqu'à  l'inju»ticc  pour  ceux  des 
autres  pays. 


'iSi  Histoire  des  vins 

Xerez  appartiennent  à  des  Français  ou  à  des  Anglais  ,  et 
c'est  ce  cjui  explique  les  améliorations  qu'on  a  remarquées 
dans  les  vins  de  ces  crûs  ,  pendant  les  dix  dernières  années. 
En  Espagne ,  excepté  dans  les  villes  commerçantes  et  dans 
les  couvens,  on  connaît  à  peine  les  tonneaux  ,  les  boutedles 
et  les  caves.  Le  vin  est  fait  avec  la  plus  grande  négligence  j 
on  ne  le  laisse  point  vieillir,  et,  au  lieu  de  s'adoucir,  il 
s'épaissit  en  contractant  une  odeur  d'outre  nauséabonde  et 
insoutenable.  La  mode  a  fait  valoir  les  vins  de  Malaga; 
mais  le  vieux  vin  sec  de  Xerez  est  le  plus  universellement 
estimé  des  connaisseurs. 

Nous  avions  presque  résolu  de  ne  pas  parler  des  vins  de 
Portugal ,  de  peur  d'être  entraînés  dans  une  longue  et  fas- 
tidieuse discussion  sur  le  traité  de  Métbuen  et  sur  l'exagé- 
ration impolitique  des  droits  auxquels  sont  soumis  les  vins 
de  France.  C'est  un  grand  mal  qvie  d'avoir  forcé  la  nation 
à  s'accoutumer  aux  boissons  ardentes  et  aîcoholisées  qu'on 
nous  donne  pour  du  vin  de  Porto  ',  car,  comment  les  con- 
sommateurs ordinaires  auraient-ils  pu  acheter  un  tonneau 
de  vin  de  France,  soumis  à  un  impôt  de  i8o  fr. ,  à  raison 
de  i6  sous  les  quatre  litres?  Cette  énorme  taxe  est  main- 
tenant réduite  à  90  fr.  ;  mais  il  existe  toujours  une  sorte  de 
proliibition  pour  le  consommateur,  puisque  le  marché  n'est 
pas  ouvert  aux  mêmes  conditions  pour  les  vins  de  France 
que  pour  ceux  du  Portugal.  Sans  doute ,  les  vins  naturels  du 
Douro  ont  des  qualités  remarquab'es,  dont  le  mérite  a  été 
apprécié  sur  les  lieux  par  des  Juges  équitables  ;  mais  qui 
ne  sait  toutes  les  sophistications  qu'on  leur  fait  subir  dans 
les  manufactures  d'Oporto  et  de  Ijondres  ?  Ne  vaudrait-il 
pas  mieux  nous  laisser  multiplier  le  véritable  Bourgogne, 
celui  de  la  Romanée  et  du  clos  Vougeot ,  par  Taddition 
des  vins  inférieurs  de  la  même  province?  Si  les  marches 
étaient  libres ,  les  Portugais  seraient  forcés ,  par  la  con- 
currence, de  soigner  davantage  leurs  produits,  et  de  nous 


anciens  et  modernes .  283 

les  envoyer  sans  mélaage.  Quoi  que  les  poHliques  puissent 
dire ,  il  sera  toujours  à  regretter  qu'on  ne  nous  permette 
pas  de  choisir  nos  vins  selon  nos  goûts ,  et  que  l'impôt  pré- 
levé sur  nos- jouissances  soit  établi  d'une  manière  si  dispro- 
portionnée. 

Les  vins  d'Allemagne  et  de  Hongrie  forment  la  division 
suivante  du  docteur  Henderson.  Parmi  les  premiers,  ceux 
du  Rhin  méritent  seuls  une  mention  particulière,  à  cause 
de  leur  excellente  qualité.  On  les  recueille  particulière- 
ment sur  le  bord  de  ce  fleuve,  entre  Mayence  et  Coblentz, 
dans  ces  belles  camjiagnes  animées  par  une  population 
nombreuse  et  par  l'aspect  varié  des  vieilles  ruines  féo~ 
dales  qui  s'élèvent  au-dessus  des  plus  belles  et  des  plus 
riches  cultures.  Les  vins  de  choix  nous  arrivent  d'un  petit 
canton  appelé  le  Rhiengaii ;  mais  ou  y  joint  aussi  ceux  de 
Hockheim  ,  quoique  ce  vignoble  soit  situé  sur  les  bords  du 
Mcin.  Les  qualités  Jistinctivcs  de  tous  ces  vins  sont  très- 
connups ,  et  paraissent  faire  exception  aux  lois  de  la  chi- 
mie. Leur  saveur  piquante  et  presque  acide  n'exclut  pas 
un  bouquet  très-agréable  j  l'absence  presque  entière  del'al- 
cobol  (  ils  n'en  contiennent  pas  plus  de  dix  parties  sur  cent 
en  volume) ,  ne  les  empêche  pas  d'être  sains  et  même  as- 
sez chauds  ;  et  ils  se  conservent  si  bien  ,  qu'on  en  a  gardé 
pendant  plusieurs  siècles  sans  aucune  altération.  C'est  cette 
longue  durée  qui  aura  probabement  donné  l'idée  de  les 
renfermer  dans  des  vaisseaux  d'une  capacité  extraordinaire. 
Tout  le  monde  a  entendu  par !er  de  la  grande  cuve  d'Hei- 
delbeig  :  elle  avaii  trente  pieds  de  diamètre  sur  vingt  pieds 
de  profondeur,  et  ne  l'emportait  pas  de  beaucoup  sur  les 
autres,  car  les  propriétaires  mettent  de  l'amour  -  propre 
à  rivaliser  entr'eux.  Cette  méthode  de  conservation  peut 
être  très-utile  pour  les  vins  forts;  mais  il  faut  avoir  soin 
rie  ne  jamais  laisser  les  tonnes  vides,  et  pour  cela,  on 
verse  du  vin  nouveau  sur  l'ancien,  ou  on  v  jette  d(S  cail- 


284  Histoire  des  iuns 

loux  lavés.  Dans  le  siècle  dernier,  faute  de  ces  précau- 
tions ,  les  restes  d'un  tonneau  de  vin  portant  la  date  de 
1472»  à  Strasbourg,  furent  trouves  à  l'état  de  bouillie  ai- 
gre, ce  qui  ne  serait  pas  arrivé  probablement,  si  ce  vin 
eût  été  mis  en  bouteilles. 

Les  vins  de  Hongrie  pourraient  être  excellens ,  mais  la 
culture  des  vignes  et  la  fabrication  de  leurs  produits  sont 
encore  très-négligées  ;  cependant  le  Tokai  impérial  a  acquis 
une  grande  réputation.  C'est  avec  des  raisins  à  demi  des- 
séchés qu'on  prépare  ce  vin  dont  tout  le  monde  entend 
parler,  et  que  personne  ne  goûte ,  car  le  prix  en  est  extra- 
vagant à  Cracow  même  ,  où  est  établi  le  dépôt  principal 
pour  les  marchés  de  la  Pologne  et  de  la  Silésie.  Le  vin 
vieux,  ovLvino  vetrawrio  ,  est  si  cher,  que  lorsque  l'empe- 
reur d'Autriche  voulu  L  en  offrir  quelques  mesures  à  l'ex-roi 
de  Hollande,  le  vin  des  caves  impériales  se  trouva  trop 
jeune,  et  on  fut  obligé  d'en  acheter  a,ooo  bouteilles  à  Cra- 
COAV,  à  sept  ducats  la  bouteille  (i). 

Nous  ne  suivrons  pas  l'auteur  dans  son  histoire  des  vins 
de  Grèce  et  d'Italie.  Si  la  seule  influence  du  climat  et  du 
sol  de  ces  deux  contrées  suffisait  pour  assurer  la  perfection 
de  leurs  produits ,  on  pourrait  en  vanter  l'excellence  '•,  mais, 
à  peu  d'exception  près  ,  leur  médiocrité  ne  sert  qu'à  prou- 
ver l'impuissance  des  avantages  naturels  ,  lorsqu'ils  ne  sont 
pas  secondés  par  l'industrie  humaine.  Les  vins  de  Toscane, 
où  l'agriculture  est  assez  bien  entendue,  sont  meilleurs  que 
les  autres  5  le  Moutepulciauo ,  l'Aleatico  et  la  plupart  des 
muscats  ne  sont  pas  sans  mérite.  Mais  tous  ces  vins ,  et  le 
fameux  Lacryma-Christi ,  réservé  pour  la  cour  do  Naples  , 
ne  "sont  guère  connus  que  de  nom  au-delà  des  Alpes, 
Quant  à  la  Sicile ,  ses  coteaux  de  Marsala  et  de  Mazzara 
pourraient  donner  des  produits  de  quelque  valeur,  si  les 

(,1)  Le  ducat  de  Uollaii<le  vaut  da  1 1  à  1  i  fr. 


anciens  et  rnodmmes.  28.^ 

habîtans  n'avaient  pas  la  funeste  liabitnde  d'y  mêîer  leur 
mauvaise  eau-de-vie.  Tant  que  ce  système  prévaudra ^  il  est 
impossible  d'espérer  la  moindre  amélioration  dans  les  vins 
de  cetfe  île,  malgré  l'heureuse  situation  des  vignobles  qui 
couvrent  les  environs  du  mont  Etna. 

L'auteur  ne  nous  a  rien  appris  de  nouveau  sur  les  vins 
de  Madère  ,  et  11  u'a  pas  donné,  sur  les  vius  de  Perse  et  du 
cap  de  Bonne-Espérance,  tous  les  détails  dont  ce  sujet  était 
susceptible.  Cependant ,  l'importance  de  notre  colonie  afri- 
caine semblait  mériter  une  attention  plus  sérieuse.  Nous 
lui  adresserons  le  même  reproche  pour  les  vins  d'Amérique. 
Les  provinces  septentrionales  de  celte  partie  du  monde  sont 
très-ricbes  en  vignobles  .  et  l'on  trouve  des  vignes  sauvages 
dans  toutes  les  forêts  des  États-Unis  et  du  Canada  ,  depuis 
les  bords  du  Mississipl  jusqu'aux  rives  du  lac  Erié.  Le  rai- 
sin de  Médoc  a  été  introduit  à  Philadelphie,  et  on  en  a 
retiré  un  vin  assez  semblable  à  celui  des  crûs  inférieurs  du 
Bordelais,  pour  engager  à  continuer  ces  premiers  essais  de 
naturalisation.  Dans  les  contrées  du  sud,  quelques  Fran- 
çais sont  parvenus  à  es-traire  un  vin  passable  du  fruit  des 
vignes  sauA''ages.  La  culture  de  la  vigne  a  réussi  à  Mexico  , 
et  déjà  le  crû  de  Passa  del  Norte  a  acquis  une  sorte  de  cé- 
lébrité dans  le  Nouveau-Monde.  Des  missionnaires  euro- 
péens ont  élevé,  dans  la  Californie,  du  plant  de  Madère  qui 
n'a  point  dégénéré  depuis  la  moitié  du  XVIIP  siècle.  Dans 
les  dilférentes  zones  de  l'Amérione  méridionale  ,  malgré  les 
prohibilions  de  la  politique  espagnole ,  la  vigne  a  pros- 
péré. Lima  fait  un  commerce  de  vins  indigènes,  qui  n'est 
pas  sans  avantages.  Les  vins  de  Lucombat,  de  Pisco  et  de 
la  vallée 'de  Snamba,  dans  ia  province  d'Arequipa,  sont 
fort  estimés.  Le  Chili  possède  un  grand  nombre  de  vigno- 
bl'es  précieux ,  dont  les  vins  rouges ,  particulièremeni  ceux 
deCuyo,  sont  transportés  à  Buenos-Ayres  par  les  Cordil- 
lères,  et  sont  fort  estimés  dans  tout  le  Paraguay.  Nous  re- 


•^86  Histoire  des  vins 

greltons  beaucoup  que  le  docteur  HeuJersou  n'ait  pas  fait 
de  recherclies  sur  uu  sujet  aussi  iiiléressant. 

Nous  terminerons  cet  article  en  disant  un  mot  des  vignes 
cultivées  autrefois  en  Angleterre,  f.  s  particularités  peu 
connues  dans  lesquelles  le  docteur  Heiiderson  entre  à  cet 
égard,  sont  loin  d'être  dépourvues  d'intérêt.  Nous  ne  re- 
cherchons pas  avec  lui,  si  la  culture  de  la  vigne,  dans  la 
Grande-Bretagne,  date  de  la  conquête  du  pays  par  les  Ro- 
mains, attendu  que  cette  question  est  sans  importance  : 
toutefois  il  paraît,  si  l'on  en  croit  le  témoignage  de  Bède, 
qu'il  existait  des  vignobles  en  Angleterre,  dès  le  commen- 
cement du  VIÏI"  siècle.  Il  en  est  déjà  question  dans  les  lois 
d'Allred-le-Grand.  Après  la  conquête  des  Normands ,  on 
fit  beaucoup  de  plantations  à  Sbenelon  ,  dans  le  comté  de 
Middlesex  ;  à  Ware,  dans  celui  d'Herl'ort  ,  et  dans  le  vil- 
lage de  Westminster.  Holhorn  eut  même  son  vignoble  qui 
appartint  dans  la  suite  à  l'évêque  d'Ely  5  et  lorsque  les  édi- 
fices s'étendirent  dans  cette  direction  ,  ce  vignoble  donna 
.son  nom  îi  une  rue  qui  existe  encore  (i).  La  plupart  des 
riches  abbayes,  dans  le  midi  de  l'Angleterre,  cultivèrent 
aussi  leur  champ  de  vignes;  et  comme  les  monastères 
élai'^'nt  généralement  situés  dans  des  vallées  fertiles  et  bien 
abritées ,  il  est  probable  qu'on  choisissait  toujours  les  ex- 
positions les  plus  capables  de  favoriser  la  maturité  des  rai- 
sins On  ne  peut  pas  douter  d'ailleurs  ,  d'après  la  chronique 
de  William  de  Malmsbury,  que  la  culture  de  la  vigne  ne  lut 
universelle  en  Angleterre  au  XIP  siècle.  Cet  auteur  cite 
l'heureuse  val'.ée  du  Glocestershire ,  au  nombre  de  celles 
qui  produisaient  d'excellens  vins,  à  peine  inférieurs  aux  vins 
de  France.  Je  sais  bien  qu'on  a  prétendu  que  nous  confon- 
dions les  vergers  à  cidre  avec  les  vignobles  i  mais  un  pas- 

(1)  Note  du  Tu.  Elle  est  .situe'e  à  l'occidcnl  de  la  Cité  dfl  Londres  , 
piesqu'au  rentre  de  la  ville. 


anciens  et  niodtrnes.  287 

sage  de  la  chronique  citée  plus  haut ,  distingue  parfaite- 
ment les  pommiers  et  les  vignes  dans  le  même  domaine , 
et  il  indique  même ,  parmi  les  dernières,  celles  qui  sont  traî- 
nantes ,  celles  qui  grimpent  sur  les  arbres  et  celles  qui  sont 
soutenues  par  des  éclialas.  De  semblables  détails  ne  per- 
mettent pas  de  supposer  qu'il  y  ait  confusion  dans  ces  dé- 
signations. Il  est  facile,  d'ailleurs,  de  citer  d'autres  preuves 
de  l'existence  de  la  vigne  en  Angleterre  pendant  le  moyen 
âge.  Le  Domesday  book  (i)  distingue  les  vergers  de  pom- 
miers et  les  vignobles.  Il  y  avait  dans  le  petit  parc  du  roi , 
à  Windsor,  un  vignoble  où  la  culture  de  la  vigne  s'est  main- 
tenue jusqu'au  règne  de  Richard  II ,  qui  en  payait  la  dîme 
à  l'abbé  de  Waltham  ,  alors  curé  de  cette  paroisse.  Mais  le 
témoignage  le  plus  irrécusable  se  trouve  dans  les  archives 
de  l'église  d'Ely,  qui  possède  une  notice  sur  le  produit  d'un 
vignoble  pendant  deux  ou  trois  ans  ;  le  nombre  des  mesures 
de  raisin  vendues  y  est  mentionné,  ainsi  que  la  valeur  du 
vin  :  on  y  voit  même  que,  dans  une  année  défavorable,  la 
récolte  ne  donna  que  du  verjus.  C'est  l'inconstance  du  cli- 
mat qui  a  découragé  nos  cultivateurs  ,  et  i!  est  très-probabie 
que  l'importation  des  vins  étrangers  à  plus  bas  prix  que  les 
vins  indigènes ,  aura  frappé  d'un  coup  mortel  cette  branche 
d'industrie  nationale. 

Cependant ,  on  a  encore  essayé  de  nos  jours  de  natura- 
liser la  vigne  en  Angleterre,  comme  sujet  d'expérience  ou 
d'amusement.  Il  n'y  a  pas  plus  de  quarante  ans  ,  Sir  Richard 

(i)  No'i'E  DU  Tr.  On  sait  que  le  Domesday  book  ,  que  les  e'tymolo- 
gistes  font  venir  de  domus  Dei ,  livre  de  la  maison  du  Seigneur  ,  est 
un  tableau  statistique  de  l'Angleterre  ,  extrêmement  curieux,  lorminé 
en  1080  ,  sous  le  règne  de  Guiilaume-lc-Conquc'rant  et  par  ses  ordres. 
Voyez  la  chronique  de  Stowe  ,  e'dition  de  Londres  ,  in-folio  ,  iGSa  , 
ji^g.  1 18.  Stowc  e'tait  un  marchand  tailleur,  qui  parcourut  toute  l'An- 
gleterre ,  à  pied  ,  pour  recueillir  les  matériaux  nécessaires  à  la  compo- 
sition (If  son  onvr:!^!'. 


28-8  Histoire  c/es  vins  anciens  tt  modernes. 

Worsley  se  procura  quelques  espèces  de  vigues  robustes, 
les  planta  à  Saint-Laurent ,  dans  Tîle  de  Wight,  sur  un  ter- 
rain rocailleux.,  à  l'exposition  du  sud-est,  et  il  y  fil  venir 
un  habile  vigneron  de  France,  pour  en  diriger  la  culture. 
Le  succès  parut  certain  pendant  quelques  bonnes  années  ; 
et  Ton  obtint  même  une  récolte  de  raisin  d'un  goût  très- 
supportable  j  mais  la  fraîcheur  des  printems  et  la  prompte 
arrivée  de  l'automne  affaiblirent  les  souches  ,  gâtèrent  les 
produits ,  et  cet  essai  ne  tarda  pas  être  abandonné.  Toute- 
fois .  le  site  choisi  par  Sir  Piichard  n'était  pas  très-favorable 
à  fexpérience  qu'il  voulait  faire  :  car   malgré  la  douceur 
du  climat  de  l'île  de  Wright,  son  coteau  restait  exposé  aux 
vents  froids  qui  soufflent  dans  la  Manche,  précisément  à 
l'époque  oii  la  vigne  commence  à  bourgeonner.  Les  efforts 
de  M.  Hamilton ,  à  Painshii),  furent  plus  heureux,  et  le 
résumé  qu'en  a  donné  le  docteur  Henderson  est  plein  d'in- 
térêt. A  force  de  soins  ,  ce  cultivateur  distingué  parvint  à 
obtenir  un  vin  absolument  égal  avi  Champagne  de  seconde 
qualité  ,  lequel  conservait  sa  force ,    perdait  son  efferves- 
cence et  son  bouquet ,  et  devenait  tout  à-fait  semblable  aux 
vieux  vins  secs  des  bords  du  B-hln.  Plusieurs  bouteilles  que 
M,  Hamilton  avait  conservées  pendant  seize  ans,  présen- 
taient une  teile  analogie  avec  les  vins  du  Rheingau  ,  qu'elles 
auraient  trompé  un  connaisseur  peu  exercé.  Lorsque  ce 
vin  était  jeune  et  mousseux,    les  meilleurs  juges  le  pre- 
naient  pour   du   véritable   Champagne  :  on  en  vendit  au 
prix  de  cinquante  guinées  le   muids  à    des  marchand  qui 
le  firent  passer  pour  du  vin  de   France  et  le  revendirent , 
en    détail,  jusqu'au  prix  de  douze  guinées  le  panier  de 
vingt-cinq  bouteilles.  Mais  M.  Hamilton  se  plaignait  beau- 
coup du  fâcheux  eftei.  des  frimas  du  mois  de  mal  et  des 
pluies  de  l'été. 

On  ne  peut  donc  plus  contester  qu'avec  de  l'adresse  et 
de  la  persévérance  on  ne  soit  parvenu  à  imiter  eu  Angle- 


De  la  vaccine  et  de  la  petite-x<érole.  litH^ 

terre  les  vins  de  France  du  second  ordre.  Le  docteur  Mac- 
Culloch  (i)  {^Art  de  faire  le  riii ,  }  âge  228)  a  démontré 
qu'on  pouvait  faire  de  bon  vin  avec  le  fruit  encore  vert , 
les  bourgeons  et  les  jeunes  pousses  de  la  vigne,  mis  en  fer- 
mentation au  inoyeu  du  sucre  et  de  la  crème  de  tartre; 
et  comme  il  est  facile  d'avoir  des  pousses  ou  du  raisiùvert' 
daus  toutes  les  années ,  ce  procédé  peut ,  selon  lui ,  avoir 
beaucoup  d'avantages  pour  la  Grande-Bretagne.  Quant  au 
projet  d'établir  des  vignobles  en  Angleterre  ^  nous  adop- 
tons l'opinion  du  docteur  Henderson  :  tant  qu'on  pourra 
obtenir  les  vins  étrangers  à  des  prix  modérés ,  il  n'y  aura 
pas  de  profit  à  vouloir  les  remplacer  par  des  vins  du  pays. 
D'ailleurs  ,  si  le  raisin  ne  mûrit  pas  toujours  en  Cliampa- 
gne ,  il  serait  absurde  de  supposer  qu'il  pourrait  mûrir  sous 
un  climat  aussi  variable  que  le  nôtre  ,  et  il  y  aurait  de  la 
folie  à  couvrir  de  vignes  nos  terres  labourables.  En  Nor- 
mandie et  en  Picardie,  où  les  étés  sont  plus  chauds  qu'en 
Angleterre ,  la  culture  de  la  vigne  a  été  successivement 
abandonnée  ,  et  toutes  les  tentatives  qu  on  a  faites  pour  la 
rétablir  ont  été  infructueuses. 


SCIENCES  MEDICALES. 


DE   LA   VACCINE    ET    DE    LA    PETITE- VÉROLE  ('i). 


IjA  vaccine  est  incouteslablement  le  don  le  plus  précieux 
que  le  génie  de  l'observation  ail  fait  à  l'espèce  humaine.  Si 

(1)  C'est  le  même   dont  il  est  question  dans  l'article  sur  le  Projet 
dlmtroduire  le  poisson  de  mer  dans  l'eau  douce- 

(2)  ISoTE  DU  Tr.  Nous  croyons  rendre  un  vc'ritable  service  à    la 
science  ,  en  niellant  aujourd'hui  ious  les  ycu\  de  lios  Utlcurs  un  ar- 


ago  De  la  vaccine 

elle  ne  met  pas  toujours  à  l'abri  des  atteintes  des  contagious 
varioliques ,  du  moins  il  est  presque  sans  exemple  qu'elle 
n'en  affaiblisse  pas  la  malignité. 

Lorsqu^on  découvrit,  dans  l'origine,  que  quelques  su- 
jets vaccinés  avaient  été  atteints  de  la  petite-vérole ,  on 
prit  ces  éruptions  pour  de  la  varicelle ,  ou  bien  ,  i'on  crut 
que  l'opération  de  la  vaccine  n'avait  pas  été  faite  convena- 
blement. \oici  comment  s'exprimaient  à  ce  sujet,  en  i8o3, 
les  rapporteurs  du  comité  institué  pour  la  propagation  de  la 
vaccine  : 

i(  Deux  ou  trois  fois  on  nous  a  alarmés  de  l'apparition  de 
la  petite-vérole  cbez  des  sujets  vaccinés  depuis  quelques 
mois  ou  quelques  semaines;  mais  après  les  avoir  visités  et 
avoir  pris  tous  les  renseigneniens  possibles  sur  leur  mala- 
die ,  nous  nous  sommes  assurés  que  ce  que  l'on  appelait 
petite-vérole  n'était  que  la  varicelle.  » 

Le  passage  suivant  est  extrait  du  rapport  fait  au  même 
comité  ,  eu  i8in  ; 

«  En  observant  avec  soin ,  disent  les  rapporleui'S ,  les 
cas  où  la  vertu  préservatrice  de  la  vaccine  paraissait  en 
défaut ,  nous  nous  sommes  convaincus  ,  ainsi  que  l'avaient 
fait  les  membres  du  comité  de  Dublin  ,  que  Ifs  malades 
avaient  été  soumis  à  des   procédés  de  vaccination   moins 

ticle  publié  dans  la  Revue  d'Edinbourg ,  en  iSsS,  dans  des  circons- 
tances semblables  à  celles  qui  excitent  en  ce  moment  au  plus  haut  degré 
l'inlérèt  public.  Depuis  l'introduction  de  la  vaccine  ,  des  épidémies  de 
petite-vérole  ont  sévi  sur  plusieurs  comtés  de  la  Grande-Bretagne, 
et  ont  forcé  beaucoup  de  médecins  à  modifier  ,  jusqu'à  un  certain 
point ,  l'opinion  qu'ils  avaient  déjà  conçue  de  l'infaillibilité  de  ce  pré- 
servatif. En  France  ,  des  faits  nouveaux  donnent  également  naissance 
aujourd'hui  à  des  opinions  nouvelles.  Ceux  qui  sont  rapportés  dans  l'ar- 
ticle suivant  pourront  servir  à  éclairer  les  discussions  qui  se  sont  éle- 
vées à  l'occasion  de  l'épidémie  variolique  qui  exerce  depuis  quelque 
tems  ses  ravages  à  Paris  ,  et  heureusement  ils  sont  presque  tous  de 
nature  à  faire  ressortir  les  avantages  de  la  vaccine. 


et  de  la  petite-vérole.  '^91 

parfaits  que  ceux  qui  sont  adoptés  par  le  comité  depuis 
1810  ,  et  dont  le  succès  est  infaillible.  Le  comité  a  publié 
et  distribué  .gratis  ,  dans  tout  le  royaume  ,  une  instruction 
sur  le  mode  de  vaccination  employé  dans  ses  établisse- 
mens.  Si  l'on  s'y  conforme  désormais ,  la  vaccine  con- 
servera tous  ses  droits  à  la  confiance  ,  ou  du  moins  les 
exceptions  seront  trop  rares  pour  fixer  l'attention  pu- 
blique. » 

Eu  181 9  ,  les  membres  du  comité  avouaient  que  les  rap- 
ports de  leurs  correspondons  étaient  moins  favorables  ; 
une  éruption  dont  les  caractères  étaient  exactement  ceux 
de  la  petite-vérole ,  s'était  manifestée  sur  des  individus  vac- 
cinés j  seulement,  chez  la  plupart,  l'affection  avait  été  de 
courte  durée  et  exempte  de  symptômes  alarmans  ;  mais , 
chez  quelques-uns  ,  la  maladie  avait  suivi  son  cours  or- 
dinaire ,  et  huit  d'entr'eux  avaient  succombé.  Les  mem- 
bres du  comité  attribuaient  les  funestes  exceptions  qu'on 
vient  de  citer  à  l'imperfection  des  procédés  du  vaccina- 
teur  j  ils  recommandaient  de  faire  deux  piqûres  à  cbaque 
bras ,  et  de  suivre  attentivement  les  progrès  des  l)outous 
jusqu'à  leur  disparition. 

Mais  ,  en  1820  ,  le  comité  s'exprima  ,  dans  son  rapport 
annuel,  de  la  manière  suivante  : 

«  Dans  plusieurs  contrées  ,  la  petite-vérole  s'est  déclarée 
chez  beaucoup  de  sujets  vaccinés  ,  et  il  est  incontestable 
que  les  préjugés  populaires  contre  l'efficacité  de  ce  pré- 
servatif ne  sont  pas  tout-à-fait  dépourvus  de  fondement. 
Après  avoir  mis  de  côté ,  dans  les  observations  qui  nous  sont 
parvenues,  celles  qui  n'ont  pas  un  caractère  suffisant  d'au- 
thenticité ,  nous  sommes  forcés  de  reconnaître  qu'il  est 
malheureusement  trop  bien  prouvé  que  jusqu'ici  on  a  at- 
tribué à  la  vaccine  un  pouvoir  trop  étendu  ;  mais  du  moins 
elle  a  la  faculté  de  modifier  la  petite-vérole,  quand  elle  ne  la 
prévient  pas  entièrement.  » 


aya  De  la  vaccine 

Et  en  effet,  les  épidémies  varioliques  qui  ,  à  celte 
époque ,  es^erçaient  ieui's  ravages  dans  la  Grande  -  Bre- 
tagne, depuis  six  ou  sept  ans,  avaient  prouvé  que  la  vac- 
cine n'était  pas  un  moyen  infaillible  de  se  préserver  de 
leurs  atteintes. 

En  1818  et  1819,  celte  épidémie  régna  à  Édinbourg  et 
dans  les  environs  ,  et  y  fit  beaucoup  de  mal.  Le  docteur 
Thompson  en  étudia  les  caractères  et  en  suivit  la  marche 
sur  huit  cent  trente-six  sujets.  Deux  cent  quatre-vingt-un 
n'avaient  jamais  eu  la  petite-vérole  et  n'avaient  point  été 
vaccinés 5  dans  ce  nombre,  la  mortalité  lut  d'un  sur  quatre. 
Soixante-onze  malades  étaient  atteints  de  la  petite-vérole 
pour  la  seconde  fois  5  il  n'en  mourut  qu'un  svir  vingt-trois. 
Quatre  cent  quatre-vingt-quatre  avaient  été  vaccinés  :  un 
seul  succomba. 

«Ce  résultat,  dit  le  docteur  Thompson ,  doit  paraître 
bien  étonnant ,  si  l'on  réfléchit  à  la  gravité  de  l'épidémie 
et  à  l'état  de  santé  défavorable  qui  pouvait  aggraver  les 
effets  de  la  contagion  chez  quelques-uns  des  nombreux 
individus  qui  en  étaient  infectés.  Comment  méconnaître , 
après  des  faits  si  conc'uans,  la  puissante  influence  de  la 
vaccine,  ne  fût-ce  que  pour  adoucir  le  fléau  de  la  petite- 
vérole?  Aussi ,  les  terreurs  qu'avait  d'abord  inspirées  l'ir- 
ruption de  l'épidémie,  sur  des  sujets  vaccinés  ,  se  sont-elles 
dissipées  quaad  on  a  vu  le  contraste  qu'offrait  la  marche 
de  la  mauTdie  chez  ces  individus  ,  et  celle  qu'elle  a  suivie 
chez  les  sujets  non  vaccinés.  Ce  contraste  a  convaincu  de 
l'immense  utilité  de  la  vaccine  ,  les  personnes  les  plus  im- 
bues de  préjugés.  » 

Lorsque  la  maladie  a  attaqué  des  sujets  qui  l'avaient  déjà 
eue  une  première  fois ,  ou  qui  avaient  été  inoculés ,  ou  a 
observé  que  l'intervalle  des  deux  atteintes  avait  été  tantôt 
long  et  tantôt  fort  court,  depuis  dix  jours  jusqu'à  trente 
ans.  La  fièvre  qui  précède  l'éruption  était  le  plus  souvent 


et  de  la  petite-vérole.  9.q5 

très- intense,  et  quelquefois  presque  insensible.  En  certains 
cas,  les  boutons  semblaient  appartenir  à  des  variétés  de  la 
varicelle  ;  en  d'autres ,  ils  offraient  les  caractères  de  la  pe- 
tite-vérole discrète  ;  quelquefois  aussi  ils  ont  présenté  les 
symptômes  d'une  véritable  contluente. 

Oa  a  pu  faire  beaucoup  d'observations  sur  des  sujets  vac- 
cinés ,  attendu  que  la  terreur  inspirée  par  rdpidéraie  avait 
déterminé  un  grand  nombre  de  personnes  à  recourir  à  ce 
préservatif.  Toutes  ces  observations  ont  monti'é  à  quel  point 
il  atténuait  le  mal  quand  il  ne  le  prévenait  pas  toiit-à-fait  ; 
et  il  ne  s'est  trouvé  en  défaut  que  lorsqu'on  l'employait  trop 
tard. 

Cbez  les  sujets  vaccinés  qui  furent  atteints  par  l'épidé- 
mie, la  fièvre  d'invasion  était  souvent  si  violente  qu'elle 
avait  les  caractères  du  typîiusj  chez  quelques  autres,  elle 
était  légère,  mais  toujours  l'éruption  était  le  premier  symp- 
tôme de  la  convalescence  ,  et  lorsqu'elle  se  manifestait , 
beaucoup  de  malades  cessaient  de  s'aliter.  En  certains  cas 
très-rares ,  il  y  avait  fièvre  sans  éruption.  Les  symptômes 
les  plus  graves,  mais  qui  se  sont  présentés  rarement 
étaient  une  fièvre  de  suppuration  très-violente ,  la  tumé- 
faction de  la  face  ,  l'inflammation  de  la  gorge  et  du  larynx 
et  la  salivation  i  toutefois,  ils  se  dissipaient  promptement, 
et  ne  réduisaient  jamais  les  malades  à  cet  état  d'abatte- 
ment et  de  faiblesse ,  trop  fréquent  à  la  suite  des  petites- 
véroles  confluentes  naturelles.  Un  des  sujets  éprouva,  pour 
la  troisième  fois,  une  affection  varioloïde.  Plusieurs  des 
vaccinés  se  trouvaient  atteints,  pour  la  seconde  fois,  par 
la  maladie ,  après  un  intervalle  de  quelques  jours  ou  de 
plusieurs  années.  Chez  les  uns  ,  la  première  attaque  avait 
paru  être  une  varicelle,  et  la  seconde  une  variole j  chez 
les  autres,  c'étaient  les  mêmes  éruptions,  dans  l'ordre  in- 
verse. Dans  d'autres  cas  ,  les  deux  affections  ont  été  exclu- 
sivement ou  la  varicelle,  ou  la  variole.  Aucune  raison, 
II.  •!() 


2g4  ^^  ^'^  i>accîne 

d!ai!leurs,  n'a  porté  à  ci'oire  que  le  virus  vaccin  fût  affaibli 
ou  détérioré  ;  car,  c'est  chez  les  sujets  âgés  de  plus  de  dix 
ans ,  que  les  récidives  ont  été  les  plus  rares. 

«  On  peut  s'étonner,  dit  le  docteur  Thompson,  que  l'ac- 
tion préventive  ou  atténuante  de  la  vaccine  ait  été  aussi 
puissante  dans  cette  circonstance  ;  la  mortalité  ayant  été 
constamment  d'un  sur  trois  à  un  sur  cinq,  chez  les  indivi- 
dus non  vaccinés,  proportion  effrayante  qui  s'offrait  pour 
la  première  fois,  depuis  l'introduction  de  la  vaccine.  Je 
suis  persuadé  que  c'est  à  la  rigueur  de  l'épidémie  et  nou 
à  l'affaiblissement  de  son  préservatif,  ou  aux  procédés  dé- 
fectueux de  vaccination,  qu'il  faut  attribuer  i'irruplion  de 
la  petite-vérole ,  sur  un  si  grand  nombre  d'individus  vac- 
cinés, et  les  récidives  de  petite-vérole  naturelle,  bien  plus 
nombreuses  qu'elles  ne  l'avaient  jamais  été  dans  les  con- 
tagions antérieures.  Je  suis  également  convaincu  que  ces 
récidives  ont  toujours  beaucoup  moins  de  gravité  que  la 
maladie  primitive.  Ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  celles  que  j'ai 
observées  m'ont  offert  le  plus  souA'^ent  les  caractères  de  la 
variole  secondaire.  » 

En  i8'2o,  M.  Cross  publia  un  rapport  sur  l'épidémie  va- 
rlolique  qui  se  manifesta  à  NorAvich ,  en  1819  ,  et  qui  fit 
périr  65o  individus.  Cet  auteur  a  signalé  les  mêmes  phé- 
nomènes que  le  docteur  Thompson,  sur  les  trois  classes 
d'individus  dont  nous  venons  de  parler;  c'est-à-dire  sur 
les  sujets  vaccinés,  non  vaccines,  ou  précédemment  at- 
teints de  la  petite-vérole.  Ses  observations  ont  exactement 
confirmé  ce  fait,  que,  dans  une  épidémie  intense,  tous  les 
sujets  ,  vaccinés  ou  non,  sont  exposés  .î  Tafiection  régnante  ; 
mais  les  premiers  n'en  éprouvent  qu'une  atteinte  légère  et 
presque  toujours  sans  danger. 

«  Sans  m'arréter  à  l'opinion  contraire  ,  dit  M.  Cross  ,  je 
considère  toujours  comme  les  caracttros  de  la  vraie  vac- 
cine,  ceux  Indiqués  par  Jenner.   Je  ne  pense  pas  que  la 


et  de  la  petite-vérole.  iqS 

verta  du  vaccin  se  soit  affaiblie  5  je  nie  également  que  tel 
procédé  de  vaccioation  soit  meilleur  que  tel  autre.  Ces 
divers  systèmes  n'ont  été  Imaginés  que  pour  défendre  la 
vaccine  du  reproche  de  ne  point  préserver  de  la  variole. 
J'ajouterai  que,  ni  l'adresse,  ni  la  méthode  de  l'opéra- 
teur, n'influent  sur  l'efficacité  du  procédé  :  souvent  des 
parens,  en  vaccinant  eux-mêmes  leurs  enfans,  les  ont  com- 
plètement préservés,  tandis  que  les  plus  habiles  chirur- 
giens u''ont  pu,  dans  beaucoup  de  circonstances,  obtenir 
Je  même  résultat.  » 

Après  avoir  long-tems  douté  si  la  petite-vérole  et  la  va- 
ricelle sont  des  affections  distinctes  ,  ou  bien  les  degrés  di- 
vers d'une  même  maladie ,  le  docteur  Thompson  embrasse 
cette  dernière  opinion.  Il  reconnaît  qu'elle  fut  émise  pour 
la  première  fois ,  en  1777,  par  M .  Geoffroy.  Ce  médecin  rap- 
porte dans  les  Mémoires  delà  iSociété  royale  de  médecine, 
qu'un  enfant  eut  une  petite-vérole  volante ,  qui  ne  dura 
que  quatre  jours.  Immédiatement  après,  sa  sœur  aînée, 
qui  ne  l'avait  pas  quitté  ,  fut  atteinte  d'une  véritable  petite- 
vérole  dont  elle  conserva  les  traces.  «  Un  tel  fait ,  ajoute- 
l-il ,  s'il  se  répétait  plusieurs  fois  ,  attesterait  l'ideulité 
de  deux  maladies  que  l'on  regarde  comme  distinctes ,  et 
prouverait  que  l'une  n'est  qu  un  diminutif  de  l'autre  ; 
d'ailleurs,  comme  l'a  observé  M.  Bing ,  la  ressemblance 
de  ces  deux  maladies  les  a  fait  considérer,  par  les  pre- 
miers médecins  de  l'Europe,  comme  étant  delà  même 
espèce. » 

Les  docteurs  Bateman  ,  Henderson  et  beaucoup  d'antres, 
cités  par  M.  Thompson  ,  professent  la  même  doctrine. 

Pendant  l'épidémie  d'Edinbourg ,  les  vaccinés  et  les  ino- 
culés qui  en  furent  atteints ,  présentèrent ,  pour  la  plupart, 
des  indices  de  varicelle,  quoique  la  contagion  qui  les  avait 
jroduilsfût,  selon  toute  apparence,  une  variole  légitime. 
Il  arrivait  aussi   que  ces  varicelles  donnaieril  à  leur  tour 


2^6  De  la  vaccine  et  de  lu  ■petite-vérole. 

naissance  à  la  variole  sous  sps  différentes  formes.  Dans  la 
même  maison ,  dans  la  même  chambre,  dans  un  même 
lit,  on  voyait  souvent  un  malade  atteint  d'une  varicelle,  un 
autre  d'une  petite-vérole  discrète,  et  un  troisième  d'une 
petite-vérole  confluente. 

Dans  une  maison  de  Canongate ,  oii  un  enfant  se  mou- 
rait d'une  petite-vérole  affreuse,  un  de  ses  frères  n'avait 
qu'une  éruption  discrète  avec  très-peu  de  fièvre  5  sa  peau 
était  couverte ,  non  de  véritables  pustules,  mais  de  petites 
phlyctènes  vésiculaires  qui  s'affaissèrent  le  cinquième  jour, 
et  se  séparèrent  en  petites  écailles.  Un  autre  eut  une  érap- 
tion  semblable ,  qui  se  termina  au  sixième  jour,  tandis 
que,  dans  la  même  pièce,  un  second  enfant  était  dans  !a 
période  de  terminaison  d'une  petite-vérole  confluente  très- 
violente,  et  un  troisième  présentait  la  maladie  avec  son 
type  le  plus  ordinaire  et  le  plus  régulier. 

L'exemple  suivant  est  encore  pius  concluant  ;  il  est  extrait 
d'une  lettre  de  M.  John  Molloch  au  docteur  Thompson. 

«  Depuis  neuf  ans,  il  n'y  avait  point  eu  de  petite-vérole 
dans  cette  ville  :  uu  domestique,  habitué  à  courir  les  mar- 
ches ,  séjourna  dans  une  maison  dont  un  des  locataires  était 
atteint  de  celte  maladie;  lui-même  était  vacciné  depuis  ])lu- 
sieurs  années;  cependant,  de  retour  chez  lui,  la  fièvre  se 
tiéclare  et  le  force  à  s'aliter  ;  le  troisième  jour,  éruption  de 
varicelle  et  convalescence;  il  put  se  rendre  le  lendemain  à 
un  marché  éloigné  d'un  demi-mille.  La  semaine  suivante  , 
un  des  eufaus  de  son  maître  tombe  malade,  et  offre  tous 
les  phénomènes  d'une  petite- vérole  discrète;  un  second 
éprouve  ia  même  affection;  chez  un  troisième,  la  maladie 
prend  un  caractère  grave  et  alarmant;  chez  le  quatrième, 
elle  est  comme  chez  les  deux  premiers;  eufin ,  vme  vari- 
celle se  déclare  chez  le  dernier  enfant ,  âgé  <le  huit  mois.  » 

H  nous  paraît  clairement  démontré  par  ces  faits  que  les 
divers  étals   qu'on   vient  de  signaler,  appartiennenl  à  un 


T-^oyage  dans  les  pays  de  Timanni  ,  etc.  içfi 

ïnêmc  genre  d'afFectiou ,  et  que  les  diô'érences  que  Ton 
observe ,  résultent  seulement  de  rintensilé  plus  ou  moins 
forte  de  la  maladie.  Nous  terminerons  cet  article  en  citant 
de  nouveau  le  docteur  Thompson  : 

«  Livré  depuis  long-tems ,  dit  cet  habile  médecin,  à  Tc- 
tude  des  midac'ies  ciniptivcs  et  cutanées,  combien  de  fois  , 
lorsque  je  partageais  les  opinions  commuties ,  ne  me  suis-je 
pas  irrité  de  l'impossibilité  où  j'étais  d'établir  avec  préci- 
sion les  caractères  distinctifs  que  mes  confrères  se  vantaient 
d'avoir  facilement  saisis  ,  entre  la  varicelle  et  la  petite- vé- 
role! L'on  préteudaii  souvent  reconnaître  une  variole  où 
j'avais  cru  voir  une  varicelle,  et  réciproquement.  Aujour- 
d'hui, après  uue  pratique  d(^  plus  de  trente  années  ,  je  ne 
suis  pas  plus  eu  état  de  saisir  ces  différences  imaginaires, 
et  je  suis  fermement  convaincu  que  la  variole  secondaire  et 
la  varicelle  ne  sont  qu'une  feule  et  même  affection.  » 

(  Reçue  d'Edinhourg.  ) 


VOYAGES. 

VOYAGE    DANS   LES    PAYS    DE    TIMANNI,    DE  KOURANKO  ET 
SOULIMA,    DANS   l'aFRIQUE    OCCIDENTALE. 

PAR  LE   MAJOR   A.   GORDON   LAING   (l). 


Les  plus  grands  obstacles  qvii  aient  empêche  jusqu'ici  nos 
colonies  de  l'ouest  de  l'Afrique  d'établir  des  relations  com- 
merciales avec  les  peuples  de  l'intérieur,  proviennent  des 
efforts  que  les  chefs  des  tribus  limitrophes  de  nos  établisse- 

(i)  Tiavcls  in  thc  Tirnannec  ,  Kooranko ,  and  Soo/inia  connirics  , 
in  l'Veslern  AJiica.  lîy  major  A.  Gordon  Laing.  8",  iNlurray,  i8i5. 


298  Voyage  dans  tes  pays  de  Timanni  ^ 

mens  n'ont  cessé  de  faire  pour  nous  fermer  le  passage ,  afin 
de  se  réserver  tous  les  bénéfices  d'un  commerce  exclusif. 
De  toutes  les  nations  voisines  de  Sierra-Leone ,  celle  des 
Mandingues  était  la  plus  civilisée  ,  et  paraissait  de  jour 
en  jour  mieux  disposée  à  recevoir  nos  objets  de  luxe  en 
échange  des  produits  de  son  sol  ou  de  son  industrie,  lors- 
qu'une guerre ,  survenue  entre  le  roi  de  ce  pays  et  un  de 
ses  chefs  révoltés,  interrompit  toute  relation  avec  la  colo- 
nie. Sir  Charles  Maccarlbj,  dernier  gouverneur  de  Sierra- 
Leone  ,  jugea  à  propos  d'envoyer  une  ambassade  à  Kambie, 
sur  la  rivière  de  Farcies,  et  de  là  au  camp  des  Mandin- 
gues ,  afin  de  concilier  les  parties  belligérantes ,  et  de  re- 
commander aux  naturels  du  pays  la  culture  du  riz  blanc. 
Le  major  Laing,  alors  simple  lieutenant,  fut  chargé  de 
cette  mission;  il  reçut  également  le  mandat  de  s'assurer 
des  dispositions  des  habitans ,  relativement  au  commerce 
et  à  l'industrie ,  et  de  leurs  senlimens  comme  de  leur  con- 
duite au  sujet  de  l'abolition  de  la  traite.  Cet  officier  visita 
deux  fois  le  camp  des  Mandingues ,  et  il  y  trouva  un  corps 
nombreux  de  nègres  de  Soulima,  commandé  par  le  frère 
du  roi  de  cette  contrée,  lequel  était  venu  au  secours  ^A- 
mara,  roi  des  Mandingues. 

Les  habitans  du  royaume  de  Soulima  n'étaient  guère  con- 
nus que  de  nom  à  Sierra-Leone  ,  quoiqu'ils  n'en  soient  éloi- 
gnés que  de  200  milles  (N.  N.  Ouest)  ;  cette  nation  n'avait 
même  été  visitée  par  aucun  Européen  ,  et  cependant  elle 
était  une  des  plus  puissantes  et  des  plus  avancées  dans  la 
civilisation  et  dans  la  connaissance  des  arts  utiles.  Lorsque 
le  général  de  l'armée  de  Soulima  ,  nommé  Yarradi ,  vit  pour 
la  première  fois  les  Anglais  au  camp  des  Mandingues,  il 
douta  si  c'étaient  des  hommes ,  et  demanda  à  leur  inter- 
prète  s'ils  avaient  des  os.  Voyant  le  major  Laing  ôter  ses 
gants,  il  s'écria  :  «  Allah  Akbar  !  il  vient  d'ôter  la  peau  de 
ses  mains  !  » 


de  Kouranko  et  SouUma .  290) 

A  son  retour,  le  uiajor  Lalng  parvint  'k  convaincre  le 
gouverneur  de  Sierra-Leone  que ,  les  peuples  de  Soulima 
possédant  beaucoup  d'or  et  d'ivoire ,  il  serait  avantageux,  de 
se  mettre  en  relation  avec  eux,  et  qu'il  serait  également 
fort  utile  de  connaître  les  ressources  de  plusieurs  contrées 
situées  à  l'est  de  la  colonie.  Dans  ce  double  but,  cet  offi- 
cier reçut  la  mission  de  pénétrer  dans  le  pays  de  Soulima  , 
par  la  route  qui  paraîtrait  la  plus  convenable  à  ses  projets.  Il 
prit  avec  lui  un  interprète,  et  deux  soldats  du  régiment  des 
Indes  occidentales  j  il  s'adjoignit ,  pour  conduire  ses  baga- 
ges ,  onze  hommes  nés  dans  le  pays  des  Joloffs ,  et  un  en- 
fant du  pays  de  Sego.  Les  voyageurs  quittèrent  Sierra- 
Leone,  le  16  avril  5  ils  firent  quarante  milles  en  bateau , 
sur  la  rivière  de  Rokelîej  puis  ils  continuèrent  leur  route 
au  sud  de  cette  rivière,  dans  le  Timanui  j  mais  ils  furent 
obligés  d'acheter,  par  des  présens  faits  aux  chefs  de  ces  con- 
trées, l'autorisation  de  passer  dans  les  principales  villes 
qu'ils  avaient  à  traverser.  Le  Timanni  a  une  étendue  d'en- 
viron 90  milles ,  de  l'est  à  l'ouest ,  et  de  5o  milles  ,  du  nord 
au  sudj  à  l'ouest,  il  touche  à  la  colonie  de  Sierra-I^eone. 
Malgré  ce  voisinage  ,  les  nègres  de  cette  contrée  sont  re- 
présentés par  le  major  Laing  ,  comme  les  plus  ignorans  et 
les  plus  dépravés  de  tous  les  Africains  de  l'ouest.  Les  mé- 
tiers de  forgeron  et  de  cordonnier,  communs  dans  toutes 
les  autres  parties  de  ce  côté  de  l'Afrique,  leur  sont  incon- 
nus. Voici  les  réflexions  judicieuses  du  major  Laing,  sur 
l'état  de  dégradation  dans  lequel  ils  vivent. 

K  La  mauvaise  foi  des  Timanniens ,  leur  aversion  pour 
tout  travail  hoimête,  et  la  lubricité  de  leurs  femmes  ,  sont 
passées  en  proverbe  dans  toute  l'Afrique  occidentale.  Je 
laisse  à  la  sagacité  des  lecteurs  à  décider  jusqu'à  quel  point 
leur  caractère  a  été  perverti  par  ce  trafic  infâme  qui  frappe 
l'industrie  à  sa  racine ,  qui  anéantit  tout  ordre  social,  et  qui 
étouffe  les   scnlimcns  les  plus  sacrés  de  la  nature.  J'ai  vu 


5oo  Voyage  dans  les  pays  ds  Timanni , 

deux  fois  clos  mères  m'offrir  de  me  vendre  leurs  enfans ,  et 
s'irriter  de  mon  refus.  Un  soir,  je  fus  hué  comme  étant  un 
de  ces  blancs  qui ,  en  s'opposant  à  la  traite,  nuisaient  k  la 
prospérité  du  pays.  Les  deux  mères  dont  je  viens  de  par- 
ler, surprises  de  ce  que  je  n'achetais  pas  leurs  enfans  au 
prix  de  10  hars  (environ  5o  sh.)  ,  s'en  prenaient  à  ces  êtres 
infortunés,  qu'elles  accusaient  d'être  ensorcelés.  » 

IjC  pajs  de  Timanni,  situé  près  de  l'embouchure  d'une 
des  principales  rivières  de  la  côte,  a  été ,  jusqu'aux  trente 
dernières  années  ,  l'un  des  plus  grands  marchés  de  chair 
humaine  5  aussi  ses  habitans ,  par  la  dépravation  de  leurs 
mœurs ,  et  leur  désorganisation  sociale ,  offrent-ils  encore 
aujourd'hui  un  exemple  effrayant  de  l'influence  profondé- 
ment corruptrice  exercée  par  la  traite. 

Le  major  Laing  ,  continuant  sa  route  au  N.-E. ,  et  lais- 
sant la  rivière  de  Rokeile  à  sa  gauche  ,  traversa  une  petite 
portion  du  pays  de  Rouranko.  Les  limites  de  ce  pays  sont 
inconnues  du  côté  de  l'est,  ^evs  ie  Niger;  au  nord,  il  est 
limitrophe  du  Limba,  du  Tamisso  et  du  Soulima.  Quoique 
fort  éltndu ,  il  est  Irès-faible  à  cause  de  sa  division  en  un 
rrand  nombre  de  petits  états  séparés.  Les  habitans  sont  ido- 
lâtres comme  les  ïimanniens,  mais  ils  leur  sont  supérieurs 
dans  l'agriculture  et  dans  la  connaissance  des  arts  utiles. 

A  Romato  ,  sur  les  frontières  du  Soulima,  M.  Laing  ren- 
contra une  dépulation  qui  venait  de  Falaba  ,  capitale  de  ce 
pays ,  chargée  par  le  roi  d'inviter  ce  voyageur  à  venir  le 
visiter,  et  de  lui  offrir  des  chevaux  pour  faire  la  route.  Un 
des  membres  de  l'ambassade  ,  qui  l'avait  vu  au  camp  des 
Mandingues  ,  sauta  de  joie  à  sou  aspect ,  et  s'écria  :  <«  C'est 
M  vrai,  c'est  vrai!  c'est  l'homme  blanc  de  la  côte,  qui  a 
»  promis  à  Yarradi  qu'il  viendrait  à  Soulima  j  c'est  l'homme 
«  blanc  qui  disait  qu'il  visiterait  ce  pays  5  il  a  tenu  parole.  » 
Le  u  juin,  ie  major  Laing  et  sa  petite  troupe  arrivèrent 
à  Falabji ,  et  jusqu'au  17  septembre  ,  époque  où  ils  quitté- 


de  Koiiranko  et  Soulima.  3oi 

reol  colle  ville,  ils  ne  cessèrent  crétre  traités  avec  égard  et 
cordialité  par  le  roi  et  par  les  habitans.  Ce  respect  et  ces 
égards  n'étaient  point  un  hommage  au  luxe  ddplojé  par 
notre  voyageur,  car  il  nous  apprend  que  toute  sa  garde- 
robe  se  composait  d'une  veste  et  d'un  large  panta'on  de 
camelot  bleu  ,  très-usés;  de  quelques  chemises  de  ilanelle  ; 
d'un  chapeau  de  paille;  et  qu'il  n'avait  pas  été  rasé  depuis 
son  départ  de  Sierra-Leone. 

La  ville  de  Falaba  est  située  à  9°  4o'  de  latitude  nord  , 
et  à  10°  35'  de  longitude.  Son  enceinte  est  formée  de  palis- 
sades assez  fortes  pour  résister  à  des  inachines  de  guerre  , 
autres  que  l'artillerie;  elle  a  seize  portes  fortifie'es ;  le  tout 
est  entouré  d'un  large  fossé  qui  ne  permettrait  pas  à  des 
troupes  africaines  de  s'en  emparer,  en  suivant  leur  système 
militaire  actuel. 

M.  Laing,  dans  un  des  passages  de  sa  relation  ,  fixe  à 
6,000  le  nombre  des  habitans  de  Falaba  ;  mais  plus  loin,  il 
porte  ce  nombre  à  10,000,  évaluation  plus  exacte,  si, 
comme  il  le  dit ,  Falaba  contient  quatre  mille  maisons  ou 
cabanes  ,  et  peut  fournir  utie  armée  de  3, 000  hommes.  Les 
liabitations  sont  circulaires,  et,  quoique  construites  en  ar- 
gile et  surmontées  d'un  loit  de  chaume,  elles  sont  tr^s- 
propres  ,  bien  éclairées,  et,  en  général,  d'une  structure 
élégante. 

Le  roi  de  Soidima,  Assana-Yérn  ,  possède,  outre  sa  ca- 
pitale, quatre  villes  importantes.  Il  peut  lever  une  armée 
(le  5,000  cavaliers  et  de  20,000  hommes  d'infanterie;  aussi 
est-il  regardé  comme  un  des  rois  les  j)lus  puissans  de 
l'Afrique  occidentale.  D'après  le  portrait  intéressant  que 
M.  Laing  eu  a  tracé,  ses  taleus  et  ses  vertus  doivent  le 
placer  au  rang  des  meilleurs  princes,  et  lui  ont  mérité  le 
npmde  pèredu  peuple.  «  C'est,  dit-il,,  un  vieillard desoixante 
ans,  d'une  sanlé  robuste  ^>l  d'un  «extérieur  agréable;  sa 
taille  est  plus  haute  que  ne   l'e.Nl  ,  en  général,  celle  de  ses 


ir. 


37 


^oTi  Voyage  dans  /es  pcfvs  r/c  Tiruamu  . 

stijets  (  il  a  5  pieds  1 1  pouces  d'Angleterre  ")  ;  et  le  a  èteraeiTt. 
simple  el  large  quil  porte ,  composé  de  tissus  du  pays,  lui 
sied  très-bien.  On  nous  a  dit  qu'il  ne  s'était  jamais  départi 
de  celle  simplicité  de  costume,  et  que  bien  différent  à  cet 
égard  delà  plupart  des  princes  africains,  il  a  constammenrt 
repoussé  l'usage  des  orneraens  splendides  ,  et  s'est  toujours 
velu  comme  le  moins  riclie  de  ses  sujets.  Sa  stricte  probité 
Ta  placé  très-haut  dans  l'estime  de  son  peuple  et  des  na- 
tions voisines. 

»  il  doit  l'affection  générale  qu  ou  lui  porte  au  soin  avec 
lequel  il  examine  les  réclamations  qu^on  lui  adresse,  et  à 
la  manière  équitable  dont  il  rend  la  justice. 

»  Voici  ie  détail  de  ses  opérations  journalières  : 

»  li  S2  leva  au  point  du  jour,  et  s'occupe  d'abord  de  ses 
affaires  domestiques;  il  surveille  e\isuite  la  préparation  du 
repas  dont  il  gratifie  ses  hôtes,  et  de  ia  iiourritiire  qu'il 
envoie  à  ses  esclaves;  puis  il  donne  audience  aux  habitans 
qui  se  proposent  de  quitter  ia  ville  dans  la  journée,  cl  il 
leur  en  accorde  ou  leur  eu  refuse  la  permission,  suivant  les 
circouslacces.  A  neuf  heures  ,  il  siège  sur  son  tribunal  :  là, 
accessible  à  tous  ,  il  rend  la  justice  jusqu'à  trois  heures , 
après  midi  ;  à  trois  heures  précises  il  revient  chez  lui  pour 
dîner,  et  ce  repas  se  compose  uniquement  de  riz  qu'on 
délaie  dans  un  peu  de  bouillon,  afin  de  lui  donner  plus 
de  saveur.  Comme  tous  ses  sujets ,  il  est  étranger  au  luxe 
des  cuillers;  je  lui  en  ai  olïert  une  plusieurs  fois,  dont  il 
n'a  jamais  voulu  se  servir.  Après  dîner,  accompagné  de 
son  csr.îavc  favori ,  il  dirige  sa  promenade  vers  un  étang , 
où  il  a  un  crododilc  apprivoise'  :  c'est  là  qu'il  fait  ses  ablu- 
tions: après  quoi  il  se  promène  dans  ses  propriétés  jus- 
qu'au coucher  du  soleil  ;  il  rentre  ensuite  dans  son  habita- 
tion, et  s'enferme  pour  le  reste  de  la  soirée,  dont  il  consacre 
une  grande  partie  à  l'exercice  de  pratiques  religieuses. 

»  Dans  le  cours  de  diverses  conversations  qiii  avaient 


de  Kouranko  et  Soulima .  3o.') 

pour  sujet  la  Iraite  des  nègres  j  la  guerre,  la  pai>: .  et  le 
commerce ,  Assena  montra  un  esprit  assez  judicieux  pour 
comprendre  très-bien  les  avantages  d'un  état  social  et  d'un 
gouvernement  opposés  à  ceux  qu'il  connaissait;  toutefois, 
à  regard  tle  la  liberté  du  commerce  ,  ses  préjugés  avaient 
des  racines  trop  profondes  pour  s'eftacer  aisément.  Comme 
le  pacha  d'Egypte,  il  fait  maintenant  le  monopole  de  tout 
le  commerce  du  pays  ,  et  nous  craignons  qu'il  ne  soit  très- 
difficile  de  lui  persuader  qu'en  se  dépouillant  de  ce  privi- 
lège, il  accroîtrait  et  assurerait  son  pouvoir.  La  richesse  a, 
chez  les  Africains  ,  une  influence  sans  bornes  ;  car  les  plus 
opulens  sont  toujours  sûrs  d'y  trouver  de  nombreux  par- 
tisans, au  moyen  desquels  ils  parviennent  quelquefois  à 
s'emparer  du  trône.  » 

Le  major  Laing  fut  témoin  ,  à  Falaba  ,  de  plusieurs  fêles 
et  spectacles  publics,  Les  jellemen  ou  bardes  célébrèrent 
sou  arrivée  et  la  gloire  de  leur  pays,  dans  des  chants  qui 
ressembleraient  tout-à-fait  à  ceux  d'Ossian  ,  s'il  y  était  ques- 
tion àç?,  brouillards  grisâtres  des  montagnes  ,  et  si  l'on  subs- 
tituait le  nom  de  Fingal  à  celui  d'Yarradi.  La  guerre  entre 
le  royaume  de  Soulima  et  celui  de  Foulah  a  inspiré  un 
hymne  national  dont  voicï  (juelqucs  fragmens  : 

K  ils  sont  braves  les  guerriers  de  Foulah  I  Eux  seuls  pcu- 
»  vent  résister  aux  combattans  de  Soulima.  Ils  uiarchèrent 
»  sur  Falaba,  au  nombre  de  (rente  mille  ;  comme  un  torrent 
»  fougueux  ,  ils  se  précipitèrent  du  haut  àç?,  montagnes. 
«  — Apportez-nous  votre  or,  disaient-ils,  ou  nous  brùle- 
»  rons  votre  ville.  —  Mais  le  brave  Yarradi  lança  sa  flèche 
»  contre  eux,  et  s'écria  :  Cc^st  sur  mon  cadavre  que  voi'S 
»  exécuterez  vos  projets.  —  Le  combat  s'engagea;  le  so- 
))  leîl  voila  son  disque  pour  ne  point  voir  le  nombre  des 
»  .morts  ;  les  nuages  qui  couvraient  les  cieus.  roulaient  ter- 
»  ribles  comme  l'œil  du  hclkmansa  (général).  Les  guer- 
»  riers  do  Foulah  combattaient  en  hommes;  Vs  fossés  qui 


3o4  Voyage  ddns  les  pays  de  Tinumni , 

»  ccigneut  Falaba  étaient  remplis  de  leurs  morts.  — ^  Que 
»  pouvaient-ils  contre  le  lion  de  Soulima?  —  Ils  ont  fui 
»  pour  lie  jamais  revenir;  el  Fa!aba  est  aujourd'hui  heu- 
y>  reuse  et  paisible.  « 

La  description  d'un  des  spectacles  donnés  au  major  Laing; 
mérite  de  trouver  ici  sa  place. 

«  Aussitôt  que  les  amazones  eurent  cessé  leurs  chants , 
le  grotesque  de  la  troupe  prit  une  espèce  de  guitare  dont 
le  corps  était  formé  d'une  calebasse,  et  commença  à  chan- 
ter, en  s'accompagnant,  un  air  assez  agréable.  Il  se  van- 
tait que,  par  sa  musique,  il  guérirait  toutes  les  maladies, 
qii^il  apprivoiserait  des  bètes  féroces  ,   et  ferait  danser  les 
serpens.  «  Si  l'homme  blanc  en  doute  ,  je  vais  ,   dit-il  ,  en 
y>  faire  l'expérience  devant  lui.  »  Aussitôt,  il  joua  un  air 
plus  vif,  et  un  gros  serpent  sortit  de  dessous  un  buisson, 
et  traversa  rapidement  TeDceinte  du  spectacle  :  alors,  notre 
jongleur  ralentissant  son  jeu  :    «  Halte-là,  serpent,  dit-il , 
»   vous  allez  trop  vile;  arrêtez-vous,  et  amusez  l'homme 
»  blanc.  »  Le  serpent  obéit,  el  le  musicien  continua  :  ««  Ser- 
»   pent ,  il  faut  danser  ;  l'homme  blanc  est  venu  à  Falaba  ; 
»   dansez  ,  serpent ,  car  voici  un  beau  jour.  »  A  ces  mots , 
le  serpent  se  dressa   sur  les  replis  de  sa  queue ,  releva  sa 
tête,  forma  des  anneaux  ,  se  mit  à  bondir  et  à  faire  divers 
tours,  dont  je  ne  l'aurais  pas  cru  capable.  A  la  fin,  le  jon- 
gleur,  suivi  du  reptile,  sortit  de  l'enceliite ,  et  me  laissa 
dans  un  grand  étonneiuent.  Quant  aux  autres  spectateurs  , 
ils  paraissaient  enchantés  qu'un  nègre  fût  parvenu  à  exciter 
la  surprise  d'un  blanc.  » 

Les  détails  que  donne  le  major  Laing,  sur  son  départ  de 
Falaba  ,  sont  du  plus  vif  intérêt. 

«  Le  17  septembre ,  après  avoir,  dans  la  matinée,  fait 
prendre  les  devans  aux  gens  de  ma  suite,  je  partis  de  Fa- 
laba à  midi ,  accompagné  du  roi  et  escorté  d'une  gran«U: 
fonlc,  dans  laquelle  les  femmes  se  faisaient  remarqucrpar 


de  Kouranko  et  Soulimu.  5o5 

les  dcmonstralions  de  douleur  les  plus  extravagaules.  (^elle  ' 
foule  me  quitta  à  uu  mille  au-delà  du  sommet  de  la  colline 
qui  domine  .Faiaba ,  et  le  roi  me  suivit  dans  la  val 'ce  op- 
posée ,  sur  la  route  de  Ronkodougore.  Iàx  ,  ce  vieillard 
s'arrêta ,  et ,  en  me  disant  qu'il  me  voyait  pour  la  derjiière 
fois  ,  ses  yeux  se  remplirent  de  larmes,  et  pendant  quel- 
ques iustans  il  demeura  sans  voix.  «  Homme  blanc,  me 
»  dit-il  enfiu,  en  me  tendant  la  main  ,  pensez  à  Faiaba  ,  car 
»  Faiaba  pensera  toujours  à  vous.  Quand  vous  arrivâtes 
»  parmi  nous,  vous  paraissiez  ridicule  aux  hommes ,  et  à 
»  votre  aspect,  les  femmes  et  les  cnfans  fuyaient  d'effroi. 
»  lis  ont  tous  maintenant  la  tète  dans  leurs  mains  et  les 
M  yeux  baignés  de  larmes,  parce  que  vous  nous  quittez.  Je 
»  me  souviens  de  tout  ce  que  vous  m'avez  dit;  vous  m'avez 
»  appris  ce  qui  est  bon  ,  ce  qui  contribuera  ,  je  le  sais  , 
»  à  la  grandeur  de  mon  pays.  Je  ne  ferai  plus  d'esclaves.  » 
Puis,  me  serrant  affectueusement  et  détournant  la  tôle  : 
«  Assez,  me  dit-il,  et  revenez  nous  voir.  »  Use  sépara  de 
moi  à  ces  mots,  et  il  se  couvrit  la  figure  de  ses  mains.  Je 
me  sentis  ému  comme  si  je  m'étais  éloigné  d'un  père.  Le 
souvenir  de  cette  scène  est  gravé  trop  avant  dans  mou 
cœur,  pour  être  efface  par  le  tems  ou  par  la  dislance,  et 
jamais  je  ne  cesserai  de  faire  les  vœux  les  plus  vifs  pour  la 
prospérité  d'un  pays  dont  Ifs  habitans  m'ont  témoigné  tant 
d'intérêt.  » 

Le  major  Laing  pense  qu'il  peut  résulter  de  grands  avan- 
tages de  l'établissement  d'un  commerce  direct  avec  Sou- 
iima.  Ce  p^ys  produit  du  riz,  du  café  ,  du  coton  d'exccllenlo 
qualité;  ou  peut  y  cultiver  avec  succès  toutes  les  plantes 
lies  Iropifjues.  Les  cultivateurs  se  trouvent  sur  les  lieux  , 
«l  le  désir  de  posséder  des  marchandises  d'Europe  suffirait 
pour  les  exciter  au  travail.  La  rivière  de  Rokellj;  qui  tra- 
verse le  pays  et  passe  à  vSierra-FjCone  ,  est  navigable  en 
certaines  saisons  ,   dans   une  grande  partie  de  son  cours. 


5o6  Voyage  dans  les  pays  de  Ti/naiini , 

Toutefois  ,  c'est  moins  dans  rintérél  fie  la  Graude-Brt;- 
lagne,  que  dans  celui  de  la  civilisation  africaine,  que  le 
major  Laing  nous  propose  d'entrer  en  relations  commer- 
ciales avec  cette  nation.  Elle  a,  assure- l-il,  un  grand  res- 
pect pour  les  Anglais ,  et  peu  de  préjuges  à  opposer  aux 
changemens  que  ceux-ci  tenteraient  d'introduire  dans  son 
sein;  mais  il  craiut  que  lorsque  les  peuples  de  cette  par- 
lie  de  l'Afrique  auront  vu  plus  d'Anglais  à  Sierra-Leone , 
leur  respect  ne  s'affaiblisse  beaucoup.  «  Les  nègres  ma- 
Iiomclans  ,  dit-il,  voient  avec  pillé,  souvent  avec  dégoût, 
la  légèrelé  des  blancs,  qu'ils  considèrent  comme  très-favo- 
risés  du  ciel,  mais  comme  indignes  de  ses  bienfaits.  »  Un  fait 
qui  mérite  d'être  remarqué  ,  c'est  que  la  religion  de  Mabo- 
mct  a  fiiit  en  silence  des  progrès  rapides  cbezles  Africains  , 
tandis  que  ,  malgré  tous  les  soins  qu'on  a  pris  et  toutes  les 
dépenses  qu'on  a  faites  en  Angleterre  ,  pour  leur  expédier 
des  missionnaires  et  Aes  Bibles,  il  est  sans  exemple  qu'un 
seul  d'enîr'eux  ait  embrassé  le  cbristianisme  bors  de  nos 
établissemens.  Là,  leur  conversion  ne  se  manifeste  que  par 
rol)servance  de  quelques  pratiques  extérieures ,  et  par  la 
fréquentation  des  églises.  Ce  voyageur  augure  irès-avan- 
lageusement  de  l'exemple  qu'offrirait ,  dans  cette  partie  du 
monde,  une  nation  indépendante,  qui  adopterait  volon- 
tairement les  institutions,  les  babitudes  industrielles  et  la 
religion  des  blancs.  Il  croit  que  cet  exemple,  donné  par 
les  babitaus  de  Soulima ,  serait  beaucoup  plus  utile  à  l'A- 
frique, que  tout  ce  que  nous  avons  fait  jusqu'à  présenta 
Sierra- Leone. 

Nous  ne  partageons  point  l'avis  du  major  Laing  au  su- 
jet des  missionnaires  qu'il  recommande  d'envoyer  mainte- 
nant cbcz  les  babitaus  de  Soulima.  L'expérience  de  plusieurs 
années  nous  a  appris  que  le  système  actuel  des  missions  C5t 
entacbé  d'un  vice  radical.  On  n'a  rien  gagné  jusqu'ici,  et 
l'on  ne  gagnera  jamais  rien  à  rendre  des  tribus  sauvages 


(le  Koinaiiko  et  Souliina.  5<)y 

ohréliennes,  qui ,  par  le  tait  ,  ne  le  sont  que  de  nom.  Les 
lumières  et  la  civilisation  doivent  être  les  précurseurs 
du  chrisliaitisme  ;  et  Tœuvre  de  la  conversion ,  pour  être 
durable  ,  doit  être  lente  et  graduelle.  Il  est  cependant  ww 
moyen  prompt  et  sur  d'enseigner  la  loi  du  Christ,  c'est  de 
prêcher  d'exemple  ;  lorsque  les  blancs  auront  convaincu 
les  ncftrs  que  leur  conduite  est  d'accord  avec  leurs  pré- 
ceptes ;  lorsqu'ils  prouveront  à  leurs  catéchumènes  ,  par  le 
tabieau  de  leur  vie  entière,  qu'ils  sont  eux-mêmes  guidés 
par  les  principes  de  la  religion  chrétienne,  alors,  mais 
seulement  alors,  nous  pourrons  nous  attendre  au  perfec- 
tionnement des  nations  africaines.  Mais  combien  cette  heu- 
reuse époque  est  éloignée  !  IS'ous  pouvons  conclure  de 
l'ouvrage  qui  est  sous  nos  yeux ,  que  nos  missionnaires 
eux-mêmes  sont  bien  loin  de  prêcher  d'exemple ,  dans  la 
crainte  sans  doute  qu'on  ne  les  accuse  d'entretenir  des 
opinions  hérétiques  sur  le  mérite  des  bonnes  œuvi'es.  «  J'ai 
vu  de  mes  yeux,  dit  le  major  Laing ,  un  missionnaire 
étendu  sur  ie  pavé  ,  dans  une  ivresse  complète  ;  j'en  ai 
connu  un  second  qui  avait  pour  concubine  une  négresse 
de  sa  paroisse  ;  j'en  ai  vu  un  troisième  condamné  comme 
meurtrier  d'un  enfant,  qu'il  avait  assassiné  à  coups  de 
verges.  » 

Ce  voyageur  a  appris  que  le  Niger  prend  sa  source  à 
trois  journées  de  Falaba  ,  dans  le  pays  des  Rissi ,  nation 
barbare  à  l'est  de  Sonlima.  Il  demanda  souvent  des  guides 
et  une  escorte  pour  aller  reconnaître  ce  fleuve ,  mais  on 
les  lui  refusa  constauunent ,  sous  divers  prétextes.  On  lui 
permit  cependant  de  visiter  ia  source  de  la  Rokelle ,  et  de 
ce  point  on  lui  fit  voir,  dans  le  lointain  ,  la  montagne  de 
laquelle  on  lui  dit  que  jaillissait  le  Niger.  Il  fixe  sa  position 
■\\i\  ç)"  25'  de  latitude  nord;  cl  aux  9°  4^'  de  longitude 
ouest.  Mais,  les  voyageurs  sont  souvent  trompés  au  siijet 
de  la  source  des  rivières^  presque  tous  les  fleuves  se  Ibr-i^ 


5o8  J'oyage  cm  pôle  tiusîrcif. 

ment  d'un  grand  nombre  de  ruisseaux,  qui  peuvent  sourdre 
à  une  distance  considérable  l'un  de  l'autre,  et  il  est  pres- 
qu'inipossible  de  s'assurer  auquel  d'entr'eux  doit  rester 
l'honneur  de  porter  le  nom  du  fleuve  à  la  création  duquel 
ils  contribuent  tous.  Ainsi ,  diverses  peuplades  peuvent  se 
vanter,  avec  autant  de  raison  l'une  que  l'autre  ,  que  le  même 
fleuve  prend  sa  source  dans  leur  pays. 

La  préface  de  la  relation  du  major  Ijaing  nous  apprend 
que  ce  voyageur  est  parti  de  Londres  le  5  février  dernier, 
et  qu'il  s'est  rendu  à  Tripoli  pour  y  joindre  une  caravane 
qui  devait  aller  à  Tombuctou  ,  et  de  là,  suivre  le  cours  du 
Niger.  11  était  difficile  pour  une  expédition  semblable  de 
l'aire  un  meilleur  choix.  [London  Magazine.) 

VOYAGE  AU  POLE  AUSTRAL, 

PENDANT    LES    ANNÉES     1<S22     ET     1824, 

Contenant  «les  observations  sur  la  mer  Antarctli]ue  jusqu'au  74^  Jegré 
lie  latitude;  le  récit  d'une  excursion  à  la  Terre-de-Feu  ,  et  des 
documens  iraporlans  sur  la  navigation  des  cotes  i!u  cap  Horn  et  des 
terres  adjacentes  ;  par  James  VS'^eddclI  ,  de  la  marine  royale.  — 
Londres ,  iSaS. 


Tandis  qu'une  expédition  entreprise  à  grands  frais  par 
le  gouvernement,  et  dont  la  conduite  avait  été  conliée  au 
capitaine  Parry,  explorait  les  régions  iuhospitalières  du 
pôle  arctique,  cl  que  l'Européen  suspens,  en  attendait 
avec  impatience  le  résultat,  à  peine  savait -on  hors  des 
comptoirs  de  MM.  Mitchell  de  liondres ,  et  Strachan 
d'Edinbourg,  qu'un  voyage  eulièrement  analogue  avait 
lieu  à  l'extrémité  australe  du  globe.  Ces  deux  banquiers 
s'étaient  associés  à  M.  Weddell  pour  l'exécution  d'im  pro- 


T^oyage  au  pale  austral.  3o() 

jet  qui  tloit  faire  passer  \?\\xh  noms  à  la  postérité,  et  ils 
rendaient  un  service  signalé  au  commerce  et  à  l'hydro- 
graphie. 

Le  récit  modeste  et  simple  du  voyageur  chargé  de  com- 
mander cette  expédition  ,  lo  soin  avec  lequel  il  a  écarté 
tous  les  détails  inutiles,  -sa  manière  franche  et  loyale,  ne  savi- 
raient  manquer  de  frapper  tous  les  lecteurs.  Nous  le  lais- 
serons souvent  parler  lui-même.  Examinons  rapidement 
ritinéraire  qu'il  a  suivi,  nous  présenterons  ensuite  an  pu- 
blic les  circonstances  les  plus  intéressantes  de  sa  relation. 

Le  17  septembre  \^ii ,  le  brick  Jane  de  Leilh,  du  port 
de  cent  soixante  tonneaux ,  et  de  vingt-deux  liomraes  d'é- 
quipage ,  et  le  cuUer  Betiufoy  de  Londres  ,  de  soixante-cinq 
tonneaux,  monté  par  treize  hommes  ,  tous  deux  approvi- 
sionnés pour  deux  ans  ;  le  [  reniier,  commandé  par  M.  Wed- 
flell  5  le  second,  par  M.  Mathieu  Brisbane,  partirent  des 
Dunes  pour  a'ier  vers  le  sud,  à  la  recherche  des  peaux  de 
veaux  marins.  Les  deux  navires,  s'étant  séparés  à  la  pointe 
de  Portland,  se  rejoignirent  le  i4  octobre  à  Bona-Vista , 
une  des  îles  du  Cap-Vert,  pour  faire  provision  de  sel.  Le 
i-'  novembre,  ils  passèrent  la  ligne,  et  ils  abordèrent  le  rq 
novembre  à  Sainte-Hélène,  pour  réparer  leurs  avaries.  Le 
7  janvier  suivant ,  le  capitaine  Weddell  aperçut  des  îles  de 
glace,  et  après  avoir  exactement  suivi  les  traces  de  Cook, 
il  cingla  droit  au  sud.  Le  tems  était  sombre  et  nébuleux  , 
la  température  de  l'air  ne  s'élevait  qu'à  deux  degrés  au- 
dessus  de  zéro  R.  ;  celle  d3  l'eau  était  à  zéro  ;  le  vaisseau  se 
trouvait  par  les6i°  44'  de  latitude  ,  et  les  5 1°  i5'  i5"  de  lon- 
gitude du  méridien  de  Greenwicli.  Ecoutons  l'auteur  : 

«  Après  avoir  navigué  long-tems  au  milieu  des  brouil- 
lards avec  un  vent  frais,  l'humidité  pénétra  leilement  nos 
vaisseaux ,  que  les  équipages  tombèrent  malades.  Les  ma- 
telots étaient  tourmentés  par  des  catarrcs  et  des  rhuma- 
tismes. Pour  les  préserver  de  cette  fâcheuse  influence  , 
Ji.  aS 


5ro  T'oyugs  Ml  jjôIo  aiislrai. 

j'ordonnai  qu'on  entretînt  un  feu  constant  au  poêle  de  îa 
cuisine ,  afin  de  faire  se'cher  les  vôtenxens  ;  et  bientôt ,  à 
l'aide  de  quelques  précautions  hygiéniques ,  toutes  ces  in- 
dispositions se  dissipèrent. 

»  Le  6  et  le  7  février,  nous  remontâmes  plusieurs  îles 
de  glace,  dont  Tune  me  parut  avoir  deux  milles  de  largeur 
et  deux  cent  cinquante  pieds  d'élévation.  L'observation 
nous  donna  64°  i5'  de  latitude,  et  les  chronomètres 5o°  46' 
de  longitude.  A  dix  heures  du  s'oir,  le  tems  étant  fort  obs- 
cur, nous  faillîmes  donner  contre  une  île  de  glace ,  près  de 
laquelle  le  Beaiifoy,  qui  nous  serrait  vivement,  manqua  de 
se  briser.  Le  q ,  nous  crûmes  voir  la  terre  vers  le  nord- 
ouest;  mais  après  avoir  cherché  à  atteindre  cette  terre  ma- 
gique ,  novis  reconnûmes  notre  erreur  :  c'était  vme  masse 
de  nuages.  Le  vent  passa  biaisquement  au  sud  ,  et  souffla 
avec      rce  par  rafales. 

»  Le  lo,  au  point  du  Jour,  le  contre-maître  signala  une 
terre  en  vue  ,  sous  la  forme  d'un  pain  de  sucre.  Je  supposai 
que  ce  devait  être  un  roc,  et  je  m'attendais  à  rencontrer 
un  continent  à  peu  de  distance  vers  le  sud.  Nous  n'y  tou- 
châmes qu'à  deux  heures  après  midi ,  et  alors  seulement , 
à  la  distance  de  3oo  mètres  ,  on  put  se  convaincre  que  ce 
que  nous  avions  pris  pour  une  terre  n'était  qu'un  bloc  im- 
mense de  glace  noire.  Une  autre  île  de  glace  parfaitement 
blancbe,  presqu'unie  à  la  première  ,  formait  avec  cel!e-c' 
un  contraste  singulièrement  pittoresque.  La  partie  septen- 
trionale ^e  cette  masse  était  tellement  liée  à  une  espèce  de 
terre  noire,  qu'on  l'aurait  prise  pour  un  véritable  rocher. 
Ce  désappointement  contribua  à  décourager  les  équipages, 
qui  espéraient  trouver  pins  tôt  une  compensation  à  leurs 
fatigues. 

»  Le  vent  soufflait  du  sud  avec  violence ,  et  nous  aurait 
portés  rapidement  vers  le  nord;  mais  l'aspect  de  cette  île 
et  de  la  grande  quantité  de  terre  qu'elle  contenait,  me  fit 


Voyage  au  pôle  austral.  3 1 1 

«apposer  que  nous  ne  pouvions  larder  d'arriver  au  point 
d'où  elle  s'était  détaclice.  On  mit  en  panne,  et  je  gardai  le 
vent.  Je  dois  observer  ici  que  ces  rochers  douteux  ,  indi- 
que's  sur  les  cartes  de  l'Atlantique  du  Nord,  n'ont  proba- 
blement pas  d'autre  origine  que  celle  dont  je  viens  de  par- 
ler :  leur  position  u'a  pu  être  solidement  établie  ,  au  grand 
regret  de  tous  les  navigateurs.  Nous  étions  alors  par  le  60" 
26I  de  latitude,  et  les  5o°  52'  de  longitude  du  méridien  de 
GreeuAvich.  » 

L'auteur  continue  de  tracer  avec  une  exactitude  qui  sera 
appréciée  par  tous  les  marins  ,  l'itinéraire  de  sa  périlleuse 
navigation,  jusqu'au  y  1™^  degré  de  latitude.  Acetle  distance, 
la  mer  lui  parut  presqu'entièrement  couverte  d'oiseaux  res- 
semblaus  aux  pétrels  bleus.  Le  tems  était  alternativement 
obscur  et  serein  ;  mais  M.  Weddell  ne  put  tenir  compte  de 
la  température  :  il  avait  brisé  ses  deux  thermomètres  par 
accident.  Parvenu  au  74^  degré  de  latitude,  le  120  février 
1825  ,  au  milieu  des  glaces,  le  chef  de  l'expédition  ne  put 
gouverner  au  sud ,  retenu  qu'il  était  par  le  vent  contraire  -, 
jugeant  d'ailleurs  que  la  saison  ,  déjà  fort  avancée  ,  rendrait 
son  retour  très-pénible  à  travers  les  îles  de  glace  semées 
sur  une  ligne  directe  de  plus  de  six  cents  lieues,  il  profita 
du  vent  pour  quitter  ces  parages  qu'aucun  navigateur  n'a- 
vait reconnus  avant  lui.  Laissons-le  continuer  son  récit  : 

«  J'ai  fait  tous  mes  efï'orts  pour  apercevoir  ces  aurores 
australes  que  Forster  remarqua  dans  son  voyage  autour  du 
monde,  avec  le  capitaine  Cook,  en  1773  j  et  quoique  le 
soleil  fût  sous  l'horizon  pendant  plus  de  six  heures  par 
jour,  je  n'ai  rien  aperçu.  Je  suppose  que  le  crépuscule  était 
la  seule  cause  qui  m'empêchait  de  jouir  de  la  vue  de  ce 
phénomène.  Je  partage  également  l'opinion  du  capitaine 
Cdok,  sur  la  formation  des  montagnes  de  glace  :  cet  il- 
lustre navigateur  pense  que  tous  les  bancs  de  celte  nature 
partent  d'un  continent,  et  ne  se  forment  jamais  en  plein 


3l2  Voyage  au  j)6lc  austral. 

iner.  On  a  l'ait  beaucoup  de  systèmes  sur  l'extrême  rigueur 
de  la  terapérnUiî-e  de  i'iiéjnispiière  austral.  Bernardin  de 
Saint-Pierre  croit  q^u'elie  vic-iit  d'une  coupole  de  glaces  qui 
entoure  le  pôle  sud  ,  et  qui  s'éler.d  au  loin  vers  le  nord. 
Ne  serait-il  pas  plus  raisonnable  «le  supposer  que  cette  terre, 
inconnue  à  Cook  .  que  nous  avons  trouvée  par  le  6i^  deg'é 
de  latitude ,  est  la  cause  principale  des  froids  excessifs  qu'on 
essaie  d'expliquer  par  toutes  sortes  d'hypolbèses?  J'ai  cons- 
taté oue  la  température  de  fair  et  de  Feau  n'était  pas  des- 
cendue au-dessous  de  zéro,  pendant  notre  passage  entre 
les  60  et  6 1  degrés  de  latitude  :  on  ne  peut  donc  attribuer 
qu\TUx  îles  de  glace,  dont  les  terres  australes  sont  entourées, 
la  rigueur  des  bivers  qui  les  désolent.  Cette  supposition 
est  d'autant  plus  vraisemblable  ,  que  lorsque  nous  fûmes  ar- 
rivés au  74*^  degré  de  latitude,  où  il  n'y  a  plus  de  terre, 
la  mer  s'ouvrit  devant  nous  calme  et  libre }  elle  est  donc 
moins  l'roide  qu'on  ne  l'imagine,  en  approcbant  du  pôle, 
et  il  reste  encore  un  beau  cbamp  de  découvertes  à  exploiter. 

»  Dès  que  ma  résolution  de  partir  fut  arrêtée,  je  fis  si- 
gnal au  Beaufoy  d'appareiller  pour  le  nord-ouest  et  de  for- 
cer de  voiles.  Les  matelots  étaient  singulièrement  contra- 
riés du  mauvais  succès  de  notre  expédition,  parce  que 
leurs  intérêts  dépendaient  de  la  découverte  d'une  terre  aus- 
trale et  des  cbargemens  qu'on  y  pourrait  faire.  Pour  leur 
rendre  un  peu  de  courage,  je  ui'emprcssai  de  recounailre 
leur  zèle  et  leur  patience  ,  et  de  leur  annoncer  qu'ils  se 
trouvaient  sous  une  latitude  inconnue  à  tous  les  navigateurs. 
Le  pavillon  national  fut  bissé  ,  salué  d'un  coup  de  canon  et 
d'une  triple  salve  d'applaudissemens.  Une  distribution  d'eau- 
de-vie  acbeva  de  ranimer  les  esprits.  » 

Les  deux  vaisseaux  revinrent  par  la  Gjjorgie  du  sud  ,  le 
cap  Horn  ,  les  îles  Falkland,  où  ils  passèrent  l'biver,  Santa- 
Crux  et  Montevideo.  Ils  arrivèrent  de  celte  dernière  ville 
à  Falmoutb  après  une  traversée  de  cinquante-neuf  jours  et 


Voyage  au  pôh  austral.  5  i  J 

uue  abseuce  d'environ  t'eux  ans.  On  conçoit  à  peine  com- 
ment ces  deux  fi'èles  navires  ,  dont  les  carcasses  navaieul 
pas  plus  de  deux  pouces  et  demi  d'épaisseur,  ont  pu  échap- 
per aux  dangers  de  toute  espèce  qui  ics  altendaieul  dans  les 
mers  autrales,  fameuses  par  tant  de  naufrages! 

Nos  lecteurs  n'accueilleront  pas  sans  intérêt  quelques  cita- 
tions du  récit  de  cet  important  voyage.  L'introduction  est 
précédée  d'un  exposé  de  la  route  des  deux  vaisseaux  .  tracée 
avec  habileté.  L'auteur  v  a  joint  des  cartes  de  la  rivitre  de 
Santa-Cruz,  du  port  de  Sainte-Hélèae,  des  iles  Falkland, 
du  cap  Horn  ,  et  d'une  partie  des  cotes  de  la  ïei-re-de-Feu , 
avec  une  fovde  de  particularités  utiles  à  la  marine.  Danô 
plus  d'une  circonstance  ,  il  a  relevé  les  erreurs  des  anciens 
navigateurs ,  avec  une  exactitude  et  une  réserve  qui  font 
honneur  à  ses  talens  et  à  son  caractère. 

«  Lorsque  nous  fûmes  arrivés  scus  le  65°  21'  de  lati- 
tude et  par  le  4^°  22'  de  longitude,  nous  étions  en  posi- 
tion d'observer  cette  fameuse  terre  de  glace  ,  qui  est  indi- 
quée dans  toutes  les  cartes  de  la  mer  Atlantique  du  sudj 
mais  malheureusement  cette  terre  n'existe  pas.  11  est  fâ- 
cheux que  plusieurs  marins  se  plaisent  à  propager  ces  er- 
reurs hydrographiques  ,  et  je  plains  ceux  qui ,  pouvant  jeter 
quelques  lumières  sur  l'état  du  globe  qu'ils  habitent,  ne 
prennent  pas  la  peine  de  faire  des  observations  souvent 
très-faciles.  Mais  l'extrême  répugnance  que  j'éprouve  h 
censurer  ceux  de  mes  concitoyens  qui  suivent  la  même 
carrière  que  moi,  m'empcche  de  signaler  les  erreurs  gra- 
ves qu'on  pourrait  reprocher  à  quelques-uns  d'entr'eux  , 
erreurs  très-préjudiciables,  surtout  à  la  marine  marchande, 
et  qui  sont  dues  à  la  faiblesse,  à  la  négligence  ou  à  l'avarice 
de  plusieurs  capitaines.  C'est  ainsi  qu'on  a  signalé  comme 
des  rochers  douteux,  sur  toutes  les  cartes  de  l'Atlantique 
du  sud,  les  îles  de  glace  couvertes  de  terre  d  ni  j'ai  déjà 
parlé. 


3 1 4  Voyage  au  pôle  austral. 

M  Le  17  avril,  rextrémité  orientale  de  la  Géorgie  nous 
apparut  au  nord-est,  à  la  dislance  de  quatorze  milles  (près 
de  cinq  lieues).  Le  vent  fraîchit  tout -à -coup  en  passant 
au  sud,  et  rendit  la  mer  très-houleuse 5  le  18,  le  tems 
devint  très-nébuleux  et  jn'empccha  d'observer  les  rochers 
que  je  désirais  voir.  On  les  suppose  placés  par  53  degrés 
48'  de  latitude  et  sous  le  4-^*^  degré  25'  de  longitude ,  h 
fleur  d'eau  ;  mais  ils  s'élèvent  en  pain  de  sucre  à  la  hau- 
teur de  soixante  ou  soixante-dix  pieds 5  leur  hase  est  en- 
tourée de  brisans.  C'est  ce  qui  les  aura  fait  prendre  pour 
les  îles  Aurora.  I^e  vaisseau  de  guerre  espagnol  VAtreinda 
ayant  été  envoyé  ,  eu  1796,  pour  examiner  les  prétendues 
îles  Aurora  ,  rencontra  probablement  ces  trois  rochers  ,  et 
il  crut  avoir  réellement  découvert  trois  îles  qui  furent  im- 
médialement  adjugées  au  gouvernement  espagnol.  Ces  îles 
ont  été  indiquées  sur  nos  cartes,  avec  la  route  de  X  Atrcvida, 
et  elles  trompent  encore  tous  ceux  qui  croient  à  leur  exis- 
tence. Il  en  résulte  de  grands  inconvéniens  pour  la  navi- 
gation autour  du  cap  Ilorn. 

»  Ayant  habité  les  îles  Falkland  pendant  deux  hivers,  et 
visité  presque  tous  leurs  ports  ,  j'espère  pouvoir  offrir  sur 
ces  parages,  des  documens  qui  ne  seront  pas  sans  utilité. 

»  Ce  groupe  de  terres  désertes ,  connues  sous  le  nom 
d'îles  Falkland,  est  formé  d'environ  quatre-vingt-dix  îles 
qui  s'étendent  du  45*  degré  de  latitude  jusqu'au  52°  45'  sud, 
et  du  Sy^  degré  de  longitude  jusqu'au  61°  4t>' o"^st.  Deux 
de  ces  îles  sont  d'une  étendue  considérable  •.  la  plus  grande 
n'a  pas  moins  de  trente-quatre  lieues  de  long  et  de  seize 
lieues  de  large.  Elles  sont  séparées  par  un  détroit  de  trois 
à  quatre  lieues  de  largeur,  dans  lequel  on  trouve  quelques 
îles  plus  petites.  Ce  détroit  est  navigable  pour  des  vais- 
seaux d'une  certaine  grandeur,  et  on  peut  le  traverser  sans 
danger.  J'ai  séjourné  dans  tous  les  ports  qu'on  y  rencontre, 
et  je  les  ai   trouvés   très-commodes  et  comparables  aux 


Voyage  au  pôle  austral.  5i5 

meilleurs  mouillages  connus.  Sur  la  oôle  nortl  de  la  plus 
occidentale  de  ces  îles  ,  on  aperçoit  plusieurs  ouvertures  ; 
la  principale  est  celle  du  port  Egmont ,  visible  à  une  assez 
grande  distance  en  mer.  Ce  port  est  immense;  mais  quand 
le  vent  souffle  avec  violence^  les  communications  ayec  le 
rivage  deviennent  très-difficiles.  I/aiicrage  le  plus  voisin 
du  port  Egmont  est  le  port  de  West- Point  (  pointe  de 
l'ouest),  situé  à  rextrémité  occidentale  de  la  terre  sud  du 
détroit  de  Berkeley.  Les  îles  de  Jason  sont  au  nord-ouest, 
sur  la  route  qui  mène  à  Touverlure  du  sud.  Il  faut  bien  se 
garder  d'y  aborder  pendant  la  nuit  ou  par  une  mer  liou- 
leuse,  parce  que  la  marée  est  si  forte  qu'elle  s'oppose  à  la 
manœuvre  des  vaisseaux.  » 

Nous  renvoyons  à  l'ouvrage  même,  les  marins  qui  vou- 
dront profiter  des  uliles  observations  de  M.  Weddeil.  L'au- 
teur a  tenu  ce  qu'il  avait  promis  ;  its  ne  pourraient  suivre  un 
meilleur  guide.  Sa  description  du  détroit  de  Berkeley  mé- 
rite d'être  étudiée  par  tous  les  navigateurs;  on  sait  que  c'est 
à  l'entrée  de  ce  bras  de  mer,  sur  un  écuei!  nommé  le  roc 
du  Volontaire  ,  qu'une  frégate  française  s'est  perdue  au 
mois  de  février  1820. 

Les  considérations  sur  les  îles  de  Shetland  du  sud  sont 
dignes  de  l'attention  générale.  Cet  archipel  a  été  découvert 
seulement  eu  1819,  par  M.  William  Smilli,  capitaine  du 
brick  le  TVilliam  ,  dans  un  voyage  de  Montevideo  à  Val- 
paraiso.  Il  occupe  l'espace  compris  entre  le  Gi"  et  le  65* 
degré  de  latitude,  le  54°  et  le  G5o  de  longitude,  et  il  se 
compose  de  douze  îles  principales  environnées  d'une  in- 
croyable quantité  de  rochers^  on  y  trouve  quelques  bous 
ports. 

La  Géorgie  du  sud  fut  découverte  par  M.  de  La  Roclie  , 
en  1G75.  Eu  175G,  elle  fut  visitée  par  un  vaisseau  nommé 
le  Lion}  mais  elle  n'a  été  bien  connue  que  par  Texpé- 
dilion  du  capiloiue  Ccok,  en   «771.  Le  rapport  officiel  de 


< 


"rT)  T^oyage  au  pôle  austral. 

cel  illustre  navigateur  engagea  beaucoup  d'ai'matears  à  s'y 
rentlre,  pour  faire  des  chargemens  tle  peaux  de  veaux  ma- 
rins et  d'huile  d'éléphaus  de  mer,  dont  il  avait  annoncé 
l'existence.  Ces  races  d'animaux  sont  presque  éteintes  au- 
jourd'hui ;  mais  j'ai  su  que  depuis  l'année  où  on  les  vit  pour 
la  première  fois ,  ou  en  avait  tant  rencontré  que  les  mar- 
chés de  Londres  avaient  reçu  plus  de  vingt  mille  ])arils  de 
leur  huile.  On  chargeait  aussi,  dans  !e  même  lems  ,  nne 
quantité  considérable  de  peaux  de  veaux  marins  3  mais  les 
Anglais  n'ayant  pas  su  les^^préparer  convenablement,  cette 
branche  de  commerce  fut  abandonnée  aux  Américains. 
Ceux-ci  les  portaient  à  la  Chine,  ovi  ils  les  vendaient  sou- 
vent citiq  et  six  dollars  la  pièce  (25  on  5o  fr.).  On  peut 
évaluer  à  douze  cent  mille  le  nombre  total  de  ces  exporta- 
tions de  la  Géorgie  du  sud.  La  longueur  de  l'île  est  d'envi- 
ron trente  lieues  ,  et  sa  largeur  moyenne  de  trois  lieues. 
Elle  est  le\\eïï\tix\\.  festonnée  par  des  baies ,  que  dans  quelques 
endroits  les  deux  bords  de  ces  petits  mouillages  paraissent 
se  toucher.  Les  cimes  des  montagnes  sont  très-escarpées  et 
toujours  couvertes  de  neiges.  Dans  les  vallées,  la  végéta- 
tion ne  manque  pas  de  force  pendant  l'été.  On  y  remarque 
surtout  une  espèce  de  fourrage,  dont  les  liges  ,  très-vigou- 
reuses ,  s'élèvent  communément  h  deux  pieds  de  hauteur. 
Il  n'y  a  point  de  quadrupèdes  ,  mais  l'île  est  peuplée  d'oi- 
seaux et  d'animaux  amphibies. 

«  Les  pingoins ,  dont  le  nom  vient  du  latin  pijiguedo , 
sans  doute  à  cause  de  leur  embonpoint,  marchent  ordinai- 
rement en  Ix'oupes.  On  voit  ces  oiseaux  se  promener  sur  le 
rivage  avec  une  contenance  fière  ,  la  tête  haute,  comme  les 
paons  ,  auxquels,  d'ailleurs  ,  leur  plumage  ne  saurait  être 
comparé.  Lorsqu'on  les  aperçoit  de  loin,  par  un  ieras  né- 
buleux, on  les  prendrait  pour  un  corps  de  soldats.  C'est 
ce  qui  trompa  probablement  Sir  John  Narboroug,  lors- 
(ju'il  l<\s  comparait  fnncmr<nt  v  à  des  bnndrs  d'enfans  pnr- 


J'^oyage  au  pôle  austral.  3 1 'j 

îaiit  des  tabliers  blancs.  »  Toutefois ,  ceux  qu'il  a  décrits  ne 
sont  qu'une  espèce  bien  iL-férlenre  au  piogoin-roi  dont  il  est 
question  ici. 

»  Ceux-ci  ont  l'air  de  se  fuir  au  moment  de  la  mue,  à 
cause  du  triste  état  où  leur  plumage  est  réduit;  mais  lors- 
qu'ils ont  retrouvé  cette  parure,  iis  se  rapprochent,  et  re- 
prennent leur  genre  de  vie  accoutumé.  C'est  une  chose 
véritablement  amusante ,  que  de  les  voir  s'admirer  eux- 
mêmes  avec  complaisance,  et  visiter  leurs  ailes  avec  soia 
pour  en  écarter  les  plus  légères  souillures.  Au  commence- 
ment de  janvier,  ils  pondent  et  couvent  leurs  œufs.  Pen- 
dant le  lems  de  !a  couvée,  le  mâle  est  très-assidu,  et 
lorsqTic  la  femelle  quille  le  nid,  c'est  lui  qui  la  remplace. 
Lorsqu'ils  n'ont  point  de  nid  ,  ils  prennent  les  œufs  avec 
précaution  et  les  placent ,  en  s'aldanl  mutuellemeat ,  entre 
leur  queue  et  leurs  cuisses.  On  remarque  chez  la  femelle  , 
une  espèce  de  poche  destinée  à  cet  usage. 

»  La  mère  s'occupe  de  l'éducation  des  petits  pendant 
près  de  douze  mois ,  durant  lesquels  ils  ont  le  tems  de  re- 
nouveler et  de  compléter  leur  plumage.  Lorsqu'il  s'agit  da 
leur  apprendre  à  nager,  elle  use  quelquefois  d'artifice  ;  si  le 
petit  refuse  d'aller  à  l'eau  ,  elle  le  conduit  sur  le  bord  d'uu 
rocho^r  et  le  précipite  avec  elle  dans  la  mer,  jusqu'à  ce  qu'il 
s'y  plonge  de  lui-même. 

»  L'albatros  (le  diomedia  de  l'ornithologie  méthodique), 
est  un  oiseau  qui  a  élé  souvent  remarqué  par  nos  naviga- 
teurs au  sud  du  cap  de  Bonne-Espérance  et  dans  les  lati- 
tudes australes  ;  mais  comme  on  en  rencontre  une  quantité 
prodigieuse  dans  l'île  de  Géorgie  ,  il  me  semble  naturel  de 
citer  ici  quelques-unes  de  ses  habitudes,  qui  sont  véritable- 
ment singulières.  L'albatros  a  seize  ou  dix-sept  pieds  d'en- 
vergurej  il  est  si  abondamment  revêtu  déplumes,  que 
lorsqu'on  l'en  a  dépouillé,  il  présente  à  peine  la  moitié  du 
volume  qu'il  avail  auparavant. 

Jl.  3y 


5 18  T^ojage  au  pôle  auxiral. 

«  Rieu  n'est  plus  amusant  que  leur  manière  de  faire  Fa- 
mourj  le  mâle  et  la  femelle  se  dirigent  l'un  vers  l'autre 
avec  de  grandes  cérémonies  ,  remuent  leur  bec  en  cadence, 
secouent  leur  tête,  et  semblent  se  contempler  avec  une 
attention  profonde.  Ce  manège  se  prolonge  quelquefois 
pendant  deux  heures,  et  ne  manque  pas  de  ressemblance 
avec  la  pantomime  des  amans.  Les  albatros  ont  beaucoup 
deforcedansle  bec,  et  je  les  al  vus,  même  dans  leurs  nids, 
se  défendre  vigoureusenient  contre  les  attaques  d'un  cbleiu 
Leurs  pieds  sont  palmés,  et  tellement  larges  que,  lorsque 
la  mer  est  tranquille,  ils  se  promènent  sur  sa  surface,  en 
agitant  légèrement  leurs  ailes  dont  le  bruit  s'étend  à  une 
distance  considérable.  La  qualité  de  leurs  œufs  est  infé- 
rieure à  celle  des  œufs  d'oie  ;  Us  ont  moins  de  jaune  et  plus 
d'albumine,  en  proportion  de  leur  grosseur j  ils  pèsent 
environ  une  livre  et  trois  quarts.  Tous  les  albatros  et  les 
oiseaux,  de  cette  espèce  pondent  au  mois  d'octobre,  et  leui'S 
œufs  sont  d'une  grande  ressource  pour  les  navigateurs.  » 

Après  avoir  parfaitement  décrit  les  îles  Falklaud  et  la 
Géorgie  du  sud,  M.  Weddell  introduit  ses  lecteurs  dans 
la  Torre-de-Feu.  Cette  conlrée  si  peu  connue  et  si  digne 
de  l'être ,  puisque  ses  côtes  se  trouvent  sur  la  route  qui 
mène  au  Chili  et  au  Pérou,  mérite  cependant,  à  plusieurs 
égards  ,  d'exciter  la  curiosité  européenne.  «  Les  îles  qui  la 
composent,  dit  l'auteur,  occupent  un  espacé  de  plus  de  cent 
vingt  lieues  de  l'est  à  l'ouest ,  le  long  .du  détroit  de  Magel- 
lan ;  leur  largeur  est  d'environ  cinquante-cinq  lieues,  de- 
puis le  détroit  jusqu'à  l'extrémité  du  cap  Horu.  Ce  pays 
contient  une  population  considérable,  principalement  sur 
les  bords  du  détroit.  On  aperçoit,  dms  l'iniérleur,  quel- 
ques sommets  de  montagnes  toujours  couverts  de  neige , 
quoique  le  plus  élevé  ne  paraisse  p." s  avoir  plus  de  trois 
mille  pieds  de  hauteur.  La  longueur  des  jours  d'été  produit 
un  elTt  t  ravissant ,   pî.  lorsque  le  tems  est  beau  et  la  mer 


Voyage  au  pôle  austral.  5ig 

tranquille,  les  paysages  ont  un  aspect  extrêmement  pit- 
toresque. Le  volcan,  observé  déjà  plusieurs  fois  par  des 
voyageurs  qui  doublaient  le  cap  Horn,  n'e'lait  pas  visible 
à  cette  époque  j  mais  j'ai  ramassé  une  grande  quantité  de 
laves  qui  doivent  en  être  les  produits.  Le  capitaine  Basî'e 
Hall  l'aperçut  tout  embrasé  en  iB-aa  ,  lors  de  son  passage 
au  cap,  sur  le  vaisseau  de  Sa  Majcsié ,  le  Conway^  et  moi- 
même ,  en  1820,  lors  de  mon  premier  voyage,  j'ai  vu  le 
ciel  tellement  rouge  au-dessus  de  la  Terre-de-Fea ,  que  je 
ne  puis  attribuer  ce  phénomène  qu'à  une  éruption  volcani?- 
que.  Le  climat  de  cette  contrée  a  été  décrit  très-diversement 
par  les  voyageurs  ,  selon  l'époque  où  ils  l'ont  visitée.  Le 
fait  est  que  la  température  y  dépend  beaucoup  de  l'intluence 
des  vents  i  car  au  milieu  de  l'été ,  quand  le  vent  souffle  du 
pôle ,  le  thermomètre  ne  s'élève  qu'à  deux  ou  trois  degrés 
au-dessus  de  glace ,  tandis  que  lorsqu'il  souffle  de  la  ligue  , 
le  tems  devient  aussi  cliaud  qu'au  mois  de  juillet,  en  An- 
gleterre. Je  n'ai  vu  de  quadrupèdes  que  des  chiens  et  des 
loutres ,  et  je  ne  pense  pas  qu'il  y  en  ait  daulres  au  sud  du 
détroit  de  Magellan. 

»  Le  Jaiie  et  le  Beaiifvoy  mouillèrent  dans  la  petite  cri- 
que de  Saint-Martin,  où  nous  reconnûmes  les  sauvages  à 
leurs  cris  et  à  une  foule  de  gestes  qui  étaient  des  signes 
d'amitié.  Comme  ils  ramaient  à  quelques  mètres  du  na- 
vire, j'invitai  les  hommes  de  l'équipage  à  leur  rendre  ces 
témoignages  de  bienveillance,  pour  les  décider  à  venir  à 
bord  j  mais  ils  commencèrent  par  s'y  refuser.  Il  y  avait  de 
la  surprise  et  de  l'agitation  dans  leur  manière  d'être  ,  car  ils 
ne  cessèrent  de  s'entretenir  vivement  entr'eux  pendant  ua 
grand  quart  d'heure.  Peu  à  peu  l'ellVoi  que  nous  leur  ins- 
pirions s'élant  calmé,  ils  ramèrent  tout  autour  et  très-près 
du  vaisseau ,  paraissant  tout-à-fait  inccrtaius  si  c'était  une 
masse  inerte  ou  animée  ;  et  quoiqu'ils  en  pussent  juger  fa- 
cilement par  analogie  avec  leurs  chaloupes,  leur  intelli- 


3'iô  Voya<^e  an  pôle  austral. 

^ence  n'alla  point  jusque-là.  Enfin  ,  après  s'être  famiiiari»- 
ses  avec  notre  présence ,  ils  se  hasardèrent  à  monter  sur  le 
pont.  Les  deux,  ou  trois  premiers  qui  se  présentèrent  avaient 
si  mauvaise  mine ,  que  je  crus  leur  rendre  sen'ice  en  leur 
offrant  à  boire  et  à  raaoger.  Je  leur  fis  servir  du  bœuf, 
du  pain  et  du  viu  :  ils  mangèrent  un  pevi  de  bœuf,  mais 
ils  ne  voulurent  pas  toucher  au  pain ,  cl  i!s  refusèrent  le 
vin  de  Madère. 

»  Je  m'aperçus  ([u'ils  laissaient  prudemment  leurs  fem- 
mes dans  les  canots  ,  et  je  n'en  fus  point  fâché  ,  parce  que 
la  jalousie  extrême  des  sauvages  aurait  pu  rendre  leur 
présence  très-désagréable  sur  le  navire.  Toutefois,  je  crus 
devoir  leur  faire  une  galanterie ,  et  je  leur  offris  du  vin 
dans  une  coupe  vernie  :  mais  ce  petit  ustensile  leur  parut 
tellement  précieux  que,  dans  leur  admiration  ,  elles  répan- 
dirent le  vin  qui  était  contenu,  et  le  iendemain  j'aperçus 
les  morceaux  de  ma  coupe  suspendus  au  cou  de  toutes  ces 
dames. 

»  Les  hommes  paraissaient  surpris  de  tout  ce  qu'ils 
voyaient ,  et  le  fer  surtout  captivait  leur  attention.  Une 
barrique  de  fonte ,  qui  pouvait  contenir  sept  à  huit  cents 
litres  d'eau,  les  effraya  tellement  qui.ls  n'osèrent  pas  eu 
approcher.  A'^oyant  leur  goût  pour  ce  métal,  je  fis  présent 
à  chacun  d'eus  d'un  cercle  de  fer,  dont  j'avais  une  grande 
provision  à  bord. 

»  Le  lendemain  niatin,  au  lever  du  soleil,  ils  accouru- 
rent vers  le  vaisseau  ,  et  témoignèrent ,  par  de  grands  cris 
de  joie,  le  désir  qu'ils  avaient  de  nous  voir.  J'avais  donné 
l'ordre  qu'on  ne  les  laissât  pas  monter  jusqu'à  ce  que  tous 
les  matelots  fussent  rendus  sur  le  pont ,  ce  qui  avait  lieu 
ordinairement  à  quatre  heures.  En  peu  de  tems ,  nous  vî- 
mes approcher  un  iroisième  canot,  qui  s'arrêta  à  quelque 
dislance  du  navire,  et  cette  arrivée  nous  fil  supposer  que 
les  nouveaux  venus  avaient  été  informés,  par  les  conipa- 


Voyage  au  pôle  austral,  52 1 

Irioles,  clu  bon  accueil  que  nous  leur  avions  fait.  Le  nom- 
bre des  visiteurs  s'élevait  à  vingt-deux,  hommes,  femmes 
et  enfans.  Je  leur  montrai  les  cabines  et  les  différens  oljjets 
d'ameublement ,  parmi  lesquels  un  poêle  et  des  miroirs  pa- 
rurent exciter  leur  admiration.  Ils  se  regardaient  avec  em- 
pressement, et  faisaient  devant  ces  miroirs  une  foule  de 
grimaces  qui  nous  dlverùssaient  beaucoup. 

»  Lorsqu'ils  revinrent,  ils  étaient  tous  en  costumes  di- 
vers, les  uns  revêtus  de  plumes  Lieues,  les  autres  peints 
en  noir  de  ]aisj  quelques-uns,  parmi  les  hommes  surtout, 
avaient  la  face  sillonnée  de  lignes  parallèles  rouges  et 
blanches.  Dans  cet  étal ,  ils  présentaient  une  physionomie 
si  grotesque,  que  nous  ne  pouvions  nous  empêcher  d'en 
rire  jusqu'aux  larmes.  Ils  étaient  devenus  très-familiers,  et  ' 
ils  nous  accordaient  volontiers  tout  ce  que  nous  leur  de- 
mandions; trop  heureux,  îorsqu'en  échange,  nous  leur 
donnions  quelques  cercles  de  fer  dont  ils  faisaient  si  graud 
cas.  Ces  petites  transactions  leur  ayant  inspiré  l'amour  du 
gain  ,  ils  trouvèrent  plus  simple  de  voler  ce  qui  était  à  leur 
convenance,  et  nous  eûmes  occasion  d'observer  par  hasard 
leur  penchant  à  l'imitation  ,  à  l'occasion  d'une  de  leurs  fri- 
ponneries. 

»  Un  matelot  avait  donné  à  l'un  d'eux  un  pot  d'élain 
plein  de  café,  qui  celui-ci  but  sur-le-champ,  et  il  garda 
le  pot.  Le  matelot ,  s'apercevant  que  son  pot  avait  disparu  , 
le  demanda  vivement,  et,  malgré  l'énergie  de  sou  geste, 
personne  ne  se  présentait  pour  restiiuer  l'objet  volé.  Après 
avoir  employé  tous  les  moyens  imaginables,  cet  homme  , 
furieux  et  prenant  une  attitude  tragique,  s'écria  d'un  ton 
anime  :  «  Canaille  cuivrée,  qu'as-tu  fait  de  mon  pot  ?»  Le 
sauvage,  imitant  aussitôt  son  attitude,  redit  en  anglais,  et 
sur.  le  même  ton  :  «  Canaille  cuivrée,  qu'as-lu  fait  de  mou 
»  pot?  »  L'imitation  fut  si  exacte  et  .si  prompte  ,  que  tout 
l'équipage  en   (iclala  de  rire,  excepté  le  matelot  qui  s'é- 


5a2  Voyage  au  pôle  austral.  "■ 

lança  sur  le  voleur,  le  fouilla  et  retrouva  son  pol  trétain. 
M.  Brisbane  intervint ,  et  fit  cesser  ce  difTcrend  en  ren- 
voyant le  fripon  de  son  bord,  » 

M.  Weddell  repre'sente  les  habitans  de  la  Terre-de-Fou 
comme  lout-à-fait  misérables.  Yivant  sous  un  climat  se'vère, 
et  dans  un  pays  de  montagnes  presque  stériles  ,  ces  infortu- 
nés sont  dans  un  état  d'abrutissement  inexprimable  j  leurs 
îles  nourrissent  fort  peu  de  quadrupèdes  j  ils  n'ont  pas 
même  la  ressource  de  la  cbasse,  et  leurs  occupations  s■^ 
bornent  à  pêcber,  quand  la  saison  le  permet.  Ils  ne  parais- 
sent avoir  aucune  espèce  de  croyance  religieuse.  Ils  sont 
doux  et  même  timides,  et  le  seul  bruit  d'un  coup  de  canon 
répandit  la  terreur  parmi  eux.  Ils  se  procurent  du  feu  en 
frottant  vivement  des  fragmens  de  pyrites  contre  le  silex  , 
et  en  recueillant  les  élincelles  sur  une  substance  sèche, 
analogue  à  la  mousse.  Leurs  armes  sont  l'arc,  la  fionde 
et  une  sorte  de  lance  armée  d'un  os  poiatu.  Nous  n'avons 
remarqué  chez  eux  ni  clief,  ni  maîlre  quelconque;  leurs 
rapports  paraissent  d'une  nature  très  -  bienveillante ,  et 
l'on  eût  dit  que  tout  était  commun  enlr'eux.  — Mais  nous 
avons  assez  fait  connaître  riutérèt  répandu  sur  toute  cette 
narration,  pour  donner  à  nos  lecteurs  le  désir  de  l'étu- 
dier dans  l'ouvrage  de  M.  Weddell.  Nous  pouvons  assu- 
rer qu'il  est  peu  de  livres  écrits  avec  plus  de  sagesse ,  de 
franchise  et  de  simplicité. 

[Literary  Gazette.) 


SCÈNES  ET  IMPRESSIONS  Eîs  EGYPTE  (i). 


Sous  le  titre  de  Scènes  et  impressions  en  Egypte  et  en 
Italie^  l'aimable  auteur  des  Esquisses  de  l'Inde  (2),  a 
rendu  compte  du  voyage  qu'il  a  fait  de  Bombay  à  Douvres, 
à  son  retour  dfs  possessions  de  la  Compagnie.  Celle  nou- 
velle production  nous  paraît  encore  supérieure  à  la  pre- 
mière :  les  descriptions  y  sonlplus  aciievéesj  le  sentiment 
poélique  y  est  plus  vivement  empreint  ;  ks  réflexions  qu'on 
y  rencontre  sont  d'un  ordre  plus  cievé  ;  et  les  sujets  qui 
y  sont  traités  présentent,  en  général  j  plus  de  variété  et 
d'intérêt.  Il  nous  sera  facile  de  justifier  nos  éloges  par  des 
citations  que  nous  emprunterons  exclusivement  à  la  pre- 
mière partie;  car  Tllalie  a  été  si  souvent,  et  quel([uefois 
si  bien  décrite,  que  la  seconde,  quel  qu'en  soit  d'ailleurs 
le  mérite,  doit  nécessairement  offrir  un  attrait  moins  vif  à 
la  curiosité. 

Ce  fut  eu  1822  ,  que  l'auleur  quitta  l'Hindostan  et 
sembarqua  sur  un  bâtiment  frété  pour  la  Mer  B.ouge.  La 
description  qu'il  a  faite  de  ce  bâtiment  nous  paraît  fort 
heureuse  :  / 

"  Notre  vaisseau ,  par  sa  construction  grossière  ,  devait 
ressembler  parfaltemeut  à  ceux  qui,  dans  i'anliquité  et  dans 
les  tems  postérieurs ,  apportaient  les  riches  cargaisons  de 
l'Inde  aux  rois  grecs  de  l'Egypte,  aux  préfets  que  les  Ro- 
mains y  envoyaient,  et  aux  cailfes  arabes.  Il  était  muni 
d  un  compas  et  d'une  ]jousso!e,  et  noire  nakhoda,  ou  pi- 
lote, faisait  tous  les  jours  ses  observations  avec  une  barbe 
aussi  noire  et  aussi  longue  que  ceile  d'un  magicien  ,  et  une 
solennité  au  mcfins  égale.  Mais,  quoique  ces  peuples  aient 

(i)  Scènes  and  Impression  in  Ej^ypt  and  in  Ilaly.  London  ,  182^. 
(■.>.)  Vove7,  l'extrait  des  Es'/uisses  de  V  Inde ,  dans  la  première  livrai- 
jon  du  orcmicr  volume. 


52  J  Scènes  et  Impressions 

atloplé  ces  iovenllous  tîes  injidèles  ,  ils  construisent  et  ils 
équipent  leurs  navires  tout  aussi  mal  qu'ils  le  faisaient  ja- 
dis. Le  nôtre  avait  un  gouvernail  qu'il  était  très-cliflficile  de 
manier;  mie  e'norme  voile  suspendue  à  une  vergue  d'une 
longueur  démesurée ,  que  les  efforts  de  cinquante  hommes 
ne  hissaient  qu'avec  peine  au  haut  du  grand  mât.  Quant  au 
mât  d'artimon,  il  était  si  petit  qu'à  peine  aurait-il  pu  con- 
venir à  un  bateau  pêcheur.  Notre  cargaison  consistait  en 
balles  de  colon  ,  entassées  sans  précaution  les  unes  sur  les 
autres,  à  une  grande  hauteur;  on  eût  dit  que  notre  na- 
vire était  une  portion  du  quai,  violemment  détachée  du 
rivage  par  quelque  convulsion  de  la  nature,  et  emportée 
sur  les  eoux.  avec  toutes  les  marchandises  dont  elle  était 
couverte.  »^ 

,  Ce  n'est  pas  avec  moins  de  bonheur  qu'il  peint  l'équipage 
et  les  divers  passagers  qui  se  trouvaient  à  bord.  Dans  le 
nombre  ,  il  y  avait  plusieurs  femmes;  mais  notre  voyageur 
ne  les  entendit  et  ne  les  vit  pas  une  seule  fois  ('ans  tout  le 
cours  de  la  traversée.  Leur  réclusion  était  si  complète  , 
qu'une  d'enlr'ellcs  mourut  et  fut  jetée  à  la  mer,  et  que  les 
passagers  n'apprirent  cet  événement  que  plusieurs  jours 
après  qu'il  avait  eu  lieu.  Comme  elles  étaieut  ensemble , 
leurs  maris  ne  pouvaient  même  pas  communiquer  avec 
elles;  il  n'y  avait  qu'un  eunuque,  qui  faisait  leur  cuisine, 
qui  eût  accès  dans  leur  chambre. 

«  C'était  avec  une  vive  satisfaction,  dit  notre  voyageur, 
que  je  considérais  tout  ce  qui  se  passait  autour  de  moi ,  cl 
le  souvenir  de  quelques-unes  des  scènes  dont  jai  été  le  té- 
njoin ,  ne  sortira  jamais  de  ma  mémoire.  J'éprouvais  une 
émotion  toujours  nouvelle,  lorsqu'à  l'heure  paisible  du  soir, 
les  Arabes  se  réunissaient  pour  la  prière ,  tandis  que  le 
vent  nous  entraînait  avec  rapidité  à  travers  les  flots  ,  qu'il- 
luminaient les  feux  du  soleil  couchant,  et  qui  ,  après  avoir 
loncbé  le  navire  en  se  soulevant .   se  dérobaient  sous   lui. 


eji  E^yple,  "^5 

truand  je  voyais  tous  les  passagers  profondénieut  inclines 
vers  la  terre,  et  que  j'entendais  cei  aineen  prolongé,  en- 
tonné, en  méTue  tcms ,  par  leurs  vois,  graves  et  fortes,  je 
joignais  involontairement  à  la  leur  nia  prière  silencieuse. 
Il  y  avait,  dans  les  formes  à  la  i'ois  simples  et  solennelles 
de  leur  culte,  quelque  chose  qui  rappelait  vivement  l'âge 
et  le  {  aysdes  patriarches.  » 

Il  relâcha  heureusement  à  Moka  ,  dont  il  lait  une  pein- 
ture agréable  ,  et  s'embarqua  ensuite  pour  Djedda.  Chaque 
nuit,  ils  jetaient  l'ancre  près  du  rivage,  et .  ordinairement, 
on  permettait  aux  [  assagers  de  se  promener  pendant  une 
lieuie  dans  le  désert.  La  description  suivante  da  chameaii 
est  le  fruit  d'une  de  ces  excursions. 

«  A  l'heiire  où  le  soleil ,  à  son  coucher,  colore  le  désert 
d'un  rouge  ardent,  c'est  un  spectacle  curieux  de  voir  paître 
le  chameau.  Je  me  plaisais  à  considérer  la  forme  élancéf^ 
de  celui  que  j'avais  sous  les  yeux,  son  allure  indoîeute  , 
son  grand  col  d'autruche,  tantôt  incliné  vers  la  terre  et 
tantôt  élevé  dans  toute  sa  longueur,  lorsqu'il  regardait  ce 
qui  se  passait  autour  de  lui,  avec  une  curiosité  lranqulli(% 
Il  n'est  guère  possible  tic  voir  un  chameau,  sans  que  ,  par 
une  transition  naturelle ,  vous  ne  soyez  amené  à  sonrer  à 
l'enfance  du  monde,  à  ces  rois  pasteurs,  à  leurs  tentes  ,  à 
leurs  trésors  champêtres  ,  à  leurs  courses  et  à  leurs  stations 
dans  le  désert.  I/heure,  la  scène  qui  s'oflVait  à  moi  dans  le 
lointain,  la  majesté  extraordinaire  de  cette  chaîne  irrégu- 
lière de  montagnes  hautes  et  sond)rcs ,  qui  se  terminait 
au  cap  de  Ras  el  Askar;  tout  concourait  à  entretenir  et  à 
augmenter  mon  émotion.  >> 

A  Djedda,  il  eut  une  audience  de  l'Aga.  Voici  en  quels 
termes  il  en  rend  compte. 

«  Ruslan   Aga  était  ua  homme  de  bonne  mine,   d'une 
physionomie   fière  et  martiae;  il  avait  des   niouslnche.s , 
JX-  5o 


5u6  Scènes  et  Impressions 

mais  point  de  barbe  ;  sa  robe  était  d'un  rouge  écarlale. 
Hussein  Aga,  assis  à  sa  gauche,  avait  un  beau  profil  et 
îine  longue  barbe  grise 3  un  ruban  noir  cachait  la  place 
d'un  œil  qu"il  avait  perdu  5  il  était  vêtu  d'une  robe  d'un 
bleu  pâle.. A  la  droite  de  l'Aga,  se  trouvait  Araby  lel- 
lanny,  vieillard  fort  âgé ,  qui  avait  un  air  simple  et  véné- 
rable. Les  autres  individus  qui  étaient  dans  rappartement , 
portaient  des  vestes  courtes  et  de  larges  pantalons  d'un 
brun  foncé;  le  manche,  surchargé  d'ornemens ,  de  leurs 
pistolets,  sorlait  de  leurs  ceintures  cramoisies  ;  leurs  sabres 
recourbés  pendaient  devant  eux  ,  soutenus  par  un  cordon 
d'argent;  ils  avaient  dés  turbans  blancs  ,  de  larges  mousla- 
ehes  ,  mais  leur  menton  était  rasé  avec  soin.  Leur  teint 
était  pâle,  comme  l'est  en  général  celui  des  hommes  qui  vi- 
vent dans  la  réclusion.  Leurs  bras  étaient  ployés ,  et  leurs 
yeux  étaient  fixés  sur  nous;  ils  étaient  au  moins  une 
douzaine.  Je  n'ai  rien  vu  de  semblable  ,  même  en  Egyple  ; 
car  Dj'edda  est  un  excellent  gouvernement,  à  cause  du  voi- 
sinage de  la  Mecque ,  et  l'appareil  qui  environnait  Rustan 
Aga  avait  quelque  chose  d'imposant.  Il  a  le  droit  de  vie  et 
de  mort;  s'il  eût  dit  un  mot  ou  fait  un  signe,  tous  ces 
hommes  qui  nous  regardaient  avec  des  physionomies  si 
paisibles  ,  si  pâles,  si  respectueuses  ,  auraient  souri  et  nous 
auraient  égorgés. 

»  C'est  ici  que  j'eus  occasion  de  voir,  pour  la  première 
fois,  un  scribe  copte  :  sa  robe,  son  turban  ,  ses  babouches^ 
ses  larges  pantalons,  en  un  mot,  tout  son  accoutrement 
annonça-it  un  homme  d'un  rang  élevé  ;  il  portait  son  écri- 
toire,  qui  est  tantôt  en  argent  et  tantôt  en  cuivre  .  dans 
les  plis  de  sa  ceinture  ,  comme  un  poignard.  Lorsqu'on  lui 
dit  de  s'en  servir,  il  tire  une  feuille  de  papier  de  dessus  sa 
];oilrine,  la  coupe  avec  des  ciseaux,  et  écrit  sur  ses  genoux 
la  lettre  qu'on  lui  dicte.  Lorsqu'elle  est  terminée,  il  la  pré- 


iente  à  Tapprobalion  tle  celui  qui  l'a  diclée ,  qui  la  lui  rend 
ensuite  d'un  air  insouciant  et  hautain,  et  lui  jette  son  an- 
neau pour  la  sceller.  » 

Le  soldai  turc  nous  paraît  très-bien  peint  dans  le  passage 
suivant  : 

«  Les  soldats  turcs  excitaient  surtout  ma  curiosité  à 
Djedda  ;  il  y  en  avait  dans  cette  ville  un  corps  considé- 
rable; c'était  une  divbion  de  rarinée  envoyée,  il  y  a  deux 
ou  trois  ans,  par  Mobammed-Ali ,  contre  les  Wechabites. 
On  eu  rencontrait  de  tous  les  côtés;  les  uns  circulaient 
isolément  ou  par  groupes,  dans  les  allées  du  bazar;  les 
autres  étaient  accroupis  ou  étendus  sur  les  bancs  des  cafés. 
Plusieurs  portaient  des  turbans  et  des  vestes  à  manches 
couvertes  de  broderies  ternies;  mais  la  plupart  n'avaient 
qu'un  simple  gilet,  un  petit  bonnet  et  des  bas  rouges  qui 
ne  couvraient  pas  leurs  genoux,  et  une  chemise  dont  les 
larges  manches,  souvent  retroussées  jusqu'à  l'épaule,  lais- 
saient voir  des  bras  velus  et  nerveux;  tous  avaient  des  pis- 
tolets dans  leur  ceinture.  Il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  leur 
teint  et  leurs  traits  présentassent  un  aspect  uniforme;  un 
grand  nombre  avaient  des  yeux  d'une  couleur  claire;  leur 
moustache  était  en  général  d'un  jaune  sale  :  ou  eût  dit 
qu'elle  avait  été  brûlée  par  l'ardeur  du  soleil.  Quant  à  leur 
regard  ,  il  était,  comme  celui  du  tigre,  à  la  fois  indolent 
et  féroce. 

»  Le  soldat  turc  peut  s'asseoir,  fumer  et  dormir  pendant 
deux  ou  trois  ans  consécutifs;  il  hait  le  mouvement  et  mé- 
prise la  discipline.  Quelquefois  cependant  il  est  capable  des 
plus  grands  efforts  ,  et,  après  un  long  l'epos,  il  se  précipite 
sans  crainte  au  milieu  du  carnage ,  en  poussant  ses  clameurs 
guerrières.  Les  troupes  de  Djedda  avaient  d'abord  été  en- 
voyées de  Coustanlinoplc  en  Egypte,  cl  elles  étaient  égale- 
ment familiarisées  avec  les  neiges  de  la  Thrace  et  le  soleil 
de  l'Arabie.  Plusieurs  des  hommes  que  je  rencontrais   s'é- 


2b  Scènes  et  Imprcssiûiis 

talent  ballus  successlvemeut  sur  les  bords  du  Danube  contre 
les  Rosses  enveloppés  de  fourrures,  et,  dans  les  plaines  de 
riïedjas,  coulre  les  soldais  nus  des  seciatcurs  de  Wabab. 
Ce  sont  des  bomuies  semblables  qui  ont  égorgé  ,  dans  la 
Grèce,  les  paisibles  habitans  de  Scio  j  et  tels  étaient  aussi  , 
1  Europe  cbrélienne  aurait  dû  se  le  rappeler,  ceux,  qui ,  il 
y  a  moins  d^m  siècle,  vinrent  canipcr  sous  les  murs  de 
Vienne.  » 

Après  un  court  séjour  à  Djedda ,  notre  voyageur  s'em- 
barqua pour  Rosseïr,  d"oii  il  se  rendit  à  Thèbes  ,  en  traver- 
sant le  désert.  Le  récit  de  sou  voyage  dans  le  désert  est  îi 
la  fois  rapide,  pittoresque  et  poétique. 

«  La  route  ,  à  travers  le  désert,  offre  plus  d'iutérêt  qu'on 
ne  serait  tenté  de  le  croire;  et  il  serait  difîicile  d'en  trou- 
ver une  plus  belle.  Elle  est  large,  ferme,  et  pendant  les 
deux  tiers  de  la  distance  qui  sépare  Kosscïr  de  Tbèbes,  elle 
serpente  à  travers  des  rocbcrs  qui  tantôt  s'éièvent  perpen- 
diculairement de  cbaque  côté  du  voyageur,  comme  s'ils 
avaient  été  dressés  par  l'art;  et  tantôt  projetant  en  avant 
leurs  formes  irrégulières,  re^semb  ent  aux.  rivages  d'un 
grand  fleuve  dont  le  lit  serait  desséclié.  Quelquefois  ces  ro- 
chers bornent,  de  toutes  parts,  votre  vue,  et  quelquefois 
vous  vovez  devant  vous  une  longue  vallée  dominée  par  des 
hauteurs  au-dessus  desquelles  s'élèvent  de  petites  tours 
carrées.  Il  était  tard  lorsque  nous  nous  arrêtâmes  pour 
prendre  du  repos,  dans  un  endroit  qu'environnaient  des  ro- 
ches deuteléf  s ,  et  qui  ofFrait  l'aspect  d'une  baie  abandoimée 
par  la  iner  :  ses  flots  auraient  pu  se  développer  sans  efforis 
sur  celle  vallée  de  sables  ,  et  y  bercer  mollement  le  marin 
faliguc  par  la  teujpète.  La  rosce  du  soir  avait  été  abondante; 
nous  dressâmes  notre  tente,  et  nous  convînmes  de  nous 
mettre  en  roule,  le  jour  suivant,  de  grand  matin,  afin 
de  jjouvoir  nous  arrêter  avant  l'heure  brûlante  de  midi. 
Lorsque,  le  lendeu^-ain,  nous   nous  disposions  à  partir,  il 


en  Egypte.  5'ig 

faisait  encore  naît  et  presque  foid.   Mon  cliaînenu,  impa- 
tient de  se  l'élever,  faillit  me  faire  tomber,  en  se  secouant 
pour  se  réchaufi'er,  avant  que  je  fusse  bien  assis.  Ces  ani- 
maux marcbent  plus  vite  la  nuit  que  le  jour,  et  ils  mar- 
quent fortement  sur  le  sol  l'empreinte  de  leurs  pieds  calleux. 
Pendant  mon  voyage  dans  le  désert ,  la  lune  était  à  son 
déclin.  Il  n'y  avait  pas  long-tems  que  nous  avions  quitté 
notre  dernière  station,  lorsqu'elle  parut  au-dessus  des  col- 
lines qui  se  trouvaient  à  notre   gaucbe  :  elle  avait  Tappa- 
rence  d'un  fer  rougi  au  feu  5  mais  en   s'élevaut  sur  l'azur 
foncé   du   ciel ,  elle   reprit  peu  à   peu  ses  tous  argentés. 
Cette  belle  planète  a ,   pour  le   voyageur,    surtout  quand 
c'est  rOrieut  qu'il  parcourt,  un  attrait  qu'elle  ne  saurait 
avoir  pour  celui  qui  n'a  pas  quitté  ses  foyers  domestiques  : 
elle  peut  l'appeler  à  ce  dernier  le  souvenir  de  ses  rêves  d'a- 
mour ou  de  quelque  sérénade  nocturne  donnée  sous  des  ja- 
lousies enlr'ouverles  ;   mais  quel  bien  ne  fait-elle  pas  au 
militaire  en  sentinelle;  au  marin,  de  quart  sur  un  navire, 
ou  au  voyageur  solitaire  dont  elle  éclaire  et  dont  elle  chai-me 
la  route  ! 

»  Je  ne  conçois  pas,  lorsqu'on  a  voyage  dans  le  désert, 
que  l'on  soutienne  que  tout  y  est  stérile  et  inanimé.  Dès  le 
matin  ,  la  perdrix  et  le  pigeon  viennent  voltiger  à  vos  pieds; 
et  cliercber  leur  nourriture  sur  le  sentier  battu  pur  ie  cha- 
meau ;  ils  ne  sont  pas  timides,  car  ils  n'ont  pas  anpr^s  à 
craindre  l'homme  qui  traverse  ces  solitudes.  Comment ,  en 
effet,  le  camelier  ou  le  ciiasseur  j^iourraient-ils  avoir  le  cœur 
assez  dur  pour  tuer  ces  aimables  babilans  du  désert  ?  Je  ne 
vis  qu'un  seul  daim  ,  mais  c'était  de  très-loin  qu'il  suivait  la 
trace  de  nos  chameaux;  il  s'arrêta  un  instant,  avança  la 
tête  pour  écouter,  puis,  franchissant  la  route  ,  il  s'éloigna 
avec  rapidité  et  se  dirigea  probablement  vers  quelque  source 
qui  jaillit  peut-être  dans  un  endroit  où  l'Iiomuie  n'a  pas  en- 
core porté  ses  pas.  » 


55o  Scènes  et  Impressions 

Notre  auteur  n'a  pas  peint  avec  moins  de  vivacité  et  de 
fraîcheur  le  moment  où  il  sortit  Au  désert. 

«  C'était  à  la  pointe  du  jourj  le  soleil  commençait  à  ré- 
pandre ses  tons  d'un  jaune  d'or  sur  les  sables  blancliâlres 
du  désert  :  je  marchais  seul,  les  yeux  diriges  vers  la  terre, 
mi  peu  en  avant  de  mes  compagnons,  lorsqu'un  cri  qu'ils 
poussèrent  me  faisant  sortir  de  ma  rêverie,  je  relevai  la 
tète  et  j'aperçus  ,  à  travers  les  légers  brouillards  du  matin  , 
dans  un  lointain  vaporeux  et  magique ,  un  vallon  couvert 
de  verdure  :  c'était  la  terre  d'Egypte  !  Nous  nous  avançâmes 
d'un  pas  rapide  en  regardant  la  scène  étalée  devant  nous. 
Dans  moins  d'une  heure  ,  nous  atteignîmes  le  village  d'He- 
jazi  ,  situé  sur  la  limite  du  désert.  Nous  nous  arrêtâmes 
dans  un  karavanseraï ,  d'une  fraîcheur  et  d'une  propreté 
remarquables  :  il  avait  une  chambre  intérieure ,  avec  un 
large  bassin  pour  les  ablutions  des  Musulmans 5  en  dehors 
jaillissait  une  belle  fontaine  à  laquelle  venaient  se  désalté- 
rer les  chameaux.  Je  me  l'eudis  dans  la  campagne  pour 
voir  la  ricbe  végétation  dont  elle  était  couverte ,  ainsi  que 
les  hommes  et  les  animaux  qui  s'y  ti'ouvaient  dispersés, 
isolément  ou  par  groupe  ;  je  m'arrêtai  sous  l'ombrage  des 
arbres  pour  entendre  le  gazouillement  des  oiseaux ,  et  ce 
fut  avec  une  satisfaction  enfantine  ,  qu'eu  m'approcbant  du 
moulin  ,  j'entendis  le  bruit  de  l'eau  qui  tombait  de  sa  roue 
eu  nappes  abondantes.  » 

Mais,  toutes  ces  descriptions  sont  inférieures  à  la  pein- 
ture vraiment  éloquente  qu'a  faite  notre  auteur,  des  ruines 
magnifiques  de  Karnac  et  Luxor,  à  Thèbes,  et  des  impres- 
sions qu'elles  lui  ont  fait  éprouver.  Il  est  vrai  que,  dans  ce 
genre  ,  il  serait  difficile  de  trouver  rien  de  mieux  que  quel- 
ques-uns des  passages  suivans  : 

«  Devant  la  grande  entrée  de  cet  ii)îniense  édifice,  com- 
posé de  plusieurs  constructions  séparées,  qui  s'unissaient 
jadis  dans  un  tout  harmonieux,  se  trouvent  deux  superbes 


en  Egypte.  55 1 

obélisques ,  qui  élèvent  dans  l'air  leurs  pointes  aignës.  Mal- 
gré tant  de  siècles  qui  se  sont  écoulés,  ils  sont  encore  avi- 
jourd'hui  tels  que  le  sculpteur  les  a  faits  ;  le  ton  primitif  de 
la  pierre  n'a  point  éprouvé  d'altération,  et  les  arrêtes  des 
symboles  et  des  caractères  sacrés  qui  les  décorent,  sont-aussi 
iînes  et  aussi  pures  que  si  elles  eussent  été  exécutées  la 
veille.  Yous  les  voyez,  tels  que  Carabyse  les  vit ,  quand  \\ 
arrêta  les  roues  de  son  char,  pour  les  contempler,  et  que 
les  soldats  persans  cessèrent  leurs  cris  de  guerre,  devant 
ces  magnifiques  symboles  de  l'aJoraliou  du  feu.  Derrière 
sVlèvent  deux,  statues  colossales,  qui,  comme  eux,  sont 
en  partie  cachées  dans  le  sable ,  ainsi  qu'une  porte  et  un 
grand  propylée.  Cest  sur  ce  propylée  que  se  trouve  cette 
bataille  dont  on  a  tant  parlé  j  mais  mes  yeux  revenaient 
toujours  vers  les  obélisques  que  j'examinais  avec  un  éton- 
nement  qui  croissait  sans  cesse,  et  une  admiration  silen- 
cieuse. 

»  Le  cœur  vivement  ému ,  avec  des  pas  aussi  prompts 
que  mes  pensées,  je  me  dirigeai  vers  le  village  de  Kar- 
nac  ,  et  passant  rapidement  à  travers  quelques  bouquets  de 
palmiers,  je  me  trouvai  dans  la  grande  allée  des  sphynx, 
tout-à-f;iit  on  face  de  cette  belle  porte,  décorée  du  titre 
de  triomphale  ;  et,  dans  le  fait,  jamais  triomphateur  n'en 
a  traversé  une  plus  élevée,  et  qui  fût  d'une  majesté  plus 
imposante.  Sur  la  coupe  hardie  de  son  élégante  corniche, 
se  trouve  un  globe  couleur  de  feu ,  que  soutiennent  deux 
longues  ailes  du  plus  brillant  azur.  Cette  porte  gigantesque 
est  isolée,  et  cet  isolement  en  augmente  encore  reflet  j  les 
colonnes,  les  propylées  ,  les  murs  du  grand  temple  en  sont 
à  quelque  distance.  Je  m'en  approchai  lentement  enire 
deux  longues  lignes  de  sphynx,  accroupis  de  chaque  côté 
de  ma  route  ,  dans  le  môme  ordre  que  celui  où  ils  furent 
placés,  il  y  a  tant  de  siècles.  Ils  sont  d'une  pierre  plus  ten- 
dre, et  par  conséquent  moins  durable  que  le  granit  j  l'en- 


5.32  Scènes  et  I//>press/'ons 

semble  en  est  conservé ,  mais  les  détails  d'exécution  ont , 
eu  général,  beaucoup  souffert.  Il  y  a,  dans  la  coupe  de 
ces  spbyux,  dans  leur  position,  dans  leurs  tètes  à  demi 
détruites .  dans  leurs  énormes  griffes ,  dans  la  petite  idole 
qu'ils  ont  devant  eux  ,  dans  le  iau  sacré  qu'ils  tiennent  dans 
leurs  pattes ,  quelque  chose  qui  vous  inspire  une  crainte 
religieuse. 

»  Vous  ne  pouvez  pas  vous  luéprendre  sur  l'endroit  où 
vous  êtes 5  vous  vous  trouvez  évidemment  sur  la  grande 
route  du  temple;  c'est  ici  que  le  Romain  vint  avant  vous  , 
pour  le  voir  et  l'admirer,  et  le  Grec  avant  lui.  Ce  sol  que 
vous  foulez,  l'a  été  également  pendant  des  siècles  par  le  roi 
et  le  pontife,  le  maître  et  l'esclave  ,  le  cortège  du  triom- 
phateur, la  procession  religieuse  et  celui  qui  allait  prier 
seul  au  temple.  C'est  par  là  que  les  vaincus  passèrent  en 
désordre  pour  se  réfugier  dans  leur  dernier  asile  et  leur 
dernière  forteresse;  et  les  pas  rapides  des  vainqueurs  ,  les 
hennissemens  de  leurs  chevaux,  les  ordres  de  leurs  chefs, 
le  bruit  do  leurs  trompettes,  ont  retenti  dans  ces  lieux  où 
règne  maintenant  un  si  profond  silence.  De  tous  côtés  vous 
êtes  entouré  de  ruines.  Les  tours  qui  flanquaient  les  murs 
du  temp'e,  renversées  par  le  lems  ou  par  la  main  des 
hommes,  forment  d'immenses  amas  de  décombres;  mais 
les  parties  de  ces  étonnantes  constructions ,  élevées  avec  des 
matériaux  de  granit,  n'ont  subi  aucun  changement,  et  les 
angles  en  sont  aussi  vifs  et  les  surfaces  aussi  polies  qu'ils 
ont  jamais  pu  l'être.  Ces  ruines  n'ont  pas  les  ions  noii's  ou 
grisâtres  de  celles  de  l'Europe  ;  il  semble  que  la  chaleur 
sèche  et  brûlante  de  ces  contrées  les  ait  blanchies,  comme 
elle  blanchit  les  ossemens  humains.  Les  mousses,  les  li- 
chens ,  les  lierres,  les  figuiers  sauvages  n'y  cochent  pas 
non  plus,  comme  dans  nos  latitudes  ,  les  diffomiilés  de  la 
destruction  ,  sous  des  touffes  de  fleurs  ou  de  feuillage.  l><on  , 
tout  \  est  aride  ^  desséché  :  ce.sl  le  scptleile  colcssal  d'un 


en  Egypte.  355 

éflifice  immense  que  le  soleil  dévore  lentement,  au  milieu 
du  silence  et  des  sables  du  désert. 

»  Il  n'y  a  pas  de  ruines  qui  puissent  être  comparées  à 
celles-ci.  En  entrant  dans  la  première  cour,  vous  voyez 
une  haute  colonne  isolée,  debout  sur  les  débris  d'une  co- 
lonnade dont  elle  faisait  partie.  Je  m''arrètai  un  instant ,  et 
ensuite  je  repris  plus  lentement  ma  route.  Après  avoir  tra- 
versé une  grande  porte,  je  me  trouvai  entouré  par  cent 
cinquante  colonnes  (i)  ;  et  je  défie  tout  homme  ,  quel  qu'il 
soit,  civilisé  ou  sauvage,  de  les  voir  sans  être  ému.  Le  goût 
des  siècles  postérieurs  a  répudié  leurs  proportions  colos- 
sales; mais  l'admiration,  l'étounemeut  silencieux,  l'espèce 
d'oppression  que  le  voyageur  éprouve ,  pourraient  conso- 
ler l'architecte  qui  les  a  élevées,  s'il  existait  encore,  des 
dédains  capricieux  du  goût. 

n  Je  passai  un  jour  entier  au  milieu  de  ces  ruines.  Il 
me  serait  impossible  d'en  faire  une  description  dctalilée  ; 
je  n'ai  ni  le  talent  ni  la  patience  nécessaires  pour  compter 
et  mesurer.  Je  montai  sur  une  aile  du  grand  propvlée  de 
l'ouest ,  et  je  m'y  assis  pendant  long-tems.  Je  circulai  au 
pied  des  grandes  statues  colossales  ;  je  me  reposai  sur  un 
obalisque  renversé ,  en  regardant  les  trois  qui  sont  encore 
debout  parmi  des  fragmens  informes  de  granit.  En  errant  au 
milieu  de  ces  ruines  ,  j'examinai  les  pelutures  et  les  légendes 
hiéroglyphiques;  et,  de  tems  en  tcnis ,  j'écoutai,  en  sou- 
riant, les  explications  d'un  petit  cicérone  fort  poli,  qui, 
du  ton  capable  tl'un  savant  qui  veut  bien  se  mettre  à  la 
portée  du  vulgaire,  me  disait ,  en  me  montrant  des  hiéro- 
glyphes :  «  Ceci,  veut  dire  l'eau  ;  ceci ,  la  terre  ;  ce  signe 
est  le  symbole  de  l'éternité  ;  voilà  le  nom  de  Béréuiee.  » 

»  En  sortant  des  ruines,  nous  ordonnâmes  à  notre  guide 

(i)  Plusieurs  «le  CCS  colonnes  ont  onze  pieds  français  rlc  diamèlrc  , 
Ici  plus  petites  en  ont  huit. 

II.  5i 


554  Scènes  et  Impressions 

de  nous  conduire  au  necropolls ,  ou  ville  des  morts  ,  et  nous 
gravîmes  une  montagne  qui  s'élevait  au  -  dessus  de  nous. 
Plusieurs  de  ces  sépultures  ont  été  pratiquées  dans  des 
puits  j  mais  la  plupart  sont  des  passages  creusés  dans  les 
flancs  de  la  montagne.  De  tems  en  tems ,  vous  voyez  une 
portion  du  rocher  qui  a  été  applanie ,  peinte  ou  revêtue 
d'un  bel  enduit;  mais,  en  général ,  il  est  entièrement  nu. 
A  tout  moment  mes  pieds  s'embarrassaient  dans  des  lam- 
beaux, de  toile  et  les  osseraens  des  squelettes  qui  ont  été  ar- 
rachés de  leur  sarcophage  de  sycomore,  dépouillés  de  leurs 
linceuls  et  de  leurs  papyrus.  Peut-être  celte  toile  que  je 
ramasse  a-t-elle  été  tissue  ,  il  y  a  trente  siècles,  sous  l'om- 
brage des  arbres,  par  une  jeune  fdle  qui  chantait  pour  di- 
minuer la  fatigue  de  son  travail!  Peut-être  aussi  avait-elle 
été  bénite  et  consacrée  dans  le  temple ,  avant  d'envelopper 
le  corps  inanimé  d'un  être  tendrement  chéri  pendant  sa 
vie,  et  long-tems  pleuré  après  sa  mort  ! 

»  En  traversant  la  plaine ,  pour  retourner  à  noti'e  ba- 
teau, nous  repassâmes  devant  ces  statues  célèbres,  si  sou- 
vent décrites.  Ce  sont  d'élonnans  monumeus  :  elles  sont 
assises  sur  des  trônes  en  face  du  Nil  et  à  l'exposition  du 
levant.  Il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  des  immenses 
proportions  de  leurs  corps,  de  leurs  membres  et  de  leurs 
têtes.  Il  y  a  dans  leur  position,  droite  et  calme,  quelque 
chose  qui  émeut  Tame.  Des  géuérations  innombrables  ont 
passé  devant  elles,  et  on  dirait  qu'elles  se  plaisent  à  fixer 
leurs  regards  immobiles  sur  les  hommes  qui  travaillent , 
qui  s'agitent,  el  qui  meurent  à  leurs  pieds. 

»  Il  était  tard,  et  il  faisait  déjà  nuit,  lorsque  nous  arri- 
vâmes à  notre  gîte.  Le  lendemain  matin,  nous  nous  ren- 
dîmes de  nouveau  sur  la  rive  occidentale  du  Nil,  et  nous 
nous  dii'igeâmcs  vers  les  sépultures  des  rois,  en  passant  à 
travers  une  vallée  étroite  el  brûlante.  L'Arabe  qui  nous 
servait  de  guide  arrêta  mon  âue  dans  un  endroit  de  l'aspccl  le 


en  Egypte.  535 

plus  sauvage,  et  me  fit  signe  de  descendre.  De  chaque  côté 
se  trouvaient  des  collines  peu  élevées,  mais  très -escarpées, 
et  qui  n'offraient  aucune  trace  de  végélation;  à  mesure 
que  j'avançais  ,  le  chemin  se  resserrait  toujours  davantage, 
et  ressemblait  au  lit  d'un  torrent.  J'étais  tenté  de  croire 
que  nous  étions  égarés,  lorsque  je  me  trouvai  tout-à-coup 
en  face  d'une  ouverture  pratiquée  dans  le  flanc  de  la  mon- 
tagne, et  qui  avait  Tair  de  Ventrée  d'une  mine.  En  entrant, 
j'observai  que  le  rocher,  qui  est  une  pierre  tendre  ,  mais 
d'un  grain  très-fin  et  très-serré,  avait  été  poli  et  peint. 
L'Arabe  alluma  mou  flambeau ,  et  je  passai  dans  un  long 
corridor.  De  chaque  côté  ,  il  v  a  de  petits  appartemens  , 
dont  les  murs  sont  couverts  de  peintures  ;  ce  sont  des  scè- 
nes de  la  vie  commune  qu'on  y  a  représentées,  ainsi  que 
les  instrumens  les  plus  ordinaires  de  nos  plaisirs  et  de  nos 
travaux.  C'était  avec  une  satisfaction  mêlée  de  tristesse , 
que  je  considérais  ces  peintures,  en  pensant  aux  généra- 
lions  successivement  éteintes  depuis  le  tems  où  elles  avaient 
été  exécutées. 

n  Vous  y  voyez  fidèlement  représentés  les  travaux  et 
les  intrumens  de  l'agriculture  :  une  charrue,  un  van,  des 
bœufs  ,  et  l'artiste  a  peint,  en  se  jouant ,  un  veau  qui  bon- 
dit au  milieu  des  sillons.  Vous  y  voyez  faire  du  pain  et 
préparer  un  repas  pour  une  fcle.  Vous  y  voyez  aussi  une 
scène  d'irrigation,  un  jardin  éniaillé  de  fleurs,  des  lits  de 
repos ,  des  sofas ,  des  chaises  ,  des  fauteuils  d'une  forme  si 
élégante  qu'ils  pourraient  convenir  à  la  décoration  d'un  salon 
de  Londres  ou  de  Paris  ,  et  des  vases  de  toutes  les  espèces  , 
jusqu'à  l'humble  pot-à-l'eau.  On  y  a  repré.seuté  également 
des  prêtres  qui  pincent  de  la  harpe,  et  d'autres  qui  sont 
assis  et  qui  paraissent  écouter  ;  des  vaisseaux  avec  de  gran- 
des voiles  diversement  colorées  ;  cl,  enfin,  des  habits  de 
cérémome  et  des  armes,  lcll<s  que  des  cpées,  des  lances, 
des  poignards,  des  flèches,  des  carquois,  des  casques,  etc. 


53G  Scènes  et  Impressions 

Les  autres  scènes ,  peintes  sur  les  murs  des  sépultures  des 
rois  ,  sont  des  mystères  et  des  processions  religieuses,  en- 
tourés d'un  grand  nombre  de  légendes  hiéroglyphiques.  Il 
y  a  une  petite  chambre  où  se  trouve  la  vache  d'Isis ,  et  une 
grande  dont  la  décoration  n'a  pas  été  achevée  ;  j'y  remar- 
quai des  dessins  esquissés  qui  devaient  être  terminés  le  len- 
demain ]  mais  ce  lendemain  n'est  jamais  arrivé.  » 

Après  avoir  visité  les  ruines  de  ïhcbes,  l'auteur  se 
rendit  au  Kaire ,  où  il  rencontra  un  Mamelouk  écossais , 
et  où  il  fut  présenté  à  Mohammed- Ali ,  par  M.  Sait,  notre 
consul-général.  Il  alla  ensuite  visiter  les  pyramides  de  Gi- 
seli  ;  voici  comment  il  termine  la  belle  description  qu'il  en 
a  faite  : 

«  Celui  qui  est  monté  sur  le  sommet  des  plus  anciens  et 
cependant  des  plus  étonnans  monumens  que  l'homme  ait 
laissés  de  sa  puissance  et  de  son  orgueil  5  qui  a  porté  ses 
regards  jusqu'aux  lieux  où  s'étendent ,  dans  le  silence ,  la 
Libye  et  l'Arable  (1)5  et  qui  a  vu  la  terre  d'Egypte  divi- 
sant, à  ses  pieds,  ces  tristes  déserts,  par  une  étroite  vallée 
couverte  de  la  plus  riche  verdure,  et  que  parcourt,  dans 
toute  sa  longueur,  un  fleuve  solitaire  5  a  éprouvé  des  im- 
pressions qu'il  ne  saurait  transmettre  ;  car  il  lui  est  impos- 
sible de  se  les  expliquer. 

»  Ce  sont  les  tombes  de  Chéops  el  Cepbren ,  disent  les 
Grecs.  Ce  sont  celles  de  Seth  et  d'Enoch  ,  s'il  faut  en 
croire  les  Arabes.  Un  voyageur  chrélîen  serait  tenté  d'y 
voir  la  sépulture  du  patriarche  Joseph  ;  mais,  ce  qui  n'est 
pas  douteux ,  c'est  que  tous  les  philosophes ,  tous  les  poètes, 
tous  les  capitaines  célèbres  ,  venus  en  Egypte,  les  ont  visi- 
tées ',  qu'Alexandre  ,  Germanicus  ,  Saladin,  Napoléon  ,  ont 
aiguillonné  les  chevaux  qui  les  portaient,  pour  se  rappro- 

(i)  NotkduTr.  Les  anciens  donnaient  le  nom  d'Arabie  aux  dc'scrts 
situes  entre  rEgy[>tc  et  la  Mer  Rouge. 


eji  Egypte.  5Zj 

cher  de  leur  base,  el^jue  Pylhagorc,  avec  ses  pieds  nus  , 
a  dû  monter  h  leur  sommet.  » 

Notre  voyageur  a  décrit  le  Raire  avec  beaucoup  de  dé- 
tails, et  quelquefois  avec  une  baute  éloquence.  Nous  ter- 
minerons nos  extraits  en  citant  sa  description  du  marché 
d'esclaves,  qui  est  certainement  Tune  des  meilleures  de 
sou  livre  : 

«  Nous  nous  arrêtâmes  devant  un  grand  bâtiment ,  et , 
en  entrant ,  nous  nous  trouvâmes  dans  une  cour  d'une  di- 
mension moyenne ,  entourée  de  tous  côtés  de  petites  cbam- 
bres  dont  les  portes  étaient  ouvertes  ,  et  qui  avaient  l'air 
sombre  et  misérable.  Ea  dehors ,  se  trouvaient  de  petits 
groupes  d'esclaves  du  sexe  féminin,  assises  ou  debout,  et 
j'apercevais  ,  dans  l'intérieur,  les  yeux  et  les  dents  blancbes 
de  celles  qui  craignaient  l'ardeur  du  jour.  La  longue  che- 
velure de  ces  jeunes  filles  était  blanchie  par  la  graisse  dont 
on  l'avait  frottée,  et  cette  graisse  donnait  égaiemeut  des 
tons  luisans  à  la  peau  de  leur  visage ,  de  leurs  bras  et  de 
leur  sein.  Au-dessus  du  rez-de-chaussée,  il  y  avait  aussi  un 
grand  nombre  de  petites  pièces,  et ,  en  avant,  une  espèce 
de  balcon,  sur  lequel  étaient  inclinées  d'autres  esclaves. 
Tout  retentissait ,  dans  cette  enceinte  ,  de  bruyans  éclats 
de  rire;  car  ces  infortunées  éprouvent  une  vive  satisfaction 
quand  on  les  expose  pour  les  vendre.  La  cabane^  le  pays 
011  elles  sont  nées,  le  sein  qui  les  a  nourries,  la  main  qui  a 
dirigé  leurs  premiers  pas  ,  ne  sont  pas  ouljliés  ;  mais  elles 
sont  résignées  à  no  plus  les  revoir,  et  il  semble  que  c'est 
dans  un  autre  monde  qu'elles  les  ont  laissés.  Les  peines  et 
les  dangers  du  désert,  la  nourriture  grossière  et  iusufli- 
sante  qu'elles  y  recevaient,  la  douleur  de  leurs  pieds  qu'y 
gonllaient  Tardeur  du  soleil  et  la  fatigue  des  marches  ;  le 
îouel ,  les  imprécations  de  leurs  guides  ,  toutes  ces  tristes 
impressions  s'effacent  j  elles  pensent  qu'elles  vont  avoir 
pour  maître  ou  pour  maîtresse  un  être  doux  cl  compatis- 


538  Voyage  de  M.  Biot 

sant  ;  peut-être  aussi  pourront-elles  gagner  le  cœur  d'un 
enfant  qui  leur  sera  confié ,  par  les  soins  et  les  caresses 
qu'elles  lui  prodigueront.  Quelques-unes  se  tlattent  de  l'es- 
poir d'être  mères,  et  de  voir  tranquillement  s'êcouier  leur 
vie  dans  la  paix  d'un  harem.  Toutes  vous  sourient ,  et  plu- 
sieurs cherchent  même  à  vous  agacer  par  des  regards  las- 
cifs; mais  comhien  ces  sourires  rappellent  de  larmes  ,  car 
c'est  pour  échapper  aux  traitemeus  cruels  de  ce  maure  au 
teint  hasané  et  à  l'air  farouche,  que  vous  apercevez  dans 
un  coin  de  l'enceinte ,  qu'elles  s'eflorcent  de  vous  plaire.  » 

(^Refue  d'Edinbourg.) 


VOYAGE 

DE   M.   BIOT,    AUX   ILES  SHETLAND   (i). 


Au  commencement  de  1817,  M.'  Biot ,  de  l'Institut  royal 
de  France,  arriva  en  Angleterre  avec  un  appareil  pour 
déterminer  la  longueur  du  pendule,  le  même,  à  ce  qu'il 
paraît,  qui  avait  déjà  servi  à  Borda  et  à  Cassini.  Il  fut  con- 
venu que  les  observations  sur  la  longueur  du  pendule  se- 
raient faites  ù  Londres,  à  Edinbourg  ,  et  à  l'extrémité  sep- 
tentrionale du  grand  arc  du  méridien,  qui,  comme  on  le 
savait  déjà  ,  devait  se  terminer  aux  îles  Shetland,  entre 
Unst  et  Balta.  M.  Biot ,  accompagné  par  le  colonel  Mudge, 

(1)  ÎÎOTE  DU  Tr.  Cet  article  a  c'té  rétligé  par  le  professeur  Playfair, 
mort,  il  y  a  quelque  tenis,  à  Edinbourg,  et  qui  e'iait  un  des  hoinmes. 
les  plus  remarquables  de  l'Allii-nes  britannique.  La  justice  qu'il  rend 
à  notre  savant  compatriote  fait  voir  combien  les  lumières  de  notre 
nouvelle  civilisation  tendent  à  dc'lruirc  ces  inimiiic's  et  ces  antipathies 
nationales  qui  ont  élc' si  funestes  au  monde,  et  surtout  à  la  France  et 
à  l'Angleterre.  S. 


mi.r  îles  Shetland,  oSf) 

son  fils  le  capitaine  Mudge,  et  le  tlocteur  Olinthus  Gre- 
gory,  se  rendit  à  Ediubourg  ,  et ,  après  avoir  fait  quelques 
observations  à  Leilh  Forth ,  il  s'embarqua  pour  les  îles 
Shetland 3  ils  furent  rejoints  par  le  capitaine  Colbj,  qui 
dirigeait  les  opérations  trigonomélriqucs. 

Le  mauvais  état  de  santé  du  colonel  Mudge  le  força  de 
retourner.  M.  Biot  et  le  docteur  Gregory  firent  leurs  ob- 
servations séparément,  mais  dans  la  même  île;  et  le  pre- 
mier resta,  jusqu'à  une  époque  très-avancée  de  Tannée,  sur 
un  roc  stérile ,  où  il  était  à  peu  près  seul  ^  exposé  à  une 
température  humide  et  froide ,  et  entouré  d'une  mer  ora- 
geuse. Le  courage  d'un  homme  accoutumé  aux  douceurs 
des  climats  méridionaux,  se  serait  nécessairement  abattu  , 
dans  une  situation  semblable,  s'il  n'eût  été  soutenu  par  le 
pur  amour  de  la  science ,  et  par  le  désir  d'en  étendre  les 
conquêtes. 

Il  a  publié  le  récit  de  son  excursion  dans  la  Grande- 
Bretagne,  et  particulièrement  de  la  réception  qu'on  lui  a 
faite  en  Ecosse  et  aux  îles  Shetland  :  cette  relation  est  rem- 
plie d'observations  judicieuses;  elle  annonce  un  excellent 
esprit ,  et  un  cai'aclère  bon ,  gai ,  facile  et  cordial.  I^es  îles 
Shetland  paraissent  l'avoir  plus  parliculièremeut  intéressé, 
cl  il  a  été  vivement  ému  du  contraste  que  présentent,  dans 
ces  régions  reculées,  le  monde  physique  et  le  monde  mo- 
ral. Il  était  ravi  de  l'hospitalité,  de  l'intelligence  et  de  la 
bonté  de  ses  hôtes  3  et  ceux-ci  étaient  sans  doute  remp'is 
de  respect  pour  un  illustre  étranger  qui ,  du  centre  de.  la 
civilisation,  avait  pénétré  dans  ces  contrées  lointaines,  et 
qui  attachait  l'éclat  d'utiles  et  savans  travaux ,  à  cette  por- 
tion ignorée  du  globe,  où  la  Providence  avait  fixé  leur  de- 
meure. 

'Il  dut  éprouver  une  vive  satisfaction,  en  réllccliiss.int 
qu'il  avait  également  contribué  à  déterminer  les  deux  ex- 
trémilés  d'une  ligne  qui  s  étend  depuis  la  plus  niéridionale 


34o  Précis  des  dwers  éi>éneniens 

des  îles  Baléares,  Jusqu'à  la  plus  septentrionale  tles  îlc5 
Shetland.  Celte  ligne  est  la  plus  longue  que  le  doigt  de  la 
géométrie  ait  encore  tracée  sur  la  surfiice  du  globe  ,  et 
l'exécution  de  ce  grand  ouvrage  fera  éternellemeut  la  gloire 
du  XIX^  siècle ,  dans  les  âges  à  venir. 

Les  asj:ects  si  divers  qu'offre  la  nature  sur  ces  deux  points 
de  l'Europe,  qu'il  a  successivement  occupés,  durent  aussi 
se  présenter  à  sou  esprit  avec  toute  la  force  que  leur  don- 
nait le  contraste;  et  probablement,  il  se  sera  rappelé  plus 
d'une  fois  le  soleil  élincelant,  les  cieux  sans  nuages,  les 
teintes  azurées  et  brillantes  de  la  Méditerranée  ,  sur  ce  ro- 
cher que  le  nord  couvrait  de  ses  brouillards ,  et  dont  une 
mer  turbulente  ébranlait  la  base.  Lorsqu'il  dirigeait  ses  re- 
gards vers  le  monde  moral ,  le  contraste  n'était  pas  moins 
grand,  mais  en  sens  inverse;  et  certes  il  ne  regrettait  pas 
ces  hommes  farouches  ,  devant  lesquels  lui  ou  ses  compa- 
gnons avaient  été  obligés  de  fuir,  lorsque  le  paisible  insu- 
laire de  Shetland  lui  ouvrait  sa  cabane  pour  l'abriter  contre 
la  tempête.  Il  put  voir  alors  que  les  causes  morales  influent 
bien  plus  puissamment  que  les  causes  physiques,  sur  le  ca- 
ractère des  hommes.  {Glasgow  Magazine .^ 

MÉLANGES. 


PRECIS  DES  DIVERS  EVENEMENS  QUI  ONT  PRECEDE  ET 
AMENÉ  LA  GUERRE  ACTUELLE  ENTRE  l'eIMPIRE  DES 
BIRMANS    ET    LA    COMPAGNIE   DES    INDES    (l). 


Les  faits  que  renferme  ce  précis  sont  lires  d'un  recueil 
volumineux  de  pièces  officielles ,  qui  comprcunenl  une  pé- 

(i)  Note  du  Tr.  D;ins  un  moment  où  la  guerre  entre  les  Biin»ans 
et  le  gouvernement  britannique  dans  l'Iude;  paraît  à  la  veille   de   se 


1 


<jui  ont  amené  la  guerre  des  Birmans.  54  i 

riodc  de  douze  années  ,  depuis  18 ii  jusquen  1824,  et  qui, 
par  ordre  de  la  Chambre  des  coinmunes  ,  ont  été  soumises 
au  parlement  dans  le  cours  de  sa  dernière  session. 

En  181 1,  un  personnage  nommé  Kingberriug  ,  qui  pos- 
sédait de  grands  biens  dans  le  royaume  d'Arracan ,  limi- 
trophe du  Chittagong  ,  qui  apptirîlenl  à  la  Compagnie ,  vint, 
par  suite  de  quelques  démêlés  avec  son  gouvernement  ,  se 
réfugier  dans  cette  province,  et  y  demander  un  asile.  Dès 
qu'il  l'eut  obtenu ,  il  forma  des  rassemblemens  sur  la  fron- 
tière, appela  près  de  lui  un  corps  nombreux  de  IMugs  ,  peu- 
plade guerrière  qui  avait  abandonné  l'Arracan  après  que 
les  Birmans  l'eurent  soumis  ;  et,  à  la  tête  de  sa  petite  ar- 
mée ,  il  marcha  contre  le  radjah  qui  gouvernait  ce  royaume 
sous  la  tutelle  de  la  cour  d'Ava.  L'intendant  anglais  du  Chit- 
tagong, ignorant  sans  doute  les  projets  de  cet  exilé,  ne  put 
faire  à  tems  les  dispositions  nécessaires  pour  en  prévenir 
l'exécution.  Eu  conséquence,  Kingberring  fit  une  éruption 
soudaine  dans  l'Arracan,  et  en  soumit  rapidement  le  terri- 
toire, sauf  la  capitale  dont  II  forma  le  siège. 

La  cour  d'Ava  pouvait  penser  que  celte  expédition,  ten- 
tée par  un  protégé  du  gouvernement  anglais,  était  dirigée 
ou  du  moins  favorisée  par  celte  puissance ,  et  pour  empê- 
cher que  cette  opinion  ne  s'établît,  rintendaut  de  Chitta- 

terminer  par  la  cession  Je  l'Assam  el  du  royaume  (l'Arracan  à  la 
Compagnie  ,  nous  avons  pense'  que  le  re'cit  des  éve'nemcns  qui  oni 
amené  ceUe  lutte  ne  serait  pas  de'pourvu  d'inte'rct.  Encore  quelques 
guerres  et  quelques  transactions  de  ce  genre  ,  et  l'empire  immense  que 
la  Grande-Bretagne  a  fondé  sur  les  rive,  du  Gange  ne  sera  plus  borne 
que  par  la  Cliiae  ,  l'Indus  ,  les  montagnes  de  l'Himalaya  et  l'Oce'an. 
Tandis  que  la  Russie  occupera  tout  le  nord  de  l'Asie ,  l'Angleterre  en 
occupera  toute  la  partie  méridionale.  Les  progrès  que  font  l'une  et 
l'autre  de  ces  puissances,  dans  cette  partie  du  monde  ,  sont  tellement 
rapides  ,  qu'il  est  vraisemblable  que  leurs  limites  ne  larderont  pas  à  s'y 
touchck-.  Le  choc  de  ces  deux  colosses  causera  un  ébranlement  qui  se 
fera  probablement  ressentir  dans  tout  l'univers. 

II.  52 


542  Précis  des  divers  éi>énemeTis 

gong  se  hâta ,  daus  une  lettre  au  ratljah  (VArracan ,  de 
désavouer  la  levée  de  bouclier  de  Kingberring.  Le  gouver- 
neur-général des  possessions  britanniques  dans  l'Inde  écri- 
vit ,  dans  le  même  sens ,  au  vice-roi  de  Pégu ,  et ,  afin  de 
dissiper  entièrement  les  ombrages  de  Fempereur  des  Bir- 
mans, il  envoya  le  capitaine",  depuis  major  Canning,  dans 
!e  royaume  d'Ava,  pour  lui  donner  toutes  les  explications 
qu'il  réclamerait.  A  peine  cet  envoyé  avait-il  quitté  Cal- 
cutta, qu'il  y  arriva  un  vakil ,  chargé  de  faire  des  repré- 
sentations au  gouverneur-général  sur  les  événemeus  qui 
venaient  de  se  passer  dans  l'Arrî^can  ,  et  en  même  tems  un 
corps  birman  s'avançait  au  secours  de  la  capitale  de  ce 
royaume.  Kingberring  fut  forcé  d'en  lever  le  siège  ,  et  de 
se  réfugier  de  nouveau  dans  le  Chittagong. 

Par  suite  de  ces  événemens  ,  le  gouverneur-général  avait 
une  décision  fort  délicate  à  prendre  j  il  s'agissait  de  savoir 
comme  il  agirait  envers  les  réfugiés  qui  invoquaient  sa 
protection.  Ces  réfugiés  se  partageaient  en  trois  classes  : 
celle  des  chefs  qui  avalent  excité  ces  troubles  ,  à  la  tête  des- 
quels était  Kingberring',  celle  des  Mugs,  qui  les  avalent 
suivis  dans  cette  irruption  j  et,  enfui,  celle  de  quelques 
habitans  de  VArracan  ,  qui  s'étaient  déclarés  en  faveur  de 
rinsurrcclion ,  et  qui  avaient  tout  à  craindre  de  la  ven- 
geance de  leur  gouvernement.  Il  se  décida  à  mettre  les 
chefs  en  surveillance ,  et  à  ne  prendre  de  parti  définitif  à 
leur  égard  que  lorsque  le  major  Canning  lui  aurait  fait 
connaître  les  dispositions  de  la  cour  d'Ava ,  de  bannir  les 
Mugs  du  territoire  de  la  Compagnie  ,  et  d'accorder  un  asile 
aux  exilés  d'Arracan. 

Cependant  les  troupes  qui  avalent  mis  en  fuite  Kingber- 
ring ,  se  rapprochaient  de  plus  en  plus  de  la  frontière  du 
Chittagong.  Leur  chef  désavouait  toute  Intention  de  violer 
le  territoire  britannique  j  il  demandait  seulement  que  King- 
berring et  ses  partisans  lui  fussent  livrés,-  qu'en  outre  un 


qui  ont  amené  la  guerre  des  Birmans.  545 

tlocleiu'  Mac  Rae,  sujet  anglais,  qui  avait  aidé  Kingber- 
ring  dans  son  entrepi'ise,  fût  égalementrais  à  sa  disposition, 
et  il  signifiait  à  l'intendant  de  Chittagong  que,  dans  le  cas 
où  ces  demandes  ne  seraient  pas  accordées,  une  armée  de 
80,000  hommes  envahirait  les  possessions  anglaises  ,  el  que 
l'empereur  des  Birmans  serait  secondé  dans  celte  agression 
par  l'empereur  des  Français ,  qui  s'engageait  à  lui  fournir 
des  secours. 

Notre  frontière ,  de  ce  côté,  n'était  gardée,  à  cette  épo- 
que, que  par  un  faible  corps  de  troupes.  Dans  crtte  con- 
joncture ,  le  premier  soin  du  gouverneur-général  fut  de 
renforcer  les  postes  sur  toute  la  ligne  qui  touchait  au  ter- 
ritoire birman.  Il  se  décida  ensuite  à  faire  cesser  les  com- 
munications qui  existaient  entre  l'intendant  de  Chitlagong 
et  les  chefs  birmans ,  et  à  n'en  avoir  plus  que  de  directes 
avec  la  cour  d'Ava  ,  au  moyeu  d^'un  chargé  d'affaires.  L'in- 
tendant de  Chittagong  eut  l'ordre  de  notifier  cette  résolu- 
tion aux  chefs  birmans. 

L'envoyé  britannique  était  arrivé  au  mois  d'octobre  dans 
le  port  de  Rangoun  ,  et  le  vice-roi  de  Pégu  ,  en  l'y  rece- 
vant, lui  avait  appris  que  des  dispositions  étaient  faites  par 
la  cour  d'Ava  pour  qu'il  pût  voyager  en  sûreté  jusqu'à  Um- 
merapoura,  et  pour  qu'il  reçût  sur  sa  route  tous  les  hon- 
neurs dus  à  sou  caractère  public.  A  cette  époque,  les  cam- 
pagnes et  les  roules  étaient  infestées  de  brigands. 

Cependant,  sur  la  frontière  des  deux  états,  les  troupes 
des  Birmans  et  celles  de  la  Compagnie  restaient  en  présence. 
Les  premières  tentèrent  enfin  un  acte  d'hostilité;  elles  pas- 
sèrent sur  plusieurs  points  la  Naaf ,  rivière  qui  sépare  les 
^cws.  territoires ,  et  se  répandirent  dans  le  Chittagong.  Ces 
troupes  étaient  divisées  en  pctys  corps,  et  venaient,  di- 
saient-elles ,  enlever  Kingberring  et  ses  partisans.  L'inten- 
dant de  la  province  adressa  des  remontrances,  à  cette  oc- 
casion,  au  général  birman;   celui-ci    répondit  que    cctle 


544  Précis  des  dii>ers  éfénernens 

violation  de  territoire  s'était  faite  à  son  insu,  et  qu'il  ferait 
à  l'instant  rappeler  les  troupes  5  mais  il  n'en  fit  rien,  et, 
peu  de  jours  après  sa  réponse,  un  corps  de  600  liommes 
passa  la  Naaf  en  vue  du  camp  birman;  il  rencontra  nos 
cipayes,  tira  sur  eux,  et  en  tua  quelques-uns.  Nouvelles 
remontrances  de  la  part  de  l'intendant  de  Chittagong  ;  nou- 
veau désaveu  de  la  part  du  chef  birman. 

Le  major  Canning  était  à  Rangoun  lorsqu'il  apprit  ces 
événemens.  Le  vice-roi  tlu  Pégu  pressait  son  départ  pour 
Ummerapoura  ,  mais  ses  instances  à  cet  égard  lui  parais- 
saient suspectes.  Au  lieu  donc  de  se  rendre  près  de  l'em- 
pereur, il  se  détermina  à  négocier  à  Rangoun;  il  ne  tarda 
point  à  recevoir  des  dépêches  qui  lui  enjoignaient  de  de- 
mander une  réparation ,  à  raison  de  la  violation  du  terri- 
toire britannique.  D'un  autre  côté  ,  11  n'avait  aucune  satis- 
i'actiou  à  donner  à  la  cour  d'Ava  sur  ses  demandes  relatives 
à  Ringberrlug  et  à  ses  adhérons  ;  cette  remise  des  chefs  des 
insurgés  était  cependant  un  point  sur  lequel  le  gouverne- 
ment birman  se  montrait  tous  les  jours  plus  pressant;  et  il 
venait  d'en  renouveler  la  demande  par  le  canal  du  radjah 
d'Arracan.  Celui-ci  avait  déclaré  aux  autorités  britanni- 
ques, que  tant  que  Kingberring,  Larenigbage  et  Naklou  , 
trouveraient  un  asile  dans  le  Chittagong  ,  les  Birmans  con- 
serveraient leurs  positions  dans  cette  province. 

Malgré  le  ton  arrogant  de  la  cour  d'Ava  ,  le  gouverne- 
ment de  la  Compagnie  crut  devoir  user  de  ménagemens 
avec  elle,  et,  en  conséquence,  l'intendant  du  Chittagong 
reçut  l'ordre  de  mesurer  beaucoup  les  termes  de  la  corres- 
pondance qu'il  avait  reprise  avec  le  général  birman,  et  de 
faire  en  sorte  ,  autant  que  possible,  que  les  discussions  nées 
de  la  révolte  de  Ringberrjng  ,  ne  se  terminassent  pas  par 
une  rupture  entre  les  deux  puissances  :  des  instructions 
dans  le  même  esprit,  furent  adressées  au  major  Canning , 
à  Rangoun.  Lo  gouverneur-général,  lord  Minlo,  on  ren- 


qui  ont  amené  la  gucjTc  des  Birmans.  5^5 

dant  compte  de  cette  ncgocialion  au  gouvernement  de  la 
métropole,  s'applique  à  faire  l'apologie,  et  à  montrer  la 
nécessité  de  ce  système  de  temporisation.  «  Je  me  flatte, 
»  dit-il,  qu'on  approuvera  cette  marche  circonspecte,  jus- 
»  tifîée  par  la  position  où  se  trouve  l'envoyé  britannique 
»  chez  un  peuple  barbare,  qui  pourrait  être  tenté  de  le 
M  retenir  au  mépris  dn  droit  des  gens.  » 

Le  gouverneur-général  crut  devoir  multiplier  les  pré-, 
cautions  pour  assurer  le  respect  dû  à  son  envoyé  j  car,  en 
même  tems  qu'il  faisait  négocier,  avec  cet  esprit  concilia- 
teur, 11  chargeait  deux  bâtimens  de  guerre  de  se  rendre  et 
de  se  maintenir  dans  le  port  de  Rangoun.  La  présence  de 
ces  navires  excita  une  grande  rumeur  parmi  les  habltans 
de  la  ville,  et  leur  fit  croire  qu'elle  allait  cire  bombardée. 
L'agitation  et  la  crainte  furent  portées  à  leur  comble  :  le 
vice- roi  supplia  l'envoyé  britannique  de  faire  éloigner  ces 
bâlimens ,  et  de  poui'suivrc  son  A'oyage  à  Ummerapoura. 
L'envoyé  rejeta  cette  double  demande,  conformément  à 
l'esprit  des  instructions  que  lui  avaient  apportées  ces  bâ- 
ti m  en  s. 

Cependant,  l'agitation  des  esprits  ne  se  calmait  point  : 
quelques  dispositions  pour  la  défense  de  la  ville,  ne  firent 
que  l'accroître  3  on  éleva  des  batteries  sur  le  port,  et  l'on 
fortifia  les  ouvrages  qui  le  protègent.  Il  fut  ordonné  à  cha- 
que chef  de  famille  de  fournir  un  homme,  lequel,  armé 
d'une  lance  et  d'une  épéc,  se  tiendrait  prêt  à  marcher  au 
premier  signal .  Ces  préparatifs  faits ,  l'envoyé  britannique 
fut  sommé  de  nouveau  de  renvoyer  les  bâtimens  de  guerre, 
et  sur  son  refus,  quelques  agitateurs  voulurent  porter  le 
peuple  à  commettre  des  excès  contre  lui.  A  la  tète  des  plus 
exaltés,  était  le  nommé  Rogers,  renégat  anglais,  qui  oc- 
cupait, à  RangOHU,  le  poste  important  de  sliahhundcr. 

Dans  cett(;  crise,  le  major  Canning  reçut  un  niessage  du 
vice- roi ,  par  lequel  ce  dernier,  pour  prévenir,  dis:iit-i[. 


34(3  Précis  des  divers  éoéneniens 

nn  soulèvement  général ,  l'invitait  à  une  conférence  ,  et  le 
priait  de  se  rendre  près  de  lui.  Suivi  d'une  escorte  de  trente 
cipayes  ,  il  s'acLemina  vers  la  demeure  du  vice-roi.  Il  eu 
approchait  ,  lorsqu'il  reçut  un  second  message,  qui  lui  re- 
commandait de  congédier  ses  cipayes  ,  ou  du  moins  de  les 
désarmer  j  mais  il  n'en  tint  aucun  compte.  La  conférence 
eut  lieu  ;  on  se  plaignit  de  part  et  d'autre ,  et  on  se  quitta 
sans  accommodement. 

Quelques  circonstances  suspectes  ,  dont  cette  entrevue  fut 
accompagnée,  jointes  à  la  disposition  générale  des  esprits, 
à  Rangoun  ,  déterminèrent  le  major  Canning  à  quitter  une 
ville  oii  il  ne  se  sentait  plus  en  sûreté ,  et  à  se  réfugier  se- 
crètement à  bord  du  Malahar.  Il  fut  assez  heureux  pour  y 
réussir  j  mais  au  moment  de  son  départ,  on  essaya  de  le 
séparer  de  ses  cipayes  ,  et  d'enlever  la  barque  sur  laquelle 
ils  étaient  montés. 

Des  pourparlers  s'établirent  entre  le  vice-roi  et  l'envoyé, 
dès  que  celui-ci  eut  gagné  le  bord  du  Malahar.  Le  premier 
s'excusa  des  insultes  faites  à  la  mission  britannique  .  et  offrit 
une  réparation.  Le  major  Canning  agréa  ces  excuses,  et 
l'harmonie  parut  se  rétablir j  c'est  ce  qu'il  désirait,  autant 
pour  le  succès  de  sa  mission  que  pour  la  sûreté  des  comp- 
toirs anglais  établis  à  Rangoun. 

Après  avoir,  pendant  près  d'un  an  ,  lutté  avec  autant  de 
fermeté  que  d'adresse  ,  contre  les  artifices  de  la  cour  d'Ava , 
l'envoyé  britannique  reçut  l'ordre  de  retourner  à  Calcutta. 
Il  était  chargé  de  déclarer,  avant  de  partir,  au  vice-roi  de 
Pégu ,  que  son  rappel  n'avait  rien  dhostile;  que  le  but  de 
sa  mission  était  atteint,  puisque  la  cour  d'Ava  avait  reçu 
les  explications  des  autorités  britanniques  ,  touchant  les  en- 
Ireprises  de  Ringberring,  et  avait  ordonné  ensuite  l'éva- 
cuation de  la  province  de  Chittagongj  et  que  si  ,  de  son 
côté,  l'empereur  avait  quelques  réclamations  à  former 
auprès  du  gouvernement    du   Rcngal ,   il   pouvait   les    lui 


qui  ont  ainené  la  giiey-re  des  Birmans.  ^^'] 

adresser  par  Teutremise  iVun  pakil ,  qui  serait  reçu  dans 
les  possessions  de  la  Compagnie  ,  avec  tous  les  égards  con- 
venables. Le  major  Canning  était  de  retour  à  Calcutta  ,  au 
mois  de  septembre  1812. 

Cependant  Ringberring ,  après  que  les  Birmans  eurent 
quitté  la  frontière  de  Chittagong  ,  était  une  seconde  fois 
sorti  de  sa  retraite ,  et ,  à  la  tête  d'un  parti  de  Mugs  ,  il 
avait  envahi  de  nouveau  le  royaume  d'Arracan.  Mais  ,  at-. 
taqué  par  les  Birmans  en  nombre  supérieur,  il  fut  mis  en 
déroute  et  repoussé  jusqu'aux  frontières  du  Chittagong.  Le 
radjah  d'Arracan  fît ,  à  cette  occasion ,  de  vives  représen- 
tations au  gouvernement  du  Bengal;  l'accusa  de  perfidie 
dans  la  protection  qu'il  accordait  à  Ringberring ,  et  le 
menaça  de  la  vengeauce  prochaine  des  Birmans. 

Posté  avec  ses  Mugs  sur  la  frontière  du  Chittagong , 
Ringberring  tenait  la  province  entière  dans  l'inquiétude. 
Le  gouverneur-général  se  détermina  donc  à  faire  marcher 
contre  lui  un  détachement  de  cipajes.  Il  se  retira  devant 
ces  troupes ,  se  jeta  dans  les  forêts  au  raidi  de  la  province, 
et  jle  là ,  renlra  de  nouveau  dans  le  royaume  d'Arracan. 
Trop  faible  cependant  pour  tenir  tête  aux  Birmans  ,  il  cher- 
cha encore  un  refuge  dans  les  montagnes  du  Chittagong. 
Le  radjah  le  poursuivait,  et  pénétra  alors  assez  avant  dans 
le  territoire  britannique  ;  mais  quelques  cipaves ,  dirigés 
contre  lui,  le  forcèrent  à  rentrer  précipitamment  dans  l'Ar- 
racan.  Ces  événemens  se  passèrent  à  la  fin  de  1812. 

Au  mois  de  juin  i8i5,  le  gouvernement  du  Bengal  fut 
instruit  que  la  cour  d'Ava  chefchait  à  insurger  contre  lui 
les  principaux  états  de  l'Inde.  Sur  ces  entrefaites,  arriva  à 
Calcutta  uu  envoyé  de  cette  cour,  suivi  de  trente  per- 
sonnes qui  annonçaient  l'intention  de  se  rendre  à  Bénarcs 
pour  examiner  et  copier  certains  écrits  religieux  gardes  par 
les  brahmes.  On  sut  bientôt  que  ces  brahmes  entretenaient 
des  relations  avec  l'empereur  des  Birmans,  Ce  prince  de- 


548  Précis  des  difers  évènemens 

manda ,  peu  lie  lems  après,  qu'il  fut  permis  au  schahbuu- 
der  iVArracan ,  personnage  connu  pour  être  un  de  ses 
agens  confidentiels ,  de  passer  par  le  territoire  de  la  Com- 
pagnie pour  se  rendre  à  Delhi.  Le  but  ostensible  de  ce 
voyage  était  d'en  rapporter  d'autres  livres  religieux.  Le 
gouverneur-général  n'accueillit  pas  cette  demande;  mais 
il  offrit  de  se  charger  de  procurer  ces  livres  à  l'empereur. 

Cependant,  Kingberring  s'agitait  encore,  et  méditait  de 
nouvelles  excursions  j  mais  celte  fois,  le  gouvernement 
du  Bengal ,  averti  de  ses  projets,  lui  intima  l'ordre  d'y  re- 
noncer, sous  peine  d'être  pris  et  livré  au  radjah  d'Arracan. 

Le  marquis  de  Hastings  ,  arrivé  au  Bengal  en  i8i5  , 
comme  gouverneur  -  général  des  possessions  britanniques 
dans  l'Inde,  crut  devoir  adopter  un  système  conciliant 
avec  le  gouvernement  des  Bii  mans.  Il  autorisa  donc  à  pour- 
suivre Kingberring  et  ses  partisans  sur  plusieurs  points  du 
territoire  de  la  Compagnie,  qui  étaient  très-malsains,  et 
par  cette  raison  peu  accessibles  à  nos  propres  troupes. 

Soutenu,  toutefois,  par  les  Mugs  et  par  de  nombreux 
exilés  qui ,  du  pays  des  Birmans,  venaient  se  rallier  autour 
de  lui,  ce  chef  infatigable ,  malgré  ses  défaites  réitérées,  ne 
cessa,  tant  qu'il  vécut,  d'inquiéter  la  cour  d'Ava,  par  ses 
incursions  dans  l'Arracan.  Il  mourut  en  i8i5. 

On  se  félicita  des  deux  côtés  d'être  délivré  de  cet  instiga- 
teur de  troubles  ,  et  l'on  crut  que ,  privé  de  leur  chef,  les 
Mugs  reprendraient  enfin  leurs  occupations  paisibles.  Ils  y 
parurent  enfin  disposés  ;  mais ,  vers  la  fin  de  cette  même 
année,  un  nouveau  chef  les-  appela  autour  de  lui,  et  les 
excita  à  entreprendre  une  irruption  dans  l'Arracan.  Ce 
chef,  nommé  Runjunzing,  sur  l'avis  que  l'iulendanl  de 
Cliittagong  eut  de  ses  projets  ,  fut  arrêté  par  nos  cipayes  , 
et  le  rassemblement  qu'il  avait  formé  fut  dispersé. 

La  cour  d'Ava  se  montra  satisfaite  de  cet  acte  de  bon 
voisinage  de  la  part  du  gouvernement  britannique,  et  elle 


qui  ont  amené  la  guerre  des  Birmans.  34«j 

paraissait  être  revenue  à  son  égard  à  des  sentimens  favo- 
rables; mais,  dans  ce  moment  même,  elle  clierchait  à 
soulever  contre  lui  tout  i'Indoslan;  elle  envoyait  dans  ses 
diverses  parties  une  foule  d'émissaires  qui  s'y  donnaient 
pour  des  négociaus  ,  et  qui  étaient  chargés  de  pousser 
les  esprits  à  la  révolte  j  et  elle  négociait  avec  le  chef  de^ 
Seïks  un  traité  d^alliance  offensive. 

Dans  l'automne  de  1817,  (rois  individus  suspects  arrivè- 
rent à  Calcutta  ,  venant  d  Arracau ,  et  se  rendant  à  Lahore  , 
chargés  d'une  mission  du  gouvernement  des  Birmans.  Ijeij 
autorités  anglaises  les  chassèrent  du  pays,  et  adressèrent, 
à  ce  sujet ,  une  lettre  de  reproches  au  radjah  d'Arracan 
qui  s'empressa  de  les  désavouer. 

L'année  suivante,  au  mois  de  juillet,  la  coar  d'Ava 
somma  la  Compagnie  des  Indes  de  lui  restituer  comme 
dépendances  de  l'empire  des  Birmans ,  les  territoires  de 
Ramon ,  de  Dacca,  de  Mourchedp  et  de  Chittagong.  La 
dépêche  était  conçue  en  termes  outrageans,  et  elle  empor- 
tait une  déclai'ation  de  guerre  à  la  Compagnie,  en  cas  de 
refus.  On  ne  peut  douter  que  celte  démarche  ne  fût  une 
conséquence  des  naenées  de  la  cour  d'Ava  auprès  des  Mah- 
ratles.  Voyant  le  gouvernement  britannique  en  guerre  avec 
eux,  elle  put  juger  le  moment  favorable  pour  détruire  sa 
puissance  dans  l'Inde  j  mais  la  soumission  des  Mahrattes 
ne  tarda  pes  à  ramener  l'empereur  des  Birmans  à  des  dis- 
positions pacifiques.  Ce  prince  mourut  au  commencement 
de  1819.  Sous  son  successeur,  le  prince  régent,  le  calme 
qui  s'était  heureusement  rétabli,  dans  les  relations  entre 
la  cour  d'Ava  et  le  gouvernement  britannique  dans  l'Inde  , 
fut  de  pou  de  durée. 

Au  mois  de  juin  1819,  le  territoire  d'Assam,  limitrophe 
de  celui  des  Birmans  et  des  possessions  anglaises  ,  fut  le 
théâtre  d'événemcns  qui  ont  allumé  la  guerre  actuelle. 

Le  radjah  de  ce  pays,  Pourunder  Singh ,  fut  chassé  de 
II.  55 


55o  Précis  des  dii-'ers  ct'éneinens 

ses  états  par  une  faoiinn  rjui,  forte  île  Tappui  des  Birmans, 
voulait  porter  sur  le  trône  Cliunder  Kaunt.  Pourunder 
Singh  se  réfugia  sur  le  territoire  de  la  Compagnie  ,  et  of- 
frit de  devenir  son  titulaire,  si  elle  consentait  à  le  rétablir 
sur  !e  trône  Le  gouvernement  du  Bengal  répomUt  que  son 
intention  était  de  ne  prendre  aucune  part  à  cette  cjuerelie. 
Il  fit  une  réponse  semblable  à  Chunder  Kaunt,  qui  de- 
mandait que  le  radjah  dépossédé  lui  fût  livré ,  et  à  la  cour 
d'Ava  qui  appuyait  cette  demande.  L'année  1820  se  passa 
en  correspondance  sur  ce  sujet.  L'année  suivante  fit  mieux 
connaître  les  vues  des  Birmans  sur  le  territoire  d'Assam, 
Pourunder  Singb  avait  rassemblé  des  troupes  dans  la  pro- 
vince voisine  du  Boutan ,  et  allait  tenter  une  entreprise 
pour  recouvrer,  ses  états ,  lorsqu'il  reçut  des  propositions 
bien  extraordinaires  de  la  part  de  celui  qui  l'avait  détrôné. 
Ce  dernier,  fatigué  de  la  protection  des  Birmans  qui  avaient 
usurpé  son  pouvoir  et  ne  le  laissaient  régner  que  de  nom  , 
l'invitait  à  joindre  ses  foi'ces  aux  siennes,  pour  chasser  cet 
ennemi  commun  du  territoire  d'Assam. 

Pourunder  Sing  rejeta  ces  offres,  et,  persistant  dans 
son  entreprise ,  il  rentra  dans  ses  états  par  la  frontière  du 
Boutan,  Chunder  Raunt  le  mit  en  fuite  ;  mais  la  guerre 
étant  survenue  entre  lui  et  les  Birmans  ,  il  fut  vaincu  à  son 
tour,  et  forcé  de  se  réfugier  dans  les  possessions  anglaises. 
Les  Birmans  l'y  poursuivirent ,  et  y  commirent  quelques 
ravages  5  mais  ,  bientôt  après  ,  ils  rentrèrent  dans  l'Assam  ; 
l'empereur  nomma  un  nouveau  radjah  ,  et  il  invita  le  gou- 
vernement de  la  Compagnie  à  le  reconnaître  ,  et  à  ne  four- 
nir aucun  secours  aux  deux  exilés. 

Vers  la  fin  de  1821,  Chunder  Kaunt,  à  la  tête  de  tous 
ses  partisans ,  pénétra  dans  l'Assam ,  surprit  les  Birmans 
et  les  défit  en  plusieurs  rencontres.  A  la  même  époque  , 
Pourunder  Singh  y  fit  une  incursion  par  le  pays  de  Boutan. 
Ces  entreprises  faites,   apparemment   de  concert,  eurent 


qui  ont  amené  la  guerre  des  Birmans.  J'ii 

<V abord  quelques  succès  ;  mais  leurs  auteurs  ne  purent  te- 
nir long-tems  contre  les  forces  supérieures  des  Birmans. 

Réfugié  de  nouveau  sur  le  territoire  de  la  Compagnie , 
Chunder  Kaunt  s'y  ménageait  des  ressom'ces  et  entretenait 
des  intelligences  avec  les  habitans  de  TAssam.  Au  com- 
mencement de  1822,  il  reprit  l'offensive,  et  s'avança  jus- 
qu'à Govahati  sur  le  Bramapouter  3  mais  ici ,  il  eut  à  com- 
battre le  fameux  Mengli  Maba  Bundonlah,  qui  venait  d'être 
nommé  au  commandement  de  cette  contrée,  et  qui  arri- 
vait avec  un  renfort  considérable  de  Birmans.  Il  fut  mis  eu 
iléroute  complète  par  ce  cbef ,  et  il  regagna  avec  peine  la 
frontière  britannique.  A  l'occasion  de  ce  succès ,  Mengb 
Maha  Bundoulah  publia  un  manifeste  par  lequel  il  signa- 
lait le  fugitif  aux  autorités  du  Bengal,  et  menaçait  d'enva- 
liir  leur  territoire,  si  elles  lui  accordaient  un  asile.  Depuis 
lors,  TAssam  n'a  plus  été  qu'une  province  de  l'empire  des 
Birmans 

A  la  suite  de  ces  guerres  ,  il  ne  tax'da  pas  à  s'élever  des 
contestations  d'une  nature  assez  grave  entre  le  gouverne- 
ment de  la  Compagnie  et  celui  des  Birmans.  Elles  eurent 
pour  objet  la  possession  d'une  île  située  près  de  Goalpa- 
racb  ,  sur  le  fleuve  Bramapouter.  Les  Birmans  la  revendi- 
quaient comme  dépendance  de  l'Assam,  et  manifestaient 
rintention  de  s'en  emparer  de  vive  force ,  si  elle  ne  leur 
était  volontairement  cédée.  De  son  côté,  le  gouvernement 
de  la  Compagnie  se  montrait  résolu  à  se  maintenir  dans 
cette  île,  comme  dans  plusieurs  autres  situées  également 
sur  le  Bramapouter,  et  soutenait  qu'elles  éfaient  comprises 
dans  les  limites  qui  séparent  le  territoire  britannique  du 
pays  d'Assam. 

Telles  étaient  les  dispositions  de  ces  deux  puissances  ,  et 
les  rapports  qui  existaient  entre  elles  ,  lorsqu'en  1 820 ,  ceux 
des  habitans  d'Assam  qui  étaient  réfugiés  sur  les  possessions 
anglaises  ,  tentèrent  une  expédition  pour  rentrer  dans  leur 


SS'i  Discussions  de  Baenos-Ayres 

patrie.  Le  gouvernement  des  Birmans  ,  les  jugeant  soutenus 
dans  cette  entreprise  par  les  autorités  britanniques,  crut 
user  de  représailles,  en  ordonnant  des  incursions  sur  le 
territoire  de  la  Compagnie  :  ses  troupes  firent  prisonniers 
quelques  chasseurs  d'élcphans^  elles  s'emparèrent,  à  main 
mée,  de  l'île  de  Chapuri.  Ces  actes  d'agression  ont  amenée 
de  part  et  d'autre  ,  une  succession  d'hostilités  dont  le  carac- 
tère a  pris  plus  d'importance  de  jour  en  jour,  et  qui,  au- 
jourd'hui ,  mettent  l'empire  des  Birmans  à  deux  doigts  dei 
sa  perte. 


Discussions  de  Buenos -ayres  avec  le  bresil 
et  les  patagons. 


La  province  de  Monte-Tideo,  où  la  nature  parait  s'être 
plu  à  étaler  toutes  ses  richesses,  n'est  pas  moins  remar- 
quable par  sa  position  géographique  que  par  la  beauté  de 
ses  sites  et  la  fécondité  de  son  sol.  Placée  à  l'embouchure 
du  majestueux  lleuve  de  la  Plata  ,  et  selon  des  observa- 
lions  très-réoentes ,  au  34°  54'  4^"  de  latitude  australe ,  et 
56°  5'  5o'^  de  longitude  occidentale,  elle  n'est  éloignée  que 
de  quarante  lieues  de  la  ville  capitale  de  Buénos-Ayres  ^  et 
de  dix  de  la  côte  maritime.  Au  couchant  et  au  midi ,  elle 
est  bornée  par  les  fleuves  de  TUraguai  et  de  la  Piata,  et 
au  nord  elle  confine  au  territoire  du  Brésil.  Son  climat  est 
tempéré,  et  (juoique  humide,  il  est  d'une  salubrité  par- 
faite ,  tant  par  l'ettet  des  vents  secs  appelés  passageros  ,  (|ul 
traversent  les  vastes  plaines  de  Buenos- Ayres,  qu'en  raison 
de  la  brise  qui ,  en  sens  opposé  ,  souftle  de  l'Océan. 

Dans  Tannée  i8io,la  province  de  Monte-^idco  comp- 
tait une  population  de  Go  à 'jo,ooo  âmes  .  y  compris  celle 
de  l-t  ville  du  menu:  nom.  qui  s'éhvail  à  environ  "20,000. 


m>ec  le  Brésil  et  les  Patagons,    ,  355 

Celle  province  en  contient  à  peine  4o  à  5o,ooo  aujourd'hui^ 
savoir  :  io,ooo  dans  la  ville  ,  et  le  reste  tlans  les  campagnes, 
qui  sont  d'une  immense  étendue  ;  car,  en  bornant  la  pro- 
vince aux  limites  arbitraires  qui,  en  1809,  lui  fnren^t  im- 
posées par  la  cour  du   Brésil ,  elle  comprendrait  encore 
cent  trente  lieues  de  Castille ,  du  nord  au  midi ,  et  environ 
qualre-vingt-dix  de  l'est  au  couchant.  Elle  renferme  plu- 
sieurs villes  considérables  ,  telles  que  IMaidonado  ,  Colonia, 
Sainte-Lucia  ,  Caméléone  ,   Saint-Jose  ,  Saint-Carlos  ,  Sc- 
riano  et  Cerro-Largo  ;  et  quelques  gros  villages ,  tels  que 
Tolédo  ,  Pando  ,  Roclia  ,  Penarol,  Picéras  ,  Saint-Salvador^ 
Minas,  Florida  ,  Porongos,  Colla,  Bacas,  Vivoras  ,  Espi- 
nella  ,  Mercedes,  Paisandu  et  Hervidéra.  I^es  causes  qui 
ont   principalement  contribué  à  diminuer  sa  population, 
sont ,  la  guerre  qu'elle  a  eu  k  soutenir  contre  TEspagne  ,  les 
troubles  civils  dont  elle  a  été  le  siège,  et  Témigration  qu'a 
dû  produire  la  domination   brésilienne.    Monte-Vidéo  fut 
peuplé,  il  y  a  moins  d'un  siècle,  par  une  colonie  envoyée 
de  Buénos-Ayres.  A  cette  époque  ,  le  pays  était  occupé  par 
une  multitude  de  barbares  indigènes  qui,  depuis,  se  sont 
retirés  peu  à  peu  dans  ses  parties  les  plus  reculées ,  ap- 
pelées Charrecas.  Les  nouveaux  colons   se  trouvent  dans 
un  pays  qui  abondait  en  vigognes;   ils  négligèrent  l'agri- 
culture pour  ne  s'occuper  que  de  pâturages  ,  industrie  qui 
leur  offrait  l'appât  d'immenses  bénéfices.  Le  commerce  du 
bétail  fut  celui    auquel  la  province  se  consacra  spéciale- 
ment :  elle  faisait  tous  les  ans  des  exportations  très-grandes 
de  peaux  de  vigognes  et  de  cheval,  de  viandes  salées  et  de 
suif.  Monte-Vidéo  possédait ,  dans  le  tenis  de  sa  prospérité  , 
trente-trois  établissemens  pour  la  salaison  des  viandes ,  et 
dans  chacun  de  ces  établissemens ,  on  tuait  au  moins  cent 
vigognes  par  jour;  ce  qui  ,  compensé  d'un  autre  coté  par 
un\:  foule  de  circonslances  favorables  à  la  propagation  tie 
l'espèce  ,  n'en  diminuait  pas  scusiblemeut  le  nombre.  Les 


554  Discussions  de  Buenos- Ayres 

pâturages  de  cette  contrée  sont ,  non-seulement  très-abon- 
dans  ,  mats  aussi  d'excellente  qualité.  A  chaque  pas  que 
tait  le  voyageur,  il  rencontre  des  ressources  ;  il  est  agréa- 
blement surpris  par  la  vue  de  ruisseaux  d'une  eau  pure  et 
salubre,  et  ces  eaux  précieuses  arrosent  un  pays  dont  la 
surface  variée  présente  à  l'œil ,  des  collines ,  des  vallons  , 
des  prés,  des  forêts  et  des  montagnes. 

Les  rivières  principales  sont,  l'Uraguai,  le  Négro  , 
ribiaci,  le  Cébollati,  l'Yi ,  la  Sainte-Lucia ,  le  Guesigaï,  le 
Diaman  ,  l'Arapei ,  le  Guareï ,  l'Oiimar,  le  Pardo  ,  le 
Tacuari ,  l'Yguaron  et  le  ïacuarembo.  Ces  rivières  sont 
formées  par  de  nombreux  afduens  qui  sillonnent  le  pays 
dans  tous  les  sens ,  à  l'exception  de  celte  portion  montueuse 
qui  traverse  la  province  du  nord  au  midi,  et  qu'on  appelle 
le  Cucliillo.  Presque  toutes  ,  dans  une  grande  partie  de 
leur  cours,  pourraient  être  rendues  navigables j  celles  qui 
le  sont  déjà,  sont  l'Uraguai,  le  Négro,  le  Cébollati  et  la 
Sainte-Lucia.  Les  terres,  dans  ce  pays  ,  sont  pour  la  plu- 
part vierges 5  la  population  ne  s'étant  occupée,  jusqu'ici  , 
d'agriculture  que  pour  fournir  h  sa  propre  subsistance ,  et 
jamais  dans  des  vues  de  spéculation.  Ces  terres  produiraient 
cependant  avec  abondance,  et  presque  spontanément, 
toute  espèce  de  grains  ,  de  fruits  et  de  légumes. 

Cette  belle  province ,  autrefois  une  dépendance  de  la 
vice-royauté  de  Buénos-Ayres ,  est,  depuis  l'année  1817, 
possédée  ,  sans  autre  droit  que  celui  de  la  force  ,  par  le  gou- 
vernement portugais  ou  brésilien..  Ce  gouvernement,  pro- 
fitant à  cette  époque  des  discordes  civiles  des  provinces  de 
la  Plata  ,  fit  occuper,  par  un  corps  d'armée,  Monte-Tidéo 
et  son  territoire,  après  en  avoir  chassé  Artigas ,  qui  y  do- 
minait comme  chef  du  parti  indépendant.  Il  a ,  depuis  ce 
jour,  retenu  l'un  et  l'autre,  d'abord  sous  prétexte  de  sauver 
le  pays  des  mavix  de  l'anarchie,  et  de  le  remettre,  en  tems 
opportun  à  l'autorité  légitime  ,  et  ensuite  ,  parce  qu'il  pré- 


ai'ec  le  Brésil  et  les  Patagons.  355 

tend  y  avoir  été  appelé  ,  lorsqu'il  en  prit  possession  ,  par 
les  propriétaires  et  les  principales  autorités  du  pays. 

En  1820  ,  les  provinces  unies  de  Rio  de  la  Plata,  cons- 
tituées en  république,  et  indépendantes  de  leur  métropole , 
par  le  même  droit  que  le  Brésil  Tétait  de  la  sienne  ,  firent , 
par  Tintermédiaire  de  leur  gouvernement  central  de  Bué- 
nos-Ayres,  quelques  démarches  près  la  cour  du  Brésil  , 
pour  obtenir  qu'elle  fît  évacuer  Monte-Vidéo  et  son  ter- 
ritoire ,  et  pour  faii'e  entrer  cette  province  dans  l'union  de 
Rio  de  la  Plata,  Un  commissaire  fut  député  vers  le  nouvel 
empereur  don  Pèdre  ,  afin  de  traiter  avec  ses  ministres ,  à 
Rio-Janeiro ,  de  cette  restitution.  Mais  en  vain  cet  envoyé 
fît-il  valoir  près  d'eux  toutes  les  considérations  de  politique 
et  d'intérêt  commun  qui  semblaient  devoir  engager  leur 
monarque  à  abandonner,  à  cet  égard,  ses  prétentions  ;  en 
vain  offrit-il  une  indemnité  pécuniaire  pour  prix  de  cet 
abandon  :  la  cour  du  Brésil  pei'sista  aiory  et  persiste  encore 
à  garder  celte  possession.  Cependant ,  la  position  de  l'Union 
de  la  Plata  s'améliore  tous  les  jours 5  pleine  de  confiance 
dans  son  bon  droit ,  elle  a  offert  au  cabinet  de  Rio-Janeiro  , 
de  soumettre  leurs  diflérens  à  un  congrès  de  puissances 
américaines.  Si  cette  proposition  n'est  pas  accueillie ,  il 
est  probable  que  le  gouvernement  de  Buenos- Ayres  ne 
tardera  pas  à  recourir  à  la  force.  Dans  le  cas  où  cette  lutte 
s'engagerait,  l'empereur  don  Pèdre  pourrait-11  beaucoup 
compter  sur  le  dévouement  des  Brésiliens  ,  exposés  ,  comme 
ils  le  sont ,  à  la  séduction  des  idées  républicaines  ?  Il  y  a 
tout  lieu  de  croire  qu'à  la  suite  de  cette  guerre ,  l'Amérique 
du  sud  renfermerait  dans  son  sein  une  république  de  plus  , 
et  que  les  premiers  coups  de  canon  renverseraient  le  seul 
trqne  qui  s'y  trouve. 

Pendant  que  le  gouvernement  de  Buénos-Ayres  s'occupe 
des  moyens  de  faire  rentrer  la  hnndc  orientale  sous  sa  do- 
mination ,  il  parait  qu'il  voudrait  aussi  agrandir  son  terri- 


556  Discussions  de  Buenos-Ayres ,  etc. 

toire  du  côté  de  la  Patagonie;  qu'il  a  déjà  fait  plusieurs 
démarches  dans  ce  but,  et  qu'au  besoin,  il  serait  même 
disposé  à  prendre  les  ai'nies. 

Les  communications  entre  la  Patagonie  et  Buénos-Ayres 
s'entretiennent  actuellement  par  nier,  et  il  ne  faut  que  huit 
à  dix  jours  pour  avoir,  dans  cette  ville,  des  nouvelles  du 
pays  des  Patagons  ;  bien  que  par  cette  voie  il  en  soit  plus 
éloigné  d'environ  200  lieues  que  par  la  voie  de  terre.  Inoc- 
cupation de  la  Patagonie  agrandirait  le  territoire  de  Bué- 
nos-Ayres de  plus  de  20,000  lieues  carrées,  dans  la  direc- 
tion du  raidi  ,  et  lui  permettrait  de  reculer  ses  limites 
jusqu'au  5  i*  degré  de  latitude  australe.  Cette  république 
serait  alors  ,  avec  la  Russie  ,  la  Chine ,  l'empire  des  Anglais 
dans  l'Inde,  celui  du  Brésil,  la  république  de  Colombie  et 
l'Union  de  l'Amérique  du  nord  ,  un  des  plus  vastes  états  du 
monde. 

Déjà ,  pour  avoir  accès  dans  ces  régions  et  y  introduire 
les  bienfaits  de  ia  civilisation,  en  y  étendant  son  empire  ,  le 
gouvernement  de  Buénos-Ayres  a  proposé  aux  peuples 
qui  les  habitent,  d'acheter  une  portion  de  leur  territoire. 
En  1822  ,  il  nomma  des  commissaires  pour  traiter  avec 
leurs  chefs  d'une  cession  de  ce  genre  ;  et  ces  commissaires, 
s'étant  transportés  en  Patagonie,  eurent  des  conférences 
avec  une  réunion  de  caciques.  Ces  conférences  se  tinrent 
dans  la  tente  de  l'un  de  ces  caciques.  Voici  les  noms  des 
principaux  d'entr'eux  :  Liucou  ,  Afonné ,  Aynepau ,  Pi- 
chilongoy,  Anafdû,  Chemabilù  ,  Cachul ,  Chanapas,  Cas- 
trell,  Epuan,  Huilletruz,  Tucumau  ,  Amenaquel,  Necul- 
nichui ,  Triû ,  Pitri ,  Califiau  ;  chefs  des  Indiens  ,  Acanes  et 
Pampas.  Les  noms  suivaus  sont  ceux  des  caciques  Huili- 
ches  et  Telmeches  :  Niginil  ,  Quinisolo ,  Pichimandura  , 
Yambilconi ,  Banali ,  Chalequien  ,  et  Napalo.  Les  Indiens  , 
soumis  à  ces  chefs,  sont  des  hommes  d'une  taille  et  d'une 
force  extraordinaires  ;  ils  ont  sept  pieds  anglais  de  haut  ;  ils 


Portrait  de  trois  orateurs  du  barreau  anglais.        357 

se  tatouent  le  corps  et  vont  à  demi  nus  ;  ils  portent  des 
chapeaux  de  cuir,  surmontés  d'un  plumet.  La  plupart  de 
ces  caciques  consentaient  à  vendre  leurs  terres ,  mais  ils 
en  demandaient  un  prix  exorbitant.  Par  cette  raison  ,  et 
par  suite  de  Finfluence  qu'exercèrent  sur  eux,  dans  cette 
occasion,  les  chefs  des  Runquèles,  race  turbulente  et  belli- 
queuse qui  occupe  un  territoire  situé  près  du  Chili ,  cette 
conférence ,  ou  parlamento ,  n'eut  pas  le  résultat  que  le 
gouvernement  de  Buenos- Ayres  en  attendait,  et,  après  de 
longs  débats ,  ses  offres  furent  rejelées. 

Il  paraît,  d'après  cela,  que  le  gouvernement  central 
des  provinces  unies  de  la  Plata  sera  obligé  de  recourir  à  la 
force  pour  mettre  à  exécution  ses  projets  sur  la  Patagonie. 
Il  sera,  au  reste,  d'autant  plus  sûr  de  réussir  par  ce  moyeu, 
que  ces  peuples  barbares  ,  armés  seulement  de  frondes  et 
de  lances,  sont  en  petit  nombre,  et  très-dissérainés,  et  qu'ils 
ne  pourront  opposer  à  la  tactique  et  à  la  discipline  euro- 
péennes que  ce  courage  dans  les  combats  ,  qu'ils  tiennent  de 
la  nature,  et  cette  rapidité  dans  leurs  évolutions ,  qu'ils  doi- 
vent à  la  bonté  de  leurs  chevaux  et  à  leur  adresse  à  les 
manier.  {Lit.  Gaz.) 


PORTRAIT   DES   TROIS   PLUS    FAMEUX   ORATEURS   DU   BAR- 
REAU ANGLAIS,  ERSKINE,  SCARLETT   ET   BROUGHAM. 


Lord  Erskine ,  le  premier  talent  du  barreau  d'Angle- 
terre ,  était  un  homme  dépourvu  de  génie  et  d'imagination  , 
et  c'est  à  cela  même  qu'il  dut  ses  prodigieux  succès.  Ses 
discours  ,  correctement  écrits,  ne  contiennent  aucun  mor- 
ceau remarquable  qu'on  puisse  détacher  de  l'ensemble,  et 
graver  dans  la  mémoire.  Ses  plus  brillaus  passages  ne  sont 
que  des  lieux  communs  exprimés  avec  élégance  et  ingé- 
II.  34 


558  Portrait  des  trois  plus  fameux  orateurs      ' 

nîeusement  adaptés  à  sou  texte.  S'il  avait  eu  plus  de  fécon- 
dité dans  la  pensée,  de  grandeur  dans  les  images,  de  pro- 
fondeur dans  les  vues,   il  n'aurait  jamais  pu  donner  tant 
de  couleur  aux.  actions  les  plus  ordinaires  de  la  vie.  S'il 
avait  pu  rivaliser  avec  Pitt ,  ou  appuyer  Fox ,  sans  paraître 
faible  après  lui,  il  n'eût  pas  fait  les  délices  et  la  gloire  de 
la  cour  du  banc  du  roi.   Son  tempérament,  ses  moyens 
et  ses  connaissances  étaient  parfaitement  en  harmonie  avec 
sa  profession.  On  n'avait  jamais  déployé  ,  avant  lui ,  un  plus 
grand  nombre  de  qualités  propres  à  réussir  au  bari'eau  j 
un  esprit  brillant ,   une  grande  fécondité   de  saillies  ,   une 
grâce  singulière  dans  le  débit,  un  rare  bonheur  d'expres- 
sion ,  une  mémoire  riche  et  familière  avec   les  traditions 
de  l'antiquité,  lise  tenait  toujours  à  la  portée  de  son  au- 
ditoire ,  et  possédait    l'heureux  talent  de  l'élever  jusqu'à 
sa  hauteur.  En  cela  ,  il  était  favorisé  par  les  rapports  de 
parenté  qui   l'unissaient  à  une  famille  distinguée  ,  par  un 
son  de  voix  harmonieux  et  par  un  regard  expressif,  qui 
semblaient  solliciter  l'indulgence,  et  quelquefois  comman- 
der l'admiration.  Ses  qualités  morales  contribuaient  encore 
davantage  à  lui  gagner  les  cœurs.  Il   était  impossible  de 
résister  à  cet  air  de  bienveillance ,  à  cette  naïveté  enfan- 
tine, à  cette  couleur  aimable  qu'il  savait  répandre  sur  les 
sujets  les  plus  sévères.    Ses  faiblesses  mêmes  étaient  des 
moyens   d'iniluence.   Il  semblait  fulre   partager  au  public 
son  égoïsme,  sa  vanité,  et  tous  ses  petits  défauts  person- 
nels. Mais  ses  traits  les  plus  vigoureux  partaient  bien  plus 
souvent  de  ses  passions  que  de  son  imagination.  S'il  em- 
ployait une  comparaison  pittoresque,  iU'empruntait  tou- 
jours aux  scènes  les  plus  simples  de  la  vie  champêtre.  Le 
paysan  grossier,   le  marchand  iliélré  s'attendrissaient  au 
récit   naïf  des   aniusemens  de    l'enfance,  au  tableau  des 
charmes  d'une  vieille  amitié,  à  la  peinture  touchante  des 
peines  et  des  plaisirs  domestiques.  Il  savait  faire  valoir  avec 


du  barreau  anglais.  ÔSq 

beaucoup  d'art  les  affections  douces  ,  mais  rarcmeiil  il  avait 
recours  aux  émotions  violentes.  Lorsqu'il  avait  à  de'fendre 
les  droits  politiques  d'un  de  ses  concitoyens,  ce  n'était  pas 
avec  des  abstractions,  c'était  au  nom  àes  coutumes  antiques 
du  pays ,  au  nom  des  lois  sanctionnées  par  la  cour  et  par 
les  parlemens.  Il  se  renfermait  toujours  dans  les  formes 
du  barreau,  même  lorsqu'il  se  permettait  une  digressioa 
sur  l'histoire  ou  sur  la  littérature  3  mais  il  savait  les  rendre 
respectables,  en  les  faisant  servir  d'appui  à  l'opprimé  ,  et 
en  leur  prêtant  les  couleurs  de  son  imagination.  Ou  ad- 
mirait surtout  la  discrétion  avec  laquelle  il  glissait  sur  les 
matières  délicates ,  et  le  goût  parfait  qui  caractérisait  son 
langage.  Dans  les  causes  peu  importantes ,  il  ne  tombait 
jamais  dans  l'exagération  ;  il  se  contentait  de  donner  de 
l'intérêt  aux  détails ,  et  de  les  lier  au  sujet  principal  avec 
beaucoup  de  grâce  et  de  sagacité  ;  souvent  un  bon  mot  lui 
servait  d'argument.  Ses  digressions  avaient  pour  but  de 
donner  le  change  au  jury,  au  moment  où  il  voulait  frapper 
un  coup  décisif.  Il  y  avait  de  la  sagesse  jusque  dans  son 
audace,  et  la  fermeté  même  n'était  chez  lui  qu'un  moyen 
comme  ses  faiblesses.  Il  soutint  conslammeut,  devant  les 
cours,  la  dignité  de  l'avocat,  et  rendit  au  barreau  un  im- 
mortel service  ,  moins  encore  par  le  courage  que  par  l'à- 
propos  de  sou  opposition.  Il  fut,  en  un  mot,  l'avocat  le 
plus  accompli  dont  nous  ayons  gardé  le  souvenir  3  il  éleva 
sa  profession  j  et  cependant,  avec  toutes  ses  grandes  qua- 
lités ,  avec  tous  ses  genres  de  gloire  ,  Erskine  ne  fut  qu'un 
écrivain  spirituel ,  et  qu'un  argumentateur  sans  génie. 

Scarlett ,  aujourd'hui  le  coryphée  de  la  cour  du  banc 
du  roi,  a  mains  d'éclat  que  son  prédécesseur 3  mais  il  ne 
lui  cède  peut-être  eu  rien  dans  l'art  de  conduire  une  cause. 
Il  évite  avec  soiu  les  écarts  d'imagination  ;  il  s'adresse  ra- 
rement aux  passions  des  hommes  ;  mais  il  a  souvent  donné 
des  preuves  ilu  talent  le  [)lus  brillant  et  le  plus  énergique. 


36o  Portrait  des  trois  pîusjamevx  orateurs 

Dans  la  discussion  clés  afliilrcs  domestiques  qui  n'exigent 
que  du  bon  sens  et  du  tact,  il  n'a  pas  en  de  maître  ni 
même  de  rival.  Entre  ses  mains  ,  le  résultat  d'une  cause 
ne  semble  jamais  douteux;  il  le  prévoit,  il  le  décide  au 
milieu  des  plus  grandes  difficultés  ,  et  il  se  trompe  rare- 
ment. Il  marche  droit  à  son  but  avec  assurance  quoi- 
qu'avec  sagesse.  Ce  que  Johnson  disait  de  la  manière  dont 
Burke  traitait  un  sujet ,  «  qu'il  se  repliait  comme  un  grand 
?j  serpent,  »  on  peut  le  dire  de  Scarlett.  Il  ne  se  contente 
pas  d'effleurer  une  affaire,  il  ne  se  décourage  pas  non  plus 
si  le  succès  en  est  compromis  :  11  s'y  enfonce ,  l'agite  ,  la 
remue  dans  tous  les  sens.  On  remarque  dans  chacun  de 
ses  discours  une  disposition  lumineuse ,  de  la  clarté  ,  l'heu- 
reux emploi  de  l'ironie  ;  mais  c'est  dans  la  réplique  surtout 
qu'il  triomphe.  Il  ne  présente  plus  alors  une  suite  de  con- 
sidérations ingénieuses  pour  arriver  à  l'évidence  ,  encore 
moins  une  froide  analyse  de  la  déposition  des  témoins  j 
mais  il  réunit  à  l'instant  tous  ses  moyens  pour  en  faire 
une  masse  imposante  ,  comme  s'il  avait  eu  le  loisir  de 
les  préparer  pour  frapper  un  grand  coup.  Sa  pensée  vi- 
goureuse et  rapide  forme  un  plan,  des  divisions,  et  il  les 
développe  en  homme  supérieur.  Lorsqu'une  cause  a  été 
péniblement  élaborée  pendant  une  demi-journée ,  et  qu'elle 
semble  compromise  par  le  plaidoyer  de  son  adversaire  , 
il  la  résume  ,  l'abrège ,  la  relève  et  l'emporte.  Il  anime 
et  fortifie  tout  ce  qu'il  touche  :  entre  ses  mains,  le  moindre 
soupçon  se  change  en  certitude  ;  les  circonstances  vagues  , 
isolées,  sans  intérêt,  deviennent  pour  lui  des  moyens  de 
convaincre.  On  le  vit  un  jour,  par  le  seul  prestige  de  son 
talent  ,  arracher  au  jury  une  déclaration  contraire  à  la 
justice  et  à  l'évidence.  Si  ce  discours  n'est  pas  un  chef- 
d'œuvre  ,  du  moins  il  n'est  pas  assez  au-dessous  de  plusieurs 
ouvrages  du  premier  mérite,  pour  que  nous  hésitions  à  le 
ranger  parmi  eux..  Lors  des  débals  sur  la  motion  relative  à 


du  harreau  anglais,  36 1 

raccnsatîon  de  M.  Abercrombie  contre  le  chancelier,  Scar- 
lett  montra  que  c'e'tait  par  nécessité  et  malgré  lui  qu'il  avait 
assujetti  son  talent  aux  formes  commandées  par  la  routine. 
Dans  cette  occasion  ,  il  changea  sa  manière  ordinaire  : 
oubhant  les  formes  polies,  l'accent,  les  gestes  quil  avait 
adoptés  depuis  long-tems,  il  parla  avec  la  rudesse  d'un 
homme  du  nord,  et  fit  entendre  des  vérités  qui  étonnèrent 
la  chambre. 

Brougham,  sans  avoir  une  haute  naissance ,  une  grande 
fortune  ou  des  rapports  intimes  avec  l'aristocratie  ,  s  est 
élevé ,  par  son  seul  talent ,  à  la  tète  du  parti  de  l'opposition 
parlementaire,  et  il  recommence  maintenant  à  exercer  sa 
première  profession  d'avocat.  Cependant ,  quelles  que  soient 
retendue  et  la  variété  de  ses  connaissances,  il  ne  possède 
pas  cette  grande  et  puissante  faculté  qui  éclipse  toutes  les 
autres,  je  veux  dire  l'imagination.  Ses  moyens  variés  ne 
sont  pas  combinés  de  manière  à  se  prêter  un  mutuel  appui  j 
mais  ils  semblent  au  contraire  agir  isolément.  Le  même 
discours  peut  ofï'rir  une  carrière  à  plusieurs  genres  de  ta- 
lens  :  à  une  narration  élégante  et  facile,  à  un  esprit  vif  et 
brillant,  à  une  dialectique  serrée,  à  une  chaleur  pathéti- 
que; mais  ces  beautés  sont  cparses,  et  ne  sont  pas  fondues 
dans  le  corps  de  ses  discours.  Son  arme  la  plus  redou- 
table est  le  sarcasme  :  c'est  le  mépris  qui  lui  inspire  ses 
plus  beaux  mouvemens.  Il  tire  plus  départi  de  la  terreur 
que  de  l'attendrissement  ou  de  l'enthousiasme.  Emporté 
par  l'impétuosité  de  son  caractère ,  il  cherche  à  «  dévoiler 
»  ces  esprits  médiocres  qui  n'osent  pas  se  produire  au  grand 
»  jour,  et  il  traîne  dans  la  poussière  une  majorité  de  tiers 
»  persécuteurs  (i).  »  Chez  lui ,  tout  est  dirigé  vers  le  posi- 
tif ;  c'est  un  géant  plutôt  qu'un  magicien.  Il  peut  faire  vingt 
cboses  à  la  fois ,  et  bien  ;  mais  il  est  incapable  d'en  faire  uuo 

(i)  Note  du  Tr.  Allusion  au  procès  Je  la  reine. 


562  Vn  trait  de  la  vie  du  lord  Byron. 

grande,  et  il  ne  faute  pas  attendre  de  lui  vine  de  ces  inspira- 
tions soudaines  et  sublimes,  qui  étonnent  le  monde  par  un 
caractère  nouveau  de  vérité  et  de  grandeur.  Il  déploie  une 
activité  peu  commune  dans  la  sphère  étendue  de  ses  occu- 
pations ,  et  il  est  l'homme  de  chacune  d'elles.  A  trois  heures 
du  malin ,  on  l'entendra  faire  au  parlement  une  sortie  fou- 
droyante contre  ses  ennemis,  et  à  neuf  heures  et  demie, 
on  peut  le  rencontrer  au  palais,  plaidant  avec  chaleur  une 
affaire  de  cinq  guinées.  Celte  diversité  d'occupations ,  cette 
étonnante  flexibilité  du  talent  de  M.  Brougham,  dépendent 
beaucoup  de  son  caractère  et  de  son  tempérament.  Non- 
seulement  il  se  livre  à  un  plus  grand  nombre  de  travaux 
qu'aucun  autre  homme;  non-seulement  on  le  voit ,  au  mi- 
lieu des  plus  grands  débats  politiques,  composer  un  article 
pour  la  Revue  d'Édinbourg^  et  préparer  un  nouveau  sys- 
tème d'éducation  pour  le  peuple ,  mais  il  fait  tout  cela  avec 
tant  de  naturel  et  de  simplicité ,  qu'un  étranger  le  prendrait 
facilement  po\ir  un  gentilhomme,  maître  absolu  de  son 
tems  et  de  ses  plaisirs.  Le  feu  qui  anime  son  intelligence 
ne  semble  point  accélérer  son  pouls ,  ni  donner  à  son  sang 
plus  d'ardeur  que  sa  chaleur  naturelle.  Cest  un  homme 
tout  diflérent  au  sénat ,  dans  son  cabinet ,  dans  un  comité  , 
et  au  barreau  :  aussi  n'est-il  jamais  au-dessous  des  devoirs 
qui  lui  sont  imposés.  Et  cependant ,  quoique  digne  d'clre 
rangé  parmi  les  hommes  d'état,  devant  lesquels  Erskinc 
était  si  faible,  ce  n'est  qu'avec  les  plus  grands  efforls  qu'il 
parvient  à  soutenir  le  poids  d'une  réputation  sous  lequel 
tout  autre  aurait  succombé.  [London  Magazine.) 

UN  TRAIT  DE  LA  VIE  DE  LORD  BYRON. 


Lorsque  lord  Byron  ,  accompagné  du  lieutenant  Ekcn- 
licad,  passa  à  la  nage  l'Hellespout,  il  fit  celte  prouesse  à 


Vn  trait  de  la  vie  de  lord  Byron.  363 

tJii  point  du  canal  qu'il  supposait  être  celui  où  liCandre  l'a- 
vait traverse  pour  aller  trouver  Héro.  Il  paraît  qu'aux 
Dardanelles  le  courant  est  tellement  rapide  qu'il  est  impos. 
sible  d'y  passera  la  nage,  et  même  dans  une  barque,  avec 
certilude  de  toucher  à  un  point  donné.  Lord  Bjron  partit 
du  château  d'Abjdos ,  et  ne  gagna  la  rive  opposée  qu'à 
trois  milles  au-dessous  de  l'endroit  qu'il  voulait  alleindre. 
Il  avait  une  barque  à  sa  suite  pendant  tout  le  passage  ,  de 
sorte  qu'il  était  à  l'abri  de  tout  danger.  Lorsqu'il  arriva  à 
terre ,  ses  forces  étaient  tellement  épuisées  qu'il  se  trouva 
heureux  d'accepter  l'offre  que  lui  fît  un  pauvre  pécheur 
turc  de  prendre  quelque  repos  dans  sa  cabane.  Il  était  ma- 
lade et  il  avait  un  fort  accès  de  fièvre.  Comme  le  lieutenant 
Ekenhead  était  obligé  de  retourner  à  sa  frégate,  il  resta 
seul  avec  les  bonnes  gens  qui  l'avaient  recueilli. 

Le  Turc  n'avait  aucune  idée  du  rang  et  de  l'importance 
de  son  hôte.  Il  lui  rendit  néanmoins  tous  les  soins  possi- 
bles ;  sa  femme  ne  lui  en  rendit  pas  moins ,  et  tous  deux 
firent  si  bien  qu'au  bout  de  cinq  jours  leur  malade  fut  ré- 
tal)li.  Quand  il  s'embarqua  pour  regagner  la  côte  opposée  , 
son  hôte  le  pourvut  d'un  grand  pain  ,  d'un  fromage  et  d'une 
outre  remplie  de  vin  ;  il  lui  fit  accepter  aussi  quelques prae^ 
(^pièces  de  monnaie  de  la  valeur  d'environ  20  centimes) 5  il 
pria  Allah  pour  lui ,  et  lui  souhaita  un  bon  voyage.  Lors- 
qu'il reçut  les  dons  du  pauvre  Turc  ,  lord  Bvron  se  borna 
à  lui  faire  un  simple  remercîracnt;  mais,  rendu  sur  l'autre 
rive  ,  il  expédia  son  fidèle  Stefano  pour  aller,  de  sa  part , 
porter  au  pécheur  un  assortiment  de  filets,  uu  fusil  de  chasse, 
une  paire  de  pistolets  et  douze  aunes  d'étoffe  de  soie  pour 
sa  femme.  Le  bon  pcclieur,  tout  étonné  de  se  voir  tant  do 
belles  choses,  s'écria  :  «<  Quelle  magnifique  récompense 
»  pour  un  peu  d'hospitalité!»  Il  se  détermina  le  lende- 
main à  passer  l'IIellcspont ,  et  à  aller  remercier  eu  per- 
sonne le  maître  de  Stéfano.  Il  lauça  doue  sa  barque  et  ga- 


364  Histoire  des  relations 

gna  hientôt  le  large  ;  mais  à  peine  fut-il  au  milien  du  canrîî 
qu'il  s'éleva  un  violent  coup  de  vent  qui  le  fît  chavirer,  et 
le  précipita  an  fond  des  eaux. 

liord  Byron  fut  très-afFIigé,  comme  on  le  pense  bien  , 
de  ce  triste  accident;  et,  dès  qu'il  en  eut  connaissance  , 
il  envoya  une  somme  de  5o  dollars  à  la  veuve  du  pécheur, 
et  lui  fit  dire  qu'elle  pourrait ,  dans  toute  occasion ,  compter 
sur  lui.  Cette  anecdote,  qui  fait  honneur  à  la  mémoire  de 
lord  Byron,  vient  d'ctre  publiée  aujourd'hui  pour  la  pre- 
mière fois.  Nous  la  devons  à  M.  Hare  lieutenant  dans  la 
marine  royale,  qui  était  sur  les  lieux  à  l'époque  où  ces 
faits  se  passèrent.  Il  ajoute  qu'en  se  rendant  à  Constan- 
tiuople,  en  1817,  lord  Byron  se  fit  mettre  à  terre  à  ce  même 
endroit,  et  qu'il  fit  de  nouteaux  présens  à  la  veuve  et  à 
son  fils,  qui  se  rappelaient  encore  les  bontés  de  lord  Byron, 
mais  qui  ne  se  remettaient  plus  sa  personne,  tant  son 
costume  et  quelques  années  l'avaient  changé. 


HISTOIRE    DES   RELATIOxVS   DES   NATIONS   ETRANGERES 
•  AVEC    LA    CHINE. 


Voici  la  manière  bizarre  dont  un  écrivain  chinois  rend 
compte  des  relations  de  la  Chine  avec  les  nations  étran- 
gères. 

«  Au  lems  de  Houang-te  (environ  2200  ans  avant  l'ère 
chrétienne),  un  étranger  arriva  du  midi,  et  apporta  en 
tribut  une  coupe  et  des  peaux. 

»  Au  lems  d'Hëa  ,  des  insulaires  apportèrent  des  babils 
brodés. 

>>  Au  tems  de  Chang  (1700  ans  avant  l'ère  chrétienne)  , 
les  Ye-gou ,  dont  les  cheveux  étaient  coupés  ,  apportèrent 
de  l'Orient  des  cofl'rcs  faits  avec  des  écailles  de  poisson  ,  des 
é|:ées  et  des  boucliers.  Us  apportèrent  du  midi  des  perles, 


des  nations  étrangères  açec  la  Chine.  565 

des  dents  d'éléphans ,  des  écailles  de  tortue  ^  des  plumes 
de  paon ,  des  oiseaux  et  des  petits  chiens. 

«Au  tems  de  Chou  (environ  ïooo  ans  avant  Jésus* 
Christ),  la  Chine  entra  en  relation  avec  huit  nations 
barbares. 

n  Au  tems  de  Han  (environ  200  ans  avant  Jésus-Christ  ) , 
plusieurs  individus  arrivèrent  de  Canton  ,  de  Lou-whang-» 
che ,  et  d'autres  contrées  du  midi  :  les  premiers  étaient  à 
dix  jours  de  marche  de  l'empire  ,  et  les  seconds  en  étaient 
éloignés  de  cinq  mois.  Leurs  territoires  étaient  considé- 
rables et  bien  peuplés,  et  on  y  trouvait  beaucoup  de  mar- 
chandises de  prix. 

"L'empereur  Wou-te  (120  ans  avant  Jésus-Cbrist  )  , 
envoya  des  ambassadeurs  dans  différentes  contrées,  où  ils  se 
procurèrent  des  perles ,  des  pierres  fines ,  des  curiosités  de 
diverse  nature,  de  l'or,  etc.  3  ils  furent  bien  accueillis  par- 
'  tout  où  ils  se  présentèrent,  et ,  à  partir  de  cette  époque  , 
les  articles  de  cette  nature  arrivèrent  en  grande  quantité 
dans  l'empire. 

»  Au  tems  de  Rang  Wou  (un  siècle  avant  Jcsns-Cbrist)  , 
les  barbares  apportèrent  des  cbevaux.  Mau-yuen  fit  poser 
des  palissades  en  fer  pour  empêcher  les  irruptions  des 
étrangers  du  raidi  et  de  Toccldent. 

»  Au  tems  de  Sony  (Goo  ans  après  Jésus- Christ),  on 
envoya  des  ambassadeurs  à  toutes  les  nations  voisines. 

»  Au  tems  de  la  dynastie  de  Tang  (700  ans  après  Jesus- 
Christ),  un  marché  régulier  fut  établi  à  Canton,  et  l'em- 
pereur y  envoya  un  oflScier  pour  percevoir  les  droits  dus 
au  gouvernement.  Les  étrangers  qui  résidaient  à  Canton 
recevaient  des  Chinois  de  l'or  ,  de  la  soie,  etc.,  et  ils  dou- 
uaient  en  retour  des  cornes  de  rhinocéros ,  des  dents  d'élé- 
phans  ,  du  corail ,  des  perles,  des  pierres  Hocs  ,  du  cristal, 
des  drogueries ,  etc.  Ces  marchandises  payaient  un  dixième 
de  leur  valeur. 

II.  55 


566  Histoire  des  relations 

»  Dans  la  tlouzicme  année  de  Ching-li  (en  i55o),  Jes 
étrangers  nommés  Fa-lan-te  (les  Français)  arrivèrent  de 
roccideut,  et  dirent  qu'ils  apportaient  des  tributs  ;  puis  ils 
entrèrent  tout-à-coup,  et  sans  prévenir,  dans  le  portj  et,  dès 
qu'ils  y  furent,  ils  se  mirent  à  tirer  de  grands  coups  de 
canons  qui  ébranlèrent  toute  la  ville.  On  en  e'crivit  de  suite 
à  la  cour,  et  l'empereur  ordonna  de  les  renvoyer  immédia- 
tement, et  de  faire  cesser  le  commerce  avec  les  barbares. 
Mais  les  babitans  de  Canton  ayant  ensuite  écrit  à  la  cour 
pour  demander  de  reprendre  lecir  commerce,  ils  y  furent 

autorisés. 

■4 

»  Le  Se-yang-kuo  (le  Portugal)  est  une  contrée  considé- 
rable à  cent  mille  li  de  la  Cbine  ;  elle  produit  des  bois  odo- 
raus,  des  étoffes  de  différentes  natures  ,  etc. 

»  Dans  la  première  année  de  Yoiing-Lo  (en  1 588)  ,  le  roi 
de  Portugal  envoya  un  ambassadeur.  Trois  ans  après,  iî  en 
envoya  un  second  avec  un  tril>ul.  L'empereur  lui  écrivit, 
le  nomma  roi  duKou-Li ,  et  lui  donna  un  sceau  d'argent. 
Dans  la  cinquième  année  de  son  règne  ,  il  ordonna  à  son 
eunuque  d'envoyer  au  roi  de  Portugal  quelques  étoffes  de 
soie  pour  babiller  ses  officiers. 

»  Dans  la  sixième  année  de  Rang-lîi ,  un  ambassadeur 
lui  fut  envoyé  avec  une  lettre  du  roi  de  Portugal ,  écrite  sur 
des  feuilles  d'or,  un  portrait  de  ce  prince  ,  une  épée  montée 
en  or,  un  arjjre  de  corail ,  des  grains  de  corail,  des  grains 
d'ambre  ,  deux  pièces  d'étoffe  de  laine  ,  dix  tlonli  d'éié- 
pbans  ,  quatre  cornes  de  rbiuocéros,  des  bois  de  senteur, 
des  drogues  ,  de  l'essence  de  roses,  etc.  l's  offrirent  à  l'im- 
pératrice un  collier,  un  grand  miroir,  des  grains  d'ambre, 
de  l'essence  de  rose  et  d'autres  parfums.  L'empereur  traita 
magnifiquement  les  personnes  qui  faisaient  partie  de  la  lé- 
gation :  il  donna  à  raiu])i.ssadeur  soixante-six  pièces  de  soie 
«■t  cent  lacis;  à  ce'ui  qui  venait  après  lui,  dix-buit  pièces 
de  soie  et  cinquante  laèls  ;  au  prêtre  dix-buil  pièces  de  soie 


des  nations  éfnmgcres  auec  la  Chine.  067 

Cl  cinquante  tacls,  et,  à  cliaciiu  des  dix-neuf  domestiques  , 
dix  pièces  de  soie  et  vingt  tacis.  Dans  la  cinquantième  an- 
née de  Rang-Hi ,  le  roi  de  Portugal  envoya  en  ambassade 
un  ta-keo-sze  (ministre  d'état),  avec  des  tributs}  il  avait 
vingt  personnes  de  suite. 

»  Dans  la  troisième  année  de  Yung-cbing ,  le  roi  de 
l'église  (le  pape),  envoya  une  ambassade  avec  un  grand 
nombre  de  présens  ;  des  globes,  des  perles ,  de  l'ambre, 
des  coupes  ,  etc.  Dans  la  quatrième  année,  arriva  une  autre 
ambassade,  l'empereur  écrivit  au  roi  de  l'église,  de  sa 
propre  main  ;  celui-ci  lui  répondit  par  une  lettre  qu'il  en- 
voya dans  un  coffre  d'or, 

»  Les  Ho-Lan  (les  Hollandais)  ne  venaient  pas  autrefois 
à  la  Cbine;  dans  l'hiver  de  la  vingt-neuvième  année  de 
Wan-Li  (en  1600),  deux  ou  trois  grands  vaisseaux  arri- 
vèrent à  Macao;  les  habits  des  gens  qui  s'y  trouvaient 
étaient  rouges,  leur  taille  élevée  et  leur  chevelure  rousse; 
leurs  yeux  étaient  bleus ,  leurs  pieds  très-longs  ;  ils  effrayè- 
rent le  peuple  par  leur  étrange  apparence.  On  demanda 
qui  ils  étaient;  ils  répondirent  qu'ils  n'étaient  point  des 
pirales  et  qu'ils  apportaient  des  tributs  5  mais  comme  on 
ne  les  avait  pas  vus  auparavant,  et  qu'ils  n'avaient  pas  de 
lettres  ,  on  ne  voulut  pas  ies  recevoir.  Dans  la  dixième 
année  de  Shun-Chi,  ces  barbares  envoyèrent  une  ambas- 
sade. L'empereur,  en  considération  de  la  difficulté  du 
voyage ,  voulut  bien  les  recevoir.  Dans  la  seconde  année 
de  Kang-Hi ,  ils  envoyèrent  un  roi  de  l'Océan  (un  amiral) 
pour  aider  les  Chinois  à  détruire  les  pirales  du  Fo-Rin  ,  (  t 
ils  denuHulèrenl  i'anlorisalion  de  commercer  avec  la  Chine. 
L'empereur  leur  ordonna  de  venir  en  Chine  faire  le  com- 
nierce,  Ui\c  fois  tous  h^s  deux  ans.  Dans  la  troisième  an- 
née, ils  envoyèrent  de  nouveau  un  i-i  i  de  l'Océan  ,  pour 
combattre  les  pirales  de  Fo-Rin.  Dans  la  cinquième  an- 
née ,  on  refusa  de  les  recevoir,  parce  que  dans  l'espace  do 


368  Nouffelles  des  sciences , 

huit  années,  ils  n'avaient  donné  qu'un  seul  tribut.  Dans 
la  vingt-cinquième  année ,  ils  demandèrent  Tautorisation 
d'apporter  des  tributs  tous  les  cinq  ans.  Autrefois,  ils  appor- 
taient de  la  vaisselle  d'argent  et  des  selles ,  etc.  On  con- 
sentit à  les  recevoir,  mais  on  leur  ordonna  de  n'apporter 
que  du  corail,  du  camphre,  des  habits,  de  l'ambre  et  des 
fusils.  »  {Asiatic  Journal,) 


NOUVELLES  DES  SCIENCES, 

DE    LA    LITTÉRATURE,    DES   BEAUX-ARTS,    DU    COMIMERC£, 
DES  ARTS  INDUSTRIELS,  DE  l'aGRICULTURE  ,  ETC. 


miiai;;i 


SCIENCES  NATURELLES. 

Prolongation  de  la  vie  humaine.  —  M.  Finlaison,  archi- 
viste du  bureau  de  la  dette  publique ,  a  consigné  ,  dans  un 
ouvrage  de  statistique,  ce  fait  important ,  que  la  durée  de  la 
vie  a  été  tellement  prolongée  dans  le  cours  du  dernier  siècle, 
que  le  terme  moyen  à  cet  égard  est  aujourd'hui ,  au  terme 
moyen  il  y  a  cent  ans ,  comme  quatre  est  à  trois.  Cette  ob- 
servation fait  voir  quelle  heureuse  influence  exercent  sur 
l'espèce  humaine  les  progrès  de  l'industrie;  car  c'est  à  ces 
progrès  qu'est  dû  incontestablement  cet  heureux  résultat. 
H  paraît  qu'après  l'enfance,  la  vie  des  femmes  est  bien 
plus  longue  que  celle  des  hommes  ;  et  de  ce  fait  résultent 
des  différences  énormes  dans  la  fixation  des  intérêts  qui 
dépendent  de  sa  durée j  ainsi,  supposez  qu'un  homme  et 
une  femme  du  même  âge  ,  trente  ans  ,  par  exemple  ,  dé- 
sirent acheter  une  rente  viagère  pour  la  jouissance  de  ce- 
lui ou  celle  qui  survivra  à  l'autre  ;  dans  ce  cas  ,  si  l'homme 
l'achète  au  profit  de  la  femme,  la  rente  en  question  cov\- 


du  commerce ,  de  l'industrie  .^  etc.  ^^^ 

tera  469  liv.  st.  i4  sb.  6  d.  (11,667  fr.  4oc.);  a"  lieu  que, 
si  c'est  la  femme  qui  achète  au  profit  tie  Thomme  ,  la  rente 
ne  coulera  que  Siy  liv.  st.  1  sh.  7  tl.  (7,926  fr.  90  c).  Un 
fait  bien  affligeant,  c'est  l'immense  morlalité  qui  à  lieu 
dans  l'enfance  ,  parmi  les  classes  pauvres.  Sur  mille  enfans 
qui  naissent  dans  cette  classe,  il  n'en  vit  ,  lors  des  gros- 
sesses suivantes  des  mères  qui  leur  ont  donné  le  jour, 
que  542  ;  c'est-à-dire  qu'il  n'eu  reste  guère  plus  que  la 
moitié.  , 

Or  natif.  —  Dans  les  mines  de  Slatowsk ,  en  Sibérie ,  en 
a  trouvé  récemment  des  masses  d'or  natif  d'une  valeur  ex- 
traordinaire, et  en  très-grand  nombre.  La  quantité  de  ces 
masses  d'or,  recueillies  dans  un  seul  jour,  pèse  cinquante- 
huit  livres  ,  et  la  masse  la  plus  forte ,  qui  eu  pèse  seize , 
a  été  expédiée  de  suite  à  l'empereur. 

Inondation  de  la  Hollande.  —  Les  journaux  ont  annonce 
que  la  dernière  inondation  de  la  Hollande  avait  étendu 
et  multiplié  ses  ravages  dans  tous  les  sens.  Les  provinces 
d'Over-Yssel  et  de  Frise  sont  celles  qui  paraissent  avoir  le 
plus  souffert  de  ce  désastre.  Si  les  rapports  ne  sont  pas  exa- 
gérés, plus  de  cinq  mille  acres  de  terre  ont  été  engloutis 
dans  ces  deux  seules  provinces,  par  suite  de  la  rupture 
des  digues.  La  ville  d'Embden,  surtout,  présente  l'image 
complète  de  la  dévastation.  Les  eaux  de  la  mer  se  sont  éle- 
vées partout  à  une  plus  grande  hauteur  qu'elle  ne  l'avait 
jamais  fait  depuis  la  terrible  inondation  de  1775.  Sans  en- 
trer dans  tous  les  détails  relatifs  à  ce  malheureux  événe- 
ment ,  nous  nous  bornerons  à  mettre  sous  les  yeux  de  nos 
lecteurs  le  récit  suivant,  qui  mérite  d'autant  plus  leur  cou- 
fl'ance,  qu'il  porte  un  caractère  ofiîciel. 

«  Le  mardi  i^'  février,  l'atmosphère  étant  devenue  tout- 
à-coup  brûlante  pour  la  saison  ,  présageait  une  grande 
tempête  5  le  soir,  ou  vit  s'avancer  rapidement^  du  sud- 


3^0  Nouvelles  des  sciences , 

ouest ,  une  longue  colonne  tle  nuages  noirs  ;  le  vent  com- 
mença immédiatement  à  souffler  de  ce  point.  Le  mercredi 
2,  il  continua  de  souffler  avec  violence  dans  la  môme  di- 
rection; vers  le  soir,  il  passa  tout-à-coup  au  nord-ouest. 
Le  jeudi  matin,  à  Tlieure  du  flux,  il  n'avait  pas  change', 
ce  qui  fit  craindre  une  forte  marée.  Le  même  jour,  après 
midi ,  la  mer  s'éleva  à  une  hauteur  extraordinaire  ;  lèvent 
se  maintenait  au  nord-ouest,  et  arrêtait  le  reflux  qui  fut 
incomplet  :  tout  annonçait  donc  que  la  marée  suivante  se- 
rait encore  plus  formidable.  En  effet,  dans  la  matinée  du 
vendredi,  la  tempête  continuant  avec  la  même  force,  les 
eaux  s'élevèrent  à  'i6  pouces  hollandais  plus  haut  que  la 
veille.  A  la  marée  basse ,  la  mer  ne  descendit  que  jusqu'à 
la  moitié  de  ses  limites  habituelles  ,  ce  qui  prouvait  que 
l'ouragan  se  prolongeait  au  loin  et  soulevait  l'Océan.  Tous 
ces  symptômes  ,  qui  annonçaient  une  catastrophe  pro- 
chaine, répandirent  les  plus  grandes  alarmes;  ou  ne  pou- 
vait plus  douter  que  la  marée  suivante  ne  s'élevât  encore 
davantage.  Bientôt,  ce  moment  arriva  :  tant  que  la  mer 
n'eut  point  franchi  son  point  d'élévation  accoutumé  ,  on 
n'observa  aucun  pliéaomène  extraordinaire,  mais,  parve- 
nues à  ce  point ,  les  eaux  s'élancèrent  avec  rapiiHlé  ,  et  dé- 
passèrent bientôt  de  six  pouces  et  demi  les  marées  de  1808. 
Pendant  le  reflux,  le  vent  tomba  peu  à  peu.  C'est  une 
chose  remarquable  que,  le  samedi  6,  la  marée  du  matin 
ne  s'éleva  qu'à  sa  hauteur  habituelle.  Dans  ce  moment ,  le 
vent  se  releva  toujours  du  nord-ouest;  aussi  la  marée  du 
soir  fut  au  moins  aussi  considéralile  que  celle  de  la  soirée 
du  mardi.  A  la  nuit  ,  îe  vent  redoubla  de  violence  ,  et 
comme  le  mouvement  rétrograde  des  eaux  n'avait  été  que 
peu  sensible,  on  s'attendait  à  un  nouveau  désastre;  mais  , 
vers  les  dix  heures  et  demie  du  soir,  le  veni  faiblit  et  passa 
au  nord,  même  un  peu  à  Test,  ce  qui  lit  baisser  la  mer 
avec  rapidité,  quoi(iu'ellc  fût  très-haute  dans  ce  moment , 


du  commerce  ^  de  rùidiisirie,  etc.  5^1 

et  elle  rentra  bientôt  dans  son  Ht  ordinaire.  Depuis  lors, 
les  marées  ont  été  régulières.  Il  est  peut-être  inouï ,  dans 
les  annales  de  la  météorologie,  que  cinq  orages  aient  éclaté 
pendant  six  marées  consécutives,  dont  Tune  atteignit  une 
hauteur  sans  exemple  jusqu'alors ,  dans  la  province  de 
Zélaude. 

Phosphorescence  des  po77imes  de  terre.  —  Liclilenljeri; 
raconte  que,  le  n  janvier,  un  officier  de  garde,  dans  une 
ville  d'Allemagne ,  en  traversant  la  caserne ,  aperçut  de  la 
lumière  dans  uuc  des  chambres  de  Tédifice.  Comme  il 
était  expressément  défendu  d'en  avoir,  il  crut  que  c'était 
un  incendie,  et  courut  sur-le-champ  pour  porter  du  se- 
cours. En  entrant  dans  la  chambre ,  il  trouva  les  soldats 
assis  sur  le  lit,  admirant  une  lumière  magnifique  qui  par- 
tait d'un  monceau  de  pommes  de  terre  i\  l'état  de  putré- 
faclion  naissante.  Cette  lumière  était  si  vive,  que  les  sol- 
dats pouvaient  lire  à  sa  clarté;  elle  perdit  peu  à  peu  sa 
vivacité  et  son  éclat,  et  elle  dispdvut  entièrement  dans  la 
nuit  du  lo  janvier. 

Comhuslio7i  diijer  à  la  vapeur  du  soufre.  — -  Le  profes- 
seur lîare  a  observé  que  si  Ton  chauffe  jusqu'au  rouge  l'ex- 
irémilc  d'un  canon  de  fusil ,  et  qu'on  y  introduise  un  mor- 
ceau de  soufre,  un  jet  de  vapeurs  sulfureuses  enflammées 
s'échappe  par  la  lumière  ,  pourvu  toutefois  que  rouverlure 
du  canou  soit  fermée  avec  soin.  Un  morceau  d(!  (il  de  fer 
soumis  à  l'action  de  ce  jet  enflammé  ,  brûle  comme  dans  le 
gaz  oxygène,  et  tondjc  sous  la  forme  de  globules  fondus, 
à  l'état  de  proto-su  fure.  l /hydrate  de  polas^^e  expostî  à 
cette  flamme  se  liquéfie,  et  forme  un  sulfure  tl'uue  belle 
co'uleur  rouge. 

Pores  du  corps  humain.  —  La  peau  de  l'honmie  ollVe  lut 
spectacle  curieux  ,  examinée  à  l'aide  du  microscope.  Lu  en 


5^2  JSfoiwelles  drs  sciences^ 

coupant  une  pelile  portion  avec  un  canif,  on  un  rasoir,  on 
aperçoit  une  multitude  de  petits  pores  imperceptibles  à 
l'œil  nu ,  qui  forment  l'appareil  à  travers  lequel  la  matière 
perspirable  est  constamment  sécrétée.  Ces  pores  se  distin- 
guent encore  mieux  sur  la  seconde  peaui  On  en  compte 
mille  sur  la  longueur  d'un  pouce,  et,  par  conséquent,  un 
million  par  pouce  carré.  En  suivant  ce  calcul,  on  peut 
apprécier  la  quantité  des  pores  qui  doivent  se  trouver  à  la 
surface  de  chaque  corps,  au  mojen  du  raisonnement  sui- 
vant :  L'étendue  extérieure  du  corps  d'un  homme  de  gran- 
deur moyenne,  est  estimée  à  quatorze  pieds  carrés.  Or, 
chaque  pied  carré  contenant  1^4  pouces,  le  nombre  total 
des  pores  égale  1,000,000  X  i44  ^  14  =  2,016,000,000, 
deux  milliards  seize  millions. 

Effets  du  son  sur  quelques  animaux.  —  Dans  l'oreille  de 
riiomme,  la  forme  du  tympan  est  circulaire  ,  de  sorte  qtie 
les  fibres  rayonnent  du  centre  à  la  circonférence,  et  sont 
toutes  d'une  égale  longueur.  Sir  E.  Home  a  observé  que 
chez  l'éléphant,  .dont  le  tympan  est  ovale,  ces  fibres  sont 
inégales  comme  les  rayons  qui  partent  du  foyer  d'une 
ellipse.  La  conformation  de  l'oreille  humaine  la  rend  mer- 
veilleusement propre  à  sentir  l'harmonie  de  la  musique,  et, 
selon  M.  E.  Home ,  les  fibies  les  plus  longues  de  l'éléphant 
lui  rendent  sensibles  les  plus  légères  vibrations.  Un  piano 
fut  transporté  à  Exeter-Change,  pour  constater  sur  un  élé- 
phant ce  phénomène  intéressant.  Les  notes  les  plus  hautes 
parurent  à  peine  avoir  frappé  son  oreille;  mais  les  tons  bas 
réveillèrent  vivement  son  attention.  L'effet  des  sons  aigus 
d'un  piano,  sur  le  grand  lion  de  la  ménagerie,  fut  d'exci- 
ter en  lui  une  forte  surprise  j  mais  à  peine  eut-on  touché 
les  noies  basses,  qu'il  se  leva  brusquement;  ses  yeux  lan- 
çaient des  flammes,  il  s'efforçait  de  rompre  ses  cliaînes , 
se  battait  les  flancs  de  sa  queue,  et  paraissait  animé  d'une 


du  commerce  ,  de  l'industrie ,  etc.  075 

telle  furenr,  que  les  femmes  présentes  à  ce  spectacle  furent 
glacées  d'effroi.  11  poussait  des  rugissemens  épouvanta- 
bles ;  tous  les  symptômes  cessèrent  avec  la  musique.  Sir 
E.  Home  a  observé  une  organisation  analogue  dans  les 
bêtes  à  cornes,  les  bêles  fauves,  les  chevaux^  les  lièvres  et 
les  chats. 

Suif  minéral, —  On  a  trouvé  récemment  quelques  échan- 
tillons de  cette  substance  minérale,  dans  une  fondrière, 
sur  les  bords  du  lac  Ayne.  Des  paysans  l'avaient  observée 
pour  la  première  fois  en  1706  ,  sur  les  côtes  de  Finlande; 
on  en  trouva  depuis  dans  un  des  lacs  de  la  Suède.  M.  Her- 
nia'n ,  médecin  à  Strasbourg,  découvrit  un  minéral  sem- 
blable dans  une  fontaine,  près  de  cette  ville.  Enfin,  le 
professeur  Jameson  vient  d'en  trouver  en  Angleterre.  Ce 
corps  singulier  a  la  couleur  du  suif,  et  produit  au  toucher 
la  même  impression,  mais  il  est  insipide.  II  fond  à  118°,  et 
bout  à  2go°,  Fahrenheit.  A  l'état  de  fusion,  il  est  trans- 
parent, incolore;  en  refroidissant,  il  devient  opaque  et 
reprend  la  couleur  blanche,  mais  moins  foncée  qu'aupa- 
ravant. 11  est  insoluble  dans  l'eau,  soluble  dans  l'aîcohol , 
l'huile  de  térébenthine,  l'huile  d'oUve,  de  naphte .  lors- 
que ces  liquides  sont  en  ébullition  ;  mais  il  est  précipite 
par  le  refroidissement. Sa  pesanteur  spécifique,  à  l'clat  na- 
turel, est  de  0,6078,  et  comme  il  est  plein  de  bulles  d'air 
après  le  dégagement  par  la  fusion  ,  sa  pesanteur  spécifique 
devient  0,983,  et  est,  par  conséquent,  pins  considérable 
que  celle  du  suif.  Il  ne  se  combine  pas  avec  les  alcalis  et 
ne  forme  point  de  savon.  Ainsi ,  il  diffère  de  tous  les  corps 
connus  ;  des  huiles  fixes,  puisqu'il  ne  fait  pas  de  savon  •  des 
huiles  volatiles  et  bitumineuses  ,  par  ses  propriétés  insipides 
et'inodorcs.  Sa  volatilité  et  sa  combustibilité  sont  égales  à 
celles  de  toutes  les  huiles  volatiles  et  du  naphte  (1). 

(i)  Voyez  la  description  A' xxii Suif  vcgcial,  a^  liv.  da  i<:r  vol.  p.  372, 

II-  5G 


374 


Nouvelles  des  sciences  f 


COMMERCE. 


Del'ùifluence  de  rétablissement  des  diverses  Compagnies 
nouvelles ,  sur  le  prix  des  fonds  publics.  —  La  niasse  de 
capitaux  que  des  entreprises  de  divers  genres  ont  absorbée 
dans  ce  pays,  pendant  la  dernière  année,  a  dû  ne'cessaire- 
ment  exercer  une  influence  puissante  sur  le  prix  des  fonds 
publics  et  sur  la  valeur  de  l'argent  en  général.  Le  tableau 
suivant  fera  connaître  le  développement  qu'a  pris  ce  genre 
de  spéculation,  et  expliquera  suffisamment,  selon  nous,  la 
rareté  de  l'argent  qui  se  fait  sentir  aujourd'hui. 

Nombre  des  Compagnies.  Capitaux. 

Liv.  st.  Francs. 

33  Pour  construction  (le  canaux  et  gares..    17,753,000  (    44^)825, 000) 
48  Pour  construction  déroutes  à  rainures 

de  fer 22,454,000  (    56i,35o,ioo) 

42  Pour  distribution  de  gaz 11, no, 000  (    277,750,000) 

6  Pour  la  fourniture  du  lait 565, 000  (      1 4, 125,000) 

8  Pour  distribution  d'eau  à  la  capitale,      i, 750,000  ('    4''')75o,ooo) 
4  Pourl'exploitation  de  mines  dehouille.     2,750,000  (      68,750,000) 

34  Pour  l'exploitation   de   mines  me'tal- 

lirjues 24,4o5,ooo   (    612,375,000) 

20  D'assurances 4'»8oo,ooo  (i,o45,ooo,ooo) 

a3  De  banque 21,610,000  (    54o,25o,ooo) 

4  Pour  la  fournilure  des  ble's 4iO)000  (       io,25o,ooo) 

12  Pour  la  navigation  par  paquebot ,  etc.  5,54o,ôoo  (    i38,5oo,ooo) 

3  Pour  la  pccbe 1,600,000  (       40,000,000) 

1   Pour  la  pèche  des  perles 625,000  (       i5, 625,000) 

5  Pour  la  culture  de  l'indigo,  du  su- 

cre, etc io,5oo,ooo  (    287,5oo,ctoo) 

4  Pour  entreprises  agricoles l^1QQO^ooo  (     100,000,000) 

a  Pour    élablissemens    d'industrie    en 

Irlande 2,5oo,ooo  (       G2,5oo.ooo) 

1  Pour  la  construction  des  roules  sou- 

terraines sous  la  Tamise 200,000  (  5, 000, 000) 

a  Pour  la  construction  des  bains  d  eau 

de  mer ■ 75o,ooo  (  18,750,000) 

2  Pour  la  fondation  des  journaux 4^0,000   (  ii,5oo,ooo) 

i8  Entreprises  de  divers  genres 2,832,o5o  (  70,8oi,a5o) 

376  Total —   174,704,050(4,367,061,250) 


du  commerce  ■,  de  l'indiéstne^  etc.  5^5 

Les  entreprises  que  ce  tableau  nous  présente  ,  au  nom- 
bre de  276  ,  ont  donc  absorbé  une  soiriu)e  de  capitaux  qui 
s'élève  à  près  de  1 73  millions  sterl.  (4, 375, 000, 000 de  fr.)  î 
Or,  si  nous  sommes  bien  informés ,  les  emprunts  faits  par 
le  gouvernement ,  durant  la  dernière  guerre ,  n'ont  pas  dé- 
passé, année  commune ,  5o  millions  (750,000,000  defr.), 
somme  qui ,  multipliée  par  sis. ,  se  monterait  à  180  millions 
(4.5500,000,000  de  fr.)  :  donc  aujourd'bui ,  dans  une  seule 
année  de  paix  ,  on  aura  affecté  à  diverses  entreprises  ,  une 
somme  égale  à  celle  empruntée  par  le  gouvernement  pen- 
dant six  années  de  guerre.  On  sait  assez  que  les  emprunts , 
renouvelés  sans  cesse  pendant  la  guerre ,.  ont  été  la  cause 
pour  laquelle  le  prix  des  fonds  publics  est  toujours  resté  à 
un  taux  fort  bas  ;  or,  puisqu'il  en  est  ainsi ,  pourquoi  la 
baisse  que  ces  fonds  viennent  d'éprouver,  ne  s'expliquerait- 
elle  pas  par  une  cause  analogue?  Si,  par  un  emprunt  an- 
nuel de  5o  millions  ,  le  gouvernement  épuisait  la  place  de 
capitaux  ,  et  tenait  toujours  les  fonds  publics  à  un  taux  très- 
bas  ,  pourquoi  un  épuisement  causé  par  des  Compagnies 
de  particuliers,  ne  produirait-il  pas  le  même  effell'  car, 
supposez  que  sur  cette  somme  de  1^5  millions  st. ,  citée 
plus  haut ,  comme  affectée  à  diverses  entreprises  ,  il  y  ait  eu 
25  pour  cent  d'avancé  par  les  actionnaires,  il  y  aura  eu,  dans 
une  seule  année ,  un  épuisement  de  4o  millions  sterling  , 
c'est-à-dire,  de  10  millions  sterling  de  plus  que  celui  causé 
par  les  emprunts  du  gouvernement ,  dans  la  dernière 
guerre.  Il  faut  remarquer  que  le  tableau  que  nous  avons 
donné  ci-dessus,  ne  comprend  pas  les  fonds  absorbés  par 
les  emprunts  étrangers.  II  s'exporte  annuellement ,  depuis 
la  paix,  presqu'autant  de  capitaux  qu'il  s'en  exportail  pen- 
dant la  guerre,  et  tant  que  cet  état  de  choses  subsistera  ,  il 
est  impossible  que  le  prix  des  fonds  publics  se  maintienne  à 
un  taux  fort  élevé.  Nous  voyons  déjà  l'effet  produit  sur  eux 
par  ces  aûcclalious  de  capitaux  ,  (pic  noua  appellerons  cm- 


376  Nouvelles  des  sciences, 

priinls  particnlîers ,  par  opposition  aux  eraprunls  publics. 
Nous  voyons  qu'elles  en  ont  fait  baisser  le  prix,  de  10  pour 
cent ,  en  moins  d'une  année ,  et  si  ces  emprunts  particu- 
liers se  renouvellent ,  si  ce  système  d'association  se  répand 
dans  l'ancien  et  le  nouveau  continent ,  on  ne  peut  douter 
qu'il  n'en  résulte ,  pour  les  fonds  publics ,  une  baisse  en- 
core plus  sensible. 

D'après  ces  considérations  ,  nous  sommes  portés  à  croire 
que  l'argent  continuera  d'être  rare ,  et  que  le  prix  des 
fonds  publics  sera  déterminé  à  l'avenir  par  les  taux  de  l'in- 
térêt dans  les  opérations  particulières.  En  France ,  aux 
Etats-Unis  et  eu  Russie,  il  est  probable  que  cette  baisse 
sera  moindre,  parce  que  la  dette  publique,  dans  ces  pays  , 
est  bien  moins  considérable  qu'elle  ne  l'est  chez  nous. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nous  pensons  que  tant  que  durera  le 
goût  des  entreprises  par  compagnies ,  il  sera  très-difficile 
que  les  fonds  publics  se  relèvent ,  et  nous  ne  serions  pas 
surpris  de  voir  nos  5  pour  cent  consolidés  descendre  dans 
le  cours  de  l'année  prochaine,  à  5  pour  cent  plus  bas  qu'ils 
ne  sont  aujourd'hui.  Quand  on  emploie  des  fonds  à  un 
placement  quelconque ,  on  les  retire  nécessairement  d'un 
autre  placement.  Lorsque,  pour  employer  une  somme  de... 
à  quelque  entreprise ,  on  retire  cette  somme  des  fonds  pu- 
blics ,  ces  fonds  doivent  souffrir  d'autant ,  par  l'effet  de  ce 
déplacement.  Un  homme  qui  spécule  habituellement  sur 
les  denrées  coloniales  ou  agricoles,  aura  place  ses  capitaux 
dans  les  fonds  publics  comme  dans  un  lieu  de  sûreté ,  à 
Tépoque  où  ces  denrées  seront  tombées  à  vil  prix 5  mais, 
lorsqu'il  viendra  à  les  retirer  des  fonds  publics  pour  les 
employer  de  nouveau  à  ce  genre  d'entreprise,  parce  que 
CCS  denrées  auront  haussé  de  5o  à  4o  pour  cent,  est-il 
possible  que  ces  mêmes  fonds  ne  se  ressentent  pas  de  cette 
opération?  et  cependant,  nos  habitués  de  la  bourse  disent 
qu'ils  ne  comprennent  rien  à  la  baisse  actuelle  du  prix  des 


du  conmierce^  de  l' industrie  ,  etc.  Z'j'j 

fonds  publics  ,  bien  qu'ils  aient  expliqué  la  hausse  par  un 
raisonnement  semblable  à  celui  par  lequel  nous  expliquons 
la  baisse. 

Commerce  et  Navigation.  —  Etat  du  nombre  des  na- 
vires britanniques  qui  sont  sortis  des  ports  du  Rojaume- 
Uni ,  ayant  pour  destination  les  lieux  ci-dessous  nommés  , 
dans  le  cours  des  anne'es  qui  se  terminent  au  5  janvier  1824 
et  au  5  Janvier  1825. 

1824.  1825. 

Bâtiinens.     Tonneaux.     Bâlimens.     Tonneaux, 

Indes  Orientales gg  49)04^  9^  49»*^^ 

La  Chine i5  20,128  23  3o,oo2 

Cap  de  lionne-Espérance 3o  7»  107  27  C,i54 

Malacca 3  i,3oi  3  997 

Java 7  2,210  7  1,665 

L'île  Maurice 1  471  5  1,822 

'limor — I  128 

Îvouvelle-Hollande  et  îles  de  la  mer 

Pacifiijuc.. 36  12,794  33  11,701 

Pèche  dans  les  mers  Australes Sg  17.669  3i  9, '22 

Sierra  Leone 32  7*427  57  16, 384 

Total  dans  le  Royaume-Uni 282        118, i4g       283        127,098 

Etat  du  nombre  des  navires  construits  et  enregistrés  dans 
l'empire  britannique ,  pendant  les  années  qui  se  termi- 
nent au  ^^  janvier  1824  et  au  ^^  janvier  1825. 

1824.  1825. 

Navires.     Tonneaux.       Navires.       Tonneaux. 

Royaume-Uni 594         63,i5i         799       gi,o83 

Cucrncsey  et  Jersey  elîle  de  Man.. .      10  637  38         2.i3b 

Colonies  britannit|ucs 243  a2,a4o  174       21,968 

847         86,028     1,011      115,187 

Ztat  général  de  la  marine  de  l'empire  britannique  ,  au  20 
septembre  1825. 

Nombre  des  hàlimcns 24  776 

Tonna^^e 2,559,587 

>f ombres  des  marins 168,637 


5^8  Nout>elles  des  sciences  , 

INDUSTRIE. 

Progrès  de  la  cwiUsation  dans  les  îles  de  la  Société.  — 
Le  peuple  de  ces  îles  continue  de  faire  de  grands  progrès 
dans  les  arts  utiles.  A  Otahiti ,  on  a  établi  une  fabrique  de 
sucre 5  et,  à  Einies,  une  fabrique  de  coton  qui  sera  mue 
par  un  cours  d'eau.  Le  sucre  et  le  coton  croissent  abon- 
damment dans  le  pays.  Grâce  au  zèle  des  missionnaires 
protestans  ,  les  lumières  de  TÉvangile  sont  aujourd'hui 
généralement  répandues  dans  ces  différentes  îles ,  qui  ne 
tarderont  pas  à  offrir  bientôt ,  à  plusieurs  égards ,  l'aspect 
des  contrées  civilisées  de  l'Europe.  On  ne  peut  comparer 
l'influence  qu'y  exercent  ces  missionnaires,  qu'à  celle 
qu'exerçaient  les  jésuites  au  Paraguay. 

Progrès  de  la  civilisation  en  Russie.  —  Deux  projets  très- 
iniportans  pour  le  bien  de  la  Courlande,  occupent  dans  ce 
moment  l'esprit  de  ses  habitans.  L'un  se  rapporte  à  l'éta- 
blissement d'une  banque  à  Mittau  ,  qu'on  aurait  voulu  ren- 
dre indépendante  de  celle  de  Saint-Pétersbourg  ,  mais  pour 
laquelle  on  n'a  pu  obtenir,  sur  ce  point,  la  sanction  de 
l'empereur.  L'autre  a  pour  but  de  creuser  un  canal  de 
communication  entre  le  Vindau  et  le  Niémen.  Quinze  cents 
à  deux  mille  soldats  seront  employés  incessamment  à  l'exé- 
cution de  cette  belle  entreprise.  Il  existe,  de  pius  ,  un  pro- 
jet pour  faire  communiquer  la  Mer  Noire  avec  la  Baltique  , 
au  moyen  d'autres  canaux  qui  seraient  également  exécutés 
par  des  soldats.  Il  serait  fort  à  désirer  qu'à  l'exemple  de 
l'empereur  Alexandre  ,  les  autres  gouvernemens  européens 
employassent  leurs  soldats,  en  tems  de  paix  ,  à  l'exécution 
des  travaux  publics.  Ce  serait  un  grand  soulagement  pour 
les  nations  qui ,  au  lieu  de  salarier  en  pure  perle  des  mil- 
liers d'oisifs,  ue  feraient  plus  ,  de  cette  manière,  que  sala- 
rier des  hommes  utiles.  Assurément,  il  vaudrait  beaucoup 


du  commerce  ^  de.  l'industrie  ^  etc.  S'jg 

mieux,  et  II  serait  beaucoup  plus  honorable  pour  les  offi- 
ciers de  nos  régimens,  de  conduire  et  de  surveiller  des  tra- 
vaux semblables,  que  de  passer,  comme  fout  beaucoup 
d'entr'eux ,  une  partie  de  leur  Journée  à  boire  dans  des 
cafés  et  des  tavernes ,  où  ils  épuisent  à  la  fois  leur  bourse 
et  leur  sanlé.  / 

Travaux  des  mines  dans  la  Laponie  et  la  Norwcge.  — 
Les  journaux  suédois  ont  annoncé  qu'une  des  compagnies 
anglaises  des  mines  a  pris  des  arrangemens  avec  le  pro- 
priétaire éclairé  des  mines  de  Gelleivara ,  pour  leur  ex- 
ploitation. On  dit  le  minerai  si  riche  ,  qu'il  donne  'ji  pour 
cent  de  métal.  Mais,  ce  qu'on  ne  saurait  apprécier,  ce 
sont  les  avantages  qui  doivent  résulter  pour  les  provinces 
septentrionales  ,  disons  mieux  ,  pour  toute  la  Suède,  d'une 
exploitation  bien  entendue  de  mines  si  abondantes.  Dans 
la  Norwcge ,  on  a  découvert  récemment  des  dépôts  im- 
menses de  chromâtes  de  fer,  et  il  est  probable  que  toutes  les 
richesses  miuérales  de  ces  contrées  seront  bientôt  versées 
dans  la  circulation ,  grâce  à  l'influence  toute-puiosante  de 
l'Angleterre. 

Canal d' Amsterdam.  —  Jusqu'à  présent  on  avait  regardé 
comme  unique  en  son  genre,  sous  le  rapport  de  l'étendue 
et  de  ses  autres  dimensions,  le  canal  Calédonien,  qui  peut 
transporter  une  grande  frégate  de  la  mer  du  INord  aux 
côtes  occidentales  de  l'Ecossej  mais  le  nouveau  canal  d'Ams- 
terdam, qui  établit  une  communication  directe  entre  l'O- 
céan et  celle  importante  place  de  commerce,  surpasse  en 
profondeur  et  en  largeur  tous  les  ouvrages  du  même  genre 
qui  existent  en  Angleterre.  Il  paraît  qu'une  frégate  de  44 
l'a  déjà  parcouru  dans  toute  sa  longueur,  et  qu'il  est  navi- 
gable pour  des  vaisseaux  de  80  pièces  de  canon.  Le  canal 
projeté  de  Portsmouth ,  qui  doit  recevoir  également  des 
vaisseaux  de  ligne,  sera  aussi  profond  et  aussi  large  que 


38o  Nouvelles  des  sciences  , 

celui  trAmsterdam ,  et  le  surpassera  en  longueur  dans  la 
proportion  de  cent  à  cinquante  milles. 

Navigation  à  vapeur.  —  Des  navires  à  vapeur  sont 
maintenant  eu  actlvilé  entre  Londres  et  Dieppe,  Rouen  , 
le  Hdvre-de-Gràce,  Cadix.,  la  Corogne,  Alicante,  Vigo  , 
Lisbonne  ,  et  autres  ports  de  France,  d'Espagne  et  de  Por- 
tugal. On  en  a  établi  un ,  il  y  a  quelque  teins,  entre  Naples, 
I/ivourne  et  Gênes,  mais  on  a  du  y  renoncer  par  suite  des 
difficultés  qu'on  éprouve  dans  ces  ports  ,  relativement  à  la 
quarantaine.  Sur  le  lac  de  Genève,  on  en  a  lancé  un  dont 
la  construction  est  défectueuse ,  et  qu'on  se  propose ,  par 
cette  raison,  de  remplacer  par  un  autre.  Ces  navires  de- 
viennent tous  les  jours  plus  nombreux  ,  parcourent  de  plus 
grandes  distances  ,  et  naviguent  dans  des  mers  plus  diffi- 
ciles, telles  que  le  golfe  de  Biscaye,  la  Méditerranée,  la 
Baltique,  les  golfes  de  Finlande,  de  Bothnie,  etc.  Un  pa- 
quebot à  vapeur  porte  aujourd'hui  la  malle  entre  Kiel , 
dans  le  Holsteln,  et  Copenhague.  Dans  l'Adriatique ,  un 
bateau  à  vapeur,  la  Caroline ,  va ,  tous  les  deux  jours ,  de 
Venise  à  Trieste;  X'Eridan  se  rend  de  cette  ville  à  Pavie  ; 
ce  dernier  voyage  se  fait  communément  en  trente -sept 
heures.  Le  Royal-Georges ,  paquebot  à  vapeur,  effectue  son 
passage  de  Portsmouth  à  la  Corogne,  trajet  de  4  î^  !^oo 
milles,  en  60  ou  64  heures. 

Force  relative  des  machines  a  vapeur.  —  Une  machine 
dont  le  c>lindre  a  5i  pouces  de  diamètre,  frappant  17 
doubles  coups  de  pistou  par  minute,  équivaut  à  la  force  de 
4o  chevaux  travaillant  nuit  et  jour  (  comme  il  faut  trois 
relais,  on  peut  compter  i2o  chevaux  ),  et  consonnne  par 
jour  1 1,000  livres  de  charbon  de  terre.  Un  cylindre  de  19 
pouces ,  dont  le  piston  frappe  25  coups ,  est  égal  à  la  force  de 
12  chevaux  travaillant  constamment,  et  hrùle  5, 700  livres 
de  charbon.  Une  machine  de  24  pouces,  frappant  25  coupS; 


du  commerce  ,  de  V industrie ,  etc.  58 1 

brûle  5,5oo  livres  de  cliarbon,  et  représente  une  pnîssance 
de  20  chevaux. 

Machine  détonnante.  — On  va  faire  paraître,  dit-  on, 
dans  peu  de  tems,  une  machine  d'un  nouveau  genre,  qui 
doit  l'emporter  sur  les  machines  à  vapeur,  si  l'auteur  ne 
s'est  pas  trompé  dans  ses  espérances  ;  en  voici  une  idée 
générale. 

A  l'extrémilé  inférieure  d'un  petit  cylindre,  est  placé 
un  appareil  peu  considérable ,  destiné  à  produire  du  gaz 
d'huile.  L'hydrogène,  en  se  dégageant ,  soulève  un  piston 
dont  le  monvement  introduit  de  l'air  atmosphérique  dans 
les  proportions  nécessaires  pour  former  le  mélange  déton- 
nant. La  force  mécanique  de  l'explosion  peut  s'appliquer 
à  tous  les  usages ,  comme  la  vapeur.  Ou  dit  que  des  expé- 
riences heureuses  ont  été  faites  sur  le  nouveau  moteur, 
qui  a  lancé  de  l'eau  à  une  hauteur  considérable.  Suivant 
l'inventeur,  M.  Cécil,  on  obtiendra  deux  sortes  de  puis- 
sances :  l'une  sera  due  à  l'emploi  du  vide  opéré  par  la 
détonation  du  mélange ,  l'autre  à  la  force  expansive  de 
l'explosion  elle-même.  Mais  la  machine  n'est  pas  une  ap- 
plication spéciale  de  ce  dernier  phénomène. 

Découverte  du  terre.  —  L'art  de  fabriquer  le  verre  ne 
remonte  pas  à  une  très-haute  antiquité,  quoiqu'il  paraisse 
avoir  été  connu  des  Phéniciens,  plusieurs  siècles  avant 
Icre  chrétienne.  Le  récit  que  Pline  fait  de  son  origine  est 
assez  probable.  L'équipage  d'un  navire  marchand  qui  était 
entré  dans  une  rivière  de  Syrie,  descendit  à  terre  et  alluma 
du^feu  sur  le  sable  pour  préparer  son  repas.  Le  vase  où 
cuisaient  les  alimens  fut  appuyé  sur  des  blocs  de  nitre  qui 
'  faisaient  partie  de  la  cargaison  du  vaisseau  :  l'aclion  du  feu 
fondit  graduellement  le  nitre,  et  le  mélange  de  cette  subs- 
tance avec  le  sable  donna  naissance  à  une  matière  transpa- 
rente et  liquide  qui  n'était  autre  chose  que  du  verre. 

II.  ^7 


582  Nouvelles  des  sciences , 

Emploi  des  jio.rfunis  contre  la  moisissure.  —  I^a  moisis- 
sure altaque  et  déiruit  un  grand  nombre  de  substances  duti 
«sage  journalier  dans  les  besoins  ordinaires  de  la  vie.  L'em- 
ploi des  parfums ,  et  surtout  des  huiles  essenllelles,  comme 
préservatif,  a  obtenu  le  plus  heureux  succès  :  il  serait  dif- 
ficile d'expliquer  leur  action  chimique ,  mais  cette  circons- 
tance est  peu  importante. 

L'encre ,  la  colle  ,  les  cuirs  ,  les  graines ,  sont  au  nombre 
des  substances  le  plus  exposées  à  ce  genre  d'avarie ,  aux- 
qaelles  on  peut  faire  aisément  l'application  du  remède.  Les 
alimens ,  comme  le  pain  ,  les  viandes  froides  ,  le  poisson 
SQC,  présentent  plus  de  difficulté,  à  cause  du  mauvais  goîit 
qu'ils  pourraient  contracter.  Cependant ,  les  clous  de  girofle 
et  les  autres  épices  d'un  parfum  agréable  peuvent  atteindre 
le  même  but.  Il  paraît  que  ces  substances  n'agissent  point 
on  vertu  d'une  propriété  anti-septique,  mais  en  empêchant 
la  foi'malion  de  celte  espèce  de  mousse  végétale  que  l'on 
voit  croître  sur  l'encre  et  sur  les  autres  substances  qui  ne 
sont  point  animales. 

Les  effets  du  girofle  contrôla  moisissure  de  l'encre  ,  sont 
eënéralemeut  connus  :  on  obùent  le  même  résultat  avec 
ime  très-petite  quantité  d'huile  de  lavande  ou  de  toute  autre 
huile  aromatique. 

liS  conservation  des  cuirs  ,  parle  même  procédé  ,  est  un 
objet  de  la  plus  haute  importance,  surtout  dans  les  maga- 
sins militaires,  où  l'entretien  des  harnais  et  des  chaussures 
entraîne  des  dépenses  considérables,  et  où  la  moisissure 
cause  souvent  des  pertes  énormes.  Les  huiles  essentielles 
ont  répondu  jusqu'ici  aux  tentatives  qu'on  a  faites  dans  le 
but  de  préserver  les  cuirs  :  il  faut  choisir  celles  qui  sont  au 
meilleur  marché;  riiuile  de  térébcntliinc  parait  mériter  la 
préférence. 

Un  fait  remarquable,  à  l'appui  de  ces  observation-;,  c'est 
que  le  cuir  de  Russie,  parfumé  avec  une  espèce  de  goudron 


du  commerce  ,  âe  l'Industrie ,  etc,  383 

qu'on  tire  du  bouleau,  n'est  point  Enjcl  h  la  moisissure  : 
les  livres  couverts  (le  ce  cuir  préservent  même  les  reliures 
en  basane  qui  se  trouvent  dans  leur  voisinage.  Cette  parti- 
cularité est  bien  connue  des  marchands  russes  qui  laissent 
des  balles  de  cuir  entassées  pendant  long-tenis,  dans  les 
docks  (bassins)  de  Londres,  sans  en  prendre  le  moindre 
soin  ,  sachant  bien  que  leurs  marchandises  ne  seront  point 
gâtées  par  l'humidité,  taudis  que  nos  magasins  ont  besoin 
d'être  continuellement  ouverts  ,  nettoyés  et  aérés.  Les  ama- 
teurs de  livres  ne  seront  pas  fâchés  d'apprendre  que  quel- 
ques goutles  de  celte  huile  résineuse  suiïlsent  pour  garan- 
tir une  bibliothèque. 

On  a  fait  quelques  tentatives  heureuses  pour  préserver 
le  bois  de  la  piqûre  ,  au  moyeu  du  même  procédé.  Il  est 
entendu  qu'on  doit  toujours  employer  de  l'huile  écono- 
mique à  cette  opération  ,  surtout  lorsqu'elle  est  exécutéo 
eu  grand. 

De  toutes  les  substances  que  nous  devons  examiner,  la 
colle  est  une  de  celles  qui  paraissent  le  plus  susceptibles 
d'altération.  L'alun,  employé  par  les  relieurs,  n'est  pas 
un  préservatif  absolu ,  quoiqu'il  contribue  beaucoup  à  la 
conservation  des  peaux.  La  résine,  en  usage  parmi  les  cor- 
donniers ,  est  préférable  ,  et  agit  entièrement  dans  le  même 
sens  ;  mais  l'huile  de  térébenthine  a  beaucoup  plus  de 
puissance  encore;  la  lavande  et  les  autres  substances  aro- 
matiques d'une  odeur  forte,  comme  le  poivre,  l'anis,  la 
bergamote  ,  réussissent  parfaitement ,  même  en  très-petite 
quantité  ;  elles  conservent  la  colle  pendant  un  tems  illiniilé. 

Cette  découverte  sera  très-utile  aux.  personnes  qui  sont 
obligées  d'employer  fréquemment  la  colle  en  petile  quan- 
tité pour  fabriquer  des  cartons;  elle  leur  évitera  l'embarras 
de  la  renouveler  à  chaque  occasion  ,  en  la  conservant  du- 
rant des  années  enlières,  sans  aucune  alléralion  ,  et  toujours 
prête  à  servir. 


584  Nouvelles  des  sciences  , 

La  meilleure  colle  est  faiie  de  tleur  de  farine  ordinaire  ; 
on  y  ajoute  de  la  cassonade  grise  et  une  petite  portion  de 
sublimé  corrosif.  lie  sucre  lui  donne  du  liant,  et  empêche 
la  formation  des  écailles  sur  les  surfaces  polies.  Le  sublimé 
la  défend  des  insectes  et  de  la  fermentation.  Ce  sel  ne  pré- 
vient pas  la  moisissure;  mais  ,  comme  deux  gouttes  d'huile 
suffisent  pour  l'empêcher,  toutes  les  causes  de  destruction 
sont  ainsi  enlevées.  Celte  colle,  exposée  à  l'air,  durcit  sans 
se  décomposer,  et  devient  semblable  à  la  corne;  il  faut  la 
mouiller  quelque  tems  avant  d'en  faire  usage.  Gardée  dans 
un  vase  hermétiquement  fermé ,  elle  peut  servir  en  tout 
tems,  sans  autre  préparation. 

Le  même  procédé  peut  s'appliquer  à  la  conservation  des 
graines,  surtout  lorsqu'elles  doivent  faire  le  voyage  d'outre- 
mer, qui  en  détruit,  comme  on  sait,  un  si  grand  nombre. 
Dans  ces  circonslances,    l'humidité  exerce  beaucoup  de 
ravages ,  et,  de  plus ,  cette  mousse  végétale  qui  constitue  la 
moisissure  augmente  rapidement  le  mal,  soit  par  l'eutre- 
tlen  de  l'humidité  ,  soit  par  toute  autre  action  invisible.  La 
même  chose  arrive  dans  la  piqûre  du  b nis  ,  et  dans  tous  les 
phénomènes  analogues.  Une  preuve  bien  remarquable  de 
la  puissance  du  préservatif  proposé  ,   c'est  que  les  graines 
aromatiques  de  toute  espèce  ne  contractent  jamais  de  moi- 
sissure, et  que  leur  voisinage  en  garantit  même  les  autres 
semences  :  elles  produisent  les  mêmes  effets  sur  les  subs- 
tances animales.  Nous  remarquerons  qu'on  emploie  souvent 
le  poivre  pour  la  conservation  des  collections  d'insectes  ou 
d'oiseaux,  sans  qu'on  ait  observé  que  cette  substance  a  la 
propriété  de  s'opposer  à  la  moisissure ,  et  d'écarter  ou  de 
détruire  les  insectes. 

On  peut  encore  ajouter  à  l'appui  de  toutes  les  preuves 
contenues  dans  cet  article,  que  le  pain  d'épices,  et  généra- 
lement toutes  les  pâtisseries  épicées,  sont  beaucoup  moins 
suj(îltfs   à  se  moisir  que  le  pain  ordinaire.  Ce  serait  une 


du  commerce ,  de  l'ùtdustrie  ,  etc.  585 

question  de  la  plus  haute  importance,  que  celle  de  savoir 
jusqu'à  quel  point  on  pourrait  conserver  les  farines  par  des 
moyens  analogues. 

BOURSE   DE   LONDRES. 

Cours  des  fonds  publics  anglais  et  étrangers,  depuis  le  24 
septembre  jusqu'au  24  octobre  i825. 

FONDS  ANGLAIS.  P'"-"  ''""'•      ^'"*  *•""•      '''"■"•  '^""'■'• 

Banct  Stock,  8  p.  0/0 226  ....  225   ....  2-26  .... 

3  p  0/0  consol 88  3/4.  87  3/8.  87  5/8 

3  p.  0/0  rcduiis 88  ... .  86  5/8.  86  7/8 

3  1/2  p.  °/o  réduits 96   ....  g4  •  •  •  •  9^   i/4 

Nouveau  4  p- "A ^^^   'A*-  "^^   1/8.  io3  1/4 

Longues  annuite's  expirant  en  1860  ..  21    1/8.  2»   ....  21    .... 

Fonds  de  l'Inde  10  1/2  p.  0/0 267    1/2.,    264      ..  267    ..•■• 

Obligations  de  l'Inde,  3  p.  0/0 20  s.  pr.  iis.pr.  iis.pr. . 

Billets  de  l'Ecl)i(]uier  ,  2  1/4  p.  °/o-. . .  5s. pr.  pair.              is.pr.. 

FONDS   ÉTRANGERS.  P'""*  ''^"''       Plu»  bas.       dern.coms. 

Obligations  autrichiennes,  5  p.  0/0. . .  99  ....    97  3/4..  98   1/2 

/r/.  du  Brésil Jd 741/4.     731/8.  74    .... 

Id.  de  Bucnos-Ayres  ,  6  p.  0/0 .  . .  84  • . .  .    83   ... .  83 

JJ.duChlIi,                  Id 69  ....  68  1/2..  69   

JJ.  de  Colombie,  1822. /J. 77   1/2,    75   i/a..  76  1/4.. 

Id.  Id. ,  1824.  Id 76   . . .     74 74   3/4 

Id.  de  Danemarck ,  5  p.  0/0....  loi    1/4.   101    1/8.  loi    1/4 

Rentes  françaises,   5  p.  "/o 100....     98   1/2.  100    .... 

Obligations  grecques,             5  p.  o/p..  33   . . . .    28  ....  29    1/2 

Id.  du  Mexique ,           Id 71    1/2 .  69  1/2. .  71    .... 

Id.  de  Naples  ,     5  p.  Vo 88  ....    86 87    

/rf.  du  Pérou  .     6  p.  0/0 65....    60   1/2.  61    1/2 

/J.  du  Portugal,  5  p.  0/0 83  1/2.    83  83.... 

/û'.  de  Prusse,  1818,  /</ 981/2.    98 9^>/4 

Id.             Id.  1822  ,  Id 100   1/2.   1 00   ... .  99   3/4 

Id,  de  Russie ,           Id 94  ....     92    3/4 .  93    ... . 

/</.  d'Espagne ,           Jd. 181/4.    iG  1/4.  17   .... 

FIN    DU    SECOND    VOLUME. 


TABLE 

DES  MATIÈRES  DU  DEUXIÈME  VOLUME. 


Pag. 

Sciences. —  Expériences  pour  déterminer  la  figure  de 

la  terre ,  etc.  (  Lit.  Gaz.  ) 1 55 

De  la  vaccine  et  de  la  petite-vcrole  (  Revue  (VEdin- 

bourg.  ) . 289 

Littérature.   —   OEuvres   de  Frédéric  Schlegel. 

{yVestminster  Review.') 80 

Coup-d'œil   sur   la   Russie   et  sur    sa   lilléralure. 

(JVestminster  Reincip.  ) 241 

Economie  politique.  —  De  la  liberté  du  commerce 
et  de  Texportation  des  machines.  {JVestminster 

Reçiew.) 68 

Vues  présumées  de  M.   Huskisson  ,    présideut   du 

bureau  du  commerce.  [London  Magi) 112 

Économie  domestique.  —  Du  projet  d'introduire  le 
poisson  de  mer  dans  l'eau  douce;  de  le  parquer 
sur  les  côtes  ;  et  de  priver  de  nouvelles  espèces 

d'animaux.  (  London  Mag.  ) 197 

Agriculture.  —  Industrie. —  Comaierce.  —  Ex- 
ploitation des  mines  du  Nouveau-Monde i 

Des  progrès  de  la  richesse  publique  en  Angleterre. 

{<Quarter/y  Reoicw.) 19 

Histoire  des  vins  anciens 88 

Histoire  des  vins  motlernes 271 

Des  plantations  d'arbres.  (Farmer's  Magazine.).  . .    io<) 
De  l'Horticulture  en  Angleterre.  (Çnarterly  Ret'.)..  'm 
Biographie.  —  Notice  sur  la  vie  de   Sir   Richard 

Arkwright.  [Glasgow  Mechanic's  Mag.) nyi 

INotice  sur  la  vie  de  J.  Watt.  [Glasgow  iSîeclianic  s 
Mag.  ) 2 1 G 


TABLE    DES    MATIÈRES.  587 

Pag. 

Statistique.  — Popul.Ttlon  actuelle.de  l'Irlaïuîe. ...    i  iG 
Sitnalion  de  rile-tle-France  ,  maintenant  île  Mau- 
rice     U9 

Aperçu  des  ressources   de   Tempire  des   Birmans. 

{Gazette  de  Calcutta.) -.  .    122 

Force  et  organisation  de  rarciée  chinoise 128 

Voyages.  —  Voyage  dans  le  Rliorassan.  (Z//.  Gaz.).   i3o 

Voyage  à  là  Cochinchine.  (  Monthfy-  Reinen>.) i33 

Excursion  dans  les  montagnes  de  Nilglierry  .......    i44 

\oyages  dans  la  mer  des  Indes i46 

Notes  sur  le  port  de  Jakson  et  sur  la  ville  de  Sidney, 

dans  la  Nouvelle-Galles  méridionale 1 5 1 

Voyage  dans  le  pays  de  Timannl,  de  Kouranko  et 

deSoulima  dans  l'Afrique  occidentale. (E/i;.  Gaz.).  297 
Voyage  an  pôle   austral  et  dans  la  Terre-de-Feu. 

{Lit.  Gaz.) 5o8 

Scènes  et  impressions  en  Egypte.  (  Rame  d'Edin- 

bourg.  ) 32  > 

Voyage  de  M.  Biot  aux   îles  Shetland.    {Glasgow 

Mechanic's  Mngazi/ie.  ) 338 

MÉLANGES.  — Tableau  d'une  armée  turque  en  cam- 
pagne      1^7 

Festin  chinois ï  58 

Voyages  et  métamorphoses  d'une   livre  de  colon. 

{Glasgow  Mechanic's  Magazine.) iSg 

De  l'âge  des  arbres 160 

De  Fart  de  Timprimerie  à  Constantinople 161 

Suicides  en  Angleterre i  G4 

Hontes  anglaises 'Gf) 

Lettre  française   d'un  prince   de  l'Inde.    (  Oriental 

Herald.) lOG 

Stances  sur  la  tombe  de  Napoléon,  écrites  à  Sainte- 
Hélène.  (Oriental  Herald.) 172 


588  TABLE    DES    MATIERES. 

Pag. 

Précis  des  c-vénemens  qui  ont  ainené  la  guerre  des 
Birmans  et  de  la  Grande-Bretagne.  (  Gazette  de 
Calcutta.) 5^0 

Discussions  de  Buénos-Ayres  arec  le  Brésil  et  les 
Patagons.  {^Lit.  Gazette.  ) 552 

Portraits  des  trois  plus  fameux,  orateurs  du  barreau 
anglais.  (  London  Magazine.) oSt 

Un  trait  de  la  vie  de  lord  Byron 3Ga 

Histoire  des  relations  des  peuples  étrangers  avec  la 
Chine  ,  par  un  auteur  chinois.  {Asiatic  Journal.)  564 
Nouvelles  des  Sciences,  de  la  Littérature,  des 
Beaux-Arts,  du  Commerce,  des  arts  indus- 
triels, DE  l'Agriculture,  elc 1^3  et  568 


fin  de  la  table. 


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